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Salut salut.
Ce qui suit est le partage de ma réflexion au sujet de la prise en compte d’une variable pouvant avoir son importance dans notre calcul du ratio bénéfice/risques lorsque nous sommes amenés à faire, par exemple, des choix de consommation: l’impact potentiel de nos prises de risques sur notre entourage.
Certainement que ce que j’en ai tiré paraîtra évident pour une bonne partie d’entre vous. J’ai été amenée à réfléchir à la question suite à un évènement particulier, mais ce n’est pas pour autant que je n’avais pas conscience du fait qu’une consommation problématique pour l’usager pouvait l’être pour son entourage ou que je n’ai jamais régulé ma consommation par peur de nuire à ceux qui m’aiment. Simplement j’ai eu l’occasion de me rendre compte que je faisais pas mal l’autruche sur la question et que je ne l’abordais pas de la bonne manière. Alors je suppose que pour ceux qui savent être honnêtes avec eux-même, pour ceux réussissent mieux que moi à percevoir la réalité des risques auxquels ils pourraient s’exposer avant même de se sentir concernés par ces risques, cet étalage de vie et de remises en questions n’aura pas beaucoup d’utilité. Certainement que ça sera également inutile à ceux qui se foutent des risques qu’ils prennent ou qui sont persuadés de tout contrôler. Mais je me dis qu’il y a sûrement des personnes qui, comme moi, se demandent régulièrement si leur consommation est l’application de leurs convictions, s’ils n’oublient pas des paramètres dans leurs calculs, s’ils ne sont pas en train de minimiser les risques et d’accorder trop d’importance aux bénéfices pour se rassurer et éviter de devoir se remettre en question/réguler leur consommation. Et puis quelque part j’ai besoin de partager tout ce bordel, pour lui donner une réalité, laisser une trace (je l’offre à qui en veut ), ne pas pouvoir totalement le nier lorsque j’aurais envie de faire un peu de la merde et que tout ça aura perdu de son importance dans mes préoccupations quotidiennes. Je voulais vous parler de ça il y a déjà un mois, et puis je n’ai pas eu le temps, pas osé, et déjà je sens bien que je commence à me dire que “boarf, ça n’en vaut pas vraiment la peine”.
Je m’excuse par avance de la longueur de ce post et des nombreuses digressions qu’il risque de comporter: je ne sais pas faire court, et c’est plus ou moins la transcription de mes pensées, donc c’est le bordel. Promis, un jour quand je voudrais partager quelque chose j’essaierai d’abord d’en faire la synthèse
Pour commencer, je vais essayer de vous résumer vite fait quels sont les paramètres principaux qui conditionnent mes prises de décision en terme de drogues et mes habitudes de consommation, et quelles sont les éventuels biais que je percevais dans ce calcul, même lorsque j’essayais de le faire en toute “honnêteté”.
Primo, quand j’ai l’occasion de prendre une drogue, je fais un tri primaire en évaluant si ses effets et sa durée peuvent me plaire, si les conditions me permettront d’en profiter, si j’ai les ressources nécessaires pour gérer les effets secondaires, et je cherche un minimum de retours sur la drogue en question pour vérifier que je ne prends pas de risques immédiats importants. Je me demande également si j’estime que ces effets/ce dosage/cette roa me permettront de ne pas (trop) impliquer mon entourage (exemples: je n’aime pas trop perdre le contrôle en situation sociale, donc je vais éviter les grosses prises de psyche quand on est 10 dans un appart; ma famille ne sait pas que je consomme, donc je ne vais pas prendre le risque d’être en descente de MD à un repas de famille.)
