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"Un recueil vraiment stupéfiant", comme je dis quelques fois. Dans l'ordre : des phénés, des tryptas/acides lysergiques, des dissos, de la Salvia, de la MD, des cannabinoïdes, et de l'alcool. Et, à cela, des expériences drug-free que j'y rattache : le combat, la maladie, le rêve, la méditation, l'amour, la rando/cataphilie et la religion.
Je suppose que... bah, qu'au final je suis plus content d'être lu par des personnes qui ne me connaissent pas et n'ont pas forcément les mêmes conceptions artistiques que moi, mais partagent un vécu peut-être plus profond.
http://www.mediafire.com/view/2q3jrcqy8u3bg2p/Tristes_Psychotropiques_09-02-14.pdf pour une version pdf mise à jour le 23/02/14 (donc presquepresque finie) avec des notes en bas de page, des morceaux, des illustrations trop cool et des filles à poil.
I- J'ERGOTAI
1)*Gravé dans un cénotaphe
2) Morrígan
II - VIN ORPHELIN
1) Le ciel tombe sur la Galatie
2) Gare au septentrion !
3) Spaceraum
4) Ornemensonges
5) An dro Breizh
6) Le destrier du maître
7) Wurte runoR heldaR / Bractéate de Tjurkö
III - LA SAUGE DES DEVINS
1) Aube pourpre
2) Chemise d'ours
3) Les mains de Ba'al
4) Fin d'été
5) Un œil grand fermé
6) Le cinquième postulat d'Euclide
7) Fusion
IV - EXTASES
1) Sépulcre
2) A travers un trou de serrure
3) Éphémère
4) Laudes
5) Soñj un noz hañv / Songe d'une soirée d'automne
V - QUADRUPLE EAU DE CHANVRE
1) Retour en avant
2) Fuite vers la source
3) Bout du monde
4) Cosmétropolite
5) Illusions
6) La noire lune des mes nuits blanches
7) Balade étrange
8) Nach Wahlhalle
VI - APOLLON ET DIONYSOS
1) Weine !
2) Wie man mit dem Wandern philosophiert / Équinoxe d'été
3) Vile
4) Invictvs
5) Sommernatt
6) Gilbhart
7) ALU
8) Am Rande der Wörter
9) Belenos
- I - J'ERGOTAI
1) Gravé dans un cénotaphe
Car je n'entends ma poitrine battre
Que dans le vide, les lentes mers
Dont le silence a l'odeur douceâtre
De la poussière et le froid d'un âtre,
Ou les ténèbres aux sons amers.
2) Morrígan
Elle avait sur mes yeux déroulé tout un pan
De sa robe de jais à nulle autre pareille,
Et sa voix cristalline emplissait mes oreilles
En planant dans l'air noir sans un souffle de vent.
Je sentis approcher, ô divine merveille,
Entre moi et le ciel, un nuage - vol lent
D'innombrables corbeaux sans arrêt croassant,
Qui d'un œil trop humain le silence surveillent.
- II - VIN ORPHELIN
1) Le ciel tombe sur la Galatie
Dans la steppe oubliée, quelque part en Asie,
L'horizon mordoré fut fiché sur sa pique.
Il nageait sous les cieux la lueur évanouie
D'une lune à la forme intrigante et mystique
Au travers de laquelle on sentait scintiller
Des étoiles chromées et des souffles d'éther,
Où les signes secrets semblaient croître et rouiller,
Ignorants du grand vide où régnait cette terre,
Quand d'équins corvidés et des anges sans nom
Se saisirent de moi dans leurs ailes lugubres,
Et plongèrent vers l'astre envoûtant et sans fond
Dont la brume démente en mon âme insalubre
Écrivait pour toujours ses odeurs inouïes,
À jamais délivrées de l'espace et du temps
Par un mur où frappait chaque vague de nuit.
Quel étrange présage, existences d'antan*!
2) Gare au septentrion !
C'est la Gare du Nord à sept heures du soir,
Qui m'ignore et me fixe avec vingt effigies
Tout de marbres jaunis et de mornes regards.
Doucement, je lui dis : "Dédaigneuse vigie,
Ne vois-tu donc jamais, sous tes vains sept pilastres,
La résine et la poudre, et les sommes d'argent
Qui transitent sans cesse en-dessous de chaque astre,
A l'insu de tes yeux et des chiens des agents ?"
Et j'écris tous ces vers sur la blanche notice
D'un sirop pour la toux, qui me fait voyager
Bien plus loin que les trains de la vieille bâtisse,
Dont la face souillée finissait son chantier.
3) Spaceraum
Dans l'espace, un éclat orangé terrifiant,
Sur la mer volatile, un éther de chamane,
Et autour... le grand vide ; à l'endroit, à l'instant
Où le sage et le fou lentement se pavanent.
Cet éclat orangé, oppressant et mortel,
Scintillait en la nuit comme un phare funeste
Ou l'étendard d'un chevalier venu de l'est,
Qui vrille sous mon crâne, au fond de mes prunelles,
Et le plomb noir qui coule à travers mon cerveau
Me glace et me fait fondre au milieu de la pièce...
Mais je frappe où je tombe, et partout mon caveau
Résonne, dure, et réfléchit la morne messe.
4) Ornemensonges
Au fond d'une grotte aux parois de pierre rare
Se tenait un dieu, qui en silence dansait.
Le parfum de ses yeux clos, flûtiau de curare,
Me transperça en plein vol le glacial abcès
Qui saigne et purule encore un peu ce matin,
Caressant la source en or bleu plein d'amertume,
Répondant au soleil grave, à la lune vin,
Sous les branchages osseux d'un rêve qui fume.
5) An dro Breizh
Sous de longs rayons de merveille
Coulait la pluie, dans la forêt
Que bordait un profond marais,
Et ses cheveux, joyaux d'abeille,
Autour des branchages osseux
Se prélassaient en serpents pâles
Dont la peau semblable aux râles
Avait l'odeur d'un jeune feu*;
Quand le vent suprême et mon âme
Soudain se lèvent ; par leur doigt,
Fol éclair, forgent l'argent froid
D'un anneau cher comme une femme.
6) Le destrier du maître
Et, à demi consumée,
La douce mélancolie
De ce mois crépusculaire,
Dans mon esprit embrumé
Se coagulait d'oubli
Tout en me murmurant*: «*Erre...*»
7) Wurte runoR heldaR
Walvater
Wanderer
Windreiter
Wildjager
Willbruder
Weihbruder
Weitvater
Weitfahrer
Wutgeber
Wotanheil
7) Bractéate de Tjurkö
Salut à toi, Odin*!
