"...Le témoignage corrobore l’article paru dans France Mayotte il y a quelques mois concernant la THC de synthèse arrivée sur le territoire et qui causait déjà de gros dégâts. À l’époque, l’information avait fait sourire, aujourd’hui, elle inquiète au plus haut niveau...
...tout a commencé il y a un peu plus de deux ans, alors que la drogue locale, le bangué ou autres résines de cannabis bangué se trouvaient de plus en plus difficilement sur le territoire, le renforcement des moyens de lutte contre l'immigration clandestine mettait en effet à mal la filière d'approvisionnement des dealers locaux. Face à la pénurie, les prix avaient flambé et n'étaient plus à la portée de tous les budgets. C’est pourquoi un petit malin vivant à Cavani s'était souvenu de ce qu'il avait vu et acheté auparavant en métropole, un cocktail tout à fait légal d'herbes ne contenant pas de THC soit le delta 9 tétrahydrocannabinol la molécule interdite la plus connue contenue dans le cannabis et qui possède des propriétés psychotropes. La décoction, K2, Green tiger ou Spice, etc, etc, à fumer ou à placer en infusion avait exactement les mêmes effets que les produits classiques, toutefois plus intenses et plus longs. Le succès avait été au rendez-vous puisqu'il ne contenait rien d'illégal. La France en avait cependant interdit la vente en 2009 après qu'une étude ait révélé que les herbes mélangées avaient été aspergées d'un cannabidoïde, soit un produit de synthèse du THC. Le Spice avait disparu aussi vite qu'il était arrivé, il reste toutefois aujourd'hui encore disponible à l'achat sur internet. Mais l’individu de Cavani avait vu plus large et plus grand, fabriquer lui-même son Spice, sur place à Mayotte. Il s'était donc mis en tête d'acheter les produits sur le net, en les faisant venir séparément, ce qui n'avait rien d'illégal. Et après des jours d'essais, il avait lancé sa production dans son quartier, faisant goûter à ses amis puis commençant à en vendre un peu pour arrondir ses fins de mois difficile d'agent au conseil général. C’est là que les choses ont commencé à déraper. Certains habitués du bangué devenu trop cher en ont voulu, toujours plus, car les cannabis de synthèse sont plus puissants, plus dangereux et surtout plus addictifs que le cannabis naturel. En clair, les molécules se connectent plus rapidement avec le cerveau qui en demande toujours plus. Ainsi, consommée seule, la petite mixture était potentiellement dangereuse mais associée à l'alcool, à des médicaments ou d'autres drogues, les effets ont été explosifs. Un adolescent avait ainsi agressé sa mère et l'avait molesté sans raison à Passamainty en avril 2012, un conducteur avait eu un accident à l'ancien pont de Tsoundzou, ne pouvant plus maîtriser son véhicule et ne voyant surtout plus rien. Les cas d'hystérie, d'agressivité étaient multiples, tout comme les hémiplégies, ces paralysies localisées ou ces comas que certains ont cru éthyliques… Mais au fur et à mesure, les dosages se sont réglés et le marché a prospéré dans son coin, sans faire trop de bruit jusqu'à ce que d'autres petits malins reprennent à leur compte l'idée. Comment ? De la même manière que l’agent de la collectivité, mais beaucoup plus grossière. Du simple tabac ou d'autres herbes à fumer comme l'eucalyptus ont été aspergés de THC de synthèse acheté sur internet en toute légalité. Il suffisait ensuite de le vendre en dosettes très recherchées puis de mélanger la drogue à du tabac pour un “joint” explosif et pas cher. Il y en avait beaucoup en circulation à Mamoudzou, il avait fallu quelques minutes à peine à l’époque, en septembre 2013, à la rédaction de France Mayotte pour avoir la possibilité d'en acheter à Cavani.
“Oui, ça marche bien c'est 20€. Ce qu'il y a de bien c'est que tu peux te balader avec et te faire arrêter, les keufs ne verront rien c'est du tabac. Mais si tu l'allumes, c'est toi qui ne verra plus rien, tu vas décoller mon pote et pas redescendre !” expliquait un revendeur.
Il détaillait encore :“ce n'est pas moi qui le fabrique, c'est d'autres mecs là-haut. Moi je suis un gentil, je fais pas les choses n'importe comment. Il y en a par contre qui en donnent aux enfants, comme ça ils sont serrés, ils en veulent toujours plus. Ca leur fait de nouveaux clients qui achèteront longtemps. Ensuite, ils en font ce qu’ils veulent et les envoient cambrioler les maisons…”
...Il est extrêmement compliqué pour les forces de l’ordre d’intervenir dans la mesure où les molécules achetées sur internet et importées à Mayotte ne sont pas illégales. Qui plus est, dès que l’une d’entre elle est pointée du doigt puis interdite, une autre vient la remplacer. Et la loi met beaucoup de temps à corriger le tir, à rendre illégales ces THC de synthèse qui peuvent se décliner à l’infini. Les chimistes ont bien compris qu’ils pouvaient jouer avec les nerfs des autorités sans pour autant être inquiétés et en se remplissant allègrement les poches. La demande ne cesse de croître partout à travers le globe, la manne est donc là et de gros moyens sont déployés pour que le marché ne s’assèche jamais.
La faille, les consommateurs l’ont bien assimilée. S’ils se font arrêter, les policiers ne verront que du tabac et non du cannabis ou de la résine, juste du tabac, ce qui n’est pas interdit. Il faudrait alors qu’ils procèdent à des analyses pour détecter la molécule sans pour autant la saisir, la détruire puisque celle-ci ne sera pas répertoriée comme produit interdit. Ils seront alors contraints de relâcher l’individu mais aussi de lui rendre sa marchandise puisque celle-ci n’est pas prohibée..."