Lorsque ces paramètres sont validés, j’inscris cette prise de drogue dans ma “trajectoire de consommation” et j’évalue les risques quant à ma fréquence de consommation, les raisons motivant la prise de drogue, et j’essaye d’estimer à quels risques à moyen ou long terme je m’expose de part ces habitudes de consommation. Si j’estime que les bénéfices sont plus importants que les risques, ou si je suis prête à en baver pour rattraper le coup en cas de problème (tolérance/dépendance, troubles de l’humeur ou du sommeil, éventuels soucis de santé, …, je me drogue. En gros si je me drogue pour des raisons “saines”, je ne m’expose qu’à ce que je perçois comme étant un minimum de risques durant un minium de temps, et quand je me drogue dans un but plus ou moins auto-destructeur j’accepte de m’exposer à des difficultés que j’imagine pouvoir assumer seule.
Je prenais déjà en compte l’éventuel impact de mes prises de risques sur mon entourage, et l’influence de mon entourage sur mes consommations. Si je me renseigne sur les combos hasardeux c’est pas seulement pour ma santé, c’est aussi pour éviter que mes potes n’aient à appeler le samu. Si je fais en sorte d’éviter la dépendance, c’est pour continuer à profiter des drogues mais aussi pour que mon entourage n’aie pas à s'inquiéter. Si je n’ai pas encore parlé à ma mère de mon affinité pour la drogue c’est pour qu’elle ne s’inquiète pas “pour rien”, mais également parce que ça me sert de garde fou et parce que je SAIS que je n’estime déjà pas moi-même ma consommation comme étant raisonnable, qu’elle ne s’inquiéterait pas à tort.
Mon inconscient m’a déjà souvent titillé avec ça d’ailleurs, je ne compte plus le nombre de trips où je me voyais morte, où je me disais que ma mère allait l’apprendre comme ça, où j’étais totalement convaincue de l’importance d’adapter ma consommation afin de pouvoir lui en parler et la rassurer sans avoir l’impression de lui cacher quelque chose.
Mais y a une putain de faille, même lorsque j’ai l’impression d’être raisonnable. Y en a même plein. La principale, c’est qu’à mon âge les arguments “santé” n’ont pas beaucoup de réalité pour moi. La mort, la maladie, la dégradation physique, c’est loin. Alors évidemment que j’essaye d’éviter ce qui me semble dangereux, mais pour tous les risques liés à la santé sur le long terme je ne peux pas m’imaginer ce que ce sera, et donc l’importance que j’accorde à ces risques est moindre que, par exemple, ceux liés à la dépendance, à la vie sociale ou aux capacités cognitives.
C’est un peu comme le moment où, gamin, vous êtes passé du stade où vous saviez que vous allez mourir, et celui où vous avez réalisé ce que ça voulait vraiment dire et ce que ça impliquait. Ben là je sais bien qu’en théorie je pourrais en baver dans 10, 20 ou 40 ans, mais c’est une éternité, ça n’arrivera jamais, la moi d’aujourd’hui ne peut pas totalement faire preuve d’empathie pour la moi de demain.
Et puis une autre faille tiens, puisque j’y pense, mais ce ne sont pas les seules. A force de me renseigner, de tout calculer, j’oublie vite (ou je fais exprès d’oublier) la variable “roulette russe”. Je ne prends que peu en compte que même si ça s’est bien passé jusque là, même si c’est passé pour plein d’autres, je peux être amenée à faire face à des conséquences imprévues et bien plus importantes que celles que j’avais estimées. J’oublie vite que mon calcul se base sur des estimations, justement.
Mais bon, même si j’avais conscience de ces limites, j’avais pas vraiment envie de les considérer et je pariais sur le fait que tout se passerait bien. Et puis au pire, si je fais de la merde de ma vie, ou si je meurs, bah tant pis je l’aurais un peu cherché.
Et puis, il y a un peu moins d’un mois est arrivé l'évènement dont j’ai parlé.
Le meilleur ami de mon petit frère est mort. Il avait 15 ans à peine, c’était le gamin que tous les parents rêveraient d’avoir, et il est mort, comme ça. Quand ma mère m’a prévenue, j’ai pas mal pleuré face aux sentiments d’injustice et d’impuissance que je ressentais. Mon frère, mon tout petit frère, un de ceux que je voudrais protéger de toutes les souffrances du monde, devait faire face à l’insuportable, l’absurde et l'inimaginable perte de son meilleur ami. Et je n’y pouvais rien, je n’avais aucun contrôle sur ce genre d’évenements.
