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Styloplume
Guest
Hi hi, ça fait tout bizarre, mon premier TR posté dans la section "combos"
Hahaha encore un TR hyper-long
Téléchargez donc le PDF!Voir la pièce jointe 7029
Brocéliande ! Forêt mystérieuse, pleine d’histoire, de mystères et de magie ! Nous avons gratté la surface de mystères initiatiques intemporels, ancrés dans les arbres, la terre, les bêtes et la lumière du soleil.
Avec cette potion magique, nous avons emprunté un chemin intérieur depuis longtemps foulé par les mystiques et magiciens de tout temps.
Nous avons redécouvert qui nous sommes.
Comment tout a commencé
C’est mon ami récent, Anacore, qui m’avait proposé d’aller à la forêt de Brocéliande pour se ressourcer, l’espace de deux jours. Pour lui, c’est l’occasion de se retrouver, de rentrer à la maison. Là, il est calme, là, il est lui-même. C’est pour lui un pélérinage que d’aller à Brocéliande, et il m’a proposé d’y aller avec lui cette fois. Enthousiaste, je me déclare partant. C’était il y a quelques semaines.
Il faut que je décrive un peu mon ami Anacore. Jeune apprenti en librairie, introverti, très calme. Cheveux bruns en batailles, lunettes de soleil et bouc sur le menton, le genre de gars qui réfléchit avant d’agir et qui ne partage pas si facilement ses mystères au premier venu. Il a testé les produits courants sans s’enthousiasmer de trop, c’est qu’il a compris qu’on n’a pas le niveau pour jouer à Dieu. Selon lui, l’univers est régi par le hasard, j’ai pas tout compris à sa pensée, mais je sais que c’est un gars réfléchi, intelligent, cultivé, qui aspire à se réaliser soi-même. Et ça m’a convaincu pour tenter l’aventure avec lui.
J’en profite pour demander à mon frère Lefeusombre de me concocter une extraction de LSA à partir de graines de liane d’argent (Hawaiian baby woodrose). En effet, je me dis que dans la forêt, un trip psychédélique passera très bien, fera partie du pélerinage. Voilà un an que je n’ai pas tapé de psychédélique pur, depuis mon gros trip au LSD. J’en ai marre du DXM, et j’ai pas envie de tenter l’acide pour la forêt, mes cartons sont précieux, autant les garder pour d’autres buts. C’est donc tout naturellement que je me tourne vers ce psychédélique réputé soft et clair qu’est le LSA.
Me voilà donc avec ma bouteille de potion magique, dont mon frère et moi sommes très fiers.
Plus tard, je rencontre Anacore à nouveau, qui a fort à faire avant de partir pour l’Ozora. Cependant, il dispose de quelques jours de libres. Au cours de la conversation, il m’explique donc qu’il pense partir le lendemain même pour Brocéliande. Wow ! Ça traîne pas ! Bien bien bien, on se décide très rapidement, je suis toujours très partant, on fait vite fait le point question matériel, comment on se retrouve, etc. Et c’est parti.
Je profite de la journée pour récupérer le lecteur MP3 de mon pote Noé, et je m’achète un petit casque. Arrivé chez moi, je gave le MP3 de ma goa préférée, voilà, j’ai tout ce qu’il faut comme musique. Je fais mon sac, fébrile, je me promène une dernière fois dans ma ville étudiante. Demain c’est le voyage.
Le voyage : des bas et des hauts
Je me retrouve avec mon gros sac au rendez-vous. Le plan pour la journée : on se retrouve à la gare à 10 heures, on prends le bus pour sortir de la ville, on part en stop pour Rennes, puis pour Plélan, où on fait les courses, puis vers Paimpont, au milieu de la forêt, où on se baignera dans le lac, pour enfin dormir sur les rives de l’eau.
Premier hic : Anacore arrive avec deux heures de retard. C’est qu’il tenait à venir en stop, et il a eu moins de chance que d’habitude. Je crise raisonnablement, médite, et quand il arrive on s’explique bien. Je lui dit que je suis contrarié, il l’accepte, d’ailleurs lui aussi est contrarié. On s’entends franchement bien là-dessus, j’en suis très content.
On prends donc le bus, on fait le stop, on a de la chance, on est pris en dix minutes par un gars sympa. Arrivés à Rennes, on se repose, on se relance, on est pris en un quart d’heures, nickel. Arrivés à Plélan, on fait les courses, et en sortant du Super U on fait LA rencontre.
La rencontre
J’aperçois un homme et une femme, manifestement teufeurs en vacances. L’homme porte des chaussures militaires, une jupe (!) et une chemise usée. Ses cheveux sont coupés cours, mais quelques dreads décorées tombent sur ses épaules. Il semble avoir une trentaine d’année. Son regard est endurci, c’est qu’il me dévisage autant que je le dévisage. Un peu en retrait, la femme est jeune, menue, porte une courte jupe noire et un T-shirt indéterminé. Son visage mignon comme tout est encadré par des cheveux noirs comme le jais. Elle paraît avoir vingt ans.
(Je kiffe la description litéraire, je me tape un trip écrivain, là).
Bref, je sors du super U avec toutes les victuailles fraîchement achetées et je croise le regard avec ce mec, que je salue immédiatement.
- Vous allez à Brocéliande ?
- C’est ça.
- Vous y faites quoi ?
- On y est pour se détendre, et vous ?
- Pareil, pour se détendre.
Quelque part on s’est compris direct. C’est qu’Anacore est assez looké, aussi, avec son sarouel, ses bottines en cuir, son sac militaire. Quant à moi, Styloplume, j’ai plus l’air d’un bobo randonneur avec mon bermuda, sandales, et mes cheveux bien peignés.
Mais le regard n’a pas trompé. Allez, on fait les présentations, on engage la conversation. L’homme s’appelle Lando, la fille s’appelle Clémentine (prénoms modifiés comme toujours). Lando voyage dans son camion aménagé, « avec sa petite puce », comme il dit. Sa puce, ce n’est pas Clémentine, qu’il connaît depuis quelques jours, mais une jeune chienne de quatre mois à laquelle il est manifestement très attaché. Il accepte de nous conduire à Paimpont, au cœur de Brocéliande.
Clémentine est étudiante et teufeuse, et avoue être un peu au bout du rouleau, marre de la drogue, etc. Elle reste très effacée devant Lando, je trouve. Il forment un couple récent.
En chemin dans le camion de Lando j’ai tout le loisir de regarder ses lectures. Beaucoup de Castaneda. Bien bien bien, je sens qu’on va s’entendre. On a déjà commencé à parler de psychés, de rêves, de bouquins.
Lando nous dépose, Anacore et moi, au bord du Lac de Paimpont, on va se retrouver plus tard.
Premier contact avec Brocéliande
Nous y voilà ! Ah, je déstresse. Tout le voyage avait été un peu angoissé, précaire, écrasant de chaleur et d’énergies différentes. Mais maintenant nous y sommes. Paimpont, seul grand bourg au milieu de la forêt, son abbaye, son château, son beau lac. Le lac !
Ni une ni deux, Anacore et moi nous désapons, hop, on plonge dans le lac. C’est un rite d’initiation, m’a dit Anacore.
L’eau est bonne, chaude en surface, glaciale en profondeur. Nager fait du bien, ah, oui, c’est vraiment la petite renaissance. Nous voilà dans la Nature. La Nature, mec ! La joie d’être en vie, rien que ça !
On se pose sur la rive, on se sèche, on commence une partie d’échecs. Un type qui passe par là pour se baigner m’entends parler d’un mantra qu’on entends dans Shpongle : Hara hara mahadeva shambho, kashivishva nata Gange. Et se met à discuter avec nous de l’éthymologie. Il s’appelle Ming (c’est son vrai nom par contre), il a vécu 15 ans en Inde à Dharamsala, on parle de spiritualité, de dualisme, de non-dualité, pfiouuuu Brocéliande c’est le vortex spirituel !
