La Puissance et la Gloire de Graham Greene raconte l'histoire d'un prêtre catholique au Mexique dans les années 30, époque où le gouvernement mexicain s'était engagé dans une violente campagne anticléricale visant l'Église catholique.
Lors d’une scène, le héros en fuite, misérable et en haillons, prononce une messe alors que les forces de l’ordre viennent le prendre. Il se rend compte qu’il parle peut-être pour la première fois du malheur sans hypocrisie, le vivant lui-même. Son discours concerne le Ciel. Il explique classiquement que toute souffrance existe parce que le salut nous attend.
On peut bien sûr interpréter ce message de différentes façons. La plus méprisable étant celle que m’évoque l’image de la mère Theresa, refusant les anti-douleurs aux pauvres, admirant la “beauté” de la souffrance humaine. Une autre façon est celle de trouver de la force dans les plus mauvais moments pour résister, jusqu’à l’avènement de jours meilleurs.
Suite à cette messe, le chef du groupe de policiers ou militaires qui arrive pour prendre le prêtre, sans pouvoir le reconnaitre, explique ceci aux villageois :
Vous êtes des imbéciles, si vous croyez encore ce que vous disent les curés. Ils en veulent à votre argent, voilà tout. Qu’est-ce que Dieu a jamais fait pour vous ? Avez-vous de quoi manger ? Vos enfants ont-ils assez de nourriture ? Au lieu de vous donner du pain, ils vous parlent du Ciel. Oh ! Que tout sera merveilleux quand vous serez morts, disent-ils. Moi, je vous dis : tout ira bien quand ils seront morts, eux. Il faut que vous m’aidiez.
Plus tard, le même homme ajoute qu’à ses yeux, la vie des villageois a bien plus de prix que celle du prêtre, qu’il serait prêt à tout leur donner.
Si son discours sur le clergé trouve tout son sens quand on connait les dérives du pouvoir religieux, on peut encore imaginer quel est le rôle réel d’un prêtre, fut-il ordonné ou non par un quelconque pouvoir, disons plutôt par des villageois eux-mêmes, qui ont confiance en lui. Ce rôle serait celui d’un homme qui vit les mêmes souffrances que ses pairs (ses frères et sœurs plutôt que ses enfants, vision patriarcale au possible). A ce titre, et par un talent particulier, il serait capable d’aider ceux-ci à aller de l’avant, malgré les difficultés.
Pas dans l’espoir qu’un hypothétique Dieu les récompense, mais parce que la vie même sur cette terre est faite ainsi. Peut-être que l’au-delà nous délivre des souffrances... Mais surtout, si cette vie est souvent difficile pour nous autres, prolétaires, il nous appartient de toujours garder la tête haute et de nous battre pour faire advenir de jours meilleurs.
L’ironie de ce passage du roman, c’est que le représentant de la république, devant le silence des villageois, incapables de dénoncer leur prêtre, désigne un villageois en bonne forme physique et annonce qu’il sera fusillé s’ils ne changent pas d’attitude.
La morale de cette histoire est bien entendu que la réelle question n’a jamais été de savoir si un prêtre, un patron ou que sais-je encore, était par nature mauvais et qu’il suffisait donc de tous les fusiller pour faire advenir une époque de paix et de fraternité. La réelle question est bien celle du pouvoir que l’on laisse à des institutions, autoproclamées ou tolérées par une acceptation tacite de la population.
Cet homme prétendant vouloir tout donner à ces pauvres gens, contrairement aux prêtres qui seraient hypocrites, va abuser de son pouvoir et au contraire, plutôt que leur donner quoique ce soit, tuer l’un d’eux. Il remplace de fait la figure du membre du clergé abusant des pouvoirs qui lui sont conférés. Il ment, il manipule, il violente parce qu’il en a le pouvoir.
Peu importe qu’il y ait aussi de bons patrons, de bons politiciens, de bons policiers... Le fait est que si l’on laisse un pouvoir de vie et de mort à des gens, il y en aura toujours pour l’user pour leurs desseins personnels (haine, profit, etc.).
La puissance de l’émancipation collective serait non pas de seulement pouvoir repérer des institutions qui sont la source de nos malheurs, mais bien de développer une capacité à résister à toute forme de pouvoir. Et dans l’idéal, à établir des règles empêchant quiconque d’obtenir un pouvoir de vie ou de mort sur ses pairs, de manière directe ou indirecte. Quand un politicien décide de créer une loi pour contrôler les chômeurs, il se rend aussitôt responsable d’un grand nombre de malheurs. Tout cela ne lui coûte rien, et il en tire même un bénéfice politique auprès de sa clientèle réactionnaire. Cela ne devrait pas exister.
Source :
En attendant l'oasis