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Guest
Cet article est une composition de copier/coller et réécriture de différents paragraphes issus de différents articles. Je l'ai constitué pour faire suite à deux articles mettant en opposition les concepts d'individuation et d'individualisme, qui s'ils font partie de chacun de nous à différents degrés, sont très différents dans leur définition et orientation quand à nos manières d'être. Cet article sur la violence de notre nihilisme contemporain est donc une manière de voir quelle structure économique et sociopolitique peut ressortir d'instances individualisant les individus par le biais de ses institutions.
Article précédent sur l'individualisation et l'individuation
Article précédent sur la perversion ordinaire
Pour plus de précision sur la personnalité nihiliste.
A L'ORIGINE DE LA VIOLENCE ACTUELLE, UN PROBLÈME D'ORDRE POLITIQUE - Tout commença par l'intériorisation du modèle économique sur le plan anthropologique.
On commence à comprendre et à faire les comptes de ce que la formidable amplification du modèle du marché est en train de radicalement changer en matière économique, politique et géo-stratégique. Mais on envisage plus difficilement ce qu’elle est en train de contribuer à redéfinir dans le domaine anthropologique. On le devrait cependant dans la mesure où le modèle du marché, par son dynamisme même, ne peut être voué à demeurer confiné à son territoire d’origine. Marcel Gauchet indique à cet égard que « c’est à une véritable intériorisation du modèle du marché que nous sommes en train d’assister à un événement aux conséquences anthropologiques incalculables, que l’on commence à peine à entrevoir ».
Destructuration du collectif dans une individualisation généralisée et légitimée.
Ce qu’on sait déjà, c’est que le modèle marchand ne peut œuvrer qu’à la désintégration de tout ce sur quoi peut venir butter la course toujours élargie de la marchandise. C’est-à-dire les instances collectives telles que la famille, les syndicats, les collectifs supposés veiller à l’intérêt public, les associations environnementales, les formations politiques et culturelles, les peuples, leurs États-nations et même, au-delà, les croyances symboliques et les convictions morales. Mais ce modèle du marché est d’ores et déjà en passe d’étendre ses effets déstructurants beaucoup plus loin. Jusqu’où ? Jusqu’à une profonde redéfinition de la forme moderne du sujet, suspecte d’abriter deux instances fort gênantes pour lui : le libre arbitre critique (issu du kantisme dans les années 1800) et la culpabilité (mise au jour par Freud dans les années 1900).
Affranchir les citoyens du libre arbitre et de la culpabilité, pour mieux assujettir les individus devenant des objets du système libéral marchand.
On pourrait ainsi dire que l’extension du modèle du marché oblige à disposer d’individus libérés de la critique et de la névrose classique, et définis par rien d’autre que des besoins consommatoires toujours élargis. Dès lors que ces freins sont levés, de nouveaux territoires sont en vue. À partir de la mise en veilleuse de ces deux caractéristiques du sujet moderne, l’individu peut en effet devenir lui-même un nouveau marché en soi. Et, de fait, il existe déjà un marché de l’identité personnelle avec des kits identitaires vantant et vendant quantité de looks et d'apparences possibles. L’offensive va si loin qu’il existe déjà, de même, une marchandisation de l’identité sexuelle où chacun est de plus en plus invité et incité à choisir non pas tant son genre (ce qui est légitime pour tout être parlant), mais aussi et surtout son sexe biologique grâce à des opérations chirurgicales.
Une modulation identitaire incalculable de nos jours.
Voici donc ce que nous avons à penser aujourd’hui : la possible altération par l’extension conquérante du modèle du marché de l’identité moderne (qu’on peut définir comme « critique et névrosée ») et la fabrique chez des néo-sujets d’une nouvelle identité, disons « post-moderne », pour reprendre ce terme déjà un peu désuet, en tout cas une identité flexible, constamment adaptable aux flux tendus du marché.
Un vacillement de la forme sujet moderne, avec un recourt à la violence faute d’autonomie.
Un des symptômes du vacillement en cours de la forme sujet moderne nous semble constitué par la montée chez les individus de la violence individuelle et par ses déchaînements dans l’espace public. On touche là un sujet délicat. Des groupes politiques se sont en effet plaints de l’exploitation de la violence faite au cours des dernières campagnes électorales pour les présidentielles en France. On a tendance à se dire que la destruction des vieilles baudruches symboliques (la religion, le patriarcat, la famille, la nation) n’occasionne rien de plus qu’un dessillement certes spectaculaire et douloureux, mais salvateur du sujet, passant subitement de la modernité à la post-modernité. En somme, il ne faudrait pas confondre la fin de la transcendance et la fin du transcendantal. Nous nous trouverions donc devant une chance historique d’accès à l’autonomie. Si cela était vrai, encore faudrait-il savoir la saisir d’autant qu’elle est fort ardue à mettre en œuvre. Le programme d’autonomie est en effet d’une totale exigence philosophique. Le problème serait plutôt de croire que la liberté découle automatiquement de la chute des idoles précipitée par l’extension du règne de la marchandise. Toute la question est donc là : avons-nous affaire à une inédite libération (que nous serions éventuellement incapables de saisir) ou sommes-nous entrés dans une nouvelle aliénation ?
LES DEUX PRINCIPALES FORMES DE DOMINATION, PARCE QUE L’ALIÉNATION EST LA MEILLEURE CHOSE QUI SOI POUR QUE LES PUISSANTS ASSERVISSENT LES PLUS DÉMUNIS
La domination par le langage, faute d’autonomie et de culture pour les plus démunis.
Pour répondre à la question de savoir ce qui amène nécessairement l’homme à la culture, on peut repartir d’un fait essentiel que Kant avait parfaitement repéré : « L’homme [contrairement à l’animal] n’a pas d’instinct : il faut qu’il se fasse à lui-même son plan de conduite. » En d’autres termes, on dirait aujourd’hui que l’homme est un néotène (Caractéristique des groupes d'êtres vivants présentant à l'état adulte des caractères qui, dans les groupes voisins, sont purement infantiles, larvaires ou même fœtaux), donc que sa nature est inachevée. Il ne peut ainsi s’accomplir de par sa propre nature. Mieux : il doit en sortir pour se réaliser. En tant qu’être inachevé, il dépend d’un autre être susceptible de remédier à cet inachèvement grâce à l'éducation et l'enseignement d'un modèle et de manière d'être. En tant qu’il se trouve contraint à la recherche de cet autre être pour se reconnaitre lui-même, la première domination sous laquelle tombe l’homme est donc de nature ontologique (Qui concerne l'être, le fait d'exister). On peut l’exprimer autrement : sa simple nature ne saurait suffire à le faire vivre et il doit impérativement rencontrer le tout du langage et de la culture pour s’accomplir. Donc si des puissants usent d'un langage que les plus démunis ne comprennent pas, comme lorsqu'on regarde un débat économique truffé de mots compliqués et non expliqués à la télé, on en ressort avec une impression d'être indigne d'avoir un avis en économie, et donc on laisse ça à des "experts", qui eux savent magner les mots et les concepts qu'ils ne rendent pas accessibles aux téléspectateurs. Sinon ils pourraient se construire un avis censé au lieu de s'exprimer avec des clichés ou des inepties.
