Une petite image faite aujourd'hui pour accompagner un bout de texte qui trainait sur un de mes DD depuis des années. Crayon + encre de chine.
Hiver nucléaire
Pour la première fois depuis ce jour ou des milliers d'astres churent du ciel, je suis aujourd'hui retourné à la surface.
Tandis que je montais, je tentais de ne pas m'imaginer ce que je pourrais trouver la haut, à l'air libre. J'essayais, en vain, de me figurer un monde vide, blanc, neuf alors que je marchais, machinalement, un pas après l'autre, ma main droite caressant la rugueuse paroi de béton, la gauche soutenant la sangle de mon Ak. « Puisque je ne peux m'attendre à tout, autant m'attendre à rien », je me ressassais en boucle ces quelques mots, m'efforçant de me convaincre au fur et à mesure que je me rapprochais des sas de sécurité dont les lourdes portes de métal rouillaient en paix depuis des années.
Mes efforts furent vains. Ma curiosité, mon imagination ne me laissaient pas en paix une seule seconde. Mes souvenirs remontaient à la surface. Ma vie avant la vie se rappelait à moi. Trop souvent, ces dernières années, je me suis réveillé en sueur, paniqué, un sentiment d'urgence m'oppressant cependant que je revivais le jour ou l'humanité failli à disparaître. Encore aujourd'hui, je me souviens avoir désiré ardemment ce jour, avoir conspiré, planifié. Je me souviens avoir mis en œuvre, je me souviens avoir créé cette inexorable spirale de mort. Je me souviens avoir lutté pour déplacer les pouvoirs, je me souviens avoir prononcé des discours enflammés sur la nécessité d'enflammer le ciel, je me souviens avoir œuvré au chaos, je me souviens avoir désiré cette entropie, et je me souviens avoir trahi ma cause.
Je me souviens avoir failli. Je me souviens avoir regretté, m'être enfui, m'être caché, avoir entrainé certains vers ces abris inconnus de tous. Aujourd'hui, je suis un héros, je suis celui qui a sauvé les siens. Mais je me souviens qui j'étais, je sais encore qui je suis. Si jamais ceux qui me tiennent en si haute estime savaient que je suis en grande partie responsable de la mort de leur civilisation, je sais qu'ils me tueraient. Et aujourd'hui comme hier, je me trouve incapable de mettre fin à cette insupportable mascarade. L'instinct de survie est bien trop ancré en moi pour me permettre de mettre fin à mes jours. Singe savant, haïssant sa propre condition, ses limites, je ne peux pas même rejoindre ce néant que je désire tant, je suis trop faible pour mourir, je suis condamné à vivre avec mes démons.
Je suis remonté à la surface, torturé, damné, amer, aigri, me haïssant. J'imaginais un monde en ruine, peuplé de rares survivants pleurant leurs morts et me vouant aux gémonies. Je croyais surgir dans un monde en guerre, les cieux emplis de flammes, les hommes bestiaux luttant pour survivre, dans une parodie mutée de l'état de guerre de tous contre tous d'Hobbes. J'espérais que l'un d'entre ces belligérants imaginaires me reconnaissent et vienne me mettre en pièces. J'espérais une rédemption par le fer et par le sang.
Non sans une appréhension certaine, j'ai ouvert les lourds ventaux d'acier et je me suis faufilé à l'extérieur. Je n'ai pas pu faire plus de trois pas. Putain ce que j'étais loin du compte. A coté de la plaque, vraiment. Ce qui m'a choqué, ce qui m'a sidéré, ce qui m'a figé, ce fut le silence. Un silence total, affreux, étouffant, insupportable. Même au fin fond des tunnels les plus reculés, la ou la pierre étouffe toute trace de mes congénères, le silence n'était pas si complet, si absolu.
Je ne sais pas combien de temps je suis resté ainsi, debout, l'oreille aux aguets, tentant de percevoir un bruit dont je n'étais pas la source. Ce n'est qu'ensuite progressivement, que j'ai remarqué la neige. Partout, couvrant chaque pouce de béton, chaque carcasse de voiture, chaque tas de gravas, chaque cadavre. La neige tombait, épaisse, d'un gris sale, chargée de poussières radio-actives, sans discontinuer depuis je ne sais combien de temps. Pour la première fois depuis des années, je me suis senti en paix avec moi-même. Je n'ai plus rien regretté. La vision de cette agglomération en ruine recouverte de neige poudreuse avait un je ne sais quoi de féérique, de fabuleux, de distant.
Quelques minutes ou quelques heures plus tard, je me suis retourné vers les lourdes portes, les ai contemplées pendant un court instant, puis ai décidé de m'éloigner. Aujourd'hui, je suis à la surface et je finis ce que j'aurais du faire il y a bien trop longtemps, je meurs.