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Guest
La société dans ses changements contemporains tend vers un jeunisme généralisé, qui se retrouve dans une forme normalisée d’adulescence. De nombreux parents s’identifient à leurs enfants ou au "style adolescent", en reproduisant leurs comportements immatures et manières d’être je-m’en-foutiste, plutôt qu’à leur servir de supports émancipatoires. Au travers de remaniements tel que le recul du mariage, l’augmentation des divorces et des recompositions familiales, le statut social de la famille en perd toujours un peu plus son rôle de vecteur de socialisation, de culture, et de transmission de valeurs. Les apprentissages les plus élémentaires disparaissent progressivement et sont remplacés par des pratiques à tendance individualiste, dans lesquelles les jeunes individus ont du mal à s’ajuster à un monde où les positions et rôles de chacun deviennent relatifs et indéfinis, mais aussi où les limites de leur possible semblent aussi infinies que floues et incertaines.
Quand les visions d’un avenir prometteur s’amenuisent au profit de situations précaires, les parents se sentent la responsabilité du devenir de leurs enfants, en commençant par leur témoigner le plus d’amour et de confiance possible. Mais la solidarité familiale sans une véritable transmission de codes et limites, autorisant l’enfant à trouver et assumer sa liberté dans une réciprocité nécessaire au lien social, engrange des adolescents aux fragiles espoirs, qui manqueront d’une estime d’eux-mêmes suffisante pour affronter les réalités du système économique et libéral actuel. Cette fragilité et affirmation narcissique se développant de génération en génération, ne permet pas aux adolescents d’advenir à une maturité nécessaire pour évoluer avec autonomie. Ils dépendent de plus en plus longtemps affectivement et financièrement de leur parents, qui sans pouvoir répondre à une nécessité croissante de présence à l’égard de leurs enfants, créent malgré eux de la souffrance et du manque à être, et ce d’autant plus s’ils délaissent leurs enfants en les laissant sans orientation claire, adéquate et réaliste pour exister.
Le modèle capitaliste libérale prônant une vision libertaire, se répand dans une société ayant perdue sa verticalité et la légitimité de son autorité depuis une cinquantaine d’années. Les individus s’y croient libres et réclament toujours plus de droits, mais une liberté qui ne reçoit aucun cadre moral et éthique pour se déployer, ne peut que basculer dans un gouffre de frustration quand ses désirs ne deviennent pas réalité. Ainsi les adolescents exigent toujours plus sans réussir à accepter la frustration, parce que leur parents n’ayant eux-mêmes pas appris à moduler leur sentiment narcissique de toute puissance, ne peuvent transmettre à leurs enfants les vertus du renoncement et de la patience. Aujourd’hui adolescents et adultes impatients se veulent acteur de leur vie, sans qu’ils en aient les possibilités faute de limites de sens pour qu’ils puissent s’interroger sur leur position, et s’inscrire dans une vision et une continuité temporelle existentielle. De cette absence de limite, chaque individu vivant dans l’immédiateté et dans une recherche d’omnipotence primaire et enfantine, s’expose à une brutale confrontation avec le réel, lorsqu’il perd ses naïves illusions.
ABSENCE DE LIMITE
Avant que le modèle patriarcal ne soit mis en défaut, l’autorité paternelle s’appuyait traditionnellement à travers une figure d’autorité forte, dans une transmission de limites des sens moraux. Depuis Mai 68, cette autorité a cédé sa place à une égalisation des rapports parents-enfants, des droits et des devoirs partagés, dans une négociation permanente d’élargissement des possibilités d’agir de chacun. D'une éducation ne transmettant plus de valeurs propres à définir des limites bien assurées à l'individu, son identité s’en voit menacée et il perd en confiance, ne sachant pas vraiment qui il est sur le plan existentiel. Les adolescents qui se dévalorisent en perdant quelques unes de leurs illusions enfantines, et ne se reconnaissant dans aucun rituel symbolisant leur passage à une vie d’adulte, témoignent avec intensité d’un masochisme et d’une violence destructrice, ne demandant qu’à s’exprimer. A tort ou à raison, la pauvreté de leur intériorité les font se sentir impuissants, et dans le terrible sentiment de disparaitre, ils explorent les limites de leur possible et celle des autres en s’activant passivement dans une destruction de soi, parce qu’il ne leur reste plus que ça, faute de ne pouvoir détruire tous les autres.
Lorsque l’on ne sait pas bien qui l’on est, la question des interdits devient problématique. L’éducation vise à conduire hors de soi pour se décentrer de sa personne et être capable d’évaluer et de penser le monde de l’autre afin d’entrer en contact avec lui, sans le refléter aveuglément par mimétisme. L’objectif empathique de l’éducatif, serait de sortir l’adolescent de son égocentrisme en se déprenant de lui-même, afin de devenir un partenaire lors d’un échange social où il y trouverait dignité et confiance en lui. Il est donc indispensable de construire moralement les enfants pour qu’ils deviennent adultes, en leur donnant des clés les aidant à reconnaitre et définir leur personnage, et s’inscrire dans leur existence de manière autonome. Les aînés se doivent d’instruire aux jeunes générations des limites éthiques et morales à ne pas dépasser, pour préserver leur propre intégrité, leur milieu, et leur environnement. Les adolescents encore ignorants ne sont pas toujours en mesure de se montrer légitime dans un débat même si ils ont un avis, et il parait aussi évident qu’essentiel de leur apprendre à s’exprimer pour argumenter et construire leur pensée en vue de favoriser des échanges sociaux, et résoudre les nombreux problèmes qui jalonnent notre existence (autant à l’échelle individuelle que sociétale). Les aînés ne doivent pas céder aux exigences et demandes permanentes des enfants, mais leur transmette des valeurs et limites qui les responsabiliseront en s’interrogeant sur la nature de leurs désirs, et l’utilité de leur satisfaction. Il est connu qu’un enfant a qui l’ont permet et promet tout se montre tyrannique, est faible face à sa frustration qu’il ne peut supporter, et culpabilise son monde en exigeant toujours plus d’autrui.
PERTE D’AUTORITÉ
L’autorité servant à légitimer les interdits, elle prévient de risques en protégeant les individus, et leur assure un échange symbolique avec autrui, dans des inter-dits. L’autorité permet de transmettre des valeurs et des mises en garde incarnées par les ainés, et de définir des repères représentés par différentes figures d’autorité. L’autorité au travers de valeurs morales et éthiques rend auteur de soi-même, lorsque l’individu agit de manière cohérente, réfléchie, et en adéquation avec son entourage et son environnement.
