Quoi qu'il en soit, la schizophrénie est une psychose ! :mrgreen:
Le problème reste à savoir où se situe la limite entre le normal et le pathologique. Dur dur, n'est-ce pas ?
De « démence précoce » à « folie », la schizophrénie fut appelée et considérée de différentes façons, mais toujours perçue comme étant anormale. Hallucinations, délire, paranoïa…etc., tant d’éléments issus directement de la « folie » telle qu’on la connaît. Mais qu’est-elle ? Et où se situe sa « limite » ?
En langage populaire, la folie désigne l’état d’une personne dont le discours et/ou le comportement ne semblent avoir aucun sens pour l’observateur. Actuellement, en psychiatrie, le terme « folie » recouvre plusieurs réalités et son emploi est abandonné au profit de termes plus spécifiques (paranoïa, catatonie, troubles divers…). Mais le simple fait d’agir de manière différente aux yeux de quelqu’un, ou de la société en général, suffit-il à être étiqueté comment étant « différent » ou « anormal » soi-même ? Au fond, la folie ne fait-elle pas, à toute petite dose, partie de chacun de nous ? Il n’est pas toujours évident de réussir à cerner la folie pathologique de manière certaine : les symptômes des schizophrénies hébéphréniques et résiduelles, par exemple, sont pour la plupart négatifs et difficilement différenciables d’un simple comportement asocial ou timide « non-pathologique ». C’est d’ailleurs pour cette raison que l’hébéphrénie est souvent confondue avec une crise d’adolescence, rendant le diagnostic moins évident.
A partir de quel moment ce diagnostique peut-il être posé ? Où se situe la frontière qui différencie le négativisme adolescent du négativisme pathologique, le retrait social de l’autisme, la rêverie de la folie, le normal de l’anormal ?
Il faudrait au préalable réussir à définir ces deux derniers concepts. Selon Daniel Widlöcher (psychanalyste et professeur de psychiatrie, président de l’International Psychoanalytical Association en 2001), juger d’un comportement en termes de normalité ou d’anormalité renvoie nécessairement à un jugement de norme. Mais la norme est une notion définie par la moyenne, elle n’est donc pas objective et aucune conclusion ne devrait en découler. De plus, classer en tant qu’ « anormal » tout ce qui subjectivement s’écarte de la norme, revient à dénoncer cet écart et faire preuve d’ostracisme envers celui-ci. Pour faire face à ce problème, Georges Canguilhem (philosophe et épistémologue français) propose de remplacer la notion de norme par celle de « normativité » : il considère que « ce n’est pas à la Science de juger du normal car c’est avant tout la vie qui en fait un concept de valeur ». Qui plus est, on ne peut pas se poser la question de normalité ou d’anormalité sans tenir compte de l’aspect socioculturel, pour cette raison, trois « normalité » différentes sont répertoriées en psychopathologie : la normalité comme norme sociale, la normalité comme idéal et la normalité comme absence de maladie. Seule la dernière est d’aspect scientifique et valable quelle que soit la culture.
Si l’on s’intéresse à la normalité comme norme sociale, on remarque qu’elle n’est pas absolue mais qu’elle est plutôt une variable plus ou moins différente selon les critères socioculturels. La normalité est un concept grandement lié à la culture et basé sur des statistiques sociales : elle se définit selon l’idée et le mouvement majoritaire puisqu’est normal ce qui est perçu comme tel par la majorité d’un groupe social, la normalité devient donc une sorte d’accord entre ce qui est bon ou pas, acceptable ou pas et par là normal ou anormal. Ainsi, quand la culture et les tendances changent, la définition de la normalité change également. Les symptômes de la schizophrénie (comportements paranoïdes, hallucinations…), par exemple, sont exploités dans certaines sociétés dites « primitives » qui pratiquent le shamanisme. La consommation de plantes hallucinogènes est même employée pour s’approcher de cet état de « folie » et la personne schizophrène, loin d’être rejetée, se retrouve facilement au centre de la hiérarchie, en tant que « guide spirituel » ou « shaman ». Ainsi, ce que nous définissons fou et par conséquent anormal, n’est pas considéré comme tel partout, et la folie (selon « notre » définition) peut parfois prendre un caractère divin et une importance qu’elle n’a pas dans notre société.
La normalité renvoie également à une interaction sociale, un concept personnel et défini selon un idéal, lui-même variable selon les précédents critères socioculturels. En quelques sortes, l’individu reçoit, par l’interaction avec les autres, une définition du concept de « normalité » : cependant, il contribue lui-même à créer et à modifier ce concept. Il semble même disposer d’une certaine marge de « liberté » le laissant créer sa propre normalité. Ce concept deviendra « sa » normalité idéale, qu’il essaiera de respecter. La normalité comme idéal peut donc être considérée comme une norme de valeurs et de morale, nous guidant sur ce qui nous semble être acceptable et valorisant autant socialement (puisqu’appuyée sur la norme sociale) qu’intérieurement (puisque nous cherchons chacun à correspondre à notre idéal).
Nous réalisons donc que ces deux concepts de normalité ne peuvent pas réellement répondre à notre question initiale, soit de savoir où se situe la limite entre le normal et le pathologique, puisqu’ils sont soit culturellement, soit individuellement variables. Seul un critère objectif pourrait réellement séparer le normal de l’anormal.
La normalité en tant qu’absence de maladie, quant à elle, est justement celle qui pourrait définir une frontière entre le pathologique et le sain (qu’il soit considéré normal ou anormal). Canguillem propose une fois de plus d’adopter le concept d’ « anomalie », définit par « ce qui se laisse voir en se dégageant de l’ensemble lisse et uni qui l’entoure ». De cette manière, l’anomalie devient quelque chose d’observable et d’anormal non plus uniquement par rapport à une norme sociale ou individuelle, mais également par rapport à l’individu lui-même, un caractère qui se dégagerait de l’ensemble de celui-ci. Il est néanmoins possible de tomber dans un cercle vicieux en se posant une fois de plus la question de la relativité des normes et de la subjectivité. C’est pourquoi il est essentiel d’adopter la définition suivante de la psychopathologie : « La psychopathologie peut être définie comme une approche visant une compréhension raisonnée de la souffrance psychique » (René Roussillon, Manuel de psychologie et psychopathologie clinique générale, 2007). Devient donc pathologique ce qui amène à une souffrance psychique.