Soirée chillée entre hippies
Lando et Clémentine repassent, et on tient une conversation à cinq avec Ming. Lando témoigne qu’il a voulu trouver la grande équation de l’univers avec le LSD, et qu’il s’est fait mal, et que depuis il s’est concentré sur sa petite vie et ses questions à lui. Je trouve que sa démarche rejoint la mienne et ma renaissance sous LSD. Je me reconnais en lui là-dessus.
On a beaucoup de questions, en fait. Dans le tas, Ming est sûrement le plus expérimenté spirituellement, et le plus modeste aussi. Il écoute et garde le silence. Je témoigne de mes plans de secours anti-angoisse, Anacore intervient par moments, Lando parle beaucoup, Clémentine reste très en retrait.
Ming s’en va, et on se retrouve à partager le cidre et l’hydromel dans un contexte de rêve, au bord du lac. Lando joue de la guitare, chante, c’est pas complètement mon truc mais ça se passe bien, je prends la guitare (guitare pour gaucher, dur) et joue quelques trucs aussi, on chante. On pourrait penser qu’il y a un super contact, mais je ne suis pas complètement satisfait, on pourrait aller plus loin.
Ceci dit, Lando a une super voix, il fait du chant de gorge et ça me perche grave.
Je ne le dis pas et ne l’admet pas encore, mais j’ai du mal avec Lando, que je trouve un peu cassant avec moi, ou alors je ne me sens pas entièrement écouté. Mais ça n’est pas du tout un problème dans ces conditions.
Bon, on en vient à parler de produits. Je parle de ma potion magique, que j’exhibe fièrement. Lando, lui, a des champignons.
Hé, pourquoi pas triper ensemble ? Ça peut se faire, n’est-ce pas ? Bien, on revois ça demain. Bonne nuit les amis.
On passe la nuit en mode liberté
Anacore et moi on va se poser pour dormir sur les rives du lac, il y a un parc bien sympa où il est interdit de camper, mais osef, et puis on dort à la belle étoile. Hop, on déroule tout, et voilà.
Je trouve moyen de me doucher avec trois litres d’eau, et me couche. Il fait toujours très chaud.
La nuit n’est pas très agréable, je ne suis pas installé très confortablement. Il pleut vers deux heures du matin, Anacore s’en fout, mais je flipe un peu, déballe la tente et étend sa toile au-dessus de nous sans la monter, pour nous protéger de l’eau. La pluie s’arrête, tout va bien.
Le matin je me lève en même temps que le soleil.
Matin hésitant
Anacore dort toujours, moi je vais me promener dans la forêt, pour tâter le terrain. Les bois près de l’eau sont très beau, clairs. Ah, j’ai bien fait de venir. Le soleil vient tout inonder, c’est magnifique. Bon, j’ai toujours pas mal d’angoisse, de tensions retenue. Rien que le fait de devoir attendre qu’Anacore se lève, je craint de m’ennuyer. Alors je le réveille en le hélant de la rive où je suis.
Boah, le décors de fou, n’empêche, on est bien, ici. Je ne sais toujours pas ce que je suis venu chercher ici, avec le LSA et la forêt. Et je ne sais pas dans quoi je me lance à triper avec Lando. On verra. Fais confiance, Stylo.
On se prends notre petit-dèj, on range nos trucs, on va se poser près du lac, on joue aux échecs. On fait de grosses erreurs, tout en se donnant du fil à retordre. Je perds une partie et en gagne une autre, j’ai vraiment l’impression de jouer ma vie.
Je passe au camion de Lando pour le retrouver, il est là, mais le contact avec lui est décidément perfectible. On ne se parler pas comme j’aime le faire, en témoignant des affects, des ressentis profonds. Mmh... Mais bon, on est toujours décidés à triper ensemble. On a chacun hésité, mais on est décidés à faire confiance.
Plus tard, Lando et Clémentine passent nous voir près du lac, on remballe nos trucs avec Anacore, et go pour le camion.
Super-potion magique
Avec Lando, on fait les calculs. On veut triper tous les quatres, Clémentine le sent bien dans la forêt, Anacore est sûr de lui. 8 graines de LSA pour quatres personnes, ça fait 2 par personnes, ce qui est léger. Lando, lui, a des champis pour 4 doses. Il commence une infusion, je ne sais pas avec quelle dose. Je ne sais pas de quels champis il s’agit, non plus, il n’a pas voulu me dire. Il dit les avoirs cueillis quelque part. Ça ne me fait rien, je fais confiance. Et puis, on est tous à en prendre.
Il fait donc le thé de champis, auquel il rajoute mon extraction de LSA au calva. En ouvrant ma fiole, le scellé du bouchon fait crac, exactement comme quand on ouvre une bouteille de coca. Ah, oui, j’ai fait les choses bien.
Et nous voilà avec une théière de potion super-magique, un combo LSA-champotes, que du naturel, voilà qui va bien avec Brocéliande.
Lando me tends le premier verre de la mixture, qui a un chaud goût de terre (c’est les champis) et de pomme (c’est le calva). Chacun prends un verre à son tour, et c’est reparti pour une ronde, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien. On est tous enthousiastes.
Dis donc, Lando, c’est cool, on fait du partage, là ! On partage les champis, le LSA, on tripe ensemble.
On partage tout... sauf les femmes ! C’est ce qu’on dit au Maroc.
Je ris un peu jaune. Je voulais témoigner de mon enthousiasme, et voilà que des tensions sexuelles apparaissent. Oui, Lando sors avec Clémentine, il y semble assez attaché. J’ai pas envie de perturber le truc, et en même temps, je m’entends bien avec elle. C’est pas un crime, mais y’a de la tension dans l’air. Cette fille semble assez fragile, Lando joue un peu le rôle de père avec elle, et mhh... ça perturbe un peu l’ambiance ces histoires de couple. C’est qu’ils ne sont ensembles que depuis quelques jours, on est pas dans un domaine très stable.
Oh et puis merde, je suis pas venu pour draguer, loin de là.
Bon, on se met en route. Il est peut-être 14:30.
L’arbre maître
Lando guide la troupe. Il connaît un vieux hêtre, on a convenu d’y aller pour y passer le trip. En chemin dans cette magnifique forêt, on discute ensemble. J’aborde un thème que j’avais commencé avec Anacore :
« J’ai bien l’impression qu’on est venu ici pour se rappeller qui nous sommes. Comme si nous l’avions toujours su, jadis, et puis oublié, au moment de venir sur Terre. Et là, on retrouve nos personnalité profonde, celle qui ne meurt pas. »
Lando semble d’accord avec moi, on progresse. Mais je suis tendu à parler avec lui. J’ai peur qu’il trouve mon discours arrogant, qu’il le casse. Oui, à dire vrai, j’angoisse de parler avec Lando. Je ne parviens pas à savoir qui il y est, à comprendre ce qu’il ressent. C’est comme s’il y avait un mur entre lui et moi.
Il guide notre petite expédition, puis dit « regardez autour de vous ». Et là, nous le trouvons. C’est un grand hêtre, au large tronc, un arbre maîre, le plus vieux des alentours. Autour de lui, un large espace libre. Cet arbre est une explosion de branche, une illustration de la fractale. C’est comme si une fusée avait décollé pour exploser à six mètres du sol, en traçant le chemin de la pousse du tronc et des branches.
Nous y sommes ! Il est 15 heures. On commence à se poser, à faire des câlins à l’arbre, à s’allonger autour, au creux de ses racines. Je m’apuie contre le tronc, et quand je lève la tête je vois quelque chose comme ça :
L’attente incertaine
On commence à chanter. Lando joue, et là encore j’ai du mal à accrocher. Je tâche de chanter avec, mais la suite d’accords est imprévisible pour moi, pas assez répétitive. Je tâche de jouer avec la guitare, aussi, et curieusement, le cœur n’y est pas. J’ai la désagréable impression d’être au lycée, à l’époque où l’on tâche de faire son petit numéro à la guitare, en tâchant d’impressionner les autres, mais sans les écouter, sans partager.