L’autorité parentale n’est ni une contrainte, ni une séduction. En cristallisant la relation, elle est évocatrice d’une parole reconnue mutuellement, parce que plus valable que les autres, tout en autorisant l'enfant à se faire valoir. C’est donc dans une double dynamique, que l’autorité autorise, parce que justement elle interdit. Le parent interdisant des conduites à son enfant, lui permet d’accéder à des manières d’être plus vertueuses, en lui autorisant des satisfactions futures, qui seront les récompenses de toutes ses renonciations. L’autorité dans ses interdits, autorise à se dépasser dans une certaine résignation de soi, et véhicule un patrimoine où les singularités de chacun pourront s’exprimer sur une toile d’universalité, faites de représentations symboliques. De ces représentations symboliques les individus en tirent des limites, desquelles ils peuvent s’identifier et se différencier. L’adolescent à qui l’on explique une valeur symbolique, se projette dans une réalité commune et commence à pouvoir y définir sa place, en sachant qui il est et qui est autrui, ce qu’il peut attendre des autres et ce que les autres attendent de lui.
Sans cette projection de soi dans la collectivité, l’adolescent évolue dans une confusion identitaire où il n’y a pas de réciprocité dans ses échanges, puisqu’il imite ses pairs, sans jamais s’affirmer dans son individualité. Sans recouvrer son unicité grâce à l'empathie, l’adolescent ne distinguant pas les limites entre sa personne et autrui, ne peut trouver sa souveraineté et se résolve à se conformer en faisant comme les autres. Le danger de l’uniformisation est d’entretenir une confusion dans laquelle l’individu se projetant dans le groupe, s’identifierait uniquement de part le reflet qu’il chercherait à y voir...c’est à dire se trouver cool d’être tendance, de suivre telle mode ou tel mouvement de pensée tout en se l’appropriant, mais sans se rendre compte de son mimétisme social. Ce genre de confusion identitaire est présente dans les familles quand l’adolescent dépendant de son environnement s’identifie sans plus de discernement à ses parents, mais aussi dans toutes structures comme les groupes d’amis, les associations, etc. Ainsi la nécessité de l’autorité sans tomber dans l'aliénation, est de définir des limites, que l’adolescent doit expérimenter pour savoir ce qu’il vaut et qui il est, mais en sachant où et quand s’arrêter pour ne pas aller jusqu’à se blesser, ou pire, se tuer.
DIFFICULTÉ DE LA TRANSMISSION DES VALEURS
La transmission des valeurs doit s’effectuer dans la durée, pour que les convictions et principes soient intégrés, admis et surtout compris par l’adolescent. Le problème étant que notre modèle sociétal prône la vitesse et l’urgence, privilégie la flexibilité et le recyclage, impose la précarité, l’adaptabilité, le jetable, la concurrence, l’exaltation de la réussite et de l’argent, bref que, quoi et comment transmettre des valeurs à des adolescents qui ont été bercé dans un monde d’idole, et qui ont pour principal but d’être riche et célèbre ? Les adolescents d’hier étant devenus les parents d’aujourd’hui, ils se sont laissés soumettre à l’immédiateté en acceptant un mode de vie, où tout est de plus en plus instantané. Résultat, adolescents et parents ont démissionné de leur existence qu’il n’est plus possible d’inscrire et vivre sur un long terme, pour chercher à soit disant vivre mais surtout paraitre dans un présent immédiat et éphémère. Aujourd’hui les échéances imposées et autres données à traiter dans un rythme effréné sont telles, que le stress prédomine, et l’individu en est de moins en moins auteur de lui-même par manque de valeurs donnant un sens à ses actions, et parce qu’il n’a plus de repères et de temps pour se penser. La transmission dans un temps long semble désuète et les informations échangées ne s’inscrivent plus dans une durée collective, mais dans des instantanés individualisés comme avec un snapchat. De même un selfie n’a aucun intérêt, et ne fait sens que dans l’instant présent, avant d’être remplacé par une autre donnée, tout aussi éphémère (le piège étant d'y voir un réel partage, alors qu'il ne s'agit que d'une vaine expression narcissique la majorité du temps).
De ce besoin de valorisation personnelle a court terme, découle une perte des valeurs de loyauté, d’engagement, de confiance et d‘amitié, qui sont le liant des échanges sociaux cordiaux et pérennes. Aussi les repères entre les classes d’âge se fractionnent et l’on ne sait plus bien qui est jeune ou qui est vieux, ni qui est cool ou qui est has been. Autant certains parents se plaisent à ressembler à des adolescents, autant des enfants copient les adultes en s’identifiant à des codes socio-culturels déterminés, dont les aspects conditionnés sont incompréhensibles à leurs âges. Ainsi s’opère une rupture générationnelle entre parents et enfants évoluant chacun dans leur bulle, dans des époques pourtant rapprochées mais que l’histoire ne semble pas reliée. Dans le même temps ils partagent les mêmes tenues et habitudes, en usant de technologie pour projeter leur image sur la toile virtuelle des réseaux sociaux. Ici et tout de suite l’individu surfe sur la vague du buzz et du zapping, où le passé est dépassé et l’avenir assurément devant soi, mais aussi imprévisible qu’aléatoire. Dans l’univers des choix multiples, la transmission perd de sa consistance et les valeurs que sont le respect et l’honnêteté se noient dans l’anonymat du web. L’information désinformante et le formatage imposent un savoir de l’instant, où l’individu se tient au courant des actualités dans une continuité sans perspective, mais imprégnée de l’ambiance du moment, ce qui ne permet pas de s’assurer des assisses psychiques stables et rassurantes au long terme, parce que l'adolescent ne sait pas où il en est.
Au final les valeurs partagées par les parents ne sont plus celles de leurs enfants, et ni les uns ni les autres ne se reconnaissent dans une vision commune. Le savoir de plus en plus disponible est de moins en moins accessible aux esprits, à cause d’une obsolescence des données, qui dans l’immédiateté de l’information ne permettent pas de développer une fresque mettant en perspective ces mêmes informations, pour se situer soi et autrui, dans son époque où le divertissement et la passivité sont rois. La valeur du savoir devient donc relative, voire péremptoire, quand le principal intérêt est de transmettre une donnée momentanément, et non de proposer à un esprit de traiter cette information pour en tirer et faire, quelque chose, dans un avenir plus ou moins proche. La complexité de notre société accentue la difficulté de transmission des valeurs, et rend provisoire son importance dans une destruction des symboles hiérarchiques et autoritaires. Le mouvement de transmission n’est donc plus vertical en venant d’une autorité familiale, scolaire ou sociale, mais c’est l’individu qui le recherche autour de lui, en se l’appropriant à sa manière, et comme il le peut.