La domination idéologique (sociopolitique), faute de comprendre dans quel monde on vit et comment on est asservi.
La grande fonction de l’idéologie : la domination sociopolitique se présente comme une réalité qui s’affirme en se dissimulant. En effet, la domination sociopolitique, c’est aussi bien l’ensemble des moyens par lesquels certains groupes d’individus exercent une emprise économique, politique et/ou culturelle sur d’autres groupes, que l’ensemble des moyens par lesquels ces groupes dominants dissimulent leurs intérêts particuliers en tentant de les faire passer pour des intérêts universels. Exemple des guerres au nom des Droits de l'Homme dans des pays instables politiquement, alors que l'intérêt premier est toujours de défendre ses intérêts économiques dans le pays, pour préserver le commerce qui s'y fait.
Il y a donc deux formes de domination, l'une ontologique par le langage, et l'autre sociopolitique quand les politiques ne sont pas transparents et mentent sans scrupules aux citoyens.
L’erreur serait donc de confondre ces deux dominations. Or, c’est justement cette erreur que commettent ceux qui voient des faits de résistance à la domination sociopolitique dans les actes de ce qu’il faut bien appeler un nouveau nihilisme contemporain, alors que ces actes ne font, en fait, que défaire la fonction symbolique. La violence nue, par exemple, ne peut en effet que casser le ressort le plus intime de l’humanité de l’homme. Ce serait un tragique contresens de croire que c’est en attentant à ce noyau premier d’humanité qu’on peut se défaire des dominations sociopolitiques. La violence ne résout pas les problèmes de domination, il faut pour cela construire un nouveau modèle de société, plutôt que de détruire l'actuel sans plus de convictions que la destruction anarchique (forme de nihilisme actif, qui prône la destruction pour la destruction).
LA PLACE DU NIHILISME DANS LE MODÈLE ÉCONOMIQUE DE NOTRE SOCIÉTÉ MARCHANDE - Une désinstitutionnalisation renforçant le libéralisme.
En fait, si l’on attente à ce noyau premier d’humanité avec violence, c’est tout le contraire d'une révolution qui risque d’arriver, comme on la vu jusqu'ici lorsque la tendance est à toujours plus de libéralisme de part le monde. C’est la pire de toutes les dominations possibles à l’heure actuelle qui risque de triompher, celle-là même d’un modèle du marché complètement débridé, ayant échappé à tout contrôle (si ce n'est pas déjà fait, en 2017 nous anticipons encore et toujours une nouvelle crise économique, qui adviendra cycliquement comme toutes les précédentes avec un intervalle de dix ou vingt ans, la dernière remontant à 2008). La très grande nouveauté du nouveau capitalisme par rapport aux dominations antérieures tient à ce que ces dernières fonctionnaient au contrôle, au renforcement et à la répression institutionnels, alors que le nouveau capitalisme fonctionne à la désinstitutionnalisation. Nous disons donc que tout ce qui soutient aujourd’hui la désinstitutionnalisation, de quelque bord politique que ce soit, ne peut que renforcer l’ultralibéralisme qui se présente en effet sous l’aspect paradoxal et hybride d’un anarcho-capitalisme.
Casser la domination par la langage au lieu de renforcer l’idéologie sociopolitique.
Ce courant extrême du capitalisme a découvert et tente d’imposer une façon beaucoup moins contraignante et moins onéreuse d’assurer sa fortune : casser la domination première de façon à obtenir des sujets précaires, au lieu de continuer à renforcer la domination seconde qui produisait des sujets soumis. « Les seules contraintes justifiables sont celles des échanges marchands. » Le seul et unique impératif admissible est que les marchandises circulent de sorte que toute institution venant interposer ses affaires culturelles et morales entre les individus et les marchandises, soit désormais mal venue. Il faut que les citoyens eux-mêmes votent pour la dé-régularisation des marchés, sans mêmes se rendre compte des conséquences sociales et environnementales que cela peut avoir, en ne voyant pas plus loin que l'argent qu'ils empocheraient ici et maintenant.
Transformer les individus en des objets consommateurs et de consommation.
C’est ainsi que le modèle du marché promeut aujourd’hui « un impératif de transgression des interdits » qui « confère à ce discours un parfum libertaire fondé sur l’extension indéfinie de la tolérance dans tous les domaines ». C’est pourquoi il promeut la désinstitutionnalisation et colporte un certain nihilisme : il faut non seulement « moins d’État », mais moins de tout ce qui pourrait entraver la circulation de la marchandise. Or, ce que produit immédiatement cette désinstitutionnalisation, c’est bien une dé-symbolisation des individus. La limite absolue de la dé-symbolisation, c’est que plus rien ne vienne assurer et assumer l’acheminement des sujets vers la fonction symbolique en charge du rapport et de la quête de sens. On n’y est jamais vraiment, mais enfin, quand le rapport de sens défaille, c’est toujours au détriment du propre de l’humanité, la discursivité, et au profit du rapport de forces (exemples des émeutes se produisant à chaque manifestations telles le G20 en 2017, ou bien la COP21 en 2015, qui se sont terminées par une répression violente et autoritaire...la liste est plus longue et bien plus tragique dans les pays en voie de développement, où la désillusion nihiliste de voir son État corrompu, entraine la colère de peuples miséreux et qui se font tirer dessus par l'armée ou la police, n'entrainant pas des arrestations ou des yeux crevés par des flashballs comme en occident, mais des morts par dizaine).
Ce qui se trouve dans le collimateur du modèle du marché aujourd’hui, c’est la dépendance symbolique de l’homme.
Il n’est donc pas étonnant que notre espace social se trouve de plus en plus envahi par de la violence ordinaire et banalisée par la distance de l'écran, ponctuée par les moments de paroxysme de l’hyper-violence, accidents catastrophiques que les conditions ambiantes rendent désormais toujours possibles. Mais qu’entend-on, au juste, par « dé-symbolisation » ? D’abord et avant tout, le mot désigne une conséquence du pragmatisme ou plutôt du « réalisme » contemporain qui entend « dégraisser » les échanges fonctionnels de la surcharge symbolique qui les grèvent. La dé-symbolisation indique un processus visant à débarrasser l’échange concret de ce qui l’excède tout en l’instituant : son fondement. En effet, l’échange humain est serti dans un ensemble de règles dont le principe n’est pas réel, mais renvoie à des « valeurs » postulées. Ces valeurs relèvent d’une culture (dépositaire de principes moraux, de canons esthétiques, de modèles de vérité) et, comme telles, elles peuvent différer, voire s’opposer à d’autres valeurs. Or, le « nouvel esprit du capitalisme » poursuit un idéal de fluidité, de transparence, de circulation et de renouvellement qui ne peut s’accommoder du poids historique de ces valeurs culturelles. En ce sens, l’adjectif « libéral » désigne la condition d’un homme « libéré » de toute attache à des valeurs (toujours dans l'idée de justifier la dé-régularisation du marché et d'amener l'individu démuni et dominé à y adhérer aveuglément, ou alors d'ignorer les conséquences associées).