Puis, Lando prends le jembé, et joue, et ça envoie, alors je me lève, je danse en le regardant dans les yeux. J’ai décidément l’impression de pouvoir rentrer dans un truc avec lui. Je commence à danser, à me démembrer comme un pantin désarticulé, à triper, vraiment. Il joue la danse du lion, mais je me retrouve plutôt à faire la danse du serpent. J’ai l’impression de faire les choses mal.
Clémentine rit de me voir danser, et j’ai tout de suite l’appréhension de réveiller une tension entre moi et le couple. Trop tard, la tension est là. Je ne veux pas danser d’une manière qui plairait à Clémentine, pour ne pas déplaire à Lando, dont j’ai peur. Bref, vous voyez le mic-mac.
Je me pose sur mon tapis de sol près de l’arbre, parce que je me sens groggy. Je commence à déphaser un peu, à ressentir le chaos. « Oh, un arbre ! Il est tout petit ! » La réplique fait mouche, Clémentine rigole franchement. Voilà quelque chose de spontanné, qui nous fait rire. Et Lando qui reste de marbre. Anacore, serein, dans ses pensées.
Je me sers du carnet de trip pour noter les impressions des gens.
Anacore : « Ça monte, ça sort de l’arbre. »
Clémentine : « Trop bien. Inexplicable. Ineffable. »
Lando : « Super bien. »
Moi : « Associations d’idées canabesques. Si tu cherches le serpent, tu trouves le serpent. »
Sur le cahier, je note aussi le concept d’hyperbole décrit par Lando : dans une discussion partie sur une idée, on passe à une autre idée, puis à une autre, et ainsi de suite, et au final on retombe sur la première idée. C’est une hyperbole.
Et une citation d’Anacore : « Peut importe où tu es sur Terre, du moment que tu es avec toi. »
Ça commence à monter vraiment. Je décide de m’éloigner du groupe. Je marche à pas hésitant. Le chien me suit. Faire quinze mètres me prends une éternité. Je suis dans le chaos de l’instant présent, à la manière du cannabis. Mais que suis-je venu faire ? Mais que faire ?
Lando vient juste de dire : « La forêt, elle a toujours quelque chose à te dire, et on a toujours quelque chose à lui demander. »
Mais que suis-je venu faire ? Que faire ?
La forêt me réponds qu’il me faut aimer les autres. Alors je reviens vers les autres. Et au moment de revenir vers les autres, je sens quelque chose. Je ne me sens pas bien avec les autres. Je voudrais qu’ils me donnent leur attention, je voudrais exister pour eux, mais j’ai peur qu’ils me prennent pour un crétin, ou qu’ils n’aient rien à faire de moi. Je ne sais pas quoi faire, ne sais pas où me mettre. Mon trip part dans tous les sens.
Om
Me voilà devant Lando et l’arbre, en tailleur. On sent qu’il y a quelque chose à faire. J’ai tendance à me disperser, il faut se rassembler. De fil en aiguille, ça se fait naturellement, on décide de se tenir la main. Je prends celles de Clémentine et d’Anacore, Lando lâche la guitare, joint les mains à son tour, et il commence à chanter.
Om
D’une voix profonde, guturale, méditative. C’est superbe. Nous chantons à notre tour. Je chante le Om, Anacore chante, Clémentine chante.
Tout se centre, tout se concentre. L’énergie se met à couler. Ma voix se perche, passe du Om à une forme de chant plus chamanique. J’ignore d’où ça vient, mais ça vient tout seul. « Hey hey hey hey hey oheyeyeyeyyeyee » et je commence à trembler, à convulser aussi, à lever la tête. J’ouvre les yeux pour demander aux autres si ça les gêne pas. Clémentine me dit « Vas-y, là, au point où on en est... » en s’amusant, parce qu’elle passe un bon moment. Mais là je sens que je ne fais pas ça pour m’amuser, c’est quelque chose de profond. Je doute que tout le monde puisse suivre ce genre de voyage chamanique dans lequel une force m’aspire. Lando le pourrait, certainement. Mais les autres ?
Je me remet à chanter, mais d’une façon ou d’une autre, on s’arrête.
J’interviens : « Est-ce qu’on veut tous dire quelque chose d’important pour nous ? » J’aimerai partager comme j’aime le faire : avec la parole. Clémentine réponds directement : « Ah, non, je préfère pas. J’ai mes histoires, et j’ai pas envie de creuser. C’est pas que je te fais pas confiance ou quoi, mais j’ai vraiment pas envie d’en parler. »
Pas de souci, bien sûr. J’ai l’intime certitude que je ne triperai pas avec Clémentine, qui semble tourmentée, et vouloir rester dans un trip récréatif.
De l’obsidienne comme trip toy
On s’est calé ensemble, avec le chant. Et maintenant il nous faut un trip toy, c’est Anacore qui émet l’idée qu’un objet nous permettrait de nous canaliser.
Lando sors une pierre d’obsidienne, qu’il donne à Clémentine, dont les doigts tremblent beaucoup. Chose amusante, après avoir discuté un peu le phénomène, il apparaît que lorsqu’elle tient la pierre, ses doigts arrêtent de trembler. Elle passe sa pierre d’une main à l’autre pour vérifier le phénomène, et s’en amuse. La manière qu’elle a de s’en amuser me fait faire tilt : tout le monde ne tripe pas comme moi. Certains s’amusent.
La pierre arrive vers moi. Je la tiens, m’émerveille de sa forme, et constate qu’elle a tendance à partir sur ma droite. Je ne fais qu’accompagner son mouvement de translation, magnifique. Et puis, elle revient, part sur ma gauche. Je m’extasie de sa forme, commence à la faire tourner, mais non, c’est elle qui tourne d’elle-même, je m’efforce juste de suivre son mouvement. J’ai un grand sourire sur le visage, ceci est magnifique.
Je donne la pierre à Anacore en faisant un grand sourire à Lando, dont le visage reste impénétrable.
Anacore tient la pierre dans sa main et la contemple avec respect. Puis il la passe à Lando.
Lando tient la pierre dans sa main, passe l’autre main au-dessus, et ferme les yeux. Je commence à m’émerveiller de ce qu’il fait, et en même temps, une certaine frustration commence à poindre. Ah, merde, Lando garde les yeux fermés et ne partage pas ce qu’il vit.
Commencement de l’errance
Je déclare à tout le monde que maintenant je veux aller vivre mon truc, je vais prendre ma goa et ma serviette, et me poser quelque part. Clémentine est la seule à me répondre, me confirme qu’il n’y a pas de problème. Anacore, heu... je sais pas ce qu’il fait celui-là ! Il est dans son coin, il ne bouge pas et ne dit rien. Lando est toujours impénétrable, centré sur sa pierre.
Donc, me voilà à errer pour trouver un coin où je pourrai me poser à méditer. Hop, je m’assieds, me met ma petite goa sur les oreilles, et tâche de rentrer dans le silence.
Seulement, difficile. Je m’en veux de ne pas pouvoir rester avec les autres, de ne pas être sociable. Si ça se trouve ils me prennent pour un connard autiste. Ah, zut. Bon, on écoute, on regarde. Je m’allonge, me laisse pénétrer par la musique, mais il ne se passe pas grand-chose. Les visuels timides ne sont constitués que de petits insectes qui passent par là, normal, je suis sur le sol de la forêt, qui en est plein.
Bon, je ne peux pas passer à côté, il faut que je regarde les choses en face, en l’occurence ma relation aux autres. Que dois-je faire ? Et vite fait, la lumière me dit qu’il me faut aimer les autres. Comment aimer Lando ? Ah, je sais ! Lui dire que j’ai apprécié le chant et le partage de la pierre, moments où je n’avais pas peur de lui ! Simple, en fait.
Tentative de contact avec Lando
Je retourne vers l’arbre, où Lando joue maintenant de la guitare. Clémentine est allongée, Anacore est en méditation.