DES FIGURES MÉDIATIQUES COMME MODÈLES
« La génération des parents est démunie face à ses enfants. Dans nos sociétés, l’effacement du père laisse le champ libre à la culture des pairs, c’est-à-dire une culture centrée sur le même, mais qui ne prépare pas, à elle seule, à l’ouverture à l’altérité qu’est la vie sociale. L’enfant se vit souvent dans la conviction de son auto-engendrement avec le sentiment de rien devoir à personne. Les figures qui s’imposent sont des figures médiatiques, des modèles pour le succès ou la notoriété (stars de la téléréalité, animateurs, chanteurs, musiciens, etc.). Pendant que les parents perdent leur autorité éducative, que l’école peine à établir les règles d’une citoyenneté partagée, les jeunes générations entrent sous l’influence d’une culture toute entière régie par l’univers de la consommation et de la publicité, accentuant encore l’écart entre les générations. La transmission s’horizontalise et circule avec vivacité dans la sociabilité juvénile à travers des matrices de sens (chaînes câblées, magazines, radios « jeunes » comme Skyrock, Internet, etc.) qui échappent à la connaissance et à la compétence de parents enclins au « laisser-faire » et à l’identification à leurs enfants. »
FUITE DES PARENTS
Certains parents en viennent donc à ne plus intervenir auprès de leurs enfants, en les laissant livrés à eux-mêmes, se construire en fonction de leurs expériences propres. Pour justifier leur démission affective et éducative, et cette inconsistance de l’autorité familiale, les parents tiennent un discours d’autonomie, où ils permettent toujours plus de chose à leurs enfants. La tendance du parent copain se normalise, et la responsabilité des aînés se dissolve dans des relations de séduction, contraires à une relation d’éducation. Les adolescents n'estiment plus légitime leurs parents, dans lesquels ils trouvent des miroirs d’immaturité et non des figures d’autorité. Les parents éprouvent dans ce relâchement un bénéfice narcissique au détriment de l’enfant, qui si il n’est pas utilisé pour prolonger la jeunesse de ses parents, se retrouve confus dans ses repères générationnels et identitaires. Cette absence de sens hiérarchique ne permet pas à l’enfant de se montrer légitime envers ses parents, qui ne le sont pas eux-mêmes en étant remplis de contradictions entre ce qu'ils disent et ce qu'ils font. Le pire étant de tout permettre à son enfant, qui verra dans se laisser faire une marque d’abandon et d’indifférence à son égard, sans plus prendre en compte les avertissements et dires parentaux.
En n’interrogeant pas leurs enfants, les parents achètent à bas prix une tranquillité dans leur foyer, où prospèrent les non-dits et un manque de communication évident. La faiblesse des échanges révèle la distance entre parents et enfants, qui ne peuvent se comprendre et s’accepter en continuant de s’ignorer et s’imaginer se connaitre. Souvent les parents ne reconnaissent pas la souffrance de leur enfant, s’indigne devant la virulence de ses propos, et découvrent un beau jour qu’il est un écorché vif. Ils s’en étonnent, et ne comprennent pas la situation, alors qu’ils ne lui ont jamais rien refusé, en lui offrant tout son confort matériel. Le paradoxe étant qu’un enfant ne manquant de rien, n’a pas accès à la sensation de manque pour apprendre à y faire face, et ne peut ainsi pas s’estimer correctement pour se positionner vis à vis d’autrui, qui est plus ou moins dans son cas. D’un autre côté, il est très difficile en tant que parents, d’avouer que son enfant n’a pas eu de véritable interlocuteur pour l’écouter, le considérer, et l’aimer pleinement dans sa différence, et non par rapport à l'image que les parents ont voulu de lui. Et si l’autonomie dont font mention les parents à l’égard de leur enfant s’effectue dans l’indifférence, il n’en ressentira qu’un sentiment d’abandon avec des carences affectives et tout un lot de souffrance en prime, ce qui peut le pousser à faire des bêtises.
« Pour que l’enfant ou l’adolescent s’affirme, il lui faut débattre, dans la reconnaissance de sa personne, avec une loi, des interdits, une opposition, bref une transmission. Il doit se sentir porté par le sentiment de sa valeur personnelle et de sa reconnaissance par les autres dans un lien de réciprocité où chaque génération est à sa place. L’adolescence est une période de construction de soi dans un débat permanent avec les autres, surtout les autres en soi, dans la mesure où la quête est alors celle des limites : savoir ce que les autres peuvent attendre de lui et ce qu’il peut attendre des autres. »
AUGMENTATION DU PHÉNOMÈNE DE TROUBLE BORDERLINE (ÉTAT-LIMITE)
L’enfant qui n’a pas intégré les limites nécessaires pour s’adapter à la vie en société et au système en place, a du mal à trouver sa place à l’école, en remettant en cause ses enseignants et en rentrant en conflit avec les autres élèves. Sans respecter les interdits, et ne se soumettant pas à l’autorité, il cherche à satisfaire ses désirs dans une opposition délibérée et manipulatrice. Intolérant, impatient et perçu comme insupportable ou dérangé, l’enfant dont le sentiment d’identité est flou, fragile et incertain, n’accepte pas la frustration et tempère mal ses émotions et ses humeurs. Sa colère le rend agressif ou le pousse à déprimer en se repliant sur lui-même, sans comprendre et réussir à définir son mal-être. Cette incapacité à symboliser l’évènement et comprendre le point de vue d’autrui par manque d’empathie, empêche l’enfant à se remettre en cause et, n’écoutant personne d’autre que son ego, il se blinde dans son orgueil en se croyant persécuté.
Cette souffrance intérieure et méconnue, laisse dans l’indifférence l’enfant qui s’ignore, tout en recherchant perpétuellement des limites en se confrontant à celles des autres. Au delà de l’absence de limite et de valeurs porteuses, la souffrance adolescente est caractérisée par des carences affectives, l’indifférence des parents, des brisures d’identité après des traumatismes comme des humiliations répétées ou des abus sexuels. L’adolescent ne reconnait pas de frontière précises entre lui et autrui, entre ce qui est à l’intérieur et à l’extérieur de sa personnalité mouvante et troublée. Par manque de repère identitaire il reste indécis, mais réagit de manière impulsive quand l’émotion lui est insoutenable, ce qui peut l’amener à prendre de mauvaises décisions, des risques inconsidérés, se droguer, ou s’auto-mutiler. Dans cette fuite en avant et souvent déniée, l’adolescent en souffrance cherche à se repérer d’après des limites qu’il n’a pas, ou qui ne font pas sens tant elles se contredisent. Ils se cherchent en bravant l’autorité d’autrui (parents, professeurs, police, la forte tête d'un groupe), toujours pour se rassurer dans son sentiment d‘insécurité intérieure, d’où des comportements vaniteux et orgueilleux d’arrogance, de présomption et de suffisance, pour se montrer fort et ainsi masquer ses faiblesses et vulnérabilités.