Les valeurs morales non commercialisables ne servent plus à rien dans la société marchande.
Tout ce qui se rapporte à la sphère transcendante des principes et des idéaux, n’étant pas convertible en marchandises ou en services, se voit désormais discrédité. Les valeurs morales n’ont pas de valeur marchande. Ne valant rien, leur survie ne se justifie plus dans un univers devenu intégralement marchand. De plus, elles constituent une possibilité de résistance à la propagande publicitaire qui exige, pour être pleinement efficace, un esprit « libre » de toute retenue culturelle. La dé-symbolisation a donc un objectif : elle veut éradiquer, dans les échanges, la composante culturelle, toujours particulière.
CETTE DE-SYMBOLISATION EN COURS PREND AUJOURD'HUI TROIS FORMES : VÉNALE, GÉNÉRATIONNELLE ET NIHILISTE
La dé-symbolisation vénale.
1er janvier 2002, avec l’apparition d’une monnaie sans adage, sans portrait de « grand homme », sans valeur culturelle proclamée. Il reste bien une face sur la menue monnaie, sur les petites pièces, mais sur les valeurs sérieuses, les gros billets ayant valeur d’assignats (c’est-à-dire de gage sur les valeurs et les biens nationaux), il n’y a plus que des portes, des fenêtres et des ponts. Comme s’il fallait désymboliser une monnaie pour la rendre vraiment pratique.
C’est de ces caractéristiques éminemment symboliques que l’euro prétend s’affranchir. Équivalent universel sans fondement, pure contremarque sans origine pour des échanges absolument fonctionnels, l’euro est, si l’on peut dire, le symbole même de la désymbolisation, la réduction de toutes les valeurs à l’unique valeur bancaire. Il n’y a donc plus, avec l’euro, d’autre valeur que l’argent. Ce qui restait encore marqué du sceau du symbolique dans l’échange, a disparu maintenant de la transaction. L’euro représente ainsi une sorte d’étape intermédiaire entre le monétaire fiduciaire ancien et l’électronique des cartes de crédit : avec la disparition complète de toute symbolisation dans le numéraire numérique, l’argent sera réduit au pur escompte des chiffres. C’est ainsi qu’au moment même où les Européens se préparaient dans l’effervescence au « passage à l’euro », leurs penseurs réunis à l’Unesco décrivaient l’inexorable « crépuscule des valeurs ». En plus de la dématérialisation de l’argent. Cette logique n’est pas sui generis (D'un genre propre, spécifique, qu'on ne peut comparer à d'autres), elle est directement induite par l’anthropologie néo-libérale qui réduit l’humanité à une collection d’individus calculateurs et mus par leurs seuls intérêts rationnels, en concurrence sauvage les uns avec les autres. Ce qui n’a pas de fondement ne peut prétendre à la légitimité et la démonstration est faite que l’argent n’a plus de fondement.
La dé-symbolisation générationnelle, la génération Y en ligne de mire.
Les « jeunes », notion floue et élastique, se voient doublement isolés dans le temps. Isolés chronologiquement par l’impossibilité de se projeter dans l’avenir et de se référer au passé : au no future des punks a répondu avec moins d’éclat un no past tacite. Isolés dans le présent même par l’impossibilité de considérer les aînés autrement que comme des égaux. L’ancienne relation verticale entre générations est devenue relation horizontale entre contemporains frappant ainsi d’obsolescence la différence symbolique. Avec les vieux, les jeunes devraient trouver à qui parler, au double sens de s’entretenir et d’être contenus, voire rabroués. Les parents sont ceux qui disent « non », ceux qui initient et permettent un certain « travail du négatif » qui fait pièce aux fringales juvéniles de toute-puissance.
La dé-symbolisation nihiliste.
« Avoir la haine » exprime une humeur, aussi impérieuse que vague, non une revendication sociale. L’absence d’un véritable gouvernement, c’est-à-dire d’une institution dont le plan de définition est nécessairement extérieur aux intérêts économiques, abolit l’autorité tout en rendant la puissance occulte. L’affaiblissement de l’État n’annonce pas, loin de là, celui de la domination sociopolitique, mais le passage à une nouvelle forme de domination, sournoise et maligne, par laquelle le pouvoir véritable devient anonyme, informe et non localisable : « Nous sommes devant une tyrannie sans tyran. »
NIHILISME ET VIOLENCE, ENFIN ON Y VIENT - Un bilan peu enviable de la société.
Nous entendons régulièrement parler de déclin de l’Occident : nous traverserions une nouvelle période de décadence, voire, notre civilisation ne se serait toujours pas relevée du déclin que les Lumières auraient paradoxalement provoqué. Les arguments ne manquent pas qui dénoncent le malaise actuel : nivellement par le bas, perte des valeurs, démission des élites, dictature de la technique, de l’évaluation et du pragmatisme, tyrannie des communautés et des individualismes, mondialisation hégémonique, déculturation progressive, meurtre de la langue, ou encore le rejet de l’étranger, le déni des différences et, en écho, une violence terroriste grandissante. La liste est longue ; remarquons que le terme nihilisme est aujourd’hui peu usité alors qu’il l’était naguère, pendant la première moitié du xxe siècle, pour évoquer des manifestations semblables. On parlait alors, de nihilisme culturel ou de nihilisme politique. il est vrai que la violence et la cruauté prenaient des formes différentes.
Nihilisme et pulsion de mort.
Ce sont des notions très voisines, mais qui ne se superposent pas. Toutes deux font appel au retour à l’inanimé, au rien, au degré zéro de tension, au nihil du Nirvana, et en même temps à la destructivité la plus bruyante, à la violence la plus désintriquée. Nihilisme et désillusion sont indissociables. Il n’y aurait pas de nihilisme sans désillusion ni de désillusion sans nihil. C’est l’hypothèse qui court tout au long de ce travail. Quand j’emploie le mot désillusion, je veux parler de l’épreuve de désillusion. Rien ne nous permet d’anticiper les conséquences favorables ou non de la perte d’illusion. Freud s’est intéressé à l’épreuve de la désillusion pour en souligner les effets positifs et structurants. L’épreuve de désillusion serait l’étape indispensable à franchir sur la voie de la maturation de l’enfant et celle de la société. L’enfant, en proie à la détresse, se cramponne d’abord au père protecteur et aimant ; puis devenu homme, il sera contraint de s’avouer sa détresse, sa petitesse dans l’ensemble de l’univers. La société renoncera elle aussi, si elle veut s’émanciper, à l’illusion religieuse qui lui fut un temps nécessaire, grâce à la confiance qu’elle saura accorder à la science. En héritier optimiste des Lumières, Freud réaffirme sa confiance dans les effets positifs du progrès de la science, face à la « rude épreuve de la désillusion ». Mais que dire de ses effets négatifs et nihilistes ?