Je m’assied devant Lando. Ce qu’il joue à la guitare n’est pas complètement mon truc, mais pour être honnête, c’est Lando lui-même qui fait que j’ai du mal. D’ordinaire, c’est mon phantasme de jouer de la guitare pour les autres. Et là, c’est lui qui remplis ce rôle. Collision de personnalités. Mais je veux lui parler pour l’atteindre, sûr de moi.
« Lando... »
Il lève la tête et me regarde en s’arrêtant de jouer. Clémentine fait « Ah, non... ». La guitare l’a bercée. J’ai vraiment l’impression de casser une vie de famille dont Lando est le patriarche, Clémentine la femme, et Anacore le fils.
« Lando, je souhaite avoir une discussion avec toi.
Là, je suis bien, avec la guitare, j’ai pas trop envie de bouger. On pourra le faire plus tard, si tu veux. »
Le contact passe mal pour mettre la conversation en route. Il est bien, là avec sa guitare, il voudrait remettre ça à plus tard. J’ai le net sentiment de casser une routine de trip. Exprimer un souhait, c’est pas comme ça qu’il fonctionne, j’ai l’impression.
De plus, il a quelque chose dans l’œil qui lui fait mal, on doit prendre soin de lui, et j’ai le net sentiment que ça retarde la conversation à dessein. Bref, je part dans des mauvaises pensées, dans une grosse appréhension.
On finit par marcher ensemble et par trouver un endroit. Il s’assied sur une souche, ce qui le place en légère surélévation par rapport à moi. Je bafouille en cherchant mes mots, plein d’appréhension, un discours qui peut se formuler comme suit :
« Voilà, Lando, pour être honnête, j’ai peur de toi. Je ne te l’ai pas dit, mais j’ai eu peur de toi, jusqu’à ce qu’on chante le Om ensemble, et qu’on se passe la pierre d’obsidienne. À ce moment, je n’ai plus eu peur de toi. C’est que j’ai beaucoup d’angoisse en moi, ça fait partie de ma vie.»
Et j’ai oublié l’élément important qui vient clore un discours non-violent : la demande. J’aurai du lui dire « Lando, je souhaite partager mon trip avec toi. S’il te plaît, montre-moi ce qu’il y a de bon en toi ». Mais je n’y suis pas parvenu, je me sentais trop coupable de l’avoir déjà tant dérangé.
Sa réaction a été, une fois de plus, impénétrable. Il a admis que j’avais une sacrée machine à laver dans la tête, et.... il ne m’a rien dit de plus (en même temps, je lui ai pas formulé la demande, donc...).
Bref, un coup dans l’eau, et on retourne près de l’arbre. Et là, il s’est passé quoi ? Heu...
Tout est flou. Je retourne dans l’errance. Il est 17:40.
Ah ! J’ai de l’angoisse !
Je ne veux pas rester près de l’arbre. Anacore aimerait parler avec moi. Mais là, je souhaite m’écouter ma goa, je lui dit que je le contacterai après.
Je me pose sur un tallus et commence à danser. Je vois des bois de cerfs qui montent, et mes bras montent, et, heu... l’angoisse monte aussi. Qu’est-ce qu’il se passe ? Ah, cette musique me fait peur. J’ai de l’angoisse. Et merde, mais qu’est-ce que je fous là, pourquoi je suis venu dans cette forêt prendre des champis, et que dois-je faire de ma vie, etc.
Je cherche Anacore. Il a laissé Lando et Clémentine seuls près de l’arbre, pour se percher sur un tallus entouré de buissons épineux. « On peut parler ? » Il m’invite à le rejoindre. C’est un peu chaud à atteindre mais bon. Bien, m’y voilà. Il va très bien, très serein. « J’ai fait ma renaissance », dit-il. Nickel pour lui. Moi, je n’ai pas fait ma renaissance.
« Anacore, tu veux m’aider ? (Je lui prends la main)
Oui.
Voilà, j’ai de l’angoisse....
Trop d’angoisse. »
Mmh, c’est pas ce discours qui va m’aider. Je regarde Anacore dans les yeux et lui dit « Anacore, tu ne peux m’aider, et c’est très bien comme ça. Je m’en vais m’aider moi-même. »
Mmh, la situation est critique mais pas desespérée. Je retourne près de l’arbre. Ma détermination devient de plus en plus claire : gérer l’angoisse. J’arrive près de Lando et Clémentine, qui se font des papouilles, et leurs dit gaiement : « J’ai de l’angoisse ! Je m’en vais gérer mes trucs dans la forêt, de mon côté, avec la musique ! Vous en faites pas pour moi, je sais faire mon ménage ! » Ils approuvent. Et en même temps ils m’ont l’air un peu estomaqués, j’imagine qu’il n’y a pas beaucoup de loulous comme moi qui tiennent ce genre de discours.
Allez, go, j’y vais.
Mise en place du plan de secours
Car oui, c’est un plan de secours. Allez, j’ai ma serviette pour m’allonger, j’ai ma goa, j’ai tout ! Je fonce gaiment dans un tas de fougères géantes pour me mettre à l’écart. Quand j’ai progressé difficilement, je m’aperçois que décidément je fais n’importe quoi, parce que ces fougères sont trop impénétrables. Pfiou, saloperie de champotes qui ôtent le bon jugement.
Bon, je ressors, et je me remet à courir. Cours vers ta vie, Styloplume. Cours vers ta mort. Car c’est vers la mort que nous allons.
L’angoisse est un affect
Me voilà dans des sous-bois plus praticables. Je commence marcher moins vite, et à parler.
« Oui, j’avoue. J’ai pris cette potion magique car je recherchais un moyen d’épater les gens du forum, pour recevoir de l’attention, de l’amour. J’ai besoin d’amour et je n’en ai pas reçu des autres.
- T’as vu, Stylo, tu voulais un psyché, un trip aux affects, et maintenant t’es en plein dedans, en plein dans les affects. Tu es triste, plein d’angoisse. Wuuvgan l’a dit : c’est de l’anxiété que tu ressens. Tu prends cher, là, hein ?
- C’est vrai. Je prends cher. Je suis désolé...»
Je jette ma serviette par terre et m’écroule dessus en pleurant. Je suis désolé ! J’ai fait une connerie ! Je sais pas ce que j’ai fait mais je suis désolé !
Le bad monte sec. Putain, c’est dur les psychés, c’est dur, est-ce que je vais y arriver ?
Je peux gérer la mise en introspection
La réponse vient. Bordel, mais oui, je connais les trucs ! J’ai de la théorie et de la pratique en plans de secours, alors maintenant calme-toi, je prends les choses en main.
Là, allez, on s’allonge sur la serviette. C’est piquant par terre ? Et bah oui, écoute, tant pis, on aurait pu mieux gérer le set & setting, mais là il faut s’en contenter. Allez, allonge-toi. Voilà. Maintenant, la goa, voilà. Ca y est ? Bon, maintenant, le cache sur les yeux. Allez, mets-le, il est dans ta poche, tu vois qu’on a fait les choses bien. Maintenant souviens-toi, laisse-toi bouffer par le truc et bouge pas de là.
D’accord, d’accord. Je m’allonge, je met la goa, puis le cache sur les yeux, qui aussitôt transforme le champ visuel en un écran géant de visuels psychés. Sur mes oreilles, Electric Universe, la track One Love. Rien d’autre ne passe, alors je me branche sur une valeur sûre.
Et c’est parti pour le grand saut. Allez, on se conditionne pour triper introspectif :
« Anacore n’est pas thérapeute, ce n’est pas son rôle et on ne peut pas lui en vouloir. Lando n’est pas thérapeute, ce n’est pas son rôle et on ne peut pas lui en vouloir.
Clémentine n’est pas thérapeute (elle en aurait plutôt besoin),
Et moi je ne suis le thérapeute de personne. »
Je cherche la porte étroite
Et à mesure que je dis ça, tout se profile. Je me laisse remplir par l’évidence : c’est ça que je voulais faire en venant prendre du LSA à Brocéliande. Pas triper avec des gens que je ne connaît pas, mais vivre mon voyage intérieur. Et je ne fais que me retrouver là où j’aurai du être depuis le début : seul avec moi.