Tu voyages au loin,
Erres dans toutes places,
Enfantas l'espace,
Es frère du sacré
Et de la volonté.
Toi qui m'offres ta rage
Et qui chasse, sauvage,
Chevauchant sur les vents,
Prend mon esprit mourant*!
- III - LA SAUGE DES DEVINS
1) Aube pourpre
Comme la feuille pour pousser
De verte sève est irriguée,
Que la jeune herbe du printemps
Soit abreuvée par notre sang !
La mélodie des doux ramages
S'accorde au rythme des ravages.
2) Chemise d'ours
À en juger par son regard, j'étais un dieu -
J'avais brillant dans mon iris la pure essence
De la douleur, de la fureur et du grand feu,
Car j'incarnais la volonté de la Puissance :
«*Je n'ai peur ni du froid, ni du sang, ni des gueux.
Marcher seul ? Sans regrets, mais vers là où je veux.
Ne renie rien,
Transcende tout,
Et point ne crains
De sembler fou.*»
3) Les mains de Ba'al
Dans les plaines lacrymales
De mes rêves nietzschéens
Jaillissait la plaie thermale
D'un soleil adamantin.
4) Fin d'été
Comme le jour nait de la nuit
Et l'avenir sort du passé,
Et que la mort, avant la vie,
Serpente en bas pour nous hisser,
Nous n'apprendrons plus jamais rien.
Nous ne serons que souvenirs
De ce qui part, de ce qui vient,
Du grand royaume des soupirs...
5) Un œil grand fermé
Quel étrange royaume, où des rois étrangers
Changent de transe, et pensent, et voient l'aube sans foi !
Quand, dérangés, ils rangent l'eau de par leur voix,
Leurs boyaux, beaux parleurs, la pleurent, saccagés,
Et la sauge sacrée en prend peur, acre et rance,
Mais dans son sang, le miel rapide hume le cyan,
Glacial, et si sucré que l'hôte rend l'offense,
Devient temple marin, si l'augure des vents
Daigne soudain, âme et préscience, y présider,
Sous le pré de diamant et de cuivres sanglants
Dont les bois capiteux aux couleurs faisandées
Masquaient le musc obscène et ses graves relents.
6) Le cinquième postulat d'Euclide
Mais d'un seul coup, le Temps, plein de rage et d'effroi,
De sa mâchoire atroce estropie les longueurs*;
Il démembre l'espace et crucifie ses lois,
Se pend dans un cri noir d'harmonique malheur,
Loin des sommets dont l'encensoir brûlait mon corps.
Soudain, par un grave fracas de vert-de-gris,
La serrure écorchée du portail aux yeux d'or
S'ouvre à tous les vents froids... Rauque charivari,
Et sous le ciel, bien au-dessus des bleus nuages,
Voyagea l'océan, où pensaient mille danses.
Au milieu d'un duvet de cent feuilles sans âge
Je flottais, lumineux, loin du flou des passages
Aux dimensions changeant souvent dès qu'on y pense,
Si l'acide de vie sanctifie son image.
7) Fusion
Embrassant tout le ciel de son large regard,
Pleurait un crocodile, impuissant face au piège
Qui fumait dans le froid de son coeur de lézard
Et scintillait d'orgueil sous le sang de la neige.
Rien n'était - ou si peu. La lune et le hasard
Se cachaient sur la brume et la bruine qu'allège
Un grand feu d'agonie plein de brandons hagards,
Quand l'oubli s'avança par un vaste manège.
Alors les arbres, en hurlant leurs cauchemars,
Exhalèrent de plein coeur d'immenses arpèges
Dont la saveur faisait l'orgueil de tous les arts,
Et la folle lune, consumant son cortège,
Grava la bruine et ses branchages faits de dards
Pour finir le trop vaste oubli des sortilèges.
Brûlez, brûlez, ô feuilles mortes !
Votre encens satisfait nos dieux
Et monte, courbe, vers les portes
Pour qui les impies n'ont pas d'yeux.
- IV - EXTASES
1) Sépulcre
Un jour de nuit noire, où le ciel était couvert,
La lune oubliée, et l'horizon plein d'hiver,
Un lourd voile opaque enserrait tout mon esprit,
L'emplissant partout de froid silence et de gris.
Je rôdais, emprisonné, garou prédateur,
Sourd, aveugle, et somnolent, sans pensée, sans cœur,
Dans un brouillard oppressant où rien n'était flou,
De raison pure et glacée - solitaire loup.
Soudain, j'aperçus, à travers mes yeux fermés,
Briller quelque chose, une lueur d'or chromé,
Éthéré, lointain ; et pourtant, plein de chaleur,
Irisant tout l'ombre où je marchais en ce soir.
D'où pouvait jaillir si fort ce flot de couleurs,
Éclairant chaque recoin de l'épais blizzard
Où des cristaux sans éclat masquaient aube et sud ?
Sans elles tout dans ma vie n'était que... prélude.
Courbé dans la nuit, pâle et seul, et trop hagard,
Levant mon esprit, ouvrant enfin mon regard,
Je reçus un ciel, ténébreux et enchanteur,
Sans nuage ou lune, en mes yeux clos - de stupeur.
L'horizon était empli d'azur constellé,
Son bleu sombre illuminé par un grand éther
Forgé d'étoile et d'argent, et d'ombre envolée,
Et d'eau glacée, et d'espoir, inondant la Terre.
La mer et le temps, emmêlés, tendaient leurs bras,
Tirant sur l'espace et sur l'instant de l'éveil,
Les faisant durer, pour toujours et au-delà
Des rayons divins du crépuscule, soleil
Sublimant la perfection d'un soir boréal
Où tu dis, me regardant d'une voix astrale,
Avec tes yeux scintillants cernés de dorée
Chevelure ocre-occident, embrasée : "Va, crée !"
La route était longue et tordue, et j'avançai
Avec désespoir, car tu restais loin devant ;
Te tournas enfin, quand fourbu, je délaçais
Mes rangers blanchies de neige obscure ou de vent,
Et à tes pieds, tu les mis, de moi les semblables,
Et alors que je peinais devant quatre arcanes,
Tu m'élevas d'un seul geste, alliée adorable,
En soutenant mon esprit et ma main diaphanes.
Retour au réel, au bitume humide et froid,
Pourtant, je persiste en ma chimère et ardeur,
Contre - tout - espoir, me rêvant comme un grand roi,
Attendant, en vain, quelque jolie folle heure,
Me tenant toujours en veille avec ton spectacle,
Ton regard, beau café d'or... à saveur amère
Quand j'aperçois cet argent, à - ton - annulaire
Saisir mon âme en ses doigts comme un sombre oracle.