LA CAUSALITÉ NIHILISTE
Il est classique, lorsque l’on parle de nihilisme, d’évoquer la Terreur sous la Révolution française, les révoltes de la Russie d’Alexandre II, les totalitarismes du xxe siècle et il ne serait pas incongru d’ajouter, à l’heure qu’il est, le terrorisme islamique. Il apparaît intéressant d’observer que ces périodes meurtrières sont toutes précédées par des moments de nihilisme passif. Ces exemples nous apprennent que la période de décadence qui précède révolte, révolution ou terrorisme, porte en germe une tendance nihiliste prête à exploser à tout moment. « On les a appelés des « nihilistes », parce qu’ils ne s’inclinaient devant aucune autorité et s’acharnaient à dégonfler tous les idéalismes, niant pêle-mêle toutes les valeurs reconnues (religieuses, esthétiques ou morales) et n’en laissant subsister que ce qui pouvait servir au progrès matériel. En réalité, ces négateurs passionnés étaient en même temps des croyants intransigeants.
L’idéal nihiliste, Surmoi vs Moi Idéal.
Il y a dans la complexification de notre société occidentale une perte de l’autorité du Surmoi (faute d’une édification d’une instance surmoïque mature pour limiter le besoin de jouissance des individus) et un renforcement du Moi Idéal qui les fait se prendre pour des stars, en niant autrui et leur environnement. L’idéal nourrit une puissante illusion qui convainc les gens de croire en leur propre puissance narcissique (force, unité, vitalité, volonté, enracinement, spiritualité, profondeur), pour mieux les protéger de la souffrance, du désenchantement, ou de la mort. Cette illusion leur assure pureté, puissance et supériorité. Nous parvenons, ainsi, à cette idée que la fonction de l’idéal, nécessaire pour le groupe et son unité, est le meilleur vecteur d’évacuation de la négativité. Le contrat narcissique (ou le pacte dénégatif) qui réunit les membres entre eux, conduit le groupe à déplacer la destructivité sur l’étranger, tout en la niant. La violence nihiliste, qui est cette part irréductible de négativité qu’engendre l’épreuve du négatif, éclate au grand jour, guidée par une causalité immédiate et projective, et à la fois reste dangereusement muette. L’organisation groupale est entièrement construite sur le Moi Idéal. Est-ce à dire qu’aucun idéal, singulier ou groupal, ne réussisse jamais la pleine métabolisation de la négativité ?
LA DISSOLUTION NIHILISTE DES VALEURS (ETAPES DE DESTRUCTION DE LA VIE PSYCHIQUE)
- En premier lieu, nous parlerons d’une très sévère régression de l’activité psychique collective. il s'agit d'un appauvrissement de la vie psychique des individus, d'une pauvreté de leur vie intérieure, et qui les pousse à se prendre pour fantasme afin de ne pas s'avouer une certaine médiocrité, un laisser aller au nihilisme. On remarque parallèlement un envahissement de la vie psychique par une activité élémentaire, que nous qualifierons de perceptive et motrice primaire. En d'autre terme, l’idéal culturel se réduit au culte du spectacle et de l’action, et non pas à la réflexion.
- En deuxième lieu, nous remarquerons une dimension traumatique mêlée aux manifestations de l’extrême. L’intensité est à son comble, que ce soit du côté de la fascination pour le crime, le spectacle de la destruction ou du côté de l’attraction par le vide, le relâchement, le désintérêt. « Des expériences de ce genre passent manifestement les limites de ce qu’un peuple peut endurer sans traumatisme psychique. Exemples des compilations de fail sur internet, ou plus glauque, de la vente à la presse des images des attentats d’un des bars à Paris (dont le propriétaire a été condamné quand même).
- En troisième lieu, nous remarquerons la manifestation collective d’un défaut d’étayage. Les générations ont ainsi subi l’ablation d’un organe psychique, un organe qui confère à l’homme stabilité, équilibre, pesanteur aussi, bien sûr, et qui prend diverses formes suivant les cas : conscience, raison, sagesse, fidélité aux principes, morale, crainte de Dieu. Aujourd'hui les gens ont appris qu’on peut vivre sans lest, ils se laissent aller à fantasmer ce qui est de plus en plus permit. Nous touchons là à un point central de la compréhension de la nature du nihilisme qui s’opère à l’échelle d’un peuple ou à celle de l’individu. La défaillance traumatique de l’introjection par l’enfant de l’expérience d’une contenance primaire de bonne qualité laisse des traces définitives sur le sentiment de continuité, de stabilité, d’équilibre, de pesanteur de l’être. Ces traces sont d’autant plus grandes que la promesse le fut, elle aussi, et Dieu sait à quel point nos politiciens savent faire rêver les masses.
Au final, encore et toujours un problème éducatif
- En quatrième lieu, nous ajouterons la manifestation collective d’un défaut d’introjection de l’autorité paternelle. L’expression « une vie sans lest » évoque l’idée de poids psychique, de densité intérieure. Nous penserons bien sûr à l'autorité paternel qui confère à l’enfant, dans le meilleur des cas, poids, légitimité et verticalité. Porteur de l'autorité, le parent qui exerce la fonction paternelle incarne pour l’enfant l’autorité et suscite en lui la crainte, la soumission, la capacité de renoncement. Être doté d’un pouvoir, d’une autorité, ne signifie pas en abuser. Un tel parent conduit l’enfant à faire l’expérience bénéfique de ce que Sebastian Haffner nomme la « crainte de Dieu ». Non pas la crainte de s’écarter des dogmes religieux ou du christianisme, mais la crainte d’une puissance supérieure, qui rappelle à l’homme son irréductible castration, sa finitude, et l’incertitude de son existence. Or, les exactions, les meurtres, et toutes les formes d’abus de pouvoir, par excès de violence ou par excès de passivité dont nous parle Haffner, témoignent de l’échec retentissant de l’exercice de la fonction paternelle. Les exemples du nihilisme français et russe confirment cette idée qu’une figure paternelle qui perd son autorité peut conduire un peuple tout entier vers la révolte destructrice. Le roi ou le tzar qui, par faiblesse, renonce à tenir ses engagements et refuse de contraindre à sa juste mesure le peuple et la noblesse et qui, de surcroît, toujours par faiblesse, abuse de l’autoritarisme, est une figure paternelle assurément « toute-puissante », qui ne peut que semer les graines du nihilisme.
Macron nous voila.
Pour ceux qui veulent aller plus loin :
[video=youtube;dtPYzOnnqGQ]
Attention, conférence très déprimante lol :
[video=youtube;Uu-16IxugdU]
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Article précédent sur la perversion ordinaire
Doctrine philosophique selon laquelle rien n'existe au sens absolu, négation de toute réalité substantielle, des valeurs morales, et de toute croyance suite à une prise de conscience de l'absurdité du monde tel qu'il est. Du point de vue de l'éthique, le nihilisme réfute l'idée d'une vérité morale procédant d'une hiérarchie des valeurs, la valeur elle-même serait une notion inconsistante aussi bien du point de vue théorique que du point de vue pratique.
