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Le sémantopic

Tridimensionnel

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Chacun ses névroses - moi ce sont les mots. L'étymologie, les néologismes, les toponymes, tout le champ de la signification. Et de peur que @Biquette ne se lasse que je le floode de mes illuminations, je cède à mes bas instincts et ouvre ce topic pour parler de sémantique.

En ce moment je lis un bouquin sur la guerre de 100 ans et il est truffé de vieilles expressions dont certaines sont, je trouve, délicieuses.
En vrac :
  • l'ains-né, ou aisné, est l'ancêtre de l'aîné, qui vient d'ante-natus (le né devant, le né en premier). Au XVe siècle, on atteste l'orthographe ainz nez. Remarquez comme le s baladeur est devenu un circonflexe ! De même pour le puis-ne (post natus) qui deviendra le puîné en 1740.
  • l'italien famfaluca (bulle d'air) a donné la fanfelue ou fanfeluce (futilité, bagatelle) vers 1400 ; jusqu'à ce que Rabelais en fasse, vers 1530, la fanfreluche, ornement de toilette féminine. Un seul mot pour tant de légèreté...
  •  Les gentilfames, càd les femmes qui avaient de la souche, de la race (les aristocrates, quoi) côtoyaient sans complexe les gentilshommes. De même qu'un damoisel (plus tard : damoiseau), jeune homme n'ayant pas encore été fait chevalier, avait pour épouse une damoisele.
-> "Il n’y a plus de Damoiselles en France ; on dit maintenant Demoiselle d’une marchande de pommes. Nous manquons absolument de termes distinctifs pour l’âge, pour l’état, pour les conditions, pour ce que réclamerait sans doute l’intérêt des mœurs et de l’honnêteté publiques." — (Louis-Sébastien Mercier, Néologie, t. 1, 1801). Heureusement, le patriarcat sut rétablir l'ordre en séparant les Mademoiselles et les Madames :)
  • On gagnait une réputation de bordelier à trop fréquenter les lieux de plaisir (côté vulve, la bordelière est une prostituée. Hé oui, chacun son rôle).
  • Bougres et bougresses (sodomites, donc) y prenaient leur pied en souvenir des bogres (hérétiques et débauchés dans les années 1100) et du mythique Bogomile qui fonda la secte chrétienne des Bulgares.
  • un dernier pour la route : à trop cuider (à trop réfléchir) on se trouve prit de cuidançon (inquiétude)... à moins que l'on ne finisse par se penser au-dessus des autres ; et l'on sera alors un outre-cuidant !
 
Pharmacie? Vous avez dit pharmacie?

Snappy sautant partout comme un gosse
 
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Ventre saint Jacques ! Je ne sais même pas si c'est bien orthographié mais j'adore cette vielle expression
Tridi : Je pense qu'on est nombreux à être comme ça avec nos passions haha
 
Indica a dit:
Ventre saint Jacques !

Je connaissais "Ventre saint-gris" qui était apparemment le juron préféré de Henri IV. Son origine n'est pas claire mais apparemment, Saint-Gris serait un nom de saint fantaisiste (ou faisant référence à la communauté des frères de St-Jean qu'on appelait aussi les Petits Gris).

Ce serait une façon d'éviter le blasphème (même si ta version va droit dedans). Il y a comme ça beaucoup de jurons qui font référence à la religion mais en déformant un mot afin de ne pas abuser. Il était courant par exemple de remplacer "Dieu" par "bleu" d'où : morbleu, sacrebleu, palsembleu (par-le-sang-de-dieu). Autres exemples : "tudieu" pour "par la vertu (= pucelage) de Dieu", "pardi" pour "par Dieu", "crévindiou" pour "sacrés vains dieux", "sapristi" pour "sacristi"...
Il y a pas mal d'exemples de vieux jurons analysés ici : http://www.analysebrassens.com/?page=texte&id=48&#
 
Cornegidouille ça vient d'où? J'ai bien envie de le placer, mais je veux pas créer le couac si c'est sortit de son contexte.
 
J'avais vu Ventre Saint Jacques dans Gargantua, ce livre est pas mal pour dénicher ce vieux vocabulaire plein de charme . Enfin si j'étais un peu plus cultivé j'aurais peut-être d'autres références haha
 
Ah oui, Rabelais c'est le champion des néologismes, un peu comme Shakespeare chez les anglais à une autre époque.

@Alter-Breath en cherchant je suis tombé sur ça, ça, ça... Mais il en ressort finalement que ça a été inventé dans Ubu Roi, en 1896 (je ne pensais pas que c'était si vieux...).

