Laura Revenudelaba
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NIHILISME 2 – ÉCHELLE INDIVIDUELLE ET INTER-PERSONNELLE – DIAGNOSTIQUE DE CE MAL MORAL COMPORTEMENTAL
En chacun de nous un peu de toutes ces formes mélangées, dont on a conscience, ou pas, chez soi ou chez l’autre retrouvé.
Ebauches de solutions morales et éthiques dans l'épisode suivant
Partons du principe que dans nos personnalités contradictoires, ambivalentes, nous sommes souvent ce que nous dénonçons (moi le premier, et pas qu’un peu), du fait que les vertus que nous prônons seraient le pendant positif des vices contre lesquels nous luttons, en nous, mais que souvent par vanité nous projetons sur autrui. Toute construction morale s’établit ainsi, au travers de relations inter-personnelles où se reflètent nos personnalités ainsi reconnues ou déniées, aimées ou détestées, s’imitant dans la collaboration ou l’opposition. Rien de nouveau depuis des millénaires que l’humain a conscience de lui-même, en vue de pratiques éthiques pour générer du bon, à partir de ce qu’il estime moralement comme étant bien.
Bref, le plus appelle le plus.
Reste donc à définir ce plus vers quoi l’on veut positivement aller, plutôt que de critiquer en négatif ce qui nous énerve. Ce qui perpétuerait l’alimentation de circuits neuronaux qui, en nous, génèrent de l’impuissance acquise, répétée, réapprise, des idées/comportements peu enviables, mais ainsi diffuser de proche en proche. De transferts de culpabilités en passions tristes se répandant, l’inexorable malheur humain. A surmonter !
« Qui qualifies-tu de mauvais ? — Celui qui veut toujours faire honte.
Qu'y a-t-il pour toi de plus humain ? — Épargner la honte à quelqu'un. »
Friedrich Nietzsche, Le Gai savoir
DÉPASSER SON NIHILISME PAR L’ACTION PRO-SOCIALE
Accouder au comptoir de l’ère du temps, broyer du noir. Sombre période n’est-ce pas ? S’abreuver de quelques nouvelles idées éclairantes, s’enivrer dans une appréhension édifiante de nos mécaniques idéologiques, et autres dialectiques intériorisées, qui façonnent nos schémas de pensées. Nos comportements, mimés, reproduits, formatés. Amer arrière-goût, dans le souvenir des notions d’exploitation et d’aliénation chez Marx. Puis, après une brève méditation, tremper ses lèvres dans la connaissance de soi et goûter le plaisir de savoir, afin de moins se subir.
Se sentir libéré de saisir les causes extérieures qui, jusque là, aveuglément nous déterminaient.
La problématique nihiliste dans notre société de sur-consommation relève du désir. Des désirs rendus infinis, sans plus de limites dans leurs objets démultipliés autant que possible sur les marchés, dans les magasins, entre nos mains, à portée de porte-monnaie. D’où des désirs perpétuellement insatisfaits, avec ses lots d’infinies frustrations. Frustrations de ne pas avoir ce que l’autre possède, de ne pas tirer vraiment plaisir de ce qu’on a. Toute névrose empêche de jouir, véritablement, sans faux-semblant. Sans rentrer dans une analyse à teneur psychanalytique, intéressons-nous au phénomène d’idéalisation vis-à-vis du nihilisme :
Désirer tend à idéaliser.
Toute idéalisation enjolive sa réalité qui, édulcorée en imagination dans quelques rêveries, pousse alors à se bercer d’illusions. Plus grandes sont ses idéalisations, plus hautes ses illusions, plus important est le risque de chute. Dans un abattement moral sans parachute doré. Comme lu précédemment, de la désillusion émerge le nihilisme, ce spleen contemporain, éprouvé commun d’individus désabusés, paumés face à l’adversité. Confrontés à de pénibles multiples changements, non désirés, déniés ou refoulés, jusqu’à ce qu’ils s’imposent à soi. Avec plus ou moins de violence...
Nombreuses sont les désillusions dans un monde se réchauffant, dans une société néolibérale se dépérissant dans une fuite en avant numérique et digitale. Surveillance autoritaire. De l’accélération technique de ces deux derniers siècles, nos sociétés ont changé à toute vitesse. Trop vite pour s’y adapter, s’y retrouver dans une avalanche d’impromptus changements - nerveux, moraux, cérébraux, cognitifs, comportementaux. Au vue des utopies transhumanistes, quel équilibre physiologique pour l’humain de demain. L’homéostasie d’un robot qui ressentirait des affects...? Retour vers un état inanimé, tout en se voulant éternel...