Disposition d'esprit caractérisée par le pessimisme et le désenchantement moral après désillusion. Être nihiliste reviendrait à rechercher un plaisir vain et égoïste, en ne s’intéressant qu’à un nombre limité de choses matérielles au détriment de toutes les autres. Il s’agit de renier toute forme d’intérêt métaphysique, lié à l’esprit et la recherche des causes, des principes, des sens et des fins de l'existence. Ainsi pour le nihiliste contemporain, seul compte ce qui est physique et palpable, ce qu’il peut posséder ou aborder plus ou moins immédiatement, et sans effort particulier. C’est donc sans bornes ni règles, que le nihiliste évolue sans valeur supérieure ni idéal autre que le sien propre, mais aussi sans éthique ou morale pour se remettre en question ou se situer dans un ordre établi. Il cherche le plus souvent à satisfaire ses envies et besoins sans prendre en considération l’avis d’autrui, ou plus globalement l’environnement et la société dans lesquels il vit. Il ne se demande pas plus quelle est la portée de ses actes, dans quel schéma il inscrit sa destinée, et pourquoi il en est ainsi..
Pour plus de précision sur la personnalité nihiliste.
A L'ORIGINE DE LA VIOLENCE ACTUELLE, UN PROBLÈME D'ORDRE POLITIQUE - Tout commença par l'intériorisation du modèle économique sur le plan anthropologique.
On commence à comprendre et à faire les comptes de ce que la formidable amplification du modèle du marché est en train de radicalement changer en matière économique, politique et géo-stratégique. Mais on envisage plus difficilement ce qu’elle est en train de contribuer à redéfinir dans le domaine anthropologique. On le devrait cependant dans la mesure où le modèle du marché, par son dynamisme même, ne peut être voué à demeurer confiné à son territoire d’origine. Marcel Gauchet indique à cet égard que « c’est à une véritable intériorisation du modèle du marché que nous sommes en train d’assister à un événement aux conséquences anthropologiques incalculables, que l’on commence à peine à entrevoir ».
Destructuration du collectif dans une individualisation généralisée et légitimée.
Ce qu’on sait déjà, c’est que le modèle marchand ne peut œuvrer qu’à la désintégration de tout ce sur quoi peut venir butter la course toujours élargie de la marchandise. C’est-à-dire les instances collectives telles que la famille, les syndicats, les collectifs supposés veiller à l’intérêt public, les associations environnementales, les formations politiques et culturelles, les peuples, leurs États-nations et même, au-delà, les croyances symboliques et les convictions morales. Mais ce modèle du marché est d’ores et déjà en passe d’étendre ses effets déstructurants beaucoup plus loin. Jusqu’où ? Jusqu’à une profonde redéfinition de la forme moderne du sujet, suspecte d’abriter deux instances fort gênantes pour lui : le libre arbitre critique (issu du kantisme dans les années 1800) et la culpabilité (mise au jour par Freud dans les années 1900).
Affranchir les citoyens du libre arbitre et de la culpabilité, pour mieux assujettir les individus devenant des objets du système libéral marchand.
On pourrait ainsi dire que l’extension du modèle du marché oblige à disposer d’individus libérés de la critique et de la névrose classique, et définis par rien d’autre que des besoins consommatoires toujours élargis. Dès lors que ces freins sont levés, de nouveaux territoires sont en vue. À partir de la mise en veilleuse de ces deux caractéristiques du sujet moderne, l’individu peut en effet devenir lui-même un nouveau marché en soi. Et, de fait, il existe déjà un marché de l’identité personnelle avec des kits identitaires vantant et vendant quantité de looks et d'apparences possibles. L’offensive va si loin qu’il existe déjà, de même, une marchandisation de l’identité sexuelle où chacun est de plus en plus invité et incité à choisir non pas tant son genre (ce qui est légitime pour tout être parlant), mais aussi et surtout son sexe biologique grâce à des opérations chirurgicales.
Une modulation identitaire incalculable de nos jours.
Voici donc ce que nous avons à penser aujourd’hui : la possible altération par l’extension conquérante du modèle du marché de l’identité moderne (qu’on peut définir comme « critique et névrosée ») et la fabrique chez des néo-sujets d’une nouvelle identité, disons « post-moderne », pour reprendre ce terme déjà un peu désuet, en tout cas une identité flexible, constamment adaptable aux flux tendus du marché.
Un vacillement de la forme sujet moderne, avec un recourt à la violence faute d’autonomie.
Un des symptômes du vacillement en cours de la forme sujet moderne nous semble constitué par la montée chez les individus de la violence individuelle et par ses déchaînements dans l’espace public. On touche là un sujet délicat. Des groupes politiques se sont en effet plaints de l’exploitation de la violence faite au cours des dernières campagnes électorales pour les présidentielles en France. On a tendance à se dire que la destruction des vieilles baudruches symboliques (la religion, le patriarcat, la famille, la nation) n’occasionne rien de plus qu’un dessillement certes spectaculaire et douloureux, mais salvateur du sujet, passant subitement de la modernité à la post-modernité. En somme, il ne faudrait pas confondre la fin de la transcendance et la fin du transcendantal. Nous nous trouverions donc devant une chance historique d’accès à l’autonomie. Si cela était vrai, encore faudrait-il savoir la saisir d’autant qu’elle est fort ardue à mettre en œuvre. Le programme d’autonomie est en effet d’une totale exigence philosophique. Le problème serait plutôt de croire que la liberté découle automatiquement de la chute des idoles précipitée par l’extension du règne de la marchandise. Toute la question est donc là : avons-nous affaire à une inédite libération (que nous serions éventuellement incapables de saisir) ou sommes-nous entrés dans une nouvelle aliénation ?
LES DEUX PRINCIPALES FORMES DE DOMINATION, PARCE QUE L’ALIÉNATION EST LA MEILLEURE CHOSE QUI SOI POUR QUE LES PUISSANTS ASSERVISSENT LES PLUS DÉMUNIS
La domination par le langage, faute d’autonomie et de culture pour les plus démunis.
Pour répondre à la question de savoir ce qui amène nécessairement l’homme à la culture, on peut repartir d’un fait essentiel que Kant avait parfaitement repéré : « L’homme [contrairement à l’animal] n’a pas d’instinct : il faut qu’il se fasse à lui-même son plan de conduite. » En d’autres termes, on dirait aujourd’hui que l’homme est un néotène (Caractéristique des groupes d'êtres vivants présentant à l'état adulte des caractères qui, dans les groupes voisins, sont purement infantiles, larvaires ou même fœtaux), donc que sa nature est inachevée. Il ne peut ainsi s’accomplir de par sa propre nature. Mieux : il doit en sortir pour se réaliser. En tant qu’être inachevé, il dépend d’un autre être susceptible de remédier à cet inachèvement grâce à l'éducation et l'enseignement d'un modèle et de manière d'être. En tant qu’il se trouve contraint à la recherche de cet autre être pour se reconnaitre lui-même, la première domination sous laquelle tombe l’homme est donc de nature ontologique (Qui concerne l'être, le fait d'exister). On peut l’exprimer autrement : sa simple nature ne saurait suffire à le faire vivre et il doit impérativement rencontrer le tout du langage et de la culture pour s’accomplir. Donc si des puissants usent d'un langage que les plus démunis ne comprennent pas, comme lorsqu'on regarde un débat économique truffé de mots compliqués et non expliqués à la télé, on en ressort avec une impression d'être indigne d'avoir un avis en économie, et donc on laisse ça à des "experts", qui eux savent magner les mots et les concepts qu'ils ne rendent pas accessibles aux téléspectateurs. Sinon ils pourraient se construire un avis censé au lieu de s'exprimer avec des clichés ou des inepties.