DÉPERSONNALISATION
Sans ressentir l’évidence d’exister, en étant trop peu souvent soi-même ou à l’aise dans son corps et son esprit, l’adolescent est en proie à la dépersonnalisation. Du fait de manquer de repère, de sens et de valeur, ses incertitudes l’anime d’une ambition qui le pousse à croire qu’il vaut quelque chose et qu’il a sa place dans ce monde. Ainsi il se leurre en croyant qu'on l'attend, et en perdant ses illusions à chaque fois qu’il se confronte au réel, il en vient à multiplier les épreuves personnelles pour se prouver sa véritable valeur, et non celle qu’il s’imaginait en se rêvant plus grand qu’il ne l’est. Les conduites à risques font parties de cette quête de soi, pour se sortir d’un sentiment de confusion et de manque à être, qui sont le moteur de ses angoisses existentielles. On retrouve ces comportements borderlines quand la transmission générationnelle n’a pas permise à l’adolescent d’être rassurée sur sa condition. Et au travers de ces prises de risque, l’intention de l’adolescent n’est pas de mourir, mais de trouver un sens à son existence, et si auto-destruction il y a, le but n’est pas de se donner la mort, mais te tuer son image dévalorisée de soi.
DÉPRIME ET FOND DÉPRESSIF
Presque un adolescent sur dix est touché par la dépression, et bien plus vivent des états de déprime réguliers, en lien avec des troubles identitaires typiques de cette période de changement. Dans sa détresse dépressive, l’adolescent en souffrance peut se sentir insignifiant, rejeté et méprisé, et en venir à risquer sa vie pour se prouver qu’il est vivant, qu’il existe bel et bien, et que sa vie à un sens et une valeur. il arrive aussi que l’adolescent lutte seul en affrontant des blessures ignorées par ses proches, et qui lui sapent sa confiance en soi comme il n’est pas soutenu dans l’épreuve. Les conduites à risque sont des moyens pour se défaire de ses tensions, s’estimer positivement ou négativement, et déterminer sa valeur en testant et remettant en cause ses principes et manières d’être. Ce sont des tentatives d’accéder à soi, quand le cadre dans lequel l’adolescent évolue ne le lui permet pas, ou trop peu. En recherchant des sensations au travers de divers rituels, il tend à se rapprocher de son corps et de ses ressentis, pour lutter contre son sentiment d’impuissance et de vide intérieur.
RECHERCHE DE RITUEL
Notre société ne reconnait pas le passage qu’est l’adolescence, en ne l’accompagnant d’aucun rite unanime et l'initiant à son individuation, dans un monde adulte. L’adolescent avance seul parmi une somme d’individu, sans être guidé par des repères fixes et des valeurs et principes stables. Sans rôles définis et institutionnalisés, l’adolescent doit lui-même baliser son existence, se différencier pour être reconnu et se reconnaitre, ainsi que se légitimer d’exister en trouvant un sens à sa vie. Il doit donc faire sa place dans une société d’individus toujours plus individualistes, et ainsi s’instituer par soi-même, ce qui est souvent difficile quand l’adolescent égocentrique, se sent tout puissant en croyant que la société l’attend, et lui a réservé une place attitrée, selon son rang et son niveau d’étude.
En se confrontant au réel et prenant quelques claques, l’adolescent en vient à faire ses armes via des conduites à risques, s’apparentant à des rites personnels de passage individuels, même si partagés par des milliers d’autres jeunes, dans la même situation d’inconfort psychique. Le rituel est là pour donner un sens et une valeur à sa vie, en flirtant avec le danger, ou la mort. La douleur est tolérée tant que l’adolescent se l’admet volontairement, comme si il arrivait à se contrôler émotionnellement en gérant ses décharges de tension dans des jeux masochistes et risqués. Cette conjuration du mal par le mal est tout ce qui lui reste comme défense contre ses passions tristes, et ses désillusions par apport aux échecs de son entourage à l’accueillir, et lui donner le sentiment de sa nécessité personnelle, ici bas.
PLUS A PROPOS DES COMPORTEMENTS A RISQUE
Les comportements à risque dépendent de la confiance de l’adolescent, qui elle-même dépend des expériences de sécurité qu’il a connues étant enfant, en étant protégé par ses parents. L’adolescence est donc le moment révélant l’état psychique de l’individu, en fonction de si il a les assisses narcissiques nécessaires pour s’estimer et entreprendre des choses, ou si il a un sentiment d’insécurité interne l’empêchant d’aller de l’avant (problème du manque narcissique). Passé la puberté, l’adolescent ne peut plus rester attaché à l’image de sa mère pour se sentir en sécurité, et doit accepter ses changements physiques et oser affronter le monde extérieur. Ceux qui ne sont pas rassurés dans leur intériorité subissent ses changements pubertaires de plein fouet et perçoivent leur environnement comme une menace. De ces multiples angoisses existentielles, ils cherchent à trouver un certain contrôle par le biais de prise de risque, et ainsi espèrent maitriser leurs propres corps et leurs environnements.
C'est donc en se posant des questions que l’adolescent expérimente l’aspect philosophique de sa vie. Il se demande « Qu’est-ce que je peux choisir dans la vie ? Qu’est-ce qui m’appartient ? Sur quoi puis-je agir ? », et se rend ainsi compte que son corps se transforme malgré lui, et qu’il n’a pas choisi sa famille, son genre, sa morphologie, son milieu social, etc. De ces prises de conscience peuvent en découler des frustrations et des rancunes sur la vie en générale, qui se reporteront sur les parents, les proches ou des groupes, où dans des expériences et situations extrêmes que l’adolescent aura l’impression d’avoir choisi. Il a besoin de se différencier et d’affirmer ce qui lui appartient, ce qu’il veut et ce qu’il est, souvent dans les excès pour trouver sa propre mesure en voyant jusqu'où il peut aller. Ces excès peuvent être valorisants lorsqu’ils sont créatifs comme dans le travail, dans les relations ou dans le sport par exemple, mais ils peuvent aussi être destructeurs et amené à des provocations puériles et régressives pour être remarqué, en rendant l’adolescent toujours plus dépendant de son environnement. On remarque cette dépendance notamment dans les apparences des djeun’s, qui se présentent maquillés, percés ou tatoués de manière démonstrative et provocante, en disant à qui veut l’entendre, qu’ils font ce qu’ils veulent parce que c’est leur choix. Ces choix personnels affichés aux yeux de tous pour bien affirmer sa différence, et allant jusqu’à provoquer des réactions pour être remarqué par autrui, et ainsi avoir le sentiment d’exister, toujours au travers du regard des autres.