J’ai toujours eu un rapport assez ambigu avec le contrôle. C’est le genre de problématique qui m’angoisse vite, à laquelle je pense quand j’ai le temps, et que j’essaye de cacher dans un recoin de mon cerveau le plus souvent. Là j’avais le choix: soit je refusais d’être mise face à cette problématique et je fuyais par tous les moyens possibles jusqu’à y être confrontée de force, soit je me cachais sous ma couette en pleurant d’angoisse et de désespoir en attendant d’avoir oublié tout ça et je refusais donc de soutenir mon petit frère, soit j’acceptais de ne pas pouvoir contrôler certaines choses, j’acceptais avoir de l’emprise sur d’autres choses, et j’acceptais de réfléchir à tout ce bordel en allant essayer de soutenir mon frangin. La mort de son pote m’a bien entendu confrontée à d’autres sources d’angoisse (mon incapacité à préserver ceux que j’aime de la souffrance, l’absurdité/l’injustice de la vie, le risque de perdre à tout moment des personnes qui me semblent indispensables, le risque de perdre quelqu’un avec qui j’aurais voulu partager plus ou mieux, la difficulté à voir mon entourage souffrir sans que je ne puisse les aider d’un coup de baguette magique, …, mais je pense qu’il n’y a vraiment que cette angoisse face à mon impossibilité de contrôler tous les risques de la vie qui a sa place ici.
Parce que j’ai réalisé pleinement, tout d’abord, que je prenais moi-même des risques qui pouvaient impliquer et faire souffrir mon entourage. Que je n’avais aucune emprise sur la mort de ce gamin, mais que j’avais le pouvoir de réduire le risque d’être une source de souffrance. J’ai rapidement compris la nécessité que j’avais de remettre mon échelle de risques à jour, parce qu’elle se basait sur des postulats qui sont faux et que je ne voulais surtout pas être à l’origine d’une pareille souffrance.
Je suis partie du principe que les risques que je prends n’auront d’impact que sur ma vie à moi et que les retombées seront toujours contrôlables: c’est idiot. Je peux contrôler les risques potentiels que je prends, pas les conséquences effectives.
Je suis partie du principe que je n’impliquais pas mon entourage dans ma prise de drogue, alors même que je m’autorise parfois à tester mes limites parce que je me sais entourée, alors même que je sais que certaines personnes me servent de régulateur parce que je n’ai pas envie de me réguler pour moi-même. J’imagine ne pas impliquer les gens que j’aime mais je sais que je peux compter sur eux pour m'empêcher de faire de la merde ou pour me relever quand j’en bave. C’est un paradoxe, un mensonge rassurant.
Et tous ces mensonges à moi-même ont un impact sur l’ensemble de ma vie, sur l’estime que j’ai de moi, et indirectement ils me donnent une raison de plus d’avoir envie, parfois, de fuir celle que je suis (en me droguant par exemple, et hop, on a un beau début de cercle vicieux ). Et je suis convaincue que si je ne me sens pas capable d’être honnête avec mon entourage vis à vis de ma consommation, c’est bien que je ne le suis pas avec moi-même. Bref, un ensemble de réflexions m’ont amenée à conclure deux choses qui pourraient me permettre de prendre soin de ceux qui m’aiment, mais aussi d’avoir une consommation un peu plus réfléchie:
- Je me dois d’apprendre, seule, à adopter un comportement qui soit l’application de mes convictions dans la mesure du possible: ne pas nier les risques, ne pas surévaluer les bénéfices, arrêter de me rassurer avec de faux arguments tout en comptant sur la nécessité de faire “bonne figure” pour ne pas tomber dans l’abus. En fait, faire attention à moi dans l’optique de faire attention aux autres;
- Je dois me demander si je suis prête à prendre la responsabilité de la souffrance de mon entourage inhérente à certaines conséquences de mes prises de risques, et ce en prenant en compte l’aspect imprévisibilité/roulette russe de la drogue.
