Discours
Voilà ce qu'a dit Dieu :
« — Toujours tu erreras comme un insecte borgne,
Rejeté par les tiens et atroce à leurs yeux.
Tu subiras leur foi sans amour ni vergogne.
Il n'est pas de recours à ce mauvais cadeau
Que j'ai fait en riant à tes parents fautifs.
Sur tes épaules bleues tu portes ce fardeau
Et je guide tes pas comme un chevreau rétif.
Ceux que tu crois aimer ne t'aiment pas vraiment ;
Dans cette longue épreuve il n'est pas de béquille :
Il faut subir tout seul : comme un très vieil aimant
Le mal est ton métal même si tu maquilles
Tes errements en chants, tes échecs en idées,
Ta maladie en joie ! Tu rampes avec eux,
Vous partagez votre air, tu geins à leur côté ;
A leur bal costumé tu es le plus hideux !
Toujours tu haïras leur existence vaine,
Leur raison de sortir de leur lit le matin
Te sera inconnue et ne sera pas tienne !
Et que ton lit soit fait de clous ou de satin
Tu ne comprendras pas. — Tu ne comprendras pas
Non plus leur désespoir, leurs amours chantonnantes.
De l'oubli à la haine il ne reste qu'un pas.
— Tu passeras leur terre aux murailles battantes
Qui dresseront leur pique au devant de ta face !
Crois-moi ! Crois-moi ! Crois-moi : tu n'auras pas la paix,
Tu portes dans tes traits comme une affreuse trace :
L'orgueil, la vanité et les autres péchés.
Tu verras dans leur vie toujours des meurtrissures,
Des stigmates marrons dans leur paume abattue.
Leur adoration ne connait de fissure,
Ils mangent le poison de leur sol rebattu.
Comme des porcs souffrants que doucement je saigne
Ils acceptent leur sort en m'adorant encore.
Leur courroux est pour toi : ils m'aiment et me craignent :
En plus de leur esprit ils m'offrent de leur corps !
Pour toujours tu te meurs, pour toujours tu consommes ;
Apprend ces très doux vers qui désormais sont nôtres :
Tu dois haïr le monde et détester les hommes.
On ne se connait pas, on ignore les autres. »