Suite de ma publication d’hier au sujet de ‘obésiciel’, mot proposé par l’OQLF comme équivalent à ‘bloatware’. On va réfléchir un peu à la formation des mots en -ciel / -iciel. J’en ai déjà parlé, mais ça fait un bout de temps, faque voilà. Here I go again.
Ça vient évidemment de ‘logiciel’. ‘Logiciel’ date de 1972. La formation de ce mot-là est assez limpide, en fait : c’est ‘logique’ + le suffixe ‘-iel’. C’est pour l’opposer à ‘matériel’, qui est ‘matière’ + ‘-iel’. Le suffixe ‘-iel’, c’est un suffixe super utilisé dans la formation des mots. On peut l’avoir sous plusieurs formes, soit en ‘-iel’, soit en ‘-el’, soit en ‘-al’, soit en ‘-ial’. Il veut dire « relatif à, qui concerne, qui se rapport ». Je vous donne quelques exemples :
- ‘existentiel’ « relatif à l’existence »
- ‘individuel’ « qui concerne l’individu »
- ‘tropical’ « qui concerne les tropiques »
- ‘équatorial’ « relatif à l’équateur »
Donc 'logiciel' « relatif à la logique » et 'matériel' « relatif à la matière ».
C’est donc dire que les gens qui ont créé le mot ‘logiciel’ en 1972 ont décidé d’opposer ‘matière’ à ‘logique’, au lieu de faire une traduction directe de ‘hardware’ et ‘software’. Je trouve ça vraiment cool, en fait. C’est un beau néologisme, ‘logiciel’.
Mais là, à mesure que la technologie s’est développée, on a eu besoin de plus de mots pour la décrire. Le suffixe ‘-ware’, en anglais, peut servir à l’origine à créer des collectifs qui ont une utilité particulière (ou qui sont faits dans le même matériau). Par exemple, on a ‘kitchenware’, pour nommer les ustensiles de cuisines, ‘stoneware’, pour nommer un type de poterie, ‘paperware’, pour nommer des choses faites en papier, pis évidemment, ‘Corningware’ pis ‘Tupperware’, qui sont des marques de commerce de vaisselle.
De là, l’idée de prendre le suffixe -ware pis de lui donner le sens de « nom collectif de programmes informatiques à l'utilité spécifique » était pas très complexe. Faque on a ‘software’, pis on a ensuite eu (dans le désordre) ‘freeware’, ‘malware’, ‘nagware’, et même ‘crapware’, etc.
Pis qu’est-ce qu’on a fait en français?
On a décidé de prendre le mot LOGICIEL, qui, on se rappelle, suit la formation normal des mots français, ‘logique’ + ‘-iel’, pis on a décidé de le couper randomly à ‘-ciel’, pour faire un nouveau suffixe. À partir de là, le chemin est tout tracé : il suffit de faire des beaux petits calques cutes :
- shareware -> partagiciel
- freeware -> gratuiciel
- bloatware -> obésiciel
- nagware -> agaciel (oui oui, c’est dans les propositions!)
- (j’attends encore le ‘merdiciel’ pour ‘crapware’)
Faque en gros, ce qu’on fait, c’est qu’on CALQUE le mot anglais, pis on remplace systématiquement le suffixe ‘-ware’ par ‘-iciel’. Wow. Je veux dire, wow. Pour du monde qui dit que les calques sont PIRES que les emprunts directs (t’sais, on est censés aimer mieux ‘weekend’ que ‘bon matin’, hein?), je trouve ça assez ironique.
Ça, c’est comme si je prenais ‘appartement’, pis que je gardais ‘-artement’ comme suffixe, pis que je décidais que ça remplace ‘house’ dans les composés anglais. Faque j’aurais
- doghouse -> chienartement
- farmhouse -> fermartement
- greenhouse -> vertarement
- powerhouse -> pouvoirartement.
Vous trouvez que ç’a l’air fou, hein? Ben c’est pas plus fou que ‘gratuiciel’ pis ‘partagiciel’ créé à partir de ‘logiciel’.
Bon. Après, on va me dire que je chiâle pour rien, parce que l’idée, c’est d’inventer des mots français pour remplacer des mots anglais. Okay. Okay. Fondamentalement, j’ai rien contre l’idée de trouver des équivalents français aux mots anglais. Anyway, en bout de ligne, c'est l'usage qui décide.
Non, moi, mon problème avec ces mots-là, c’est le manque de cohérence des recommandations de l’Office. Parce que ça arrive combien de fois qu’on condamne un mot sous prétexte qu’il « suit pas les règles du français »?
Tiens, un exemple. Le mot ‘végane’. Ben il est pas recommandé par l’Office. La raison? « Formé à partir de la contraction de vegetarian, en anglais, le morphème vegan- n'est pas porteur de sens en français. ». LE MORPHÈME N’EST PAS PORTEUR DE SENS EN FRANÇAIS! Pis tu vas venir me dire que le suffixe ‘-ciel’ est porteur de sens, lui? Ha! Ha! Ha!
I. CALL. BULLSHIT.