PharmacocinétiqueLes cannabinoïdes peuvent être administrés de diverses façons. En raison de leur grande liposolubilité, une administration topique est possible dans des endroits comme les yeux et la muqueuse nasale. Toutefois, comme les préparations à base de THC disponibles dans le passé avaient tendance à irriter[SUP]25[/SUP] les yeux, cette pratique n’a pas été très répandue. Mais de nouveaux moyens qui permettent d’appliquer des substances liposolubles sur les yeux dans une solution aqueuse pourraient raviver l’intérêt à l’égard de cette pratique[SUP]26[/SUP]. En théorie, une absorption percutanée, à l’instar des timbres transdermiques imprégnés d’un médicament, devrait être possible, mais l’absorption serait très lente et non utile sur le plan clinique.
Une administration par la voie orale entraîne une absorption lente et variable, avec une biodisponibilité de 10 à 20 % généralement inférieure à 15 %[SUP]3,27-29[/SUP]. Il y a également une importante captation hépatocytaire à partir du sang de la veine porte, et un métabolisme de premier passage actif dans le foie. Néanmoins, cela n’entraîne pas une diminution de l’activité pharmacologique, parce que le principal métabolite de premier passage, le 11-hydroxy-THC, est un agent psychoactif au moins aussi puissant que le THC lui-même[SUP]3[/SUP]. Le THC peut en outre être converti en un hémisuccinate et administré sous la forme d’un suppositoire rectal[SUP]30[/SUP]. L’absorption est très bonne par cette voie et la biodisponibilité est beaucoup plus grande qu’après une administration par la voie orale. En outre, l’absorption par la voie rectale libère la drogue directement dans la circulation systémique, évitant ainsi le métabolisme de premier passage.
L’injection intraveineuse et l’infusion sont possibles, mais en raison de la très faible hydrosolubilité des cannabinoïdes, il faut recourir à une formulation spéciale, comme un complexe composé du cannabinoïde et d’une protéine plasmatique, ou une solution dans un solvant organique miscible avec l’eau. Avec de telles formulations, presque aucune substance active ne peut être libérée, et la toxicité intraveineuse est due essentiellement à l’injection de particules insolubles[SUP]31[/SUP]. L’administration intraveineuse de préparations convenables produit des effets très rapides au début, mais comme les doses sont restreintes pour éviter une intensité excessive de l’effet maximal, la durée de l’effet est brève.
L’inhalation de la fumée est sans doute le mode d’administration le plus connu et c’est la façon dont l’on consomme habituellement la marijuana brute, contrairement aux cannabinoïdes purs. Une grande partie du THC contenu dans le cannabis brut n’est pas du THC libre, mais de l’acide tétrahyrocannabinolique[SUP]32[/SUP]. La chaleur qui se propage juste en avant de la zone de combustion dans une cigarette ou une pipée de cannabis convertit l’acide THC en THC libre[SUP]33[/SUP] et volatilise le THC de sorte qu’il peut être inhalé avec la fumée et pénétrer profondément dans les poumons. La grande liposolubilité du THC lui permet de traverser les membranes alvéolaires rapidement et de pénétrer dans le sang par les capillaires pulmonaires. De là, il est transporté rapidement au cœur et pompé directement dans le cerveau, de sorte que l’effet se manifeste au moins aussi rapidement que dans le cas d’une injection intraveineuse. La biodisponibilité du THC, par cette voie, varie de 18 à 50 % selon différentes études. Cet écart s’explique en grande partie par les différences dans la façon d’inhaler la fumée, ces différences ayant trait à la quantité de fumée inhalée, à la profondeur de l’inhalation dans les poumons et à la durée de la rétention de la fumée dans les alvéoles[SUP]34,35[/SUP]. La quantité maximale de THC dans le plasma et l’intensité des effets subjectifs sont toutes deux directement proportionnelles à la quantité de fumée inhalée et à la fréquence des inhalations[SUP]34[/SUP]. Le temps d’absorption du cannabis fumé est très semblable à celui du THC intraveineux, avec un début rapide, une intensité maximale élevée et une durée brève.
Comme d’autres drogues très liposolubles, le THC dans le plasma est en grande partie transporté sous la forme d’un complexe lâchement associé avec une protéine plasmatique. Ce complexe se dissocie rapidement, de sorte que le THC libre traverse rapidement les membranes des cellules et pénètre dans les tissus proportionnellement à leur taux de débit sanguin. Il n’est donc pas surprenant que le temps d’absorption des concentrations de THC dans les différents tissus soit très semblable à celui du thiopental[SUP]36,37[/SUP]. Après l’inhalation de la fumée du cannabis, la courbe de concentration du THC dans le plasma comprend donc trois phases : une phase d’absorption rapide avec une demi-vie de 50 secondes, une phase plus lente de distribution dans les tissus avec une demi-vie de 40 à 80 minutes, et une phase beaucoup plus lente d’élimination par le métabolisme, avec une demi-vie qui varie considérablement dans différentes études[SUP]3,28[/SUP], mais qui est généralement de deux ou trois jours. Divers métabolites apparaissent dans l’urine et les selles, mais le plus important dans l’urine est le 11-nor-9-carboxytétrahydrocannabinol. Sur une période de 72 heures, l’excrétion cumulative de la quantité totale de métabolites, exprimée sous la forme d’un pourcentage de la dose administrée, atteint de 13 à 17 % dans l’urine et de 25 à 30 % dans les selles après une injection intraveineuse ou une inhalation, mais l’excrétion fécale augmente à de 48 à 53 % après une ingestion par la voie orale[SUP]27[/SUP].