Quand les visions d’un avenir prometteur s’amenuisent au profit de situations précaires, les parents se sentent la responsabilité du devenir de leurs enfants, en commençant par leur témoigner le plus d’amour et de confiance possible. Mais la solidarité familiale sans une véritable transmission de codes et limites, autorisant l’enfant à trouver et assumer sa liberté dans une réciprocité nécessaire au lien social, engrange des adolescents aux fragiles espoirs, qui manqueront d’une estime d’eux-mêmes suffisante pour affronter les réalités du système économique et libéral actuel. Cette fragilité et affirmation narcissique se développant de génération en génération, ne permet pas aux adolescents d’advenir à une maturité nécessaire pour évoluer avec autonomie. Ils dépendent de plus en plus longtemps affectivement et financièrement de leur parents, qui sans pouvoir répondre à une nécessité croissante de présence à l’égard de leurs enfants, créent malgré eux de la souffrance et du manque à être, et ce d’autant plus s’ils délaissent leurs enfants en les laissant sans orientation claire, adéquate et réaliste pour exister.
Le modèle capitaliste libérale prônant une vision libertaire, se répand dans une société ayant perdue sa verticalité et la légitimité de son autorité depuis une cinquantaine d’années. Les individus s’y croient libres et réclament toujours plus de droits, mais une liberté qui ne reçoit aucun cadre moral et éthique pour se déployer, ne peut que basculer dans un gouffre de frustration quand ses désirs ne deviennent pas réalité. Ainsi les adolescents exigent toujours plus sans réussir à accepter la frustration, parce que leur parents n’ayant eux-mêmes pas appris à moduler leur sentiment narcissique de toute puissance, ne peuvent transmettre à leurs enfants les vertus du renoncement et de la patience. Aujourd’hui adolescents et adultes impatients se veulent acteur de leur vie, sans qu’ils en aient les possibilités faute de limites de sens pour qu’ils puissent s’interroger sur leur position, et s’inscrire dans une vision et une continuité temporelle existentielle. De cette absence de limite, chaque individu vivant dans l’immédiateté et dans une recherche d’omnipotence primaire et enfantine, s’expose à une brutale confrontation avec le réel, lorsqu’il perd ses naïves illusions.
ABSENCE DE LIMITE
Avant que le modèle patriarcal ne soit mis en défaut, l’autorité paternelle s’appuyait traditionnellement à travers une figure d’autorité forte, dans une transmission de limites des sens moraux. Depuis Mai 68, cette autorité a cédé sa place à une égalisation des rapports parents-enfants, des droits et des devoirs partagés, dans une négociation permanente d’élargissement des possibilités d’agir de chacun. D'une éducation ne transmettant plus de valeurs propres à définir des limites bien assurées à l'individu, son identité s’en voit menacée et il perd en confiance, ne sachant pas vraiment qui il est sur le plan existentiel. Les adolescents qui se dévalorisent en perdant quelques unes de leurs illusions enfantines, et ne se reconnaissant dans aucun rituel symbolisant leur passage à une vie d’adulte, témoignent avec intensité d’un masochisme et d’une violence destructrice, ne demandant qu’à s’exprimer. A tort ou à raison, la pauvreté de leur intériorité les font se sentir impuissants, et dans le terrible sentiment de disparaitre, ils explorent les limites de leur possible et celle des autres en s’activant passivement dans une destruction de soi, parce qu’il ne leur reste plus que ça, faute de ne pouvoir détruire tous les autres.
Lorsque l’on ne sait pas bien qui l’on est, la question des interdits devient problématique. L’éducation vise à conduire hors de soi pour se décentrer de sa personne et être capable d’évaluer et de penser le monde de l’autre afin d’entrer en contact avec lui, sans le refléter aveuglément par mimétisme. L’objectif empathique de l’éducatif, serait de sortir l’adolescent de son égocentrisme en se déprenant de lui-même, afin de devenir un partenaire lors d’un échange social où il y trouverait dignité et confiance en lui. Il est donc indispensable de construire moralement les enfants pour qu’ils deviennent adultes, en leur donnant des clés les aidant à reconnaitre et définir leur personnage, et s’inscrire dans leur existence de manière autonome. Les aînés se doivent d’instruire aux jeunes générations des limites éthiques et morales à ne pas dépasser, pour préserver leur propre intégrité, leur milieu, et leur environnement. Les adolescents encore ignorants ne sont pas toujours en mesure de se montrer légitime dans un débat même si ils ont un avis, et il parait aussi évident qu’essentiel de leur apprendre à s’exprimer pour argumenter et construire leur pensée en vue de favoriser des échanges sociaux, et résoudre les nombreux problèmes qui jalonnent notre existence (autant à l’échelle individuelle que sociétale). Les aînés ne doivent pas céder aux exigences et demandes permanentes des enfants, mais leur transmette des valeurs et limites qui les responsabiliseront en s’interrogeant sur la nature de leurs désirs, et l’utilité de leur satisfaction. Il est connu qu’un enfant a qui l’ont permet et promet tout se montre tyrannique, est faible face à sa frustration qu’il ne peut supporter, et culpabilise son monde en exigeant toujours plus d’autrui.
PERTE D’AUTORITÉ
L’autorité servant à légitimer les interdits, elle prévient de risques en protégeant les individus, et leur assure un échange symbolique avec autrui, dans des inter-dits. L’autorité permet de transmettre des valeurs et des mises en garde incarnées par les ainés, et de définir des repères représentés par différentes figures d’autorité. L’autorité au travers de valeurs morales et éthiques rend auteur de soi-même, lorsque l’individu agit de manière cohérente, réfléchie, et en adéquation avec son entourage et son environnement.