Qu'importe, après tout, si l'espoir est enfin mort,
Je ne pourrai donc jamais vraiment qu'obéir
À ton ordre altier, - rester seul - et tout écrire
De mes pauvres vers, tout balbutiant, dans l'aurore
Née des yeux, qui d'un instant brisèrent mes ombres,
Dans le flot de tes cheveux, ton rire, tes lèvres,
Balayant - tout - de mon âme, abjecte, en décombres ;
Lavant mes mains ramenées au travail d'orfèvre.
Alors, pour finir, j'ai n'ai plus qu'à te souhaiter
De tout mon cœur tien, et la fortune et la joie,
Mais décide libre, et peu importe ta voie.
Ne te sens en rien sollicitée (achetée ! ),
Je ne veux dans ma douleur que dire un poème
Et merci, t'offrir - un peu - de l'art de mon âme
Grâce à toi seule vivante ; éteinte, sans flammes,
Et crépitant juste assez pour lâcher : "Je t'aime".
2) A travers un trou de serrure
Au sein des longs couloirs d'un vieux sanctuaire
Scintillait la lune et sa lueur trop pâle ;
Quand, seul, les yeux fermés parmi les anciens,
J'aperçus briller, dans l'atmosphère amère,
Le feu d'une bougie - clarté sans égale.
Soudain, elle partit - d'un pas cavalier -
Dans son monde à part où deux-cent-deux statues,
Visages émouvants moulés sur le sien,
Se faisaient l'écho de notre voix mêlée,
Et Elle devint Tu ; je t'ai, là, connue.
Enfin survint le jour, trainé par son astre
(Tu menais les deux), où toute emplie de vie,
Tu fus face à mes yeux, toujours grande louve,
Sous ses rais dorés - pour mon bonheur ? Désastre ? -
Encore plus jolie de corps que d'esprit.
Et nulle, à les compter depuis ces trois heures,
N'a jamais chassé ton trône d'os et d'art*:
Neuf mois se sont passés, toujours je ne trouve,
En pensant à "Femme", au plus profond du cœur,
Que toi, et tes reflets marquant ma mémoire.
3) Éphémère
Tout se casse,
Tout passe,
Tout s'efface
Sans trace :
Bavardages
Des sages,
Folles rages,
Visages
Des gisants...
Les ans,
Les serments
D'amants,
Rien ne reste
Ni leste.
D'un seul geste,
Les vestes
Sont tournées,
Changées -
Hyménée
Fané.
4) Laudes
Le soleil et la lune coloraient l'horizon,
Salués tous les deux par l'éclat d'une étoile,
Qui restait, elle seule, dans le ciel d'électron,
Irradiant la douleur de l'aurore orientale
Dont les longs doigts de rose m'ensaignaient la raison.
5) Soñj un noz hañv
Ar merc'hed Vreizh zo brav,
Tra la lalala la le no,
Ar merc'hed Vreizh zo brav
O tañsal balioù bro,
Ha bravoc'h war ar sec'h -
Emaon o vont gant rec'h...
5) Songe d'une soirée d'automne
Les Bretonnes, jolies
Dans les bals du pays
Sont encore plus belles
Sur les rives de sel*;
Avec elle repars,
Avec elle en mémoire...
- V - QUADRUPLE EAU DE CHANVRE
1) Retour en avant
Amusant, de marcher droit devant quelques heures,
De s'asseoir dans les bois, pour sans haine et sans peur,
D'un coup se rendre compte à quel point il vaut mieux
Être seul, sans personne à quelques mille lieues,
Plutôt que de paraître - amusé, bel et bien -,
Entouré par des gens qui ne deviennent rien ;
Puis soudain dans le soir passe un souffle de vent,
Qui s'aventure entre les branches, soulevant
Vaguement leur manteau hivernal et glaçant,
Puis il hésite un court instant devant le sang
Qui macule en silence et mon corps et mon cœur,
Il tente en vain de me cacher sa sainte horreur*:
Un regard, un sourire, et il tourne le dos,
Toujours poli, fuyant au loin mon noir fardeau
Qu'il regrette à présent d'avoir mis dans le jour.
Il voulait voir, et maintenant fait demi-tour...
Je repars solitaire, et te vois noctambule :
Salut à toi, frère corbeau du crépuscule,
Car toi seul, tu connais toutes mes cicatrices,
Main dans la main, nous célébrons chacun nos vices.
2) Fuite vers la source
En descendant des monts, de retour vers la ville,
Recouverts de sueur, de poussière et de suie,
Notre troupe sauvage, audacieuse et virile,
Recherchait un ruisseau ; ou mieux, un antique puits.
De sinueux sentiers, s'éloignant de la route,
Serpentaient dans la pente entre troncs et rochers,
Et l'enfant du pays déclara sans un doute :
«*Mes amis, descendons ; ici nous faut marcher.*»
Nous voulûmes savoir d'où venait sa parole -
De la mémoire de son sang et de son sol.
Dévalant ce chemin qui courait sur l'Histoire,
Nous arrivâmes à la source du pouvoir,
Où l'esprit de la vie dans la langue des morts
Nous fit plonger sous les mystères de l'aurore.
3) Bout du monde
Pendant longtemps, et un peu plus encore,
J'ai avancé dans de trop longs couloirs,
J'ai tout franchi, fatigue, soif, mémoire,
J'ai oublié mon jeune esprit, mon corps,
D'où je venais, vers où j'allais, mais pas
Où je me trouve : en ce lieu sombre, humide,
Dont le plafond, que cent fissures rident,
Répond au sol par mes échos de pas*;
Et si, parfois, les maçonneries des arches
Laissent de quoi lever les yeux au ciel,
Et si, toujours, astre blafard, cruel,
Ma lampe éclaire - un peu, trop peu - ma marche,
La pleine lune, ou le soleil, ou même
Juste une étoile, éblouiraient mon âme
Accoutumée à la noirceur infâme
Dans un instant de cécité suprême,
Comme une voûte en infini azur
Partout dessus ma pauvre tête arquée
Me la ferait perdre d'un coup, broyée
Par tant d'espace, et de vrai vent - d'air pur.
Voilà pourquoi je continuai, m'assis
Sur un des bancs de quelque salle ronde
Et restai là, tout seul au bout du monde,
Accompagné d'une ténue bougie.
4) Cosmétropolite
Dans le soir de Paris, au-dessus de la scène,
Je contemple, un peu triste, affalé sur mon siège,
Le spectacle effarant, si commun et obscène,
Du grand noir qui enserre, et étouffe, et assiège
Ce reflet d'astre pâle, entaché par son sang
Qui coulait dans mon dos. J'ai pleuré l'occident.