La musique devient cosmique. Les visuels s’étalent, bien que ténus. Ce sont des branchages symétriques qui tombent du haut vers le bas, qui sont fort piquants. Normal, je suis allongé sur des choses qui piquent : faînes pleins de petites pointes, ronces, trucs et machins. Et je laisse tout venir. Si je dois me faire piquer par des trucs et des tiques, j’assume. Je suis venu pour triper, et triper c’est accepter toutes les choses.
Un visuel notemment m’intéresse : c’est un vortex maigrelet dont les bords s’effilochent pour former les pattes d’une araignées, qui fait son chemin vers moi. Cependant, les visuels sont ténus, et je ne me retrouve pas dedans. Je tache de lâcher prise, de ne penser à rien. Et quand j’y parviens, la musique prends plus de place. Electric Universe c’est beau et répétitif, il me faut bien ça pour garder confiance.
Bon, j’en chie vraiment là, je ne trouve pas la porte étroite, je ne trouve pas la lumière. Je m’en veux, je ne suis vraiment bon à rien, je fais tout de travers, j’ai rien compris.
Lutte pas contre le désespoir, Stylo. Par contre, tu peux t’asseoir pour mieux méditer.
Je m’assied. C’est ni pratique ni comfortable sur ce sol, mais l’essentiel est que je puisse faire abstraction pour rentrer dans l’expérience. Une fois assis, il est plus facile de me concentrer sur ma respiration, d’écouter la musique.
La musique est magnifique, évidemment. Elle ne me prends pas non plus complètement par la main, ou bien ? On va voir. En attendant, j’aperçois quelques expolsions thermonucléaires au loin, ce qui m’indique que je suis dans la troisième matrice périnatale, en tout cas, je crois. (dommage que la dose soit pas plus forte, j’aurai kiffé de voir ces explosions en plus gros).
Bon, je vais me concentrer sur cette ligne de basse bien chimique et écrasante, voir si ça marche.
Clic
Donc, je suis cette ligne de basse. Et les visuels, bien que très timides, se mettent à monter. Des lignes bleues et épaisses qui semblent former un éléphant debout. C’est vrai que c’est assez joli.
Ah, ouais, pas mal cette basse en fait. Cette musique est plaisante, à dire vrai. Elle prends beaucoup de place, elle remplit tout l’univers.
Ah, on est bien ici. Qu’est-ce que j’étais venu faire, au fait ?
De l’angoisse ? Ha ! Laissez-moi rire. Tout va bien ici.
Tout va bien ?
MOTHERFUCKING JESUS !
Yeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeehhhhhhhhaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa !!!!!!!!
Et voilà, connard de petit chéper. T’as. Tout. Compris.
J’enlève le cache sur les yeux. La FORÊT, messieurs-dames ! La forêt, avec plein de couleurs. Ces couleurs, ça faisait un an que je les avais pas vu ! Je suis revenu dans le monde magique du LSD, des psychés, du grand tout et ainsi de suite. Je suis ressucité !
J’ai réussi ! Bordel de merde, j’ai réussi ! Je tripe à bloc, maintenant, tout va bien, putain, tout va bien, toute cette angoisse venait de moi !
Donc, je n’avais pas peur de Lando à cause de lui mais à cause de moi ! Il faut que j’aille lui dire ça ! Il faut absolument témoigner de ce que j’ai vécu ! Il faut que je partage ça ! Bordel, je tripe à bloc, j’ai compris les champis et j’ai compris pourquoi j’en ai pris ! C’est pour vivre, pour avoir la joie !
La course
Je retourne près de l’arbre en courant. Ah, putain, ces couleurs ! Ah ! Anacore est là, mais ni Lando ni Clémentine. Ils sont partis ? Il y a combien de temps ? Il faut que je les rejoigne !
Allez, allez, allez ! Je peux le faire ! Je me met à courir dans la forêt, je perds le chemin, je cours à gauche, à droite, et puis merde, je reprends la grande route, et je cours, je cours, je cours, je suis à balle, dans le vortex de la vie. Stylo, jeune homme plein de bonnes intentions, qui veut témoigner de l’amour à celui dont il a peur, et qui est prêt à lui courir après pour lui dire. Je sais que je suis grave immature, que j’agis comme un gamin, et je m’accepte comme ça. J’ai encore le temps de grandir.
Et Electric Universe qui galope dans mes oreilles, et je crois un cycliste que je salue, et je me retrouve au camion de Lando, qui n’est pas là, et je croise des randonneurs à vélo en train de chiller, je leurs demande s’ils ont vu passer Lando et Clémentine. Ils ne les ont pas vu : « Qu’est-ce qu’on leurs dit si on les voit ? » Du tac au tac je réponds : « Dites-leurs que je les aime ».
Je me remet à courir dans le sens inverse pour capter Lando et Clémentine sur le chemin, de sorte d’être sûr de les croiser. Et déjà je les vois arriver. Je cours vers eux, rempli de joie.
« Fais le silence »
Lando me regarde avec un peu d’émotion. Peut-être de l’amusement.
« T’es fatigué ?
- Non ! Je suis venu vous dire... j’ai réussi. Toute cette angoisse venait de moi. J’en ai chié, putain, j’en ai chié, c’était dur, et puis j’ai trouvé la porte étroite, et toute la joie est revenue. Voilà, j’ai dit que j’avais peur de toi, en fait tout venait de moi... »
Lando fait quelque chose que je n’oublierai jamais. Il pointe son bâton de marche vers ma tête, décris un triangle avec, en pointant successivement chaque épaule puis mon front, en déclarant : « Fais le silence, fais le silence, fais le silence ».
Ce qui, a nouveau, a montré qu’il m’est absolument impossible de triper avec ce mec. On peut sûrement analyser dix mille trucs de ce qu’il s’est passé, inventer pleins d’hypothèses : que je le considérais comme une figure du père dont j’espérais les félicitations, qu’il pointait son bâton vers moi comme symbole phalique et aggressif, une confrontation entre mâle pour la fille à côté... on pourrait aussi imaginer que pour lui j’étais un jeune type bizarre et bouillonant d’énergie qui déborde dans tous les sens, qui avait besoin de recadrage. Ou tout simplement, il cherchait à transmettre sa façon de triper, qui passe par le silence intérieur. Ou bien, je lui ai juste fait peur et il a tenu à marquer de la distance. Sûrement un mélange de tout ça, à divers niveau de conscience et de refoulement.
Quel que soit l’origine de son geste, je me dois résolument de ne pas la rechercher, car cette piste ne m’appartient pas. C’est sa vie, c’est son histoire. Moi, j’ai ma vie.
Ce qu’il m’a dit m’a semblé absolument inutile. J’ai déjà la joie, pourquoi faire le silence ? J’ai fait ma mort/renaissance, j’ai trouvé ma personnalité, j’ai déjà fait le silence ! Je suis en paix à présent ! Soit, je bouillonne, mais je bouillonne de joie de vivre !
La seule chose dont je soit sûr, c’est que Lando et moi sommes différents, tripons différemment, et que le contact authentique est impossible (son geste est sans équivoque). Nous sommes juste différents.
De toutes façons, ce dialogue ne dure pas, je retourne dans la forêt pour retrouver Anacore. Et normalement les randonneurs cyclistes vont leur donner mon message d’amour quand Lando et Clémentine les croiserons.
La grosse perche lumineuse
Ça y est, je suis sur le chemin. Je suis dans la forêt, le long des rives du lac. Et je crois me perdre, tellement l’endroit est différent. Le lac, le château, éclairé par le soleil qui baisse lentement sur l’horizon. Tout est magique.