L’autorité parentale n’est ni une contrainte, ni une séduction. En cristallisant la relation, elle est évocatrice d’une parole reconnue mutuellement, parce que plus valable que les autres, tout en autorisant l'enfant à se faire valoir. C’est donc dans une double dynamique, que l’autorité autorise, parce que justement elle interdit. Le parent interdisant des conduites à son enfant, lui permet d’accéder à des manières d’être plus vertueuses, en lui autorisant des satisfactions futures, qui seront les récompenses de toutes ses renonciations. L’autorité dans ses interdits, autorise à se dépasser dans une certaine résignation de soi, et véhicule un patrimoine où les singularités de chacun pourront s’exprimer sur une toile d’universalité, faites de représentations symboliques. De ces représentations symboliques les individus en tirent des limites, desquelles ils peuvent s’identifier et se différencier. L’adolescent à qui l’on explique une valeur symbolique, se projette dans une réalité commune et commence à pouvoir y définir sa place, en sachant qui il est et qui est autrui, ce qu’il peut attendre des autres et ce que les autres attendent de lui.
Sans cette projection de soi dans la collectivité, l’adolescent évolue dans une confusion identitaire où il n’y a pas de réciprocité dans ses échanges, puisqu’il imite ses pairs, sans jamais s’affirmer dans son individualité. Sans recouvrer son unicité grâce à l'empathie, l’adolescent ne distinguant pas les limites entre sa personne et autrui, ne peut trouver sa souveraineté et se résolve à se conformer en faisant comme les autres. Le danger de l’uniformisation est d’entretenir une confusion dans laquelle l’individu se projetant dans le groupe, s’identifierait uniquement de part le reflet qu’il chercherait à y voir...c’est à dire se trouver cool d’être tendance, de suivre telle mode ou tel mouvement de pensée tout en se l’appropriant, mais sans se rendre compte de son mimétisme social. Ce genre de confusion identitaire est présente dans les familles quand l’adolescent dépendant de son environnement s’identifie sans plus de discernement à ses parents, mais aussi dans toutes structures comme les groupes d’amis, les associations, etc. Ainsi la nécessité de l’autorité sans tomber dans l'aliénation, est de définir des limites, que l’adolescent doit expérimenter pour savoir ce qu’il vaut et qui il est, mais en sachant où et quand s’arrêter pour ne pas aller jusqu’à se blesser, ou pire, se tuer.
DIFFICULTÉ DE LA TRANSMISSION DES VALEURS
La transmission des valeurs doit s’effectuer dans la durée, pour que les convictions et principes soient intégrés, admis et surtout compris par l’adolescent. Le problème étant que notre modèle sociétal prône la vitesse et l’urgence, privilégie la flexibilité et le recyclage, impose la précarité, l’adaptabilité, le jetable, la concurrence, l’exaltation de la réussite et de l’argent, bref que, quoi et comment transmettre des valeurs à des adolescents qui ont été bercé dans un monde d’idole, et qui ont pour principal but d’être riche et célèbre ? Les adolescents d’hier étant devenus les parents d’aujourd’hui, ils se sont laissés soumettre à l’immédiateté en acceptant un mode de vie, où tout est de plus en plus instantané. Résultat, adolescents et parents ont démissionné de leur existence qu’il n’est plus possible d’inscrire et vivre sur un long terme, pour chercher à soit disant vivre mais surtout paraitre dans un présent immédiat et éphémère. Aujourd’hui les échéances imposées et autres données à traiter dans un rythme effréné sont telles, que le stress prédomine, et l’individu en est de moins en moins auteur de lui-même par manque de valeurs donnant un sens à ses actions, et parce qu’il n’a plus de repères et de temps pour se penser. La transmission dans un temps long semble désuète et les informations échangées ne s’inscrivent plus dans une durée collective, mais dans des instantanés individualisés comme avec un snapchat. De même un selfie n’a aucun intérêt, et ne fait sens que dans l’instant présent, avant d’être remplacé par une autre donnée, tout aussi éphémère (le piège étant d'y voir un réel partage, alors qu'il ne s'agit que d'une vaine expression narcissique la majorité du temps).
De ce besoin de valorisation personnelle a court terme, découle une perte des valeurs de loyauté, d’engagement, de confiance et d‘amitié, qui sont le liant des échanges sociaux cordiaux et pérennes. Aussi les repères entre les classes d’âge se fractionnent et l’on ne sait plus bien qui est jeune ou qui est vieux, ni qui est cool ou qui est has been. Autant certains parents se plaisent à ressembler à des adolescents, autant des enfants copient les adultes en s’identifiant à des codes socio-culturels déterminés, dont les aspects conditionnés sont incompréhensibles à leurs âges. Ainsi s’opère une rupture générationnelle entre parents et enfants évoluant chacun dans leur bulle, dans des époques pourtant rapprochées mais que l’histoire ne semble pas reliée. Dans le même temps ils partagent les mêmes tenues et habitudes, en usant de technologie pour projeter leur image sur la toile virtuelle des réseaux sociaux. Ici et tout de suite l’individu surfe sur la vague du buzz et du zapping, où le passé est dépassé et l’avenir assurément devant soi, mais aussi imprévisible qu’aléatoire. Dans l’univers des choix multiples, la transmission perd de sa consistance et les valeurs que sont le respect et l’honnêteté se noient dans l’anonymat du web. L’information désinformante et le formatage imposent un savoir de l’instant, où l’individu se tient au courant des actualités dans une continuité sans perspective, mais imprégnée de l’ambiance du moment, ce qui ne permet pas de s’assurer des assisses psychiques stables et rassurantes au long terme, parce que l'adolescent ne sait pas où il en est.
Au final les valeurs partagées par les parents ne sont plus celles de leurs enfants, et ni les uns ni les autres ne se reconnaissent dans une vision commune. Le savoir de plus en plus disponible est de moins en moins accessible aux esprits, à cause d’une obsolescence des données, qui dans l’immédiateté de l’information ne permettent pas de développer une fresque mettant en perspective ces mêmes informations, pour se situer soi et autrui, dans son époque où le divertissement et la passivité sont rois. La valeur du savoir devient donc relative, voire péremptoire, quand le principal intérêt est de transmettre une donnée momentanément, et non de proposer à un esprit de traiter cette information pour en tirer et faire, quelque chose, dans un avenir plus ou moins proche. La complexité de notre société accentue la difficulté de transmission des valeurs, et rend provisoire son importance dans une destruction des symboles hiérarchiques et autoritaires. Le mouvement de transmission n’est donc plus vertical en venant d’une autorité familiale, scolaire ou sociale, mais c’est l’individu qui le recherche autour de lui, en se l’appropriant à sa manière, et comme il le peut.