5) Illusions
Mes névroses
Au bruit de rose
S'étalaient
Sous mon palais,
Et la danse
De leurs fragrances
Me fit voir
Le velours noir
De mes tristes
Jeux sans pistes,
Où je perds,
Dans un désert
Hypnotique
De froides piques,
Avenir
Et souvenirs.
6) La noire lune de mes nuits blanches
Les néons bigarrés tranchaient la nuit ;
De leurs lames coulait l'alarme noire
D'une obscurité stridente d'ennui,
Que ma page blanche aurait voulu boire
Avec le deuil de la lune nouvelle
Et les ténèbres fondues par le gel...
7) Balade étrange
Des jours, des années,
J'ai voyagé ; encore j'erre,
Mais ma peau tannée
Par la poussière des chemins,
La chaleur solaire
Et l'âcre sel de la sueur
Toujours se souvient
Qu'elle fut blanche jusqu'au cœur.
8) Nach Wahlhalle
Cinq heures sonnent
Dans la nuit
Et des oiseaux
Au loin chantonnent -
De joie, d'ennui ? -
Quand un corbeau
Croise ma route
Et crie : "écoute !",
Prend son envol,
Me laisse au sol
Scruter la danse
Du silence.
- VI - APOLLON ET DIONYSOS
1) Weine !
Que ce soit la vie ou la mort,
Que peut bien cela m'importer
Puisque toute existence est d'or,
Et tout existe dans le thé
- Qu'il soit ou non pourvu d'alcool
Tant qu'il est boisson chamanique,
Que mon esprit enfin décolle
Vers son long chemin odinique,
Son ascension spirituelle,
Son fou sentier chevaleresque,
Où tout au bout, elle brille... Elle,
La Joie, l'Épine gigantesque,
La folle joie, la folle heureuse,
La folle foi, la folle femme,
Et folle extase et folle gueuse,
Et folle Asyne, et folle flamme,
L'éternelle et kabyle quête
De la belle Septième Mort
Où le vieux barde encore enquête
Sous les bleus flots du celte Arvor,
Où le Cygne, et les Trois Marins,
Et Arthur, et les mercenaires,
Dansent tous le glaive et le vin
En des ronds ancestraux, millénaires,
Triomphant de tous les Gaulois,
Et des Romains, et des chrétiens,
D'un beau chant de fer bon aloi -
De vrai aryen, non pas de chien -
Car tout est guerre en ces Neuf Mondes :
Le nœud des pendus enragés
Que court son destrier immonde
Dans son entier se fait ronger
Par le serpent Malédiction,
Par le cornu, par la contrainte,
Par la déserte et vieille Sion
Que le vrai vent sans cesse éreinte...
2) Wie man mit dem Wandern philosophiert
Ich wanderte im heilligen Dunkel,
Durch die Wälder und den dünnen Hellen
Die sanft starben im großen Lichtwechsel:
Sterne sangen hoch über den Wolken,
Der rote Mond, riesg und voll von Blut,
Der trank so tief, durstig, an den Wunden
Der Westsonne, erhob sich auch mit Wut -
Der Tag weinte, und blühte wie Rosen,
Dessen Dornen stachen fest die Goldglut.
2) Équinoxe d'été
Tout dort.
Dès lors,
Je marchais au hasard dans les saintes ténèbres,
Au travers des fourrés et de faibles lueurs
Qui mourraient doucement dans le soir, voix funèbres.
Des étoiles dansaient sur la voûte de peur*;
La lune rousse, immense et toute emplie de sang,
Cette assoiffée buvant profondément aux plaies,
Mordant comme enragée le cou de l'occident,
Montait - et fit fleurir le jour comme une haie
De roses.
Osmose...
3) Vile
La ville médisait et gisait tout en bas,
Si semblable, en son fond, à la vilaine loque,
Hideuse, et bien sordide, et prête à mettre bas.
A moitié nue, brillante, elle gémit et choque,
Odeur pestiférée de pute nègre et sale,
Crasseuse, et trop vaseuse, horrible sodomite,
Belle hérétique soule à l'ouverture anale,
Rongeant ma pure essence... Alcool... Putain de mite...
4) Invictvs
Il est en ce monde
Des fous qui croient
À une aube nouvelle.
Ô Soleil, inonde
Ces aveugles ingrats,
Flamme éternelle,
Et montre à ces sots
Que c'est le même
Astre d'or et de sang
Qui scintille haut
Dans la voûte suprême
En chaque temps.
5) Sommernatt
Les lumières du soir, sur mon âme endormie,
Font un bruit de passé, et fleurir mes souvenirs.
Pas un souffle de vent ne dilue mes soupirs
Dans la vaste aquarelle aux tons sombres de lie.
Ô salvatrice averse, douce trêve...
Pluie, belle pluie, toi qui tombes si tard
Et qui fissure le silence noir,
Lourd, de ma nuit estivale sans rêve.
6)*Nebelung
Lune
Au-dessus de ma vie vacillait comme hier
Un blond cristal*; et ce diamant au cœur de glace
Brillait si pâlement qu'on eût cru voir l'éther
Se refléter dans un miroir, froide et fugace
Rune...
7) ALU
Une blanche un peu moins fraiche
Qu'un chemin dont la boue sèche*,
Une blonde souple et belle,
Crépuscule fait de miel*,
Une rousse dans le soir
S'écoulant, sanglante mare*,
Une brune dont l'amer
Surpassait ce noir hiver...
8) Am Rande der Wörter
Pourtant, j'écrivis peu et je marchai beaucoup,
Car le monde est plus grand que les mots ne le sont -
Dans le sol, sous mes pas, s'enfonçaient des tessons
De vers brisés, au fond d'un pâle étang de boue,
Où le spectre lunaire, au-dessus des clairières
Et des branchages, faisait luire, à la surface,
Des éclats troubles et si flous que cette glace
Mélangeait les esprits comme l'eau d'un cratère...
9) Belenos
Le soleil n'était plus qu'un lointain souvenir -
Et son nom dans la nuit, un concert de soupirs.
Quand les vents froids glaçaient nos os de leurs longs râles,
Et leur ordre impérieux qui les pentes dévale
N'épargnait rien qui soit vivant sous les étoiles,
L’œil fou de l'horizon nous fixait à travers
Un froid rideau de brume et l'esprit des montagnes,
Dont la pâleur dépareillait le noir de l'air
Qu'un long frisson d'horreur sacrée lentement gagne...
