je sais pas si c'est aussi mal vu que la drogue pour être honnête.
en tout cas ce n'est quasiment jamais accepté comme une pratique légitime. La réaction pratiquement universelle c'est : "mais il ne faut pas !". Il y a là-dessus un vrai tabou. Même entre pratiquants.
Pour ma part je n'ai jamais ressenti ça non plus. Que je me coupe légitime mes souffrances aux yeux d'autrui oui je le ressens, comme pour dire "tu vois que je ne fais pas semblant!", mais je n'y trouve pas proportionnel au nombre ou à la taille. Je tente au contraire de laisser le moins de marques possible, genre en appuyant avec un rasoir jetable ça picotte, ça sanguinole mais ça se résorbe vite et avec assez peu de traces indélébiles.
Au départ je faisais ça de façon peu visible, juste en m'écorchant avec des aiguilles (le seul truc un peu blessant que j'avais sous la main). Puis une fille m'a prêté un manga où un personnage se scarifie et j'étais étonnée et impressionnée de voir que ce personnage s'infligeait de vraies blessures. Alors j'ai fait quelques recherches sur Internet et j'ai vu toutes les photos de bras lacérés, les plaies qui s'enchaînent avec des mises en scène emo et tout, et j'ai eu l'impression que mes blessures à côté n'étaient rien du tout, que j'avais un pallier à franchir. Un peu comme si on m'avait montré "comment faire".
C'est un phénomène assez connu dans l'auto-support des gens qui s'auto-mutilent. Les vieux forums consacrés à l'AM ont tous des règles similaires à ce sujet. On peut faire le rapprochement avec notre règle qui demande aux gens d'éviter de mentionner leurs dosages en dehors des TR / de ne pas étaler sans raison des comportements auto-destructeurs, afin d'éviter l'émulation.
Je pense que le fait de marquer plus ou moins fort/souvent/à différents endroits ne dépend pas que du degré de souffrance, mais aussi des stratégies de coping de la personne, de sa sensibilité à la douleur physique, du rapport qu'elle entretient avec son corps, de ce que représente cette pratique pour elle etc.
C'est très vrai !
Quand j'ai compris que je "marquais" beaucoup et que j'allais garder ces cicatrices toute ma vie, j'ai trouvé que la disposition classique en "parallèles" sur les avant-bras était somme toute assez moche et j'ai commencé à varier les angles et les dispositions. J'aime bien me dire que chaque "set" de cicatrices (ce que je fais en une fois) est unique. Avec les années, en s'accumulant, ça a commencé à former des motifs abstraits. Je les vois comme des tatouages un peu particuliers.
Pour info, ça marque beaucoup plus sur les parties charnues, par exemple à force égale une coupure sera plus profonde et laissera une cicatrice plus visible sur le gras du bras que sur l'intérieur de l'avant-bras. J'aurais bien aimé le savoir à l'époque... j'ai eu de grosses frayeurs où la dépersonnalisation menant à l'acte m'enlevait la conscience de ma force, et certaines blessures sont bien plus larges et visibles que je ne le souhaitais.
D’ailleurs j’ai jamais vraiment compris les personnes qui se scarifie parce qu'elles se font harceler, d’accord ya des gens qui le supporte mieux que d'autres, après ça dépend si c’est du harcèlement “violent” ou soft on va dire, mais dans les 2 cas pourquoi ? Pour en finir ?
C'est vraiment difficile de te répondre parce qu'il y a autant de raisons de se scarifier que des personnes, et en plus il peut y avoir plusieurs raisons mélangées au sein d'une même personne.