DES FIGURES MÉDIATIQUES COMME MODÈLES
« La génération des parents est démunie face à ses enfants. Dans nos sociétés, l’effacement du père laisse le champ libre à la culture des pairs, c’est-à-dire une culture centrée sur le même, mais qui ne prépare pas, à elle seule, à l’ouverture à l’altérité qu’est la vie sociale. L’enfant se vit souvent dans la conviction de son auto-engendrement avec le sentiment de rien devoir à personne. Les figures qui s’imposent sont des figures médiatiques, des modèles pour le succès ou la notoriété (stars de la téléréalité, animateurs, chanteurs, musiciens, etc.). Pendant que les parents perdent leur autorité éducative, que l’école peine à établir les règles d’une citoyenneté partagée, les jeunes générations entrent sous l’influence d’une culture toute entière régie par l’univers de la consommation et de la publicité, accentuant encore l’écart entre les générations. La transmission s’horizontalise et circule avec vivacité dans la sociabilité juvénile à travers des matrices de sens (chaînes câblées, magazines, radios « jeunes » comme Skyrock, Internet, etc.) qui échappent à la connaissance et à la compétence de parents enclins au « laisser-faire » et à l’identification à leurs enfants. »
FUITE DES PARENTS
Certains parents en viennent donc à ne plus intervenir auprès de leurs enfants, en les laissant livrés à eux-mêmes, se construire en fonction de leurs expériences propres. Pour justifier leur démission affective et éducative, et cette inconsistance de l’autorité familiale, les parents tiennent un discours d’autonomie, où ils permettent toujours plus de chose à leurs enfants. La tendance du parent copain se normalise, et la responsabilité des aînés se dissolve dans des relations de séduction, contraires à une relation d’éducation. Les adolescents n'estiment plus légitime leurs parents, dans lesquels ils trouvent des miroirs d’immaturité et non des figures d’autorité. Les parents éprouvent dans ce relâchement un bénéfice narcissique au détriment de l’enfant, qui si il n’est pas utilisé pour prolonger la jeunesse de ses parents, se retrouve confus dans ses repères générationnels et identitaires. Cette absence de sens hiérarchique ne permet pas à l’enfant de se montrer légitime envers ses parents, qui ne le sont pas eux-mêmes en étant remplis de contradictions entre ce qu'ils disent et ce qu'ils font. Le pire étant de tout permettre à son enfant, qui verra dans se laisser faire une marque d’abandon et d’indifférence à son égard, sans plus prendre en compte les avertissements et dires parentaux.
En n’interrogeant pas leurs enfants, les parents achètent à bas prix une tranquillité dans leur foyer, où prospèrent les non-dits et un manque de communication évident. La faiblesse des échanges révèle la distance entre parents et enfants, qui ne peuvent se comprendre et s’accepter en continuant de s’ignorer et s’imaginer se connaitre. Souvent les parents ne reconnaissent pas la souffrance de leur enfant, s’indigne devant la virulence de ses propos, et découvrent un beau jour qu’il est un écorché vif. Ils s’en étonnent, et ne comprennent pas la situation, alors qu’ils ne lui ont jamais rien refusé, en lui offrant tout son confort matériel. Le paradoxe étant qu’un enfant ne manquant de rien, n’a pas accès à la sensation de manque pour apprendre à y faire face, et ne peut ainsi pas s’estimer correctement pour se positionner vis à vis d’autrui, qui est plus ou moins dans son cas. D’un autre côté, il est très difficile en tant que parents, d’avouer que son enfant n’a pas eu de véritable interlocuteur pour l’écouter, le considérer, et l’aimer pleinement dans sa différence, et non par rapport à l'image que les parents ont voulu de lui. Et si l’autonomie dont font mention les parents à l’égard de leur enfant s’effectue dans l’indifférence, il n’en ressentira qu’un sentiment d’abandon avec des carences affectives et tout un lot de souffrance en prime, ce qui peut le pousser à faire des bêtises.
« Pour que l’enfant ou l’adolescent s’affirme, il lui faut débattre, dans la reconnaissance de sa personne, avec une loi, des interdits, une opposition, bref une transmission. Il doit se sentir porté par le sentiment de sa valeur personnelle et de sa reconnaissance par les autres dans un lien de réciprocité où chaque génération est à sa place. L’adolescence est une période de construction de soi dans un débat permanent avec les autres, surtout les autres en soi, dans la mesure où la quête est alors celle des limites : savoir ce que les autres peuvent attendre de lui et ce qu’il peut attendre des autres. »
AUGMENTATION DU PHÉNOMÈNE DE TROUBLE BORDERLINE (ÉTAT-LIMITE)
L’enfant qui n’a pas intégré les limites nécessaires pour s’adapter à la vie en société et au système en place, a du mal à trouver sa place à l’école, en remettant en cause ses enseignants et en rentrant en conflit avec les autres élèves. Sans respecter les interdits, et ne se soumettant pas à l’autorité, il cherche à satisfaire ses désirs dans une opposition délibérée et manipulatrice. Intolérant, impatient et perçu comme insupportable ou dérangé, l’enfant dont le sentiment d’identité est flou, fragile et incertain, n’accepte pas la frustration et tempère mal ses émotions et ses humeurs. Sa colère le rend agressif ou le pousse à déprimer en se repliant sur lui-même, sans comprendre et réussir à définir son mal-être. Cette incapacité à symboliser l’évènement et comprendre le point de vue d’autrui par manque d’empathie, empêche l’enfant à se remettre en cause et, n’écoutant personne d’autre que son ego, il se blinde dans son orgueil en se croyant persécuté.
Cette souffrance intérieure et méconnue, laisse dans l’indifférence l’enfant qui s’ignore, tout en recherchant perpétuellement des limites en se confrontant à celles des autres. Au delà de l’absence de limite et de valeurs porteuses, la souffrance adolescente est caractérisée par des carences affectives, l’indifférence des parents, des brisures d’identité après des traumatismes comme des humiliations répétées ou des abus sexuels. L’adolescent ne reconnait pas de frontière précises entre lui et autrui, entre ce qui est à l’intérieur et à l’extérieur de sa personnalité mouvante et troublée. Par manque de repère identitaire il reste indécis, mais réagit de manière impulsive quand l’émotion lui est insoutenable, ce qui peut l’amener à prendre de mauvaises décisions, des risques inconsidérés, se droguer, ou s’auto-mutiler. Dans cette fuite en avant et souvent déniée, l’adolescent en souffrance cherche à se repérer d’après des limites qu’il n’a pas, ou qui ne font pas sens tant elles se contredisent. Ils se cherchent en bravant l’autorité d’autrui (parents, professeurs, police, la forte tête d'un groupe), toujours pour se rassurer dans son sentiment d‘insécurité intérieure, d’où des comportements vaniteux et orgueilleux d’arrogance, de présomption et de suffisance, pour se montrer fort et ainsi masquer ses faiblesses et vulnérabilités.