La domination idéologique (sociopolitique), faute de comprendre dans quel monde on vit et comment on est asservi.
La grande fonction de l’idéologie : la domination sociopolitique se présente comme une réalité qui s’affirme en se dissimulant. En effet, la domination sociopolitique, c’est aussi bien l’ensemble des moyens par lesquels certains groupes d’individus exercent une emprise économique, politique et/ou culturelle sur d’autres groupes, que l’ensemble des moyens par lesquels ces groupes dominants dissimulent leurs intérêts particuliers en tentant de les faire passer pour des intérêts universels. Exemple des guerres au nom des Droits de l'Homme dans des pays instables politiquement, alors que l'intérêt premier est toujours de défendre ses intérêts économiques dans le pays, pour préserver le commerce qui s'y fait.
Il y a donc deux formes de domination, l'une ontologique par le langage, et l'autre sociopolitique quand les politiques ne sont pas transparents et mentent sans scrupules aux citoyens.
L’erreur serait donc de confondre ces deux dominations. Or, c’est justement cette erreur que commettent ceux qui voient des faits de résistance à la domination sociopolitique dans les actes de ce qu’il faut bien appeler un nouveau nihilisme contemporain, alors que ces actes ne font, en fait, que défaire la fonction symbolique. La violence nue, par exemple, ne peut en effet que casser le ressort le plus intime de l’humanité de l’homme. Ce serait un tragique contresens de croire que c’est en attentant à ce noyau premier d’humanité qu’on peut se défaire des dominations sociopolitiques. La violence ne résout pas les problèmes de domination, il faut pour cela construire un nouveau modèle de société, plutôt que de détruire l'actuel sans plus de convictions que la destruction anarchique (forme de nihilisme actif, qui prône la destruction pour la destruction).
LA PLACE DU NIHILISME DANS LE MODÈLE ÉCONOMIQUE DE NOTRE SOCIÉTÉ MARCHANDE - Une désinstitutionnalisation renforçant le libéralisme.
En fait, si l’on attente à ce noyau premier d’humanité avec violence, c’est tout le contraire d'une révolution qui risque d’arriver, comme on la vu jusqu'ici lorsque la tendance est à toujours plus de libéralisme de part le monde. C’est la pire de toutes les dominations possibles à l’heure actuelle qui risque de triompher, celle-là même d’un modèle du marché complètement débridé, ayant échappé à tout contrôle (si ce n'est pas déjà fait, en 2017 nous anticipons encore et toujours une nouvelle crise économique, qui adviendra cycliquement comme toutes les précédentes avec un intervalle de dix ou vingt ans, la dernière remontant à 2008). La très grande nouveauté du nouveau capitalisme par rapport aux dominations antérieures tient à ce que ces dernières fonctionnaient au contrôle, au renforcement et à la répression institutionnels, alors que le nouveau capitalisme fonctionne à la désinstitutionnalisation. Nous disons donc que tout ce qui soutient aujourd’hui la désinstitutionnalisation, de quelque bord politique que ce soit, ne peut que renforcer l’ultralibéralisme qui se présente en effet sous l’aspect paradoxal et hybride d’un anarcho-capitalisme.
Casser la domination par la langage au lieu de renforcer l’idéologie sociopolitique.
Ce courant extrême du capitalisme a découvert et tente d’imposer une façon beaucoup moins contraignante et moins onéreuse d’assurer sa fortune : casser la domination première de façon à obtenir des sujets précaires, au lieu de continuer à renforcer la domination seconde qui produisait des sujets soumis. « Les seules contraintes justifiables sont celles des échanges marchands. » Le seul et unique impératif admissible est que les marchandises circulent de sorte que toute institution venant interposer ses affaires culturelles et morales entre les individus et les marchandises, soit désormais mal venue. Il faut que les citoyens eux-mêmes votent pour la dé-régularisation des marchés, sans mêmes se rendre compte des conséquences sociales et environnementales que cela peut avoir, en ne voyant pas plus loin que l'argent qu'ils empocheraient ici et maintenant.
Transformer les individus en des objets consommateurs et de consommation.
C’est ainsi que le modèle du marché promeut aujourd’hui « un impératif de transgression des interdits » qui « confère à ce discours un parfum libertaire fondé sur l’extension indéfinie de la tolérance dans tous les domaines ». C’est pourquoi il promeut la désinstitutionnalisation et colporte un certain nihilisme : il faut non seulement « moins d’État », mais moins de tout ce qui pourrait entraver la circulation de la marchandise. Or, ce que produit immédiatement cette désinstitutionnalisation, c’est bien une dé-symbolisation des individus. La limite absolue de la dé-symbolisation, c’est que plus rien ne vienne assurer et assumer l’acheminement des sujets vers la fonction symbolique en charge du rapport et de la quête de sens. On n’y est jamais vraiment, mais enfin, quand le rapport de sens défaille, c’est toujours au détriment du propre de l’humanité, la discursivité, et au profit du rapport de forces (exemples des émeutes se produisant à chaque manifestations telles le G20 en 2017, ou bien la COP21 en 2015, qui se sont terminées par une répression violente et autoritaire...la liste est plus longue et bien plus tragique dans les pays en voie de développement, où la désillusion nihiliste de voir son État corrompu, entraine la colère de peuples miséreux et qui se font tirer dessus par l'armée ou la police, n'entrainant pas des arrestations ou des yeux crevés par des flashballs comme en occident, mais des morts par dizaine).
Ce qui se trouve dans le collimateur du modèle du marché aujourd’hui, c’est la dépendance symbolique de l’homme.