J’aurais pu ajouter une autre question, à savoir “est-ce que le bénéfice que je retire de ma consommation est supérieur à la souffrance qu’elle pourrait générer ?”, mais je pense qu’il est bien trop difficile de répondre à cette dernière.
Clairement, à ce jour, lorsque je me demande si je suis prête à assumer les risques que je fais prendre aux autres, ma réponse est non. Parce que les risques que j’accepte de me faire prendre ne sont pas ceux que j’accepte de leur faire prendre. Parce qu’avoir un cancer dans 20 ans ne veut pas dire grand chose pour moi, par contre imaginer la souffrance de mon entourage si ça arrivait ça a bien plus de réalité, et je sais que ça me serait insupportable d’avoir à assumer ça. Parce que lorsque je ressens les premiers signes de dépendance je peux très bien me dire que ça ne me dérange pas d’en baver, par contre imaginer que je puisse être la source du même sentiment d’impuissance que j’ai pu ressentir me dérange bien plus.
Bien sûr, toutes ces remises en questions n’ont pas amené un changement radical dans mes habitudes, tout comme j’imagine bien qu’elles n’en entraîneront pas dans les vôtres. Simplement elles m’ont permis de prendre conscience du déséquilibre qu’il y avait entre ma consommation effective et ce que je considère comme ce qui serait une consommation raisonnable. En gros, je fais de la merde mais je le sais. Elles s’inscrivent dans un ensemble de remises en questions bien plus larges, qui à terme finissent par me faire évoluer, tant sur le plan de la drogue que sur le plan de ma vie en général. C’est une piste de réflexion, un constat, qui ne pourra que m’aider à être un peu plus en accord avec moi-même, finalement.
Si jamais tout ce bordel peut servir de la même façon ne serait-ce qu’à une personne, alors tant mieux.
Ce qui suit est le partage de ma réflexion au sujet de la prise en compte d’une variable pouvant avoir son importance dans notre calcul du ratio bénéfice/risques lorsque nous sommes amenés à faire, par exemple, des choix de consommation: l’impact potentiel de nos prises de risques sur notre entourage.
Certainement que ce que j’en ai tiré paraîtra évident pour une bonne partie d’entre vous. J’ai été amenée à réfléchir à la question suite à un évènement particulier, mais ce n’est pas pour autant que je n’avais pas conscience du fait qu’une consommation problématique pour l’usager pouvait l’être pour son entourage ou que je n’ai jamais régulé ma consommation par peur de nuire à ceux qui m’aiment. Simplement j’ai eu l’occasion de me rendre compte que je faisais pas mal l’autruche sur la question et que je ne l’abordais pas de la bonne manière. Alors je suppose que pour ceux qui savent être honnêtes avec eux-même, pour ceux réussissent mieux que moi à percevoir la réalité des risques auxquels ils pourraient s’exposer avant même de se sentir concernés par ces risques, cet étalage de vie et de remises en questions n’aura pas beaucoup d’utilité. Certainement que ça sera également inutile à ceux qui se foutent des risques qu’ils prennent ou qui sont persuadés de tout contrôler. Mais je me dis qu’il y a sûrement des personnes qui, comme moi, se demandent régulièrement si leur consommation est l’application de leurs convictions, s’ils n’oublient pas des paramètres dans leurs calculs, s’ils ne sont pas en train de minimiser les risques et d’accorder trop d’importance aux bénéfices pour se rassurer et éviter de devoir se remettre en question/réguler leur consommation. Et puis quelque part j’ai besoin de partager tout ce bordel, pour lui donner une réalité, laisser une trace (je l’offre à qui en veut ), ne pas pouvoir totalement le nier lorsque j’aurais envie de faire un peu de la merde et que tout ça aura perdu de son importance dans mes préoccupations quotidiennes. Je voulais vous parler de ça il y a déjà un mois, et puis je n’ai pas eu le temps, pas osé, et déjà je sens bien que je commence à me dire que “boarf, ça n’en vaut pas vraiment la peine”.