DÉPERSONNALISATION
Sans ressentir l’évidence d’exister, en étant trop peu souvent soi-même ou à l’aise dans son corps et son esprit, l’adolescent est en proie à la dépersonnalisation. Du fait de manquer de repère, de sens et de valeur, ses incertitudes l’anime d’une ambition qui le pousse à croire qu’il vaut quelque chose et qu’il a sa place dans ce monde. Ainsi il se leurre en croyant qu'on l'attend, et en perdant ses illusions à chaque fois qu’il se confronte au réel, il en vient à multiplier les épreuves personnelles pour se prouver sa véritable valeur, et non celle qu’il s’imaginait en se rêvant plus grand qu’il ne l’est. Les conduites à risques font parties de cette quête de soi, pour se sortir d’un sentiment de confusion et de manque à être, qui sont le moteur de ses angoisses existentielles. On retrouve ces comportements borderlines quand la transmission générationnelle n’a pas permise à l’adolescent d’être rassurée sur sa condition. Et au travers de ces prises de risque, l’intention de l’adolescent n’est pas de mourir, mais de trouver un sens à son existence, et si auto-destruction il y a, le but n’est pas de se donner la mort, mais te tuer son image dévalorisée de soi.
DÉPRIME ET FOND DÉPRESSIF
Presque un adolescent sur dix est touché par la dépression, et bien plus vivent des états de déprime réguliers, en lien avec des troubles identitaires typiques de cette période de changement. Dans sa détresse dépressive, l’adolescent en souffrance peut se sentir insignifiant, rejeté et méprisé, et en venir à risquer sa vie pour se prouver qu’il est vivant, qu’il existe bel et bien, et que sa vie à un sens et une valeur. il arrive aussi que l’adolescent lutte seul en affrontant des blessures ignorées par ses proches, et qui lui sapent sa confiance en soi comme il n’est pas soutenu dans l’épreuve. Les conduites à risque sont des moyens pour se défaire de ses tensions, s’estimer positivement ou négativement, et déterminer sa valeur en testant et remettant en cause ses principes et manières d’être. Ce sont des tentatives d’accéder à soi, quand le cadre dans lequel l’adolescent évolue ne le lui permet pas, ou trop peu. En recherchant des sensations au travers de divers rituels, il tend à se rapprocher de son corps et de ses ressentis, pour lutter contre son sentiment d’impuissance et de vide intérieur.
RECHERCHE DE RITUEL
Notre société ne reconnait pas le passage qu’est l’adolescence, en ne l’accompagnant d’aucun rite unanime et l'initiant à son individuation, dans un monde adulte. L’adolescent avance seul parmi une somme d’individu, sans être guidé par des repères fixes et des valeurs et principes stables. Sans rôles définis et institutionnalisés, l’adolescent doit lui-même baliser son existence, se différencier pour être reconnu et se reconnaitre, ainsi que se légitimer d’exister en trouvant un sens à sa vie. Il doit donc faire sa place dans une société d’individus toujours plus individualistes, et ainsi s’instituer par soi-même, ce qui est souvent difficile quand l’adolescent égocentrique, se sent tout puissant en croyant que la société l’attend, et lui a réservé une place attitrée, selon son rang et son niveau d’étude.
En se confrontant au réel et prenant quelques claques, l’adolescent en vient à faire ses armes via des conduites à risques, s’apparentant à des rites personnels de passage individuels, même si partagés par des milliers d’autres jeunes, dans la même situation d’inconfort psychique. Le rituel est là pour donner un sens et une valeur à sa vie, en flirtant avec le danger, ou la mort. La douleur est tolérée tant que l’adolescent se l’admet volontairement, comme si il arrivait à se contrôler émotionnellement en gérant ses décharges de tension dans des jeux masochistes et risqués. Cette conjuration du mal par le mal est tout ce qui lui reste comme défense contre ses passions tristes, et ses désillusions par apport aux échecs de son entourage à l’accueillir, et lui donner le sentiment de sa nécessité personnelle, ici bas.
PLUS A PROPOS DES COMPORTEMENTS A RISQUE
Les comportements à risque dépendent de la confiance de l’adolescent, qui elle-même dépend des expériences de sécurité qu’il a connues étant enfant, en étant protégé par ses parents. L’adolescence est donc le moment révélant l’état psychique de l’individu, en fonction de si il a les assisses narcissiques nécessaires pour s’estimer et entreprendre des choses, ou si il a un sentiment d’insécurité interne l’empêchant d’aller de l’avant (problème du manque narcissique). Passé la puberté, l’adolescent ne peut plus rester attaché à l’image de sa mère pour se sentir en sécurité, et doit accepter ses changements physiques et oser affronter le monde extérieur. Ceux qui ne sont pas rassurés dans leur intériorité subissent ses changements pubertaires de plein fouet et perçoivent leur environnement comme une menace. De ces multiples angoisses existentielles, ils cherchent à trouver un certain contrôle par le biais de prise de risque, et ainsi espèrent maitriser leurs propres corps et leurs environnements.
C'est donc en se posant des questions que l’adolescent expérimente l’aspect philosophique de sa vie. Il se demande « Qu’est-ce que je peux choisir dans la vie ? Qu’est-ce qui m’appartient ? Sur quoi puis-je agir ? », et se rend ainsi compte que son corps se transforme malgré lui, et qu’il n’a pas choisi sa famille, son genre, sa morphologie, son milieu social, etc. De ces prises de conscience peuvent en découler des frustrations et des rancunes sur la vie en générale, qui se reporteront sur les parents, les proches ou des groupes, où dans des expériences et situations extrêmes que l’adolescent aura l’impression d’avoir choisi. Il a besoin de se différencier et d’affirmer ce qui lui appartient, ce qu’il veut et ce qu’il est, souvent dans les excès pour trouver sa propre mesure en voyant jusqu'où il peut aller. Ces excès peuvent être valorisants lorsqu’ils sont créatifs comme dans le travail, dans les relations ou dans le sport par exemple, mais ils peuvent aussi être destructeurs et amené à des provocations puériles et régressives pour être remarqué, en rendant l’adolescent toujours plus dépendant de son environnement. On remarque cette dépendance notamment dans les apparences des djeun’s, qui se présentent maquillés, percés ou tatoués de manière démonstrative et provocante, en disant à qui veut l’entendre, qu’ils font ce qu’ils veulent parce que c’est leur choix. Ces choix personnels affichés aux yeux de tous pour bien affirmer sa différence, et allant jusqu’à provoquer des réactions pour être remarqué par autrui, et ainsi avoir le sentiment d’exister, toujours au travers du regard des autres.