Jusqu'ici mon rapport au cannabis a été globalement très anxieux.
Premier joint dans une soirée à 16 ans, je me souviens nettement de la sensation de mon cerveau devenant un nuage et se décollant de ma boîte crânienne (ça, c'était agréable), et après ça, l'horreur: les visages des gens énormes, leurs yeux qui me fixent, l'impression qu'on me juge, la boucle de pensées destructrices, perte de contrôle mental... J'ai fini dans le noir, raccrochée de justesse à l'idée que ça finirait par passer.
Le cannabis accentuait mon anxiété sociale. Mais au début, je m'y suis accrochée. Tout le monde avait l'air de kiffer ça, les gens étaient détendus, content. Donc ça devait être moi le problème. 1) j'étais jalouse de leur plaisir. 2) je culpabilisais d'être différente.
Donc j'ai continué à consommer, à me sentir triste et anxieuse, et à bader dans mon coin et espérant que personne ne le remarque et se moque de moi. Il faut dire que j'ai eu quelques moments très plaisants. Des sensations de plénitude, des musiques vécues comme jamais, un baiser extrêmement érotique... Des petites pépites qui me faisaient sentir ce que je ratais, me donnaient envie de persévérer. J'ai aussi le souvenir d'une beu espagnole, directement sortie du potager, qui avait presque une odeur de thé, et des effets très doux, très relaxant.
Sinon je fumais le vieux shit des halls d'immeubles parisiens, et la beu des dealers de parking. J'avais des amis qui fumaient beaucoup, je tirais sur leur joint, certains, je ne les ai connus que défoncés, toujours dans le brouillard, dans la sur-analyse, dans les rires bêtas. J'ai mélangé avec de la codéine pour supporter le stress, j'ai essayé de méditer, d'affronter, de me distraire... Je vivais mal ma consommation, et pourtant je n'étais pas loin de l'addiction: aujourd'hui encore, l'odeur du bédo me fait envie.
Mes bads sont devenus de plus en plus difficiles. J'ai perdu le maigre plaisir que j'avais à fumer. Une nuit, je me suis sentie tellement mal que j'ai souhaité mourir (bon, il y avait des facteurs extérieurs. Mais ce n'est pas une raison). Je me détestais, je voulais disparaître, et en même temps, j'avais une si faible opinion de moi-même que je pensais ne pas "mériter" le suicide. J'étais juste recroquevillée dans un canapé-lit, dans le noir, à souhaiter développer un cancer, que mon corps se retourne contre moi comme mon esprit le faisait, une mort misérable, juste ce que je méritais.
Dans les semaines qui ont suivi, j'ai eu peur que cette auto-suggestion ait été assez puissante pour me développer effectivement un cancer (on sait les pouvoirs de la psyché sur le corps). Depuis cette nuit, je refuse systématiquement les joints qu'on me propose.
Maintenant j'assume ne pas supporter le cannabis. Je dis simplement que ça me rend parano, et les gens n'insistent pas. Peut-être que le gros de l'adolescence passée, on se catégorise moins en gens cools et moins cools, et connaître (et respecter) ses limites devient une qualité plutôt qu'un manque.
Peut-être aussi que je suis plus assurée, que j'ai décidé de prendre soin de moi.
Je n'en ai repris qu'une fois, ça s'est bien passé je dois dire, le cadre était parfait, comment ne pas passer un bon moment? Mais je ne tente pas le diable, une bonne expérience me suffit. Les souvenirs anxiogènes m'ont traumatisée, ça fait partie des choses que je ne veux plus jamais ressentir, alors pour l'instant, ça ne vaut pas la peine de tester.