Je travaille en ce moment sur un dossier concernant la légalisation du cannabis en France, ce qui me fait lire pas mal de choses sur différentes sources, et comme vous vous en doutez il y a parfois des perles.
Je vous colle ici la réponse qu'un professeur à fait à un internaute qui commentait la sortie de son livre "pourquoi il ne faut pas dépénaliser l'usage du cannabis ?". Le professeur en question est tout à la fois pharmacologue, neurobiologiste, membre titulaire des Académies nationales de Médecine et de Pharmacie et président du Centre National de Prévention d’Etudes et de Recherches sur les Toxicomanies.
Voila sa réponse :
La littérature sur le cannabis est d’une très grande abondance, des milliers d’articles et d’études y ont été et continuent d’y être consacré.. L’abordant comme une auberge espagnole vous n’y trouvez, Hélène, que ce qui vous convient et vous sélectionnez les seuls auteurs que des médias épris de chichon ont mis en exergue, sans considérer leur apport scientifique réel au sujet. Je vous convie à aborder ce grave sujet en dehors du prisme de l’idéologique ou de la recherche personnelle de justifications d’attitude, ou d’une plus grande facilité d’accès à cette drogue; en ne vous préoccupant , comme je le fais, que des aspects sanitaires et de ce fait sociétaux. Est-ce bon ou mauvais pour la santé physique et psychique des consommateurs ? Quelles en sont les conséquences sociétales ?.
Je partage, en partie, avec vous l’idée qu’une majorité des consommateurs de cannabis n’en sont pas gravement affectés ; cependant j’affirme que tous en auront au moins « un petit coup »,( ce qui peut générer de grands coûts). Paraphrasant Lafontaine (dans les animaux malades de la peste, je crois) « Ils n’en mourraient pas tous, mais tous étaient (un peu) frappés »… La très grande rémanence de l’effet du THC, fait que sous l’influence très durable de cette drogue, le sujet n’est jamais dans l’état qui serait authentiquement le sien (moins attentif, moins disponible au monde, moins ambitieux, moins performant, moins motivé, toujours en deçà de ses capacités réelles.
La théorie de l’escalade vers des drogues encore plus détériorantes est désormais fondée de façon épidémiologique, mais également neurobiologiques. Beaucoup s’accordent à considérer le processus toxicomaniaque comme une entité. Ceux qui ont contesté cette escalade, pour ne pas se déjuger, changent le terme, et admettent celui de polytoxicomanies. Ce qui est plus grave, car ce n’est pas l’abandon d’une drogue pour accéder à une autre plus forte, mais c’est l’ajout à une drogue d’une autre drogue. La toxicomanie fait gravir l’un après l’autre les barreaux d’une échelle : caféine, puis tabac, puis alcool (connaissez vous beaucoup de fumeurs qui ne fument, ni ne boivent de café ?) et l’on continue, avec des chiffres moindres, en raison de la difficulté relative d’approvisionnement du fait du prix et du caractère illicite, avec le cannabis, puis la cocaïne, le Subutex® (produit de substitution à l’héroïne), pour accéder à l’héroïne. Dans cette échelle, le barreau de l’héroïne (250.000 individus pour l’occuper en France) ploie sous un afflux régulièrement croissant de nouveaux venus, conséquence de la poussée produite par la sur-occupation des barreaux du dessous ; ceux du cannabis et de la coke. Les services hospitaliers d’alcoologie d’autrefois ont tous dû s’ouvrir à la prise en charge des autres toxicomanies envahissantes. Il est impératif de briser les barreaux du bas de cette échelle, en s’attaquant au tabac, à l’alcool; il faut en effet différer, à tout le moins, à défaut de prévenir, l’usage de ces deux drogues chez nos mômes. Il faut recourir pour cela à une pédagogie intense, adaptée, dispensée par des enseignants motivés, non consommateurs de ces drogues et d’autres drogues encore, enseignants formés à cela (ce qu’ils n’ont pas été dans les IUFM). Je vous invite, Hélène, à lire le livre d’une homonyme (Hélène « J’ai commencé par un joint »Oh! Editions 2006), très triste illustration de l’escalade..
Dans la compétition économique internationale, » il n’est de richesse que d’Hommes », ni shootés, ni camés, ni paumés ; des hommes intellectuellement bien formés, physiquement et psychiquement en bonne santé, motivés, déterminés, ambitieux. Or « le chichon ça rend con »; bête et paresseux, avec des difficultés à apprendre (« pétard du matin poil dans la main, pétard du soir trou de mémoire »), c’est la drogue du rire bête, du j’men foutisme, de la résignation, de la mémoire en dentelle, de la croissance négative, de la régression…
Si la transgression est nécessaire à certains ados pour accéder au stade adulte, c’est au niveau du tabac et de l’alcool qu’il faut l’organiser, ou du moins la situer et non point au delà du cannabis (ce à quoi aboutirait sa légalisation). Il y a de tristes adultes qui, pour leur petit confort égoïste, sont prêts à exposer nos jeunes, nos « germes d’éternité », au feu du cannabis. Ils me rappellent ces salopards qui, pour réchauffer leur gamelle, parce qu’ils veulent manger chaud! prennent le risque, en allumant leur petit feu, d’embraser la forêt en période de sécheresse.
A l’heure où la Finlande et l’Islande (de mémoire) ont programmé pour dans 25 ans l’interdiction de la vente libre du tabac (25 ans c’est le temps nécessaire pour purger leur population des sujets actuellement tabaco-dépendants, ce qui consiste, dès maintenant, à instaurer l’impossibilité pour les jeunes de s’approcher du tabac), il y a, en France, des Hélènes (avec un seul l),qui militent pour la légalisation du cannabis. Ce sont souvent les mêmes qui critiquent les médicaments imparfaits prescrits à quelques uns, mais qui faciliteraient l’accès au plus grand nombre de cette drogue, de ce toxique; jetant aux orties le fameux rapport bénéfices / risques (avec des risques multiples et parfois très graves pour le consommateur, et des bénéfices juteux pour ceux qui, en toute indignité, en font commerce); et faisant fi du sacro- saint principe de précaution.
Quant à la solitude dans laquelle vous me situez, pour ma position ferme de ne pas dépénaliser l’usage du cannabis, sachez tout d’abord que relativement au grand public, j’appartiens aux 65% des citoyens français encore récemment interrogés sur ce sujet, qui, en dépit d’un matraquage médiatique contraire, sont contre cette dépénalisation. Cette solitude je ne la perçois pas du tout non plus, dans la grande majorité des cercles, clubs, académies, associations, auditoires que je fréquente assidument. Je ne souffre pas de distorsion de la pensée, aidé sans doute en cela par le fait de n’avoir jamais consommé cette drogue. Ma conviction est bâtie à partir de mes propres recherches, de mes observations, des débats auxquels je participe régulièrement et par une lecture attentive et le plus exhaustive possible de la littérature ; lecture qui ne se limite pas aux médias en vogue, les plus tonitruants, si prompts à concevoir des clichés si facilement admis et restitués.
Merci Hélène de m’avoir permis par cette réponse, un peu longue, de préciser quelques points de cet important sujet.