Le sac et le ressac des brumes sur les flancs
Boisés de la montagne errait avec des vagues
Venues de l'autre monde ; et l'aube d'or, frappant
Le bleu sommet, brilla - comme une antique bague
Passée au doigt du pic qui dominait l'orient.
Je suppose que... bah, qu'au final je suis plus content d'être lu par des personnes qui ne me connaissent pas et n'ont pas forcément les mêmes conceptions artistiques que moi, mais partagent un vécu peut-être plus profond.
http://www.mediafire.com/view/2q3jrcqy8u3bg2p/Tristes_Psychotropiques_09-02-14.pdf pour une version pdf mise à jour le 23/02/14 (donc presquepresque finie) avec des notes en bas de page, des morceaux, des illustrations trop cool et des filles à poil.
I- J'ERGOTAI
1)*Gravé dans un cénotaphe
2) Morrígan
II - VIN ORPHELIN
1) Le ciel tombe sur la Galatie
2) Gare au septentrion !
3) Spaceraum
4) Ornemensonges
5) An dro Breizh
6) Le destrier du maître
7) Wurte runoR heldaR / Bractéate de Tjurkö
III - LA SAUGE DES DEVINS
1) Aube pourpre
2) Chemise d'ours
3) Les mains de Ba'al
4) Fin d'été
5) Un œil grand fermé
6) Le cinquième postulat d'Euclide
7) Fusion
IV - EXTASES
1) Sépulcre
2) A travers un trou de serrure
3) Éphémère
4) Laudes
5) Soñj un noz hañv / Songe d'une soirée d'automne
V - QUADRUPLE EAU DE CHANVRE
1) Retour en avant
2) Fuite vers la source
3) Bout du monde
4) Cosmétropolite
5) Illusions
6) La noire lune des mes nuits blanches
7) Balade étrange
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2) Wie man mit dem Wandern philosophiert / Équinoxe d'été
3) Vile
4) Invictvs
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6) Gilbhart
7) ALU
8) Am Rande der Wörter
9) Belenos
- I - J'ERGOTAI
1) Gravé dans un cénotaphe
Car je n'entends ma poitrine battre
Que dans le vide, les lentes mers
Dont le silence a l'odeur douceâtre
De la poussière et le froid d'un âtre,
Ou les ténèbres aux sons amers.
2) Morrígan
Elle avait sur mes yeux déroulé tout un pan
De sa robe de jais à nulle autre pareille,
Et sa voix cristalline emplissait mes oreilles
En planant dans l'air noir sans un souffle de vent.
Je sentis approcher, ô divine merveille,
Entre moi et le ciel, un nuage - vol lent
D'innombrables corbeaux sans arrêt croassant,
Qui d'un œil trop humain le silence surveillent.
- II - VIN ORPHELIN
1) Le ciel tombe sur la Galatie
Dans la steppe oubliée, quelque part en Asie,
L'horizon mordoré fut fiché sur sa pique.
Il nageait sous les cieux la lueur évanouie
D'une lune à la forme intrigante et mystique
Au travers de laquelle on sentait scintiller
Des étoiles chromées et des souffles d'éther,
Où les signes secrets semblaient croître et rouiller,
Ignorants du grand vide où régnait cette terre,
Quand d'équins corvidés et des anges sans nom
Se saisirent de moi dans leurs ailes lugubres,
Et plongèrent vers l'astre envoûtant et sans fond
Dont la brume démente en mon âme insalubre
Écrivait pour toujours ses odeurs inouïes,
À jamais délivrées de l'espace et du temps
Par un mur où frappait chaque vague de nuit.
Quel étrange présage, existences d'antan*!
2) Gare au septentrion !
C'est la Gare du Nord à sept heures du soir,
Qui m'ignore et me fixe avec vingt effigies
Tout de marbres jaunis et de mornes regards.
Doucement, je lui dis : "Dédaigneuse vigie,
Ne vois-tu donc jamais, sous tes vains sept pilastres,
La résine et la poudre, et les sommes d'argent
Qui transitent sans cesse en-dessous de chaque astre,
A l'insu de tes yeux et des chiens des agents ?"
Et j'écris tous ces vers sur la blanche notice
D'un sirop pour la toux, qui me fait voyager
Bien plus loin que les trains de la vieille bâtisse,
Dont la face souillée finissait son chantier.
3) Spaceraum
Dans l'espace, un éclat orangé terrifiant,
Sur la mer volatile, un éther de chamane,
Et autour... le grand vide ; à l'endroit, à l'instant
Où le sage et le fou lentement se pavanent.
Cet éclat orangé, oppressant et mortel,
Scintillait en la nuit comme un phare funeste
Ou l'étendard d'un chevalier venu de l'est,
Qui vrille sous mon crâne, au fond de mes prunelles,
Et le plomb noir qui coule à travers mon cerveau
Me glace et me fait fondre au milieu de la pièce...
Mais je frappe où je tombe, et partout mon caveau
Résonne, dure, et réfléchit la morne messe.
4) Ornemensonges
Au fond d'une grotte aux parois de pierre rare
Se tenait un dieu, qui en silence dansait.
Le parfum de ses yeux clos, flûtiau de curare,
Me transperça en plein vol le glacial abcès
Qui saigne et purule encore un peu ce matin,
Caressant la source en or bleu plein d'amertume,
Répondant au soleil grave, à la lune vin,
Sous les branchages osseux d'un rêve qui fume.
5) An dro Breizh
Sous de longs rayons de merveille
Coulait la pluie, dans la forêt
Que bordait un profond marais,
Et ses cheveux, joyaux d'abeille,
Autour des branchages osseux
Se prélassaient en serpents pâles
Dont la peau semblable aux râles
Avait l'odeur d'un jeune feu*;
Quand le vent suprême et mon âme
Soudain se lèvent ; par leur doigt,
Fol éclair, forgent l'argent froid
D'un anneau cher comme une femme.
6) Le destrier du maître
Et, à demi consumée,
La douce mélancolie
De ce mois crépusculaire,
Dans mon esprit embrumé
Se coagulait d'oubli
Tout en me murmurant*: «*Erre...*»
7) Wurte runoR heldaR
Walvater
Wanderer
Windreiter
Wildjager
Willbruder
Weihbruder
Weitvater
Weitfahrer
Wutgeber
Wotanheil
7) Bractéate de Tjurkö
Salut à toi, Odin*!
Tu voyages au loin,
Erres dans toutes places,
Enfantas l'espace,
Es frère du sacré
Et de la volonté.
Toi qui m'offres ta rage
Et qui chasse, sauvage,
Chevauchant sur les vents,
Prend mon esprit mourant*!