Je m’excuse par avance de la longueur de ce post et des nombreuses digressions qu’il risque de comporter: je ne sais pas faire court, et c’est plus ou moins la transcription de mes pensées, donc c’est le bordel. Promis, un jour quand je voudrais partager quelque chose j’essaierai d’abord d’en faire la synthèse
Pour commencer, je vais essayer de vous résumer vite fait quels sont les paramètres principaux qui conditionnent mes prises de décision en terme de drogues et mes habitudes de consommation, et quelles sont les éventuels biais que je percevais dans ce calcul, même lorsque j’essayais de le faire en toute “honnêteté”.
Primo, quand j’ai l’occasion de prendre une drogue, je fais un tri primaire en évaluant si ses effets et sa durée peuvent me plaire, si les conditions me permettront d’en profiter, si j’ai les ressources nécessaires pour gérer les effets secondaires, et je cherche un minimum de retours sur la drogue en question pour vérifier que je ne prends pas de risques immédiats importants. Je me demande également si j’estime que ces effets/ce dosage/cette roa me permettront de ne pas (trop) impliquer mon entourage (exemples: je n’aime pas trop perdre le contrôle en situation sociale, donc je vais éviter les grosses prises de psyche quand on est 10 dans un appart; ma famille ne sait pas que je consomme, donc je ne vais pas prendre le risque d’être en descente de MD à un repas de famille.)
Lorsque ces paramètres sont validés, j’inscris cette prise de drogue dans ma “trajectoire de consommation” et j’évalue les risques quant à ma fréquence de consommation, les raisons motivant la prise de drogue, et j’essaye d’estimer à quels risques à moyen ou long terme je m’expose de part ces habitudes de consommation. Si j’estime que les bénéfices sont plus importants que les risques, ou si je suis prête à en baver pour rattraper le coup en cas de problème (tolérance/dépendance, troubles de l’humeur ou du sommeil, éventuels soucis de santé, …, je me drogue. En gros si je me drogue pour des raisons “saines”, je ne m’expose qu’à ce que je perçois comme étant un minimum de risques durant un minium de temps, et quand je me drogue dans un but plus ou moins auto-destructeur j’accepte de m’exposer à des difficultés que j’imagine pouvoir assumer seule.
Je prenais déjà en compte l’éventuel impact de mes prises de risques sur mon entourage, et l’influence de mon entourage sur mes consommations. Si je me renseigne sur les combos hasardeux c’est pas seulement pour ma santé, c’est aussi pour éviter que mes potes n’aient à appeler le samu. Si je fais en sorte d’éviter la dépendance, c’est pour continuer à profiter des drogues mais aussi pour que mon entourage n’aie pas à s'inquiéter. Si je n’ai pas encore parlé à ma mère de mon affinité pour la drogue c’est pour qu’elle ne s’inquiète pas “pour rien”, mais également parce que ça me sert de garde fou et parce que je SAIS que je n’estime déjà pas moi-même ma consommation comme étant raisonnable, qu’elle ne s’inquiéterait pas à tort.
Mon inconscient m’a déjà souvent titillé avec ça d’ailleurs, je ne compte plus le nombre de trips où je me voyais morte, où je me disais que ma mère allait l’apprendre comme ça, où j’étais totalement convaincue de l’importance d’adapter ma consommation afin de pouvoir lui en parler et la rassurer sans avoir l’impression de lui cacher quelque chose.
Mais y a une putain de faille, même lorsque j’ai l’impression d’être raisonnable. Y en a même plein. La principale, c’est qu’à mon âge les arguments “santé” n’ont pas beaucoup de réalité pour moi. La mort, la maladie, la dégradation physique, c’est loin. Alors évidemment que j’essaye d’éviter ce qui me semble dangereux, mais pour tous les risques liés à la santé sur le long terme je ne peux pas m’imaginer ce que ce sera, et donc l’importance que j’accorde à ces risques est moindre que, par exemple, ceux liés à la dépendance, à la vie sociale ou aux capacités cognitives.