Magique, c’est le mot. Le lieu est magique, j’ai pris de la potion magique... Electric Universe a goût de joie de vivre dans mes oreilles, une vraie fontaine d’énergie. Et toute mon angoisse est partie. S’il faut que je me perde, très bien ! Je me perdrai donc. Anacore a dit que ça fait partie du truc de se perdre dans Brocéliande. Je m’égare, alors, je suis sur le bord de l’eau, je suis un chemin, je parcoure cette magnifique forêt pleine de couleurs. De là où je suis je profite d’un spectacle qui ressemble à ça :
Le vent balaye le lac, je suis libre !
Oh, un arbre ! Allez, un câlin.
Ça y est, j’ai renoué avec la magie des psychés. La mort/renaissance, ça marche enfin ! Et dire que tout ce qu’il fallait c’était un peu de LSA et des champotes ! Maintenant, tout est confirmé, je redescends dans la réalité en appuyant toutes mes pensées sur la Source. Là d’où vient la joie, viennent mes pensées. Je suis capable. Je suis quelqu’un, je suis moi. J’ai compris la perche, j’ai compris l’inversion des commandes. Jésus l’a bien dit :
«Car celui qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui qui la perdra à cause de moi la sauvera. » Luc 9:24
Voilà, j’ai accepté de perdre ma vie, de me laisser bouffer par l’angoisse, tout ça parce que j’ai la Foi. J’ai foi en la vie éternelle, putain, c’est ouf mais c’est excellent, c’est quelque chose qui fonctionne.
Et maintenant je suis absolument certain de distinguer le chemin. Et je pourrai accompagner les gens dessus. J’ai compris la logique du bad.
Je rejoins Anacore, qui est en train de lire près de l’arbre maître. Il est serein. Je me rapproche de lui (ah, il a plein de couleurs, les joues roses, ça fait plaisir à voir) et je lui dit : « Voilà. J’ai fait ma renaissance. » Il dit : « Très bien. »
Et puis, ce gars m’accepte, avec ce gars, je peut être moi-même ! Je suis vivant, bordel, j’ai plein d’énergie ! Alors je hurle à la forêt : « JE SUIS VIVAAAANT !! » de toutes mes forces. Ah, oui, l’énergie, wow, l’énergie. Je comprends pourquoi Lando m’a dit de la fermer, parce que je passe mon temps à parler, à m’extasier, à dire tout haut ma joie.
Allez, je vais me calmer, je vais sur le bord du lac, je me cale de la musique tranquille, et m’allonge n’importe comment sur le sol. Je m’en fous, je suis heureux. Je regarde mon corps pour regarder les dégats qu’y ont pu faire les insectes. J’ai une tique sur le poignet droit. Bien, c’est noté. Sinon, rien à signaler. J’ai un beau corps, dis donc ! Mes mains sont magnifiques, pleines de vie, remplies de couleurs. Je suis vraiment revenu au pays du LSD, en moins fort, mais définitivement psychédélique.
Bon, je me calme un peu, je retourne vers Anacore. Il m’aide à enlever la tique, et puis on se décide à voir ce qu’on fait, maintenant.
Toutes les pensées se déroulent sans problème. Voir quand on mange, où on va, combien de temps on y passe, tout ceci est d’une facilité désarmante avec Anacore. Je suis dans un enthousiasme incroyable. Ranger mes affaires, d’ordinaire j’angoisse rien que d’y penser, parce que ranger un sac de voyage en vrac c’est pas mon truc. Mais là, aucun problème, je m’attaque à chaque action comme à un défi personnel. « Boah, l’énergie, mec, l’énergie, un truc de malade ». Effectivement, tout l’effort que je mettais auparavant à angoisser est maintenant employé à meilleur escient : faire les choses. Et je les fais, et ça passe, et c’est génial.
Descente sans histoire
On repasse près des camions. Lando et Clémentine sont en conversation avec un couple de teufeurs. Il y a de la minimal qui passe dans leur camion. J’arrive, je dis bonjour, et leur musique me happe. Je commence à carresser la musique de la main, c’est un truc excellent, et je leurs dit : « Ah, vous êtes comme ça, vous ! » Pffff Lando a sûrement honte de moi. Mais il ne dit rien, en fait il ne m’accorde aucune attention, je crois que ce type ne m’aime pas, en fait. L’autre couple de teufeur, lui, sourit simplement en me demandant si ça va. « Ah oui, ça va, pas de soucis ! » Ha ha le gros smile, on est à Brocéliande et ça tripe, la force est avec moi !
Avec Anacore on se pose sur les bords du lac. On a faim, alors on mange. J’ai un peu mal au ventre, comme si je voulais uriner tout le temps. Je pense que c’est l’intoxication LSA champis qui a fait ça. Ça ne dure pas très longtemps.
On chauffe des canellonis sur le réchaud et on commence une partie d’échecs. Le réchaud bascule et on se retrouve avec de la sauce tomate sur le jeu d’échecs, c’est le gros bad pendant quinze secondes. Et puis on fait face. Je vais chercher des serviettes sur le marché.
Un gars descend d’une voiture pour me demander le chemin d’une crêperie. Je lui dit d’aller voir dans la rue principale avec un grand sourire. Le mec me fait un sourire entendu, et me fait :
« Elle est bonne ?
- La crêperie ? Aucune idée ! Mais j’ai goûté autre chose qui étais très bon !
- C’est quoi ?
- Ah, il faut pas le dire.
- Boah, allez...
- Oh, vous savez, Brocéliande, les korrigans, les druides... la potion magique... (clin d’œil) »
Bref je suis d’une humeur excellente.
Avec Anacore on mange, et là je deviens un peu chiant (je veux dire, un peu plus), je tiens absolument à m’enfoncer un peu plus loin dans la forêt pour la nuit, je veux faire du feu. Lui, il est crevé, il ne tient pas à devoir marcher de trop, et moi j’insiste, je suis sûrement très lourd. C’est que j’ai plein d’énergie, de l’énergie à revendre même.
Finalement on s’en va, on croise Lando et Clémentine, avec qui on fait des adieux sommaires. Lando me dit deux trois mots à propos du silence, mais quelque part j’ai bien compris qu’on ne se comprends pas, alors je ne vais pas y faire attention.
On se pose dans un bois près du lac, à la fois proche du village et déjà bien sauvage. Je laisse tomber l’idée de faire du feu, on est bien crevés en fait. Il est 22 heures. On passe un peu de temps à lire, on parle de temps à autre, on chille, quoi.
Je remarque quelque chose, à ce moment : le trip a fait du bien, à nous deux. Avant, j’avais pas mal d’appréhensions dans mon contact avec Anacore, ne serait-ce que des trucs tout cons, comme dire ce que je pense à propos de telle ou telle chose. Comment je me place par rapport à lui ? Quelle image a-t-il de moi ? Est-ce que je fais semblant de me prendre pour quelqu’un d’autre ? Et ainsi de suite.
Or là, rien de tel. Anacore m’a vu bader et sortir du bad, courir dans la forêt vers mes angoisses, et courir dans la forêt une fois sorti de l’angoisse. J’ai été MOI en face de lui, je ne pouvais pas tricher. Et lui, je l’ai vu comme il est, pendant le trip : le même. Je sais qui il est, il sait qui je suis. Nous pouvons donc être parfaitement honnêtes l’un avec l’autre.
Ainsi, chaque mot que nous échangeons, et qui pourrait paraître banal à des yeux extérieurs, a pour nous une signification plus profonde qu’en temps normal. Nous sommes dans l’afterglow, l’état de grâce post-trip, où la clarté est de mise.
Nuit sans histoires. Anacore s’est réveillé pendant la nuit, mais je n’en sais pas plus.
Les adieux à Brocéliande
Le réveil sonne à 7:30. « Hey, Anacore, lève la tête, regarde en face de toi ! » Encore endormi, le gars lève la tête, et boah, on est maintenant deux à s’en prendre plein la gueule.
Le SOLEIL, les mecs ! Le soleil qui se lève en même temps que nous, et qui rentre dans le bois, en illuminant le matin de ses chauds rayons. Le SOLEIL, la source, ha shemesh !