Décidément, le théâtre est fécond en bons mots :rolleyes:
 
Des mots vieux de plusieurs centaines d'années s'appellent toujours "NEOlogismes" ? ^^
 
À son époque ça en étaient :)
Il faut bien que les mots sortent de quelque-part. Je ne sais pas quand est-ce qu'on cesse de les appeler "néologismes". Peut-être lorsqu'ils entrent dans le dico ? C'est une question similaire à celle des RCs. Est-ce qu'ils cessent d'en être le jour où l'Etat les banni ?
 
Du coup le but de ce topic est de partager des mots/néologismes un peu rares qu'on aime bien et leur histoire ? Et au cas où on ne connait pas leur histoire, la flute viens nous l'expliquer ?
 
Non, c'est un topic un peu plus large pour parler de sémantique (même si l'étymologie y prend une grande place). Par exemple la toponymie, une remarque de syntaxe, ...
À la base c'était surtout pour partager mes coups de cœur mais d'autres personnes peuvent participer si elles le souhaitent.
 
 
[font=tahoma,sans-serif,arial] Du coup le but de ce topic est de partager des mots/néologismes un peu rares qu'on aime bien et leur histoire ? Et au cas où on ne connait pas leur histoire, la flute viens nous l'expliquer ? [/font]
Je crois bien, apparemment elle a même caché une marmite sous ses manches.
 
Suite à un post sur FB d'une page quelconque réclamant des expressions incongrues courant dans les familles, j'ai trouvé certaines réponses si géniales que j'ai tenu à les compiler (il faut les imaginer, pour la plupart, prononcées par un parent ou grand-parent) :

Après avoir fini son assiette :
"C'est qu'ça mange, un doberman !"
"Encore une que les boches/les prussiens n'auront pas !" (fonctionne aussi avec les bouteilles)
"Merci j'ai fini !" (expression polonaise pour remercier la terre, la, vie, la chance d'avoir apporté tant de nourriture)

Iel est moche :
"Elle a les dents qui courent après le bifteck"
"Il est moche à faire rater une couvée de singes en hiver"
"Il a un œil qui fend le bois et l'autre qui l'empile."

Iel est con mais on respecte les vieux :
"On l'aime bien au village depuis que l'âne/le chien est mort."

Compliments :
"Ti, t'auraus pu travailler à l'casse !" (envers une personne délicate)
"Tu es beau comme un oeuf !"
"Tu as des joues, on dirait mes fesses"

Tu te fiches de moi ?
"Hé va caguer a la vigne"
"Une claque de cowboy sur ton oreille d'indien !"
"Tu veux une giroflette à 5 branches ?!" (-> la fameuse claque)
"Tu rigoles pas un peu des genoux ?!"
''Faut pas pousser Jésus dans les osties !'' (déformation de cette pauvre mémé dans les orties...)

L'alcool c'est de l'eau :
"Attention, l'eau c'est fort ça porte les bateaux"

Tu vas la ranger ta chambre ??
"Quand t’auras ta maison, je viendrai chier dans le salon !"
"Éteins la lampe, les chiens pissent pas l'huile"

Teckel :
"Paomélon"

T'as de la chance...
"T'as la chatte a Mireille"

On mange quoi ce soir ?
"Des pets de chien frits au beurre..."
"Des nonuches à la sauce cailloux" 

Has-been :
"C'est vieux comme mes robes !" (déformation de "c'est vieux comme Hérode"... fonctionne encore mieux prononcé par un homme)

Dégage, tu bouches la vue :
"Ton père il est vitrier ?"

C'est bizarre...
"Il y a baleine sous gravier" (ou cachalot sous les graviers, ... déformation de l'anguille sous roche)

Quelle heure est-il ?
"Teurteur et quart"

Maman, y'a quoi ce soir à la télé ?
"Nenette et ratintin au pays des lutin"
"Au lion d'or" (= au lit, on dort !)
"Vingt mille lieues sous les draps, avec le commandant Couche-Tôt"

Mamie, y'a quoi ce soir à la télé ?
"30 ans sur le pot, la vie d'un constipé"
"La main de ma sœur dans la culotte d'un zouave" (une tendresse spéciale pour cette dernière)
 
Vous connaissez sûrement les sept péchés capitaux : gourmandise, paresse, luxure, envie, colère, avarice et orgueil. « Capital » ne désigne en fait pas la gravité (ce n’est pas si grave de s’adonner à la gourmandise en passant devant l’étal à bonbons) mais l’ordre de priorité : en effet, ce mot vient de la tête (caput en latin), d’où la « peine capitale » (où l’on perd la tête et couic). Les péchés capitaux sont à la tête du vice, ils sont ceux dont découlent tous les autres : le meurtre par exemple peut découler de l’envie et de la colère. D’ailleurs il ne s’agit pas tant de péchés (de fautes) que de tendances pouvant entraîner le péché.
Lorsque cette liste fut établie par St-Thomas d’Aquin (au 13e siècle, dans la Somme Théologique), le mot de « paresse » est remplacé par celui d’ « acédie ». Et suivante est la question qui nous brûle aussitôt les lèvres : nom de Zeus, mais qu’est-ce que l’acédie ??
Avant d’y répondre, petit intermède avec une initiative de géographes américains visant à cartographier le péché, « cartographie rigoureuse de données ridicules »