J'ai été harcelée aussi, et puis ensuite ça s'est calmé mais je me sentais toujours très mal par rapport à mes congénères, j'étais vraiment hantée la sensation de rejet. J'étais en cours et amie avec les gens qui m'avaient blessée, alors j'arrivais pas à tourner la page, j'avais toujours peur qu'ils se retournent à nouveau contre moi. Je ressentais depuis des années une souffrance psychique insupportable et surtout impossible à formuler parce qu'au lycée ça ne se fait pas d'être malheureux, il faut être hype et extraverti et normé. Finalement je ne me souviens pas du tout pourquoi j'ai commencé à faire ça, j'ai pas trop formulé de raison consciente la première fois. J'ai sûrement juste trouvé ça rigolo à explorer, bizarre et spécial, intime et malsain, à l'image de ce qu'il se passait dans ma tête.
Par contre très vite c'est devenu un moyen d'exprimer le fait que je souffrais énormément, que j'avais terriblement besoin de compassion, et que je ne pouvais pas en trouver. J'ai retrouvé un texte qui date de cette époque :
"C'était une façon de dire au monde :
Regarde-moi ! Regarde comme je souffre ! Vois mes blessures !
Aide-moi !
Je ne peux le dire par les mots, alors je le dis par le sang (le sang de l'Alliance nouvelle et éternelle, qui sera versé pour la multitude).
Soigne mes plaies !
Je désirais que l'on ne fasse qu'un avec moi, et que le monde en voyant mes blessures aie aussi mal que moi.
Je voulais frapper ce monde au cœur, et le monde ne pouvait passer qu'à travers moi.
C'était un coup poté à l'Harmonie.
En ouvrant ma peau je m'ouvrais au monde. Son air touchait ma chair, mon sang le contaminait.
Je laissais ma trace sanglante sur ce monde imberbe.
Et je désirais que quelqu’un vienne lécher mes plaies."
Certes j'aurais pu le dire plus simplement, à un·e ami·e ou à un·e psy, mais après le harcèlement que j'avais vécu je n'avais aucune confiance en autrui. Encore maintenant je pense que si j'avais dit ma souffrance on m'aurait juste rejetée comme une déviante. Et puis j'avais beaucoup de fierté et j'étais incapable d'accepter de l'aide (c'était une façon de regagner de la dignité après avoir été autant méprisée).
À part ça, tu t'étonnes qu'on puisse aller jusqu'à faire couler le sang.
Chez beaucoup de personnes, l'auto-mutilation tient presque du rituel, il y a une identification qu'on peut remarquer en se baladant un peu sur Internet. Y'a clairement une mode de la coupure multiple saignante et parallèle sur les bras (en y réfléchissant, y'a plein de façons de se faire du mal, pourquoi celle-là a autant de succès ? Moi j'y fois un facteur culturel). J'ai envie de te dire, après tout pourquoi pas ? Le sang n'est que la partie la plus spectaculaire de l'affaire. Et le côté "malsain" participe justement au rituel parce qu'alors on se sent encore plus "extrême" et ça permet d'exprimer encore plus intensément les sentiments extrêmes qui sont à l'origine de cet acte.
Moi c'était aussi pour des raisons esthétiques, j'ai toujours trouvé ça très beau, encore maintenant. Et d'une beauté éphémère (le sang coagule vite) ce qui participe au potentiel addictif de ce geste.
Y'avait aussi une dimension de lâcher-prise. J'avais du mal à pleurer, à crier, j'étouffais, et là y'avait ce sang qui coulait hors de moi, c'était libérateur.
Et puis j'ai subi un viol, et cette symbolique s'y est ajoutée : j'étais traumatisée par ça bien sûr, c'était aussi inexprimable que le reste bien sûr aussi, alors la lame est un peu devenue une métaphore du sexe qui pénètre, cause de la douleur et puis s'en va en laissant une blessure qu'on va garder toute sa vie. D'ailleurs, avec un peu d'imagination, la plaie causée par une lame peut faire penser à une vulve.
Enfin, il y avait une dimension un peu bizarre de self-care : encore une fois je souffrais et que je n'étais pas soignée. Mais les blessures qui symbolisaient cette souffrance, elles, elles cicatrisaient. Je pouvais suivre leur évolution de semaines en semaines. Ça allait mieux, de façon inéluctable. Ça me faisait du bien de le constater.