Je cours jusqu’au bord du lac, où je hurle : « BON MATIN, BROCÉLIANDE !! »
Boah, l’énergie, les mecs, l’énergie!
Anacore, après avoir satisfait un besoin naturel, me fait une remarque : « J’ai trouvé quelque chose à dire à ceux qui disent : « Vous imaginez si tout le monde faisait pareil ? » Et bien, si tout le monde faisait pareil, il n’y aurais plus de problème, car le comportement ne serait plus marginal. » Anacore est lui aussi dans l’afterglow, à construire ses pensées sur la solide base du trip. Ce type est génial, et en plus je peux lui dire que je l’aime comme ça. Tout est parfait.
On se fait un petit dèj pain+spéculos, un combo qui se défend bien, même si ça manque un peu de café. Allez, on remballe tout (« l’énergie, boah, l’énergie ») et on se met en route. Au revoir Brocéliande, on reviendra, oooohhhh oui.
Voyage retour
Hop, on grimpe dans le bus, et c’est parti pour un voyage un peu éprouvant. Arrivés à Rennes, on se rends compte qu’il va falloir attendre plus de quatre heures avant notre train pour la Normandie... Un peu dur. On se pose en mode campeurs, avec le réchaud et les raviolis.
On fait la rencontre d’un libre-penseur qui nous vends son bouquin imprimé avec les moyens du bord, et qui démonte les illusions dans lesquelles nous bercent la société. Bonnes réfléxions sur le changement. Je me rends compte que ceux qui s’intéressent à la fin du monde, aux prophéties maya, et tutti quanti, et bien, c’est comme s’ils attendaient la grosse mort/renaissance collective, reflet de la mort/renaissance individuelle. C’est ce que je vois dans les yeux de ce gars révolté et plein de bonne volonté. C’est bien, je peux lui faire un câlin au moment de l’encourager et de lui dire au revoir.
Ensuite, j’insiste auprès d’Anacore pour aller sur les quais. Sur les quais, je me met ma goa sur les oreilles et je fais mon acid dance en marchant lentement, en saluant les trains qui passent, etc. Je suis libre, bordel, je suis LIBRE !
Et voilà le train, et on y va. Le voyage est un peu éprouvant. Une fois arrivés, je fais mes adieux à Anacore, avec tout plein de mercis pour ce qu’on a vécu. Merci pour Brocéliande, Anacore. Merci pour la forêt. Merci pour être qui tu es. Ensemble nous avons retrouvé notre propre nature, et nous avons pu la partager.
En marchant pour rentrer, je me fais un petit bad en repensant à Lando et en me reprochant d’avoir mal géré le trip auprès de lui. Heureusement, une pensée vient, très claire, une décision : ne pas droper avec des gens qu’on ne sent pas.
Je croise mes copains mormons, avec qui j’ai déjà eu des grosses conversation sur Dieu et la foi. Avec un sourire radieux, je leurs raconte mon pélerinage à Brocéliande, mon trip aux champis et ma mort/renaissance. Muhahahaha je les ai sûrement choqués. Et puis plein de messages d’amour (parce qu’entre croyants on se comprends), et salut les gars.
Une dernière session goa en passant sur la fac, retour à la maison, et hop dodo.
Je ne veux pas triper avec des gens que je ne sens pas
Vachement important. Je veux triper avec des gens en qui j’ai confiance, avec lesquels je peux partager ce que je pense et ce que je ressens. Si j’ai pas pu mettre les choses au point avant, ne pas compter sur le trip pour arranger cela.
De même, et Quetzal l’a confirmé : triepr avec un couple ne semble pas idéal, il y a trop de tensions sous-jacentes qui risquent de partir dans des directions indésirables.
L’inversion des commandes, je gère
Ça se confirme et ça se résume comme ça : mourir plus pour vivre plus. C’est le grand paradoxe de l’existence qui s’applique merveilleusement si on l’applique, et qui nous poursuit diaboliquement si on le fuit.
Là, c’est devenu certain : je suis capable de gérer l’inversion des commandes, en m’isolant pour foncer vers l’angoisse plutôt qu’essayer de la refouler. Le reste, c’est balisé : les matrices périnatales, la mort/renaissance, et ainsi de suite.
Mon symptôme c’est l’angoisse
Ça aussi c’est clair : j’ai tendance à angoisser facilement si je tripe avec des gens en qui je n’ai pas confiance. C’est pas grave d’être angoissé, j’ai d’autres qualités. En fait, ça me rassure profondément de mettre un mot sur le symptôme dont je souffre (quand je souffre... j’angoisse pas tout le temps non plus).
Et l’enfant intérieur ?
Il semble que sous psychés je devienne mon enfant, sensible à tout. Une chose certaine, l’enfant est le produit brut de la mort/renaissance. L’adulte est là pour meubler le retour sur terre, et si il le fait bien, l’enfant reste présent. Sinon, l’adulte prends le pas et l’enfant redisparaît sous la couche de névrose habituelle. Heureusement, le trip, en dévoilant l’enfant, permet d’avoir une bonne image de ses besoins et d’agir en conséquence, ce qui fait que l’enfant est davantage présent, et la joie avec : c’est l’afterglow.
Quid des substances ?
Et bien, les psychés ça marche mieux que le DXM.
Cette combinaison de psychédéliques à dose modérée s’est avérée très pertinente sur le plan des effets : ressources cognitives centrées sur l’instant présent, dilatation des affects, diminution du jugement raisonné, pouvoir de décision (relativement) préservé, quelques visuels, perceptions intensifiées... rien à voir avec les effets dissociatifs du DXM. Voilà des choses qui collent beaucoup mieux aux théories psychonautiques de mon copain Stan Grof.
Impossible pour moi de distinguer les effets des champignons de ceux du LSA. Je n’avais jusqu’alors aucune expérience de l’un comme de l’autre. Quetzal m’a affirmé que les champignons sont moins francs que le LSA, qui est dans une dualité chaotique/clarté plus marquée. Lefeusombre m’a expliqué que les visuels sont sûrement issus des champignons, car le LSA n’en délivre pas.
En fait, tout ceci n’a fait que me rapprocher du psychédélique de référence : le LSD. Ce sont les sensations du LSD que j’ai retrouvées en regardant mes mains pleines de vie, en écoutant la musique devenue cosmique, etc. Je sais que le LSD creuse dans la même direction, et plus profond. Ceci dit, les doses présentes dans la potion magique restent modestes.
Et le carnet de trip dans tout ça ?
Je m’en suis à peine servi ! J’ai compris ce qu’on m’a dit : « Lâche ce carnet et vis ton trip ! ». Ah, mais c’était impossible avec le DXM, ça décollait pas. Mais alors que je réussissais à suivre le voyage intérieur pleinement, je savais pertinament que je n’avais pas besoin du cahier pour me souvenir de ce que je vivais. Au moment où je suis revenu vers Anacore pour lui dire : « J’ai fait ma renaissance », il m’a dit de le noter sur le cahier, mais je savais que mes souvenirs se marqueraient très précisément dans ma mémoire.
Le cahier est certainement très utile pour noter ce qui se passe au niveau social. On garde des citations de manière plus fraîche. Il m’aurait peut-être été utile pour préparer ma conversation avec Lando, ou pour calmer le bad, mais il n’en a pas été ainsi.
J’aurai un carnet dans mes prochains trips, parce que des fois on en a vraiment besoin, et parce qu’on ne sait jamais à l’avance ce qu’il va se passer.
Pour finir
Il n’y a pas de grande conclusion à ce trip, pas de grosse réponse éclairante. Je savais déjà où j’étais sur mon chemin, et c’est confirmé, j’ai obtenu une bonne image de moi. Rien de plus.
Pas de progrès facile, pas de raccourci spirituel ! Par contre, j’ai vu la lumière briller, et ça fait du bien, ça donne de l’espoir.