Bref.
Dans cette incessante destruction créatrice, disruption ultra-libérale au service d’un capitalisme effréné, prédations industrielles financiarisées aboutissant à de perpétuelles guerres, quelles sont désormais nos valeurs, nos spiritualités ? Accumuler sans partager ? Le profit à tout prix sans vraiment en profiter ? Avoir sans être ? (Se) faire souffrir en croyant (se) faire plaisir ? Qui a vraiment l’impression de profiter quand, de moins en moins, l’on sait que le futur ne sera pas aussi gai que prévu, dans cette merveilleuse croissance verte et bleue que permettrait le Saint Progrès ? Nous ne sommes plus des enfants qu’on abuse facilement. Mais désabusés de se faire infantiliser, quand il faut se comporter en adulte face aux problèmes actuels et à venir.
Nous valons mieux que ça, au fond de nous le savons. Mais revenons-en à nos moutons (bien que nous n’en soyons pas, ou plus autant qu’avant).
D'illusions en désillusions, face à la complexité de nos sociétés en voie d’abstraction, d’externalisation numérique dans les réseaux du grand cerveau internet, se révèle toujours plus l'absurdité d’une mondialisation prônant une libre concurrence, soit disant méritocratique, au nom de libertés économiques. La responsabilité et l'initiative personnelle au nom de libertés individuelles, tant que nos projets et manières de faire adhèrent aux lois des marchés, s’imposant dans l’ordre social. Expression préformatée de notre capacité de régression individualiste, en vue d’une autonomie digne de robots dans un monde digital, sur fond de nihilisme latent. Persistant. Être morne face à son écran est devenu norme.
Peut-être serait-il vraiment temps de questionner la valeur de nos valeurs, comme le préconisait Nietzsche, en médecin opérant un subtil diagnostique des maux de notre société occidentale aux démocraties dégénérées…et où des foules d’individus courent en tous sens sans vraiment savoir où ils vont, ni ce qu’ils font, et encore moins qui et ce qu’ils sont.
QUELQUES FORMES CLINIQUES COMPORTEMENTALES
Le nihilisme est donc cette disposition d'esprit pessimiste, caractérisée par un désenchantement moral après désillusion. Qu’en est-il plus précisément sur le plan comportemental, à une échelle individuelle et inter-personnelle ?
Le nihiliste, dans ses attitudes, postures et comportements, nie l'existence des valeurs morales et sociales, ainsi que leurs hiérarchies. Si tout se vaut, rien ne se vaut vraiment (les médias mainstream étant les rois pour dévaloriser des informations capitales, mises au même plan qu’un fait divers par exemple - on se rappelle de la sortie du dernier rapport du GIEC occultée par l’arrivée de Messie au PSG). Comme tout lui est égal, le nihiliste n'aspire à rien de particulier. Rien, au-delà de son confort, de ses opinions apparentes, de ses indignations souvent hypocrites, ne fait vraiment sens. Tout lui paraît insensé, mais c’est ainsi, qu’il est résigné à vivre dans l’absurdité. Quitte à être le plus absurde en se voulant marginal, quand tout le monde se veut marginal.
Ne croyant plus en lui, et encore moins en le collectif, il est cet individu moralement isolé, inlassablement déprimé, fatigué de lui-même, des autres. Au point de se tromper en trompant autrui, à force de tout le temps faire semblant. L’inauthenticité comme norme relationnelle et existentielle. Blasé de tout, il n'attend plus rien en s’endurcissant dans un aigre ressentiment, ou des rires de façades. Désespéré, il se fuit dans un déni feint d’optimisme, ou sombre dans le cynisme, quitte à trouver du sens à sa vie en recherchant son propre néant. Maîtriser sa finitude en orchestrant sa propre néantisation. Voire celle d'autrui. La hausse des dépressions et suicides, ou les récurrents attentats, en attestent tristement. Mais le plus inquiétant reste le grand déni climatique.
Sans valeur morale fondamentale ni principe éthique fondateur - supports essentiels de son existence - individualiste narcissique sans véritable foi, c’est focalisé sur mon moi que le nihiliste s’octroie tous les droits, et ce parfois sans respecter les lois. Hors limite, l’individu en voie d’uniformisation se fond dans la collectivité ainsi uniformisée - tous pareil et pareil pour tous. Idéale domestication dans l’élevage de consommateurs sages, votant tous les cinq ans.