- III - LA SAUGE DES DEVINS
1) Aube pourpre
Comme la feuille pour pousser
De verte sève est irriguée,
Que la jeune herbe du printemps
Soit abreuvée par notre sang !
La mélodie des doux ramages
S'accorde au rythme des ravages.
2) Chemise d'ours
À en juger par son regard, j'étais un dieu -
J'avais brillant dans mon iris la pure essence
De la douleur, de la fureur et du grand feu,
Car j'incarnais la volonté de la Puissance :
«*Je n'ai peur ni du froid, ni du sang, ni des gueux.
Marcher seul ? Sans regrets, mais vers là où je veux.
Ne renie rien,
Transcende tout,
Et point ne crains
De sembler fou.*»
3) Les mains de Ba'al
Dans les plaines lacrymales
De mes rêves nietzschéens
Jaillissait la plaie thermale
D'un soleil adamantin.
4) Fin d'été
Comme le jour nait de la nuit
Et l'avenir sort du passé,
Et que la mort, avant la vie,
Serpente en bas pour nous hisser,
Nous n'apprendrons plus jamais rien.
Nous ne serons que souvenirs
De ce qui part, de ce qui vient,
Du grand royaume des soupirs...
5) Un œil grand fermé
Quel étrange royaume, où des rois étrangers
Changent de transe, et pensent, et voient l'aube sans foi !
Quand, dérangés, ils rangent l'eau de par leur voix,
Leurs boyaux, beaux parleurs, la pleurent, saccagés,
Et la sauge sacrée en prend peur, acre et rance,
Mais dans son sang, le miel rapide hume le cyan,
Glacial, et si sucré que l'hôte rend l'offense,
Devient temple marin, si l'augure des vents
Daigne soudain, âme et préscience, y présider,
Sous le pré de diamant et de cuivres sanglants
Dont les bois capiteux aux couleurs faisandées
Masquaient le musc obscène et ses graves relents.
6) Le cinquième postulat d'Euclide
Mais d'un seul coup, le Temps, plein de rage et d'effroi,
De sa mâchoire atroce estropie les longueurs*;
Il démembre l'espace et crucifie ses lois,
Se pend dans un cri noir d'harmonique malheur,
Loin des sommets dont l'encensoir brûlait mon corps.
Soudain, par un grave fracas de vert-de-gris,
La serrure écorchée du portail aux yeux d'or
S'ouvre à tous les vents froids... Rauque charivari,
Et sous le ciel, bien au-dessus des bleus nuages,
Voyagea l'océan, où pensaient mille danses.
Au milieu d'un duvet de cent feuilles sans âge
Je flottais, lumineux, loin du flou des passages
Aux dimensions changeant souvent dès qu'on y pense,
Si l'acide de vie sanctifie son image.
7) Fusion
Embrassant tout le ciel de son large regard,
Pleurait un crocodile, impuissant face au piège
Qui fumait dans le froid de son coeur de lézard
Et scintillait d'orgueil sous le sang de la neige.
Rien n'était - ou si peu. La lune et le hasard
Se cachaient sur la brume et la bruine qu'allège
Un grand feu d'agonie plein de brandons hagards,
Quand l'oubli s'avança par un vaste manège.
Alors les arbres, en hurlant leurs cauchemars,
Exhalèrent de plein coeur d'immenses arpèges
Dont la saveur faisait l'orgueil de tous les arts,
Et la folle lune, consumant son cortège,
Grava la bruine et ses branchages faits de dards
Pour finir le trop vaste oubli des sortilèges.
Brûlez, brûlez, ô feuilles mortes !
Votre encens satisfait nos dieux
Et monte, courbe, vers les portes
Pour qui les impies n'ont pas d'yeux.
- IV - EXTASES
1) Sépulcre
Un jour de nuit noire, où le ciel était couvert,
La lune oubliée, et l'horizon plein d'hiver,
Un lourd voile opaque enserrait tout mon esprit,
L'emplissant partout de froid silence et de gris.
Je rôdais, emprisonné, garou prédateur,
Sourd, aveugle, et somnolent, sans pensée, sans cœur,
Dans un brouillard oppressant où rien n'était flou,
De raison pure et glacée - solitaire loup.
Soudain, j'aperçus, à travers mes yeux fermés,
Briller quelque chose, une lueur d'or chromé,
Éthéré, lointain ; et pourtant, plein de chaleur,
Irisant tout l'ombre où je marchais en ce soir.
D'où pouvait jaillir si fort ce flot de couleurs,
Éclairant chaque recoin de l'épais blizzard
Où des cristaux sans éclat masquaient aube et sud ?
Sans elles tout dans ma vie n'était que... prélude.
Courbé dans la nuit, pâle et seul, et trop hagard,
Levant mon esprit, ouvrant enfin mon regard,
Je reçus un ciel, ténébreux et enchanteur,
Sans nuage ou lune, en mes yeux clos - de stupeur.
L'horizon était empli d'azur constellé,
Son bleu sombre illuminé par un grand éther
Forgé d'étoile et d'argent, et d'ombre envolée,
Et d'eau glacée, et d'espoir, inondant la Terre.
La mer et le temps, emmêlés, tendaient leurs bras,
Tirant sur l'espace et sur l'instant de l'éveil,
Les faisant durer, pour toujours et au-delà
Des rayons divins du crépuscule, soleil
Sublimant la perfection d'un soir boréal
Où tu dis, me regardant d'une voix astrale,
Avec tes yeux scintillants cernés de dorée
Chevelure ocre-occident, embrasée : "Va, crée !"
La route était longue et tordue, et j'avançai
Avec désespoir, car tu restais loin devant ;
Te tournas enfin, quand fourbu, je délaçais
Mes rangers blanchies de neige obscure ou de vent,
Et à tes pieds, tu les mis, de moi les semblables,
Et alors que je peinais devant quatre arcanes,
Tu m'élevas d'un seul geste, alliée adorable,
En soutenant mon esprit et ma main diaphanes.
Retour au réel, au bitume humide et froid,
Pourtant, je persiste en ma chimère et ardeur,
Contre - tout - espoir, me rêvant comme un grand roi,
Attendant, en vain, quelque jolie folle heure,
Me tenant toujours en veille avec ton spectacle,
Ton regard, beau café d'or... à saveur amère
Quand j'aperçois cet argent, à - ton - annulaire
Saisir mon âme en ses doigts comme un sombre oracle.