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De la potion magique à Brocéliande
Trip report d’une prise de LSA
combiné à des champignons hallucinogènes
Trip report d’une prise de LSA
combiné à des champignons hallucinogènes
Brocéliande ! Forêt mystérieuse, pleine d’histoire, de mystères et de magie ! Nous avons gratté la surface de mystères initiatiques intemporels, ancrés dans les arbres, la terre, les bêtes et la lumière du soleil.
Avec cette potion magique, nous avons emprunté un chemin intérieur depuis longtemps foulé par les mystiques et magiciens de tout temps.
Nous avons redécouvert qui nous sommes.
Comment tout a commencé
C’est mon ami récent, Anacore, qui m’avait proposé d’aller à la forêt de Brocéliande pour se ressourcer, l’espace de deux jours. Pour lui, c’est l’occasion de se retrouver, de rentrer à la maison. Là, il est calme, là, il est lui-même. C’est pour lui un pélérinage que d’aller à Brocéliande, et il m’a proposé d’y aller avec lui cette fois. Enthousiaste, je me déclare partant. C’était il y a quelques semaines.
Il faut que je décrive un peu mon ami Anacore. Jeune apprenti en librairie, introverti, très calme. Cheveux bruns en batailles, lunettes de soleil et bouc sur le menton, le genre de gars qui réfléchit avant d’agir et qui ne partage pas si facilement ses mystères au premier venu. Il a testé les produits courants sans s’enthousiasmer de trop, c’est qu’il a compris qu’on n’a pas le niveau pour jouer à Dieu. Selon lui, l’univers est régi par le hasard, j’ai pas tout compris à sa pensée, mais je sais que c’est un gars réfléchi, intelligent, cultivé, qui aspire à se réaliser soi-même. Et ça m’a convaincu pour tenter l’aventure avec lui.
J’en profite pour demander à mon frère Lefeusombre de me concocter une extraction de LSA à partir de graines de liane d’argent (Hawaiian baby woodrose). En effet, je me dis que dans la forêt, un trip psychédélique passera très bien, fera partie du pélerinage. Voilà un an que je n’ai pas tapé de psychédélique pur, depuis mon gros trip au LSD. J’en ai marre du DXM, et j’ai pas envie de tenter l’acide pour la forêt, mes cartons sont précieux, autant les garder pour d’autres buts. C’est donc tout naturellement que je me tourne vers ce psychédélique réputé soft et clair qu’est le LSA.
Me voilà donc avec ma bouteille de potion magique, dont mon frère et moi sommes très fiers.
Plus tard, je rencontre Anacore à nouveau, qui a fort à faire avant de partir pour l’Ozora. Cependant, il dispose de quelques jours de libres. Au cours de la conversation, il m’explique donc qu’il pense partir le lendemain même pour Brocéliande. Wow ! Ça traîne pas ! Bien bien bien, on se décide très rapidement, je suis toujours très partant, on fait vite fait le point question matériel, comment on se retrouve, etc. Et c’est parti.
Je profite de la journée pour récupérer le lecteur MP3 de mon pote Noé, et je m’achète un petit casque. Arrivé chez moi, je gave le MP3 de ma goa préférée, voilà, j’ai tout ce qu’il faut comme musique. Je fais mon sac, fébrile, je me promène une dernière fois dans ma ville étudiante. Demain c’est le voyage.
Le voyage : des bas et des hauts
Je me retrouve avec mon gros sac au rendez-vous. Le plan pour la journée : on se retrouve à la gare à 10 heures, on prends le bus pour sortir de la ville, on part en stop pour Rennes, puis pour Plélan, où on fait les courses, puis vers Paimpont, au milieu de la forêt, où on se baignera dans le lac, pour enfin dormir sur les rives de l’eau.
Premier hic : Anacore arrive avec deux heures de retard. C’est qu’il tenait à venir en stop, et il a eu moins de chance que d’habitude. Je crise raisonnablement, médite, et quand il arrive on s’explique bien. Je lui dit que je suis contrarié, il l’accepte, d’ailleurs lui aussi est contrarié. On s’entends franchement bien là-dessus, j’en suis très content.
On prends donc le bus, on fait le stop, on a de la chance, on est pris en dix minutes par un gars sympa. Arrivés à Rennes, on se repose, on se relance, on est pris en un quart d’heures, nickel. Arrivés à Plélan, on fait les courses, et en sortant du Super U on fait LA rencontre.
La rencontre
J’aperçois un homme et une femme, manifestement teufeurs en vacances. L’homme porte des chaussures militaires, une jupe (!) et une chemise usée. Ses cheveux sont coupés cours, mais quelques dreads décorées tombent sur ses épaules. Il semble avoir une trentaine d’année. Son regard est endurci, c’est qu’il me dévisage autant que je le dévisage. Un peu en retrait, la femme est jeune, menue, porte une courte jupe noire et un T-shirt indéterminé. Son visage mignon comme tout est encadré par des cheveux noirs comme le jais. Elle paraît avoir vingt ans.
(Je kiffe la description litéraire, je me tape un trip écrivain, là).
Bref, je sors du super U avec toutes les victuailles fraîchement achetées et je croise le regard avec ce mec, que je salue immédiatement.
- Vous allez à Brocéliande ?
- C’est ça.
- Vous y faites quoi ?
- On y est pour se détendre, et vous ?
- Pareil, pour se détendre.
Quelque part on s’est compris direct. C’est qu’Anacore est assez looké, aussi, avec son sarouel, ses bottines en cuir, son sac militaire. Quant à moi, Styloplume, j’ai plus l’air d’un bobo randonneur avec mon bermuda, sandales, et mes cheveux bien peignés.
Mais le regard n’a pas trompé. Allez, on fait les présentations, on engage la conversation. L’homme s’appelle Lando, la fille s’appelle Clémentine (prénoms modifiés comme toujours). Lando voyage dans son camion aménagé, « avec sa petite puce », comme il dit. Sa puce, ce n’est pas Clémentine, qu’il connaît depuis quelques jours, mais une jeune chienne de quatre mois à laquelle il est manifestement très attaché. Il accepte de nous conduire à Paimpont, au cœur de Brocéliande.
Clémentine est étudiante et teufeuse, et avoue être un peu au bout du rouleau, marre de la drogue, etc. Elle reste très effacée devant Lando, je trouve. Il forment un couple récent.
En chemin dans le camion de Lando j’ai tout le loisir de regarder ses lectures. Beaucoup de Castaneda. Bien bien bien, je sens qu’on va s’entendre. On a déjà commencé à parler de psychés, de rêves, de bouquins.
Lando nous dépose, Anacore et moi, au bord du Lac de Paimpont, on va se retrouver plus tard.
Premier contact avec Brocéliande
Nous y voilà ! Ah, je déstresse. Tout le voyage avait été un peu angoissé, précaire, écrasant de chaleur et d’énergies différentes. Mais maintenant nous y sommes. Paimpont, seul grand bourg au milieu de la forêt, son abbaye, son château, son beau lac. Le lac !
Ni une ni deux, Anacore et moi nous désapons, hop, on plonge dans le lac. C’est un rite d’initiation, m’a dit Anacore.
L’eau est bonne, chaude en surface, glaciale en profondeur. Nager fait du bien, ah, oui, c’est vraiment la petite renaissance. Nous voilà dans la Nature. La Nature, mec ! La joie d’être en vie, rien que ça !
On se pose sur la rive, on se sèche, on commence une partie d’échecs. Un type qui passe par là pour se baigner m’entends parler d’un mantra qu’on entends dans Shpongle : Hara hara mahadeva shambho, kashivishva nata Gange. Et se met à discuter avec nous de l’éthymologie. Il s’appelle Ming (c’est son vrai nom par contre), il a vécu 15 ans en Inde à Dharamsala, on parle de spiritualité, de dualisme, de non-dualité, pfiouuuu Brocéliande c’est le vortex spirituel !
Soirée chillée entre hippies
Lando et Clémentine repassent, et on tient une conversation à cinq avec Ming. Lando témoigne qu’il a voulu trouver la grande équation de l’univers avec le LSD, et qu’il s’est fait mal, et que depuis il s’est concentré sur sa