Il n’est donc pas étonnant que notre espace social se trouve de plus en plus envahi par de la violence ordinaire et banalisée par la distance de l'écran, ponctuée par les moments de paroxysme de l’hyper-violence, accidents catastrophiques que les conditions ambiantes rendent désormais toujours possibles. Mais qu’entend-on, au juste, par « dé-symbolisation » ? D’abord et avant tout, le mot désigne une conséquence du pragmatisme ou plutôt du « réalisme » contemporain qui entend « dégraisser » les échanges fonctionnels de la surcharge symbolique qui les grèvent. La dé-symbolisation indique un processus visant à débarrasser l’échange concret de ce qui l’excède tout en l’instituant : son fondement. En effet, l’échange humain est serti dans un ensemble de règles dont le principe n’est pas réel, mais renvoie à des « valeurs » postulées. Ces valeurs relèvent d’une culture (dépositaire de principes moraux, de canons esthétiques, de modèles de vérité) et, comme telles, elles peuvent différer, voire s’opposer à d’autres valeurs. Or, le « nouvel esprit du capitalisme » poursuit un idéal de fluidité, de transparence, de circulation et de renouvellement qui ne peut s’accommoder du poids historique de ces valeurs culturelles. En ce sens, l’adjectif « libéral » désigne la condition d’un homme « libéré » de toute attache à des valeurs (toujours dans l'idée de justifier la dé-régularisation du marché et d'amener l'individu démuni et dominé à y adhérer aveuglément, ou alors d'ignorer les conséquences associées).
Les valeurs morales non commercialisables ne servent plus à rien dans la société marchande.
Tout ce qui se rapporte à la sphère transcendante des principes et des idéaux, n’étant pas convertible en marchandises ou en services, se voit désormais discrédité. Les valeurs morales n’ont pas de valeur marchande. Ne valant rien, leur survie ne se justifie plus dans un univers devenu intégralement marchand. De plus, elles constituent une possibilité de résistance à la propagande publicitaire qui exige, pour être pleinement efficace, un esprit « libre » de toute retenue culturelle. La dé-symbolisation a donc un objectif : elle veut éradiquer, dans les échanges, la composante culturelle, toujours particulière.
CETTE DE-SYMBOLISATION EN COURS PREND AUJOURD'HUI TROIS FORMES : VÉNALE, GÉNÉRATIONNELLE ET NIHILISTE
La dé-symbolisation vénale.
1er janvier 2002, avec l’apparition d’une monnaie sans adage, sans portrait de « grand homme », sans valeur culturelle proclamée. Il reste bien une face sur la menue monnaie, sur les petites pièces, mais sur les valeurs sérieuses, les gros billets ayant valeur d’assignats (c’est-à-dire de gage sur les valeurs et les biens nationaux), il n’y a plus que des portes, des fenêtres et des ponts. Comme s’il fallait désymboliser une monnaie pour la rendre vraiment pratique.
C’est de ces caractéristiques éminemment symboliques que l’euro prétend s’affranchir. Équivalent universel sans fondement, pure contremarque sans origine pour des échanges absolument fonctionnels, l’euro est, si l’on peut dire, le symbole même de la désymbolisation, la réduction de toutes les valeurs à l’unique valeur bancaire. Il n’y a donc plus, avec l’euro, d’autre valeur que l’argent. Ce qui restait encore marqué du sceau du symbolique dans l’échange, a disparu maintenant de la transaction. L’euro représente ainsi une sorte d’étape intermédiaire entre le monétaire fiduciaire ancien et l’électronique des cartes de crédit : avec la disparition complète de toute symbolisation dans le numéraire numérique, l’argent sera réduit au pur escompte des chiffres. C’est ainsi qu’au moment même où les Européens se préparaient dans l’effervescence au « passage à l’euro », leurs penseurs réunis à l’Unesco décrivaient l’inexorable « crépuscule des valeurs ». En plus de la dématérialisation de l’argent. Cette logique n’est pas sui generis (D'un genre propre, spécifique, qu'on ne peut comparer à d'autres), elle est directement induite par l’anthropologie néo-libérale qui réduit l’humanité à une collection d’individus calculateurs et mus par leurs seuls intérêts rationnels, en concurrence sauvage les uns avec les autres. Ce qui n’a pas de fondement ne peut prétendre à la légitimité et la démonstration est faite que l’argent n’a plus de fondement.
La dé-symbolisation générationnelle, la génération Y en ligne de mire.
Les « jeunes », notion floue et élastique, se voient doublement isolés dans le temps. Isolés chronologiquement par l’impossibilité de se projeter dans l’avenir et de se référer au passé : au no future des punks a répondu avec moins d’éclat un no past tacite. Isolés dans le présent même par l’impossibilité de considérer les aînés autrement que comme des égaux. L’ancienne relation verticale entre générations est devenue relation horizontale entre contemporains frappant ainsi d’obsolescence la différence symbolique. Avec les vieux, les jeunes devraient trouver à qui parler, au double sens de s’entretenir et d’être contenus, voire rabroués. Les parents sont ceux qui disent « non », ceux qui initient et permettent un certain « travail du négatif » qui fait pièce aux fringales juvéniles de toute-puissance.
La dé-symbolisation nihiliste.
« Avoir la haine » exprime une humeur, aussi impérieuse que vague, non une revendication sociale. L’absence d’un véritable gouvernement, c’est-à-dire d’une institution dont le plan de définition est nécessairement extérieur aux intérêts économiques, abolit l’autorité tout en rendant la puissance occulte. L’affaiblissement de l’État n’annonce pas, loin de là, celui de la domination sociopolitique, mais le passage à une nouvelle forme de domination, sournoise et maligne, par laquelle le pouvoir véritable devient anonyme, informe et non localisable : « Nous sommes devant une tyrannie sans tyran. »
NIHILISME ET VIOLENCE, ENFIN ON Y VIENT - Un bilan peu enviable de la société.
Nous entendons régulièrement parler de déclin de l’Occident : nous traverserions une nouvelle période de décadence, voire, notre civilisation ne se serait toujours pas relevée du déclin que les Lumières auraient paradoxalement provoqué. Les arguments ne manquent pas qui dénoncent le malaise actuel : nivellement par le bas, perte des valeurs, démission des élites, dictature de la technique, de l’évaluation et du pragmatisme, tyrannie des communautés et des individualismes, mondialisation hégémonique, déculturation progressive, meurtre de la langue, ou encore le rejet de l’étranger, le déni des différences et, en écho, une violence terroriste grandissante. La liste est longue ; remarquons que le terme nihilisme est aujourd’hui peu usité alors qu’il l’était naguère, pendant la première moitié du xxe siècle, pour évoquer des manifestations semblables. On parlait alors, de nihilisme culturel ou de nihilisme politique. il est vrai que la violence et la cruauté prenaient des formes différentes.
Nihilisme et pulsion de mort.
Ce sont des notions très voisines, mais qui ne se superposent pas. Toutes deux font appel au retour à l’inanimé, au rien, au degré zéro de tension, au nihil du Nirvana, et en même temps à la destructivité la plus bruyante, à la violence la plus désintriquée. Nihilisme et désillusion sont indissociables. Il n’y aurait pas de nihilisme sans désillusion ni de désillusion sans nihil. C’est l’hypothèse qui court tout au long de ce travail. Quand j’emploie le mot désillusion, je veux parler de l’épreuve de désillusion. Rien ne nous permet d’anticiper les conséquences favorables ou non de la perte d’illusion. Freud s’est intéressé à l’épreuve de la désillusion pour en souligner les effets positifs et structurants. L’épreuve de désillusion serait l’étape indispensable à franchir sur la voie de la maturation de l’enfant et celle de la société. L’enfant, en proie à la détresse, se cramponne d’abord au père protecteur et aimant ; puis devenu homme, il sera contraint de s’avouer sa détresse, sa petitesse dans l’ensemble de l’univers. La société renoncera elle aussi, si elle veut s’émanciper, à l’illusion religieuse qui lui fut un temps nécessaire, grâce à la confiance qu’elle saura accorder à la science. En héritier optimiste des Lumières, Freud réaffirme sa confiance dans les effets positifs du progrès de la science, face à la « rude épreuve de la désillusion ». Mais que dire de ses effets négatifs et nihilistes ?