C’est un peu comme le moment où, gamin, vous êtes passé du stade où vous saviez que vous allez mourir, et celui où vous avez réalisé ce que ça voulait vraiment dire et ce que ça impliquait. Ben là je sais bien qu’en théorie je pourrais en baver dans 10, 20 ou 40 ans, mais c’est une éternité, ça n’arrivera jamais, la moi d’aujourd’hui ne peut pas totalement faire preuve d’empathie pour la moi de demain.
Et puis une autre faille tiens, puisque j’y pense, mais ce ne sont pas les seules. A force de me renseigner, de tout calculer, j’oublie vite (ou je fais exprès d’oublier) la variable “roulette russe”. Je ne prends que peu en compte que même si ça s’est bien passé jusque là, même si c’est passé pour plein d’autres, je peux être amenée à faire face à des conséquences imprévues et bien plus importantes que celles que j’avais estimées. J’oublie vite que mon calcul se base sur des estimations, justement.
Mais bon, même si j’avais conscience de ces limites, j’avais pas vraiment envie de les considérer et je pariais sur le fait que tout se passerait bien. Et puis au pire, si je fais de la merde de ma vie, ou si je meurs, bah tant pis je l’aurais un peu cherché.
Et puis, il y a un peu moins d’un mois est arrivé l'évènement dont j’ai parlé.
Le meilleur ami de mon petit frère est mort. Il avait 15 ans à peine, c’était le gamin que tous les parents rêveraient d’avoir, et il est mort, comme ça. Quand ma mère m’a prévenue, j’ai pas mal pleuré face aux sentiments d’injustice et d’impuissance que je ressentais. Mon frère, mon tout petit frère, un de ceux que je voudrais protéger de toutes les souffrances du monde, devait faire face à l’insuportable, l’absurde et l'inimaginable perte de son meilleur ami. Et je n’y pouvais rien, je n’avais aucun contrôle sur ce genre d’évenements.
J’ai toujours eu un rapport assez ambigu avec le contrôle. C’est le genre de problématique qui m’angoisse vite, à laquelle je pense quand j’ai le temps, et que j’essaye de cacher dans un recoin de mon cerveau le plus souvent. Là j’avais le choix: soit je refusais d’être mise face à cette problématique et je fuyais par tous les moyens possibles jusqu’à y être confrontée de force, soit je me cachais sous ma couette en pleurant d’angoisse et de désespoir en attendant d’avoir oublié tout ça et je refusais donc de soutenir mon petit frère, soit j’acceptais de ne pas pouvoir contrôler certaines choses, j’acceptais avoir de l’emprise sur d’autres choses, et j’acceptais de réfléchir à tout ce bordel en allant essayer de soutenir mon frangin. La mort de son pote m’a bien entendu confrontée à d’autres sources d’angoisse (mon incapacité à préserver ceux que j’aime de la souffrance, l’absurdité/l’injustice de la vie, le risque de perdre à tout moment des personnes qui me semblent indispensables, le risque de perdre quelqu’un avec qui j’aurais voulu partager plus ou mieux, la difficulté à voir mon entourage souffrir sans que je ne puisse les aider d’un coup de baguette magique, …, mais je pense qu’il n’y a vraiment que cette angoisse face à mon impossibilité de contrôler tous les risques de la vie qui a sa place ici.
Parce que j’ai réalisé pleinement, tout d’abord, que je prenais moi-même des risques qui pouvaient impliquer et faire souffrir mon entourage. Que je n’avais aucune emprise sur la mort de ce gamin, mais que j’avais le pouvoir de réduire le risque d’être une source de souffrance. J’ai rapidement compris la nécessité que j’avais de remettre mon échelle de risques à jour, parce qu’elle se basait sur des postulats qui sont faux et que je ne voulais surtout pas être à l’origine d’une pareille souffrance.