Qu'importe, après tout, si l'espoir est enfin mort,
Je ne pourrai donc jamais vraiment qu'obéir
À ton ordre altier, - rester seul - et tout écrire
De mes pauvres vers, tout balbutiant, dans l'aurore
Née des yeux, qui d'un instant brisèrent mes ombres,
Dans le flot de tes cheveux, ton rire, tes lèvres,
Balayant - tout - de mon âme, abjecte, en décombres ;
Lavant mes mains ramenées au travail d'orfèvre.
Alors, pour finir, j'ai n'ai plus qu'à te souhaiter
De tout mon cœur tien, et la fortune et la joie,
Mais décide libre, et peu importe ta voie.
Ne te sens en rien sollicitée (achetée ! ),
Je ne veux dans ma douleur que dire un poème
Et merci, t'offrir - un peu - de l'art de mon âme
Grâce à toi seule vivante ; éteinte, sans flammes,
Et crépitant juste assez pour lâcher : "Je t'aime".
2) A travers un trou de serrure
Au sein des longs couloirs d'un vieux sanctuaire
Scintillait la lune et sa lueur trop pâle ;
Quand, seul, les yeux fermés parmi les anciens,
J'aperçus briller, dans l'atmosphère amère,
Le feu d'une bougie - clarté sans égale.
Soudain, elle partit - d'un pas cavalier -
Dans son monde à part où deux-cent-deux statues,
Visages émouvants moulés sur le sien,
Se faisaient l'écho de notre voix mêlée,
Et Elle devint Tu ; je t'ai, là, connue.
Enfin survint le jour, trainé par son astre
(Tu menais les deux), où toute emplie de vie,
Tu fus face à mes yeux, toujours grande louve,
Sous ses rais dorés - pour mon bonheur ? Désastre ? -
Encore plus jolie de corps que d'esprit.
Et nulle, à les compter depuis ces trois heures,
N'a jamais chassé ton trône d'os et d'art*:
Neuf mois se sont passés, toujours je ne trouve,
En pensant à "Femme", au plus profond du cœur,
Que toi, et tes reflets marquant ma mémoire.
3) Éphémère
Tout se casse,
Tout passe,
Tout s'efface
Sans trace :
Bavardages
Des sages,
Folles rages,
Visages
Des gisants...
Les ans,
Les serments
D'amants,
Rien ne reste
Ni leste.
D'un seul geste,
Les vestes
Sont tournées,
Changées -
Hyménée
Fané.
4) Laudes
Le soleil et la lune coloraient l'horizon,
Salués tous les deux par l'éclat d'une étoile,
Qui restait, elle seule, dans le ciel d'électron,
Irradiant la douleur de l'aurore orientale
Dont les longs doigts de rose m'ensaignaient la raison.
5) Soñj un noz hañv
Ar merc'hed Vreizh zo brav,
Tra la lalala la le no,
Ar merc'hed Vreizh zo brav
O tañsal balioù bro,
Ha bravoc'h war ar sec'h -
Emaon o vont gant rec'h...
5) Songe d'une soirée d'automne
Les Bretonnes, jolies
Dans les bals du pays
Sont encore plus belles
Sur les rives de sel*;
Avec elle repars,
Avec elle en mémoire...
- V - QUADRUPLE EAU DE CHANVRE
1) Retour en avant
Amusant, de marcher droit devant quelques heures,
De s'asseoir dans les bois, pour sans haine et sans peur,
D'un coup se rendre compte à quel point il vaut mieux
Être seul, sans personne à quelques mille lieues,
Plutôt que de paraître - amusé, bel et bien -,
Entouré par des gens qui ne deviennent rien ;
Puis soudain dans le soir passe un souffle de vent,
Qui s'aventure entre les branches, soulevant
Vaguement leur manteau hivernal et glaçant,
Puis il hésite un court instant devant le sang
Qui macule en silence et mon corps et mon cœur,
Il tente en vain de me cacher sa sainte horreur*:
Un regard, un sourire, et il tourne le dos,
Toujours poli, fuyant au loin mon noir fardeau
Qu'il regrette à présent d'avoir mis dans le jour.
Il voulait voir, et maintenant fait demi-tour...
Je repars solitaire, et te vois noctambule :
Salut à toi, frère corbeau du crépuscule,
Car toi seul, tu connais toutes mes cicatrices,
Main dans la main, nous célébrons chacun nos vices.
2) Fuite vers la source
En descendant des monts, de retour vers la ville,
Recouverts de sueur, de poussière et de suie,
Notre troupe sauvage, audacieuse et virile,
Recherchait un ruisseau ; ou mieux, un antique puits.
De sinueux sentiers, s'éloignant de la route,
Serpentaient dans la pente entre troncs et rochers,
Et l'enfant du pays déclara sans un doute :
«*Mes amis, descendons ; ici nous faut marcher.*»
Nous voulûmes savoir d'où venait sa parole -
De la mémoire de son sang et de son sol.
Dévalant ce chemin qui courait sur l'Histoire,
Nous arrivâmes à la source du pouvoir,
Où l'esprit de la vie dans la langue des morts
Nous fit plonger sous les mystères de l'aurore.
3) Bout du monde
Pendant longtemps, et un peu plus encore,
J'ai avancé dans de trop longs couloirs,
J'ai tout franchi, fatigue, soif, mémoire,
J'ai oublié mon jeune esprit, mon corps,
D'où je venais, vers où j'allais, mais pas
Où je me trouve : en ce lieu sombre, humide,
Dont le plafond, que cent fissures rident,
Répond au sol par mes échos de pas*;
Et si, parfois, les maçonneries des arches
Laissent de quoi lever les yeux au ciel,
Et si, toujours, astre blafard, cruel,
Ma lampe éclaire - un peu, trop peu - ma marche,
La pleine lune, ou le soleil, ou même
Juste une étoile, éblouiraient mon âme
Accoutumée à la noirceur infâme
Dans un instant de cécité suprême,
Comme une voûte en infini azur
Partout dessus ma pauvre tête arquée
Me la ferait perdre d'un coup, broyée
Par tant d'espace, et de vrai vent - d'air pur.
Voilà pourquoi je continuai, m'assis
Sur un des bancs de quelque salle ronde
Et restai là, tout seul au bout du monde,
Accompagné d'une ténue bougie.
4) Cosmétropolite
Dans le soir de Paris, au-dessus de la scène,
Je contemple, un peu triste, affalé sur mon siège,
Le spectacle effarant, si commun et obscène,
Du grand noir qui enserre, et étouffe, et assiège
Ce reflet d'astre pâle, entaché par son sang
Qui coulait dans mon dos. J'ai pleuré l'occident.