Sans borne ni règle dans un monde dérégulé, décadent, le nihiliste politique conquiert le pouvoir, le nihiliste financier amasse de l’argent, le nihiliste drogué s’administre sa dose et le nihiliste sexuel enchaîne les conquêtes. Au nom de sa propre liberté, entre concupiscence et omnipotence, des intérêts particuliers dans des logiques de possessions/consommations immédiates.
Prendre - Consommer - Jeter - Recommencer.
Honteusement, toujours nos désirs nous consument lorsque nous consommons aveuglément, fièrement. Entre scepticisme sur fond de pessimisme et recherche de plaisir vain dans des divertissements toujours plus malsains, prendre une grosse gorgée. Pour oublier. Puis différencier quelques dynamiques comportementales nihilistes, au travers de différentes expressions selon les personnalités, les situations et périodes de vie :
- Le nihiliste passif est figé dans l’anxiété.
Attentiste dans la douleur et la mélancolie, il fantasme des égéries, idoles sur-idéalisées, qui le renvoient à ses insuffisances, à sa médiocrité. (Kiffe des séries, de la télé-réalité) Égaré dans le vide d’un mortel ennui, assommé par le violent constat de l’absurdité de sa réalité, dans une logique du « à quoi bon ? », mécaniquement il se désintéresse progressivement de tout, obéit et se repli dans une parfaite indifférence, bulle protectrice signant sa servitude (in)volontaire. Son corps démotivé et son esprit ainsi affaiblit, s’annihile en lui toute initiative émancipatrice. De changer ce qui ne va pas. Victime de structures déterminant ses volontés, sa passivité le résigne à s’indigner dans de stériles commentaires, et autres discussions de salon. Par peur. Par flemme. Il est ce bon élève, apparent rebelle faussement indiscipliné.
- Le nihiliste actif jouit du culte de l’action pour l’action.
Au nom d’un pragmatisme élémentaire et de manipulation utilitaire, il veut imposer ses vérités. Tel un politicien communiquant ou réformant à tout va, un militant exprimant son mécontentement en s’engageant politiquement, ou dans une forme plus extrémiste, tel un terroriste poseur de bombe ou égorgeur fou. Brûlant de désirs, il fonce, agit coûte que coûte, dans l’immédiateté d’une impulsivité incontrôlée, instrumentalisée. Instable et motivé, déterminé à lutter contre l’absurdité éprouvée, il manifeste, se révolte en vue de remplacer les valeurs perdues ou actuelles, par de nouvelles plus appropriées. Selon ses volontés, ses idéaux. Combattant non résigné, d’une logique conquérante, il revendique et propose ses valeurs de divers manières. Au point de se perdre dans la violence, inutile.
- Le nihiliste fervent idéalise ses volontés comme les meilleures.
Égocentré dans un simple défaut d’altérité, ou dans une parfaite intolérance, pour lui prime sa raison, il ne peut en être autrement, puisque de toute façon il a raison. Sublimation et ascétisme le caractérise, au travers de comportements le convainquant de sa propre puissance narcissique : force, unité, vitalité, enracinement, spiritualité et profondeur d’être. Entre croyances personnelles et obsessions démentielles, athéisme, religiosité ou fanatisme, la ferveur anime cet individu passionné, poussé à la réaction du fait de grandes affections dans un bouillonnement intérieur. En quête de vérité, de sens à retrouver pour ne pas décompenser, dans des logiques paranoïaques le nihiliste fervent peut basculer du doute à la certitude, du scepticisme au complotisme délirant. D’une essentielle et nécessaire spiritualité, du dogme au culte imposé, point trop n’en faut non plus.
- Le nihiliste intellectuel survole le tout dans une intellectualisation finissant de le détacher des réalités matérielles.
Il croit avoir tout comprit, tout contrôler, commente le réel et les actualités d'après des concepts, des grilles de lectures, dans une expertise plus ou moins pertinente selon ses connaissances, mais trop souvent il fuit dans le monde des idées. Idéaliste manquant de pragmatisme, s’il est utile de réfléchir avant d’agir, il ne faut pas oublier de s’investir, s’impliquer en devant choisir. Et s’engager en acceptant des responsabilités.
En chacun de nous un peu de toutes ces formes mélangées, dont on a conscience, ou pas, chez soi ou chez l’autre retrouvé.
Ebauches de solutions morales et éthiques dans l'épisode suivant