LA CAUSALITÉ NIHILISTE
Il est classique, lorsque l’on parle de nihilisme, d’évoquer la Terreur sous la Révolution française, les révoltes de la Russie d’Alexandre II, les totalitarismes du xxe siècle et il ne serait pas incongru d’ajouter, à l’heure qu’il est, le terrorisme islamique. Il apparaît intéressant d’observer que ces périodes meurtrières sont toutes précédées par des moments de nihilisme passif. Ces exemples nous apprennent que la période de décadence qui précède révolte, révolution ou terrorisme, porte en germe une tendance nihiliste prête à exploser à tout moment. « On les a appelés des « nihilistes », parce qu’ils ne s’inclinaient devant aucune autorité et s’acharnaient à dégonfler tous les idéalismes, niant pêle-mêle toutes les valeurs reconnues (religieuses, esthétiques ou morales) et n’en laissant subsister que ce qui pouvait servir au progrès matériel. En réalité, ces négateurs passionnés étaient en même temps des croyants intransigeants.
L’idéal nihiliste, Surmoi vs Moi Idéal.
Il y a dans la complexification de notre société occidentale une perte de l’autorité du Surmoi (faute d’une édification d’une instance surmoïque mature pour limiter le besoin de jouissance des individus) et un renforcement du Moi Idéal qui les fait se prendre pour des stars, en niant autrui et leur environnement. L’idéal nourrit une puissante illusion qui convainc les gens de croire en leur propre puissance narcissique (force, unité, vitalité, volonté, enracinement, spiritualité, profondeur), pour mieux les protéger de la souffrance, du désenchantement, ou de la mort. Cette illusion leur assure pureté, puissance et supériorité. Nous parvenons, ainsi, à cette idée que la fonction de l’idéal, nécessaire pour le groupe et son unité, est le meilleur vecteur d’évacuation de la négativité. Le contrat narcissique (ou le pacte dénégatif) qui réunit les membres entre eux, conduit le groupe à déplacer la destructivité sur l’étranger, tout en la niant. La violence nihiliste, qui est cette part irréductible de négativité qu’engendre l’épreuve du négatif, éclate au grand jour, guidée par une causalité immédiate et projective, et à la fois reste dangereusement muette. L’organisation groupale est entièrement construite sur le Moi Idéal. Est-ce à dire qu’aucun idéal, singulier ou groupal, ne réussisse jamais la pleine métabolisation de la négativité ?
LA DISSOLUTION NIHILISTE DES VALEURS (ETAPES DE DESTRUCTION DE LA VIE PSYCHIQUE)
- En premier lieu, nous parlerons d’une très sévère régression de l’activité psychique collective. il s'agit d'un appauvrissement de la vie psychique des individus, d'une pauvreté de leur vie intérieure, et qui les pousse à se prendre pour fantasme afin de ne pas s'avouer une certaine médiocrité, un laisser aller au nihilisme. On remarque parallèlement un envahissement de la vie psychique par une activité élémentaire, que nous qualifierons de perceptive et motrice primaire. En d'autre terme, l’idéal culturel se réduit au culte du spectacle et de l’action, et non pas à la réflexion.
- En deuxième lieu, nous remarquerons une dimension traumatique mêlée aux manifestations de l’extrême. L’intensité est à son comble, que ce soit du côté de la fascination pour le crime, le spectacle de la destruction ou du côté de l’attraction par le vide, le relâchement, le désintérêt. « Des expériences de ce genre passent manifestement les limites de ce qu’un peuple peut endurer sans traumatisme psychique. Exemples des compilations de fail sur internet, ou plus glauque, de la vente à la presse des images des attentats d’un des bars à Paris (dont le propriétaire a été condamné quand même).
- En troisième lieu, nous remarquerons la manifestation collective d’un défaut d’étayage. Les générations ont ainsi subi l’ablation d’un organe psychique, un organe qui confère à l’homme stabilité, équilibre, pesanteur aussi, bien sûr, et qui prend diverses formes suivant les cas : conscience, raison, sagesse, fidélité aux principes, morale, crainte de Dieu. Aujourd'hui les gens ont appris qu’on peut vivre sans lest, ils se laissent aller à fantasmer ce qui est de plus en plus permit. Nous touchons là à un point central de la compréhension de la nature du nihilisme qui s’opère à l’échelle d’un peuple ou à celle de l’individu. La défaillance traumatique de l’introjection par l’enfant de l’expérience d’une contenance primaire de bonne qualité laisse des traces définitives sur le sentiment de continuité, de stabilité, d’équilibre, de pesanteur de l’être. Ces traces sont d’autant plus grandes que la promesse le fut, elle aussi, et Dieu sait à quel point nos politiciens savent faire rêver les masses.
Au final, encore et toujours un problème éducatif
- En quatrième lieu, nous ajouterons la manifestation collective d’un défaut d’introjection de l’autorité paternelle. L’expression « une vie sans lest » évoque l’idée de poids psychique, de densité intérieure. Nous penserons bien sûr à l'autorité paternel qui confère à l’enfant, dans le meilleur des cas, poids, légitimité et verticalité. Porteur de l'autorité, le parent qui exerce la fonction paternelle incarne pour l’enfant l’autorité et suscite en lui la crainte, la soumission, la capacité de renoncement. Être doté d’un pouvoir, d’une autorité, ne signifie pas en abuser. Un tel parent conduit l’enfant à faire l’expérience bénéfique de ce que Sebastian Haffner nomme la « crainte de Dieu ». Non pas la crainte de s’écarter des dogmes religieux ou du christianisme, mais la crainte d’une puissance supérieure, qui rappelle à l’homme son irréductible castration, sa finitude, et l’incertitude de son existence. Or, les exactions, les meurtres, et toutes les formes d’abus de pouvoir, par excès de violence ou par excès de passivité dont nous parle Haffner, témoignent de l’échec retentissant de l’exercice de la fonction paternelle. Les exemples du nihilisme français et russe confirment cette idée qu’une figure paternelle qui perd son autorité peut conduire un peuple tout entier vers la révolte destructrice. Le roi ou le tzar qui, par faiblesse, renonce à tenir ses engagements et refuse de contraindre à sa juste mesure le peuple et la noblesse et qui, de surcroît, toujours par faiblesse, abuse de l’autoritarisme, est une figure paternelle assurément « toute-puissante », qui ne peut que semer les graines du nihilisme.
Macron nous voila.
Pour ceux qui veulent aller plus loin :
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Attention, conférence très déprimante lol :
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