5) Illusions
Mes névroses
Au bruit de rose
S'étalaient
Sous mon palais,
Et la danse
De leurs fragrances
Me fit voir
Le velours noir
De mes tristes
Jeux sans pistes,
Où je perds,
Dans un désert
Hypnotique
De froides piques,
Avenir
Et souvenirs.
6) La noire lune de mes nuits blanches
Les néons bigarrés tranchaient la nuit ;
De leurs lames coulait l'alarme noire
D'une obscurité stridente d'ennui,
Que ma page blanche aurait voulu boire
Avec le deuil de la lune nouvelle
Et les ténèbres fondues par le gel...
7) Balade étrange
Des jours, des années,
J'ai voyagé ; encore j'erre,
Mais ma peau tannée
Par la poussière des chemins,
La chaleur solaire
Et l'âcre sel de la sueur
Toujours se souvient
Qu'elle fut blanche jusqu'au cœur.
8) Nach Wahlhalle
Cinq heures sonnent
Dans la nuit
Et des oiseaux
Au loin chantonnent -
De joie, d'ennui ? -
Quand un corbeau
Croise ma route
Et crie : "écoute !",
Prend son envol,
Me laisse au sol
Scruter la danse
Du silence.
- VI - APOLLON ET DIONYSOS
1) Weine !
Que ce soit la vie ou la mort,
Que peut bien cela m'importer
Puisque toute existence est d'or,
Et tout existe dans le thé
- Qu'il soit ou non pourvu d'alcool
Tant qu'il est boisson chamanique,
Que mon esprit enfin décolle
Vers son long chemin odinique,
Son ascension spirituelle,
Son fou sentier chevaleresque,
Où tout au bout, elle brille... Elle,
La Joie, l'Épine gigantesque,
La folle joie, la folle heureuse,
La folle foi, la folle femme,
Et folle extase et folle gueuse,
Et folle Asyne, et folle flamme,
L'éternelle et kabyle quête
De la belle Septième Mort
Où le vieux barde encore enquête
Sous les bleus flots du celte Arvor,
Où le Cygne, et les Trois Marins,
Et Arthur, et les mercenaires,
Dansent tous le glaive et le vin
En des ronds ancestraux, millénaires,
Triomphant de tous les Gaulois,
Et des Romains, et des chrétiens,
D'un beau chant de fer bon aloi -
De vrai aryen, non pas de chien -
Car tout est guerre en ces Neuf Mondes :
Le nœud des pendus enragés
Que court son destrier immonde
Dans son entier se fait ronger
Par le serpent Malédiction,
Par le cornu, par la contrainte,
Par la déserte et vieille Sion
Que le vrai vent sans cesse éreinte...
2) Wie man mit dem Wandern philosophiert
Ich wanderte im heilligen Dunkel,
Durch die Wälder und den dünnen Hellen
Die sanft starben im großen Lichtwechsel:
Sterne sangen hoch über den Wolken,
Der rote Mond, riesg und voll von Blut,
Der trank so tief, durstig, an den Wunden
Der Westsonne, erhob sich auch mit Wut -
Der Tag weinte, und blühte wie Rosen,
Dessen Dornen stachen fest die Goldglut.
2) Équinoxe d'été
Tout dort.
Dès lors,
Je marchais au hasard dans les saintes ténèbres,
Au travers des fourrés et de faibles lueurs
Qui mourraient doucement dans le soir, voix funèbres.
Des étoiles dansaient sur la voûte de peur*;
La lune rousse, immense et toute emplie de sang,
Cette assoiffée buvant profondément aux plaies,
Mordant comme enragée le cou de l'occident,
Montait - et fit fleurir le jour comme une haie
De roses.
Osmose...
3) Vile
La ville médisait et gisait tout en bas,
Si semblable, en son fond, à la vilaine loque,
Hideuse, et bien sordide, et prête à mettre bas.
A moitié nue, brillante, elle gémit et choque,
Odeur pestiférée de pute nègre et sale,
Crasseuse, et trop vaseuse, horrible sodomite,
Belle hérétique soule à l'ouverture anale,
Rongeant ma pure essence... Alcool... Putain de mite...
4) Invictvs
Il est en ce monde
Des fous qui croient
À une aube nouvelle.
Ô Soleil, inonde
Ces aveugles ingrats,
Flamme éternelle,
Et montre à ces sots
Que c'est le même
Astre d'or et de sang
Qui scintille haut
Dans la voûte suprême
En chaque temps.
5) Sommernatt
Les lumières du soir, sur mon âme endormie,
Font un bruit de passé, et fleurir mes souvenirs.
Pas un souffle de vent ne dilue mes soupirs
Dans la vaste aquarelle aux tons sombres de lie.
Ô salvatrice averse, douce trêve...
Pluie, belle pluie, toi qui tombes si tard
Et qui fissure le silence noir,
Lourd, de ma nuit estivale sans rêve.
6)*Nebelung
Lune
Au-dessus de ma vie vacillait comme hier
Un blond cristal*; et ce diamant au cœur de glace
Brillait si pâlement qu'on eût cru voir l'éther
Se refléter dans un miroir, froide et fugace
Rune...
7) ALU
Une blanche un peu moins fraiche
Qu'un chemin dont la boue sèche*,
Une blonde souple et belle,
Crépuscule fait de miel*,
Une rousse dans le soir
S'écoulant, sanglante mare*,
Une brune dont l'amer
Surpassait ce noir hiver...
8) Am Rande der Wörter
Pourtant, j'écrivis peu et je marchai beaucoup,
Car le monde est plus grand que les mots ne le sont -
Dans le sol, sous mes pas, s'enfonçaient des tessons
De vers brisés, au fond d'un pâle étang de boue,
Où le spectre lunaire, au-dessus des clairières
Et des branchages, faisait luire, à la surface,
Des éclats troubles et si flous que cette glace
Mélangeait les esprits comme l'eau d'un cratère...
9) Belenos
Le soleil n'était plus qu'un lointain souvenir -
Et son nom dans la nuit, un concert de soupirs.
Quand les vents froids glaçaient nos os de leurs longs râles,
Et leur ordre impérieux qui les pentes dévale
N'épargnait rien qui soit vivant sous les étoiles,
L’œil fou de l'horizon nous fixait à travers
Un froid rideau de brume et l'esprit des montagnes,
Dont la pâleur dépareillait le noir de l'air
Qu'un long frisson d'horreur sacrée lentement gagne...
Le sac et le ressac des brumes sur les flancs
Boisés de la montagne errait avec des vagues
Venues de l'autre monde ; et l'aube d'or, frappant
Le bleu sommet, brilla - comme une antique bague
Passée au doigt du pic qui dominait l'orient.