Ca fait longtemps que j'avais envie de répondre à ce topic, d'abord en tant que femme, ensuite en tant que jeune femme, qui a donc dû apprendre ces dernières années à s'émanciper, à repérer les signes de domination en elle et autour d'elle, à douter (encore et toujours) de ce qui était de l'ordre de l'action et de ce qui était de l'ordre de la réaction.... Car la question, quand il y a, en des termes très marxistes, domination, c'est de savoir comment agir et non réagir contre, et non se comporter..
Agir contre une structure aliénante, réductrice, qui te met dans une case selon que tu sois un homme ou une femme, et t'indique en conséquence des voix à suivre, une forme de stature à avoir, c'est essayer de te penser comme individu. Je ne veux pas être un produit social, mais pour dépasser ce cap, il me faut prendre conscience de ce en quoi je le suis. Qu'est-ce que j'accepte pleinement comme faisant partie de moi, comme étant en complète harmonie avec ce que souhaite l'enfant en moi ? Qu'est-ce que j'ai dû apprendre à faire parce que j'avais peur de l'autre, parce que je me voyais à la troisième personne ? Finalement, le féminisme, c'est juste une partie, pour moi, de ce qui fait que j'apprends peu à peu à m'accepter...
Il faut d'abord prendre conscience de ce que c'est que de devenir individu pour une petite fille dans le monde dans lequel j'ai grandi. C'est d'abord devenir femme. C'est, à douze ans, être obnubilé par son poids alors qu'il n'est aucunement alarmant, que ce sont juste les formes qui apparaissent. C'est, à treize ans, se raser le duvet noircissant des jambes pour porter des robes parce qu'on nous apprend à poser dessus un regard haineux. C'est être tellement obnubilée par le paraître, par l'incapacité physique à être une Lolita, qu'on souffre de gros complexes d'infériorité/supériorité par rapport aux autres filles : elles savent se faire belles mais elles captent que dalle à Camus, hahaha (bien entendu, ce genre de pensée est le fait lui aussi d'un gros machisme, et on reste dans les schèmes masculins : soit t'es bonne et conne, soit t'es frustrée, mal dans ta peau et tu baises du bouquin.)
Bon donc du coup, pour sortir de tout ça, ça demande du temps, et surtout, je pense, du dialogue avec autrui. Rencontrer des gens, prendre confiance, changer les codes de séduction, de plaisir, de désir. Car il est beaucoup question de ça, quand même, dans le rapport homme/femme. Le problème est qu'on apprend beaucoup aux femmes à exister pour les autres. Elles sont pensées dans l'extériorité, dans l'assentiment que font les autres de leur personne. D'où mille heures passées à paraître, à faire plaisir dès le premier regard.
(UN PEU HS : J'ai l'impression qu'il y a une question du temps, d'une distorsion du temps masculin et du temps féminin dans la construction d'un rapport, dans le premier contact etc., mais il faudra que j'y repense... La femme doit plaire tout-de-suite, doit cultiver en quelques sortes une forme d'immédiateté... Un homme, ça s'épluche plus, et surtout ça vit beaucoup pour lui, ça développe son intériorité parce qu'elle est reconnue comme importante, comme faisant partie de son capital séduction. Un homme, ça doit avoir, dans l'imaginaire collectif, du vécu, et d'ailleurs on est beaucoup attiré par les marques chez l'homme, par tout ce qui est cicatrice... la femme, elle, doit effacer ces traces, ce vécu, elle doit paraître lisse comme aux premiers jours de sa puberté, imberbe de préférence...)
Du coup, j'ai l'impression que pour se battre contre le machisme, il faut, je sais pas, se faire confiance, conjuguer à sa manière le fait d'avoir des boobs et une teucha. Je suis une femme, je suis bisexuelle - même si ces derniers temps j'ai beaucoup rencontré de jeunes hommes et moins de femmes, et que les expériences lesbiennes datent maintenant de ma plus tendre adolescence, mais j'ai l'impression que ça ne saurait tarder huhuhu - et cet été je tente la révolution du poil. C'est une grosse étape dans ma vie parce que partout autour de moi jusqu'à y a pas si longtemps, j'étais toute seule dans mon délire de FUCK EPILATION, mais j'ai rencontré une jeune fille de mon âge dans les mêmes vibes. Le but est de rien épiler du tout. Bon j'ai jamais été une grosse terroriste du rasoir, mais le cap le plus dur à passer, c'quand même les jambes... Finalement c'est sexy, un compagnon de plumard m'a même dit que ça l'excitait, j'trouve aussi que ça fait joli sur les filles... Mais mes enfants, quel cap ! En plus pour le moment, après tant d'années de rasage, il va falloir attendre un petit moment avant de retrouver les poils et la peau soyeux qui auraient pû être les miens sans rasage... Attention, je dis pas que l'épilation est la preuve de la domination masculine sur les femmes. Je comprends tout-à-fait que certains et certaines la trouvent plus esthétique, plus pratique, etc.... Je trouve simplement qu'à partir du moment où elle s'est généralisée au point où elle n'est plus un choix mais une contrainte sociale, elle est aliénante. J'y retournerai peut-être, mais j'ai envie de faire ma révolution du poil avant, juste pour savoir que j'ai le choix. J'ai un peu raconté ma vie là, mais je pense que l'épilation est clairement un exemple assez parlant : c'est l'illustration parfaite du "On ne naît pas femme, on le devient" de Simone de Beauvoir. Ce qui serait bien, ce serait tout simplement d'être, d'être femme comme d'être humain. Il y aura toujours des représentations, des symboles...
Bon voilà, je suis très jeune, mais j'ai eu beaucoup de mal à concevoir le féminisme et j'aurais aimé écrire quelque chose de plus développé pour conter mon rapport à la féminité, au féminisme, qui a beaucoup évolué ces dernières années. Le but étant bien entendu de ne pas rejeter tout ce qui est vu comme féminin - la douceur, la sensibilité, l'horizontalité, tout ce que Bourdieu a vu catégorisé comme féminin dans La Domination masculine - mais plutôt de ne pas le stigmatiser comme étant l'égide d'un sexe. Il faut simplement accepter ces forces qui sont différentes, et complémentaires, comme faisant partie de chacun de nous. A partir de là on peut voir des caractères plus ou moins féminins, ou masculins, mais ça ne sert pas à grand chose de les définir comme tels... L'idéal serait que ces terminologies finissent par paraître caduques, tant le temps et l'expérience auraient montré l'extraordinaire diversité qu'il puisse exister entre les individus...