L’acédie est un mot d’origine grecque, qui part de la racine indo-européenne k̂ād- signifiant le malaise, le déplaisir. En grec, kếdô devient le souci qu’on se fait pour autrui, et par extension le soin qu’on lui apporte (il y a donc là un renversement de la connotation, de négative à positive). A-kêdês va donc signifier l’indifférence, la négligence ; c’est dans ce sens que le mot entre dans la Bible.
On trouve pour la première fois un sens spirituel à ce mot dans la Septante (traduction grecque de l’Ancien Testament vers -270), psaume 128 : « Mon âme s'est endormie à cause de l'acédie » ("abattement" dans cette traduction).

Dans la doctrine chrétienne, en tant que créature de Dieu, on est censé traiter son corps, son être, avec le même soin que celui avec lequel on traite autrui (et vice-versa). La négligence envers soi-même est donc un vice moral, puisque ce faisant (ou plutôt : ce ne faisant pas) on néglige l’œuvre du Créateur. Quand on est un peu familier avec l’histoire du christianisme, ça fait une petite contradiction avec les diverses traditions d’auto-flagellation qui font son image d’Épinal : il y a bien une certaine tension à ce sujet dans la doctrine chrétienne, avec de multiples interprétations qui ont donné lieu à des courants déclarés hérétiques, des guerres de religions etc. (ouais, c’est pas simple).

Le terme d'acédie prend son essor avec les Pères du Désert, ces clercs des 3e et 4e siècles qui se retirent, seuls ou en communauté, dans le désert d’Égypte pour s’y livrer à l’adoration et l’introspection. Il ne faut pas perdre de vue qu’avant de devenir une religion omni-potente sur notre continent, le christianisme a d’abord été une doctrine persécutée qu’on pourrait qualifier d’alter-mondialiste. Dans l’isolement et les conditions extrêmes, ces fidèles cherchent une autre façon de vivre et de se rapprocher du divin. Évidemment, ils en profitent pour écrire et théoriser leurs expériences spirituelles… Des psychonautes avant l’heure, en somme.
L’un d’eux, Évagre le Pontique, systématise huit penchants de l’âme (logismoï) qu’il faut apprendre à canaliser pour atteindre l’apathie, qui a un sens plus heureux qu’aujourd’hui… (mais je ne vais pas m’égarer cette fois-ci – note à moi-même : jeter un œil à sa trilogie initiatique). Comme je n’ai pas accès au texte lui-même, je vais copier la citation de Wikipédia :

Évagre le Pontique a dit:
Le démon de l’acédie, qui est aussi appelé "démon de midi", est le plus pesant de tous ; il attaque le moine vers la quatrième heure et assiège son âme jusqu’à la huitième heure. D’abord, il fait que le soleil paraît lent à se mouvoir, ou immobile, et que le jour semble avoir cinquante heures. Ensuite il le force à avoir les yeux continuellement fixés sur les fenêtres, à bondir hors de sa cellule, à observer le soleil pour voir s’il est loin de la neuvième heure, et à regarder de-ci, de-là quelqu’un des frères […].
En outre, il lui inspire de l’aversion pour le lieu où il est, pour son état de vie même, pour le travail manuel et, de plus, l’idée que la charité a disparu chez les frères, qu’il n’y a personne pour le consoler. Et s’il se trouve quelqu’un qui, dans ces jours-là ait contristé le moine, le démon se sert aussi de cela pour accroître son aversion. Il l’amène alors à désirer d’autres lieux, où il pourra trouver facilement ce dont il a besoin, et exercer un métier moins pénible et qui rapporte davantage ; il ajoute que plaire au Seigneur n’est pas une affaire de lieu : partout en effet, est-il dit, la divinité peut être adorée. Il joint à cela le souvenir de ses proches et de son existence d’autrefois, il lui représente combien est longue la durée de la vie, mettant devant ses yeux la fatigue de l’ascèse ; et, comme on dit, il dresse toutes ses batteries pour que le moine abandonne sa cellule et fuie le stade.

La bonne grosse déprime quoi. Heureusement, Évagre identifie cinq remèdes très simples pour en sortir : pleurer ; soigner son hygiène de vie ; s’appuyer sur l’Écriture ; penser à la mort ; tenir, durer coûte que coûte. Pour plus de détails, cette page donne pas mal de précisions sur le concept.

Jean Cassien (à cheval entre le 4e et le 5e siècle) recueille l’enseignement d’Évagre puis, au cours de ses pérégrinations, échoue dans le sud de la France où il fonde de nombreux monastères (c’est même l’un des fondateurs du monachisme à l’occidentale). Il en profite pour théoriser l’acédie dans un sens à la fois communautaire et pleinement spirituel, en lui donnant une vraie place dans son système de pensée. À cette époque, la question de la stabilité (matérielle et morale) est primordiale pour les petits groupes de croyants qui tentent de s’établir au-delà du grand monde. L’autarcie nécessite une certaine rigueur et un équilibre des forces. Jean Cassien fait de l’acédieu une personne à la fois dolente et agitée, incapable de se concentrer sur une tâche et de participer à la survie de la communauté. Le vide spirituel, personnel, devient un problème de société. Le remède ? L’activité manuelle, qui canalise l’attention, utilise le corps et stabilise l’esprit.​
Des siècles plus tard, Cioran approuve cette méthode : « Contre l’acédie, je ne me rappelle plus quel Père recommande le travail manuel. Admirable conseil, que j’ai toujours pratiqué spontanément : il n’y a pas de cafard, cette acédie séculière, qui résiste au bricolage. » (De l’inconvénient d’être né).

Là, comme ça, le concept semble en bonne voie ; et puis patatra, au 6e siècle, Grégoire le Grand (un Pape) le vire de sa liste des vices. En effet, avec la tristesse, la vaine gloire, l’envie, la colère, le désir de s’enrichir, la luxure et l’excès dans le manger et le boire, ça fait huit ; or le Moyen-Âge, période symboliste avant tout, on aime bien tout ce qui fait sept (chiffre divin, création du monde blablabla). L’acédie vire parce qu’elle se confond un peu trop avec la tristesse et la paresse, et puis parce que Grégoire est Pape, donc s’occupe de toute la chrétienté, alors que l’acédie est un concept créé par des moines pour des moines.
Faire des listes c’est bien ; encore faut-il les généraliser et c’est pas gagné, surtout dans un monde où l’information se transmet à vitesse humaine, où chaque livre est copié à la main et où l’on pratique volontiers le téléphone maure, heu, arabe. L’acédie survit encore longtemps comme notion monastique ; mais le mal est fait, et le concept se brouille petit à petit, perd de sa spécificité pour se confondre avec un vice ou un autre.
Le dernier à l’utiliser est Thomas d’Acquin, au 13e siècle. Le contexte, c’est l’essor du mouvement scolastique, c’est-à-dire qu’au lieu d’acquérir du savoir en commentant à l’infini les textes existants (la glose), on va essayer d’utiliser sa logique et sa rationalité pour arriver à la vérité. What a revolution ! La faute à la découverte de traductions de qualité des textes d’Aristote (merci les arabes). Bon je vais pas m’étendre ici sur ce qu’est le courant scolastique mais je vous invite à vous y pencher car c’est vraiment passionnant ; en gros le savoir sort des monastères pour arriver dans la ville, c’est l’époque des premières Universités etc.
Revenons à l’acédie, Thomas la place à nouveau dans la liste des sept péchés (et là on revient au début de mon post, la boucle est bouclée youpi) en l’intégrant également dans le système aristotélicien, c’est la fête de la structure et de la théorie cette époque, de la bonne branlette intellectuelle saupoudrée de mysticisme, un délice, heu, délire.
L’acédie brille de ses derniers feux, les siècles suivants la relégueront au rang de pirouette littéraire.​

Jules Lemaître a dit:
Il veut prier : son cœur ne sait plus de prière.
Froid, et l’acédia lui desséchant la peau,
C’est un homme de marbre assis sur un tombeau.

J’ai été super longue, tout ça pour dire que je ne connaissais pas ce mot et qu’il m’a beaucoup intéressé dans sa désignation d’un état de négligence personnelle. Je trouve appréciable de se rappeler l’importance du soin porté à soi-même, qu’il soit matériel ou moral (pour autant que les deux ne se confondent pas). En effet, lorsqu’on décide de vivre honnêtement, d’être quelqu’un « de bien », ou juste de s’intéresser aux affaires spirituelles, il est facile de se laisser aller, de se sacrifier ou de se considérer comme valant « moins » ; je pense par exemple à des valeurs telles que la générosité ou le désintéressement.​
Je trouve important et significatif que la religion qui a le plus imprégné notre culture occidentale intègre une vertu d’exigence et de bienveillance envers soi-même qui ne se confonde pas avec le narcissisme mais soit au contraire la célébration d’une nature divine en chacun.
Peut-être que j’extrapole, mais c’est ainsi que je l’ai compris.​
 
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