Je suis partie du principe que les risques que je prends n’auront d’impact que sur ma vie à moi et que les retombées seront toujours contrôlables: c’est idiot. Je peux contrôler les risques potentiels que je prends, pas les conséquences effectives.
Je suis partie du principe que je n’impliquais pas mon entourage dans ma prise de drogue, alors même que je m’autorise parfois à tester mes limites parce que je me sais entourée, alors même que je sais que certaines personnes me servent de régulateur parce que je n’ai pas envie de me réguler pour moi-même. J’imagine ne pas impliquer les gens que j’aime mais je sais que je peux compter sur eux pour m'empêcher de faire de la merde ou pour me relever quand j’en bave. C’est un paradoxe, un mensonge rassurant.
Et tous ces mensonges à moi-même ont un impact sur l’ensemble de ma vie, sur l’estime que j’ai de moi, et indirectement ils me donnent une raison de plus d’avoir envie, parfois, de fuir celle que je suis (en me droguant par exemple, et hop, on a un beau début de cercle vicieux ). Et je suis convaincue que si je ne me sens pas capable d’être honnête avec mon entourage vis à vis de ma consommation, c’est bien que je ne le suis pas avec moi-même. Bref, un ensemble de réflexions m’ont amenée à conclure deux choses qui pourraient me permettre de prendre soin de ceux qui m’aiment, mais aussi d’avoir une consommation un peu plus réfléchie:
- Je me dois d’apprendre, seule, à adopter un comportement qui soit l’application de mes convictions dans la mesure du possible: ne pas nier les risques, ne pas surévaluer les bénéfices, arrêter de me rassurer avec de faux arguments tout en comptant sur la nécessité de faire “bonne figure” pour ne pas tomber dans l’abus. En fait, faire attention à moi dans l’optique de faire attention aux autres;
- Je dois me demander si je suis prête à prendre la responsabilité de la souffrance de mon entourage inhérente à certaines conséquences de mes prises de risques, et ce en prenant en compte l’aspect imprévisibilité/roulette russe de la drogue.
J’aurais pu ajouter une autre question, à savoir “est-ce que le bénéfice que je retire de ma consommation est supérieur à la souffrance qu’elle pourrait générer ?”, mais je pense qu’il est bien trop difficile de répondre à cette dernière.
Clairement, à ce jour, lorsque je me demande si je suis prête à assumer les risques que je fais prendre aux autres, ma réponse est non. Parce que les risques que j’accepte de me faire prendre ne sont pas ceux que j’accepte de leur faire prendre. Parce qu’avoir un cancer dans 20 ans ne veut pas dire grand chose pour moi, par contre imaginer la souffrance de mon entourage si ça arrivait ça a bien plus de réalité, et je sais que ça me serait insupportable d’avoir à assumer ça. Parce que lorsque je ressens les premiers signes de dépendance je peux très bien me dire que ça ne me dérange pas d’en baver, par contre imaginer que je puisse être la source du même sentiment d’impuissance que j’ai pu ressentir me dérange bien plus.
Bien sûr, toutes ces remises en questions n’ont pas amené un changement radical dans mes habitudes, tout comme j’imagine bien qu’elles n’en entraîneront pas dans les vôtres. Simplement elles m’ont permis de prendre conscience du déséquilibre qu’il y avait entre ma consommation effective et ce que je considère comme ce qui serait une consommation raisonnable. En gros, je fais de la merde mais je le sais. Elles s’inscrivent dans un ensemble de remises en questions bien plus larges, qui à terme finissent par me faire évoluer, tant sur le plan de la drogue que sur le plan de ma vie en général. C’est une piste de réflexion, un constat, qui ne pourra que m’aider à être un peu plus en accord avec moi-même, finalement.
Si jamais tout ce bordel peut servir de la même façon ne serait-ce qu’à une personne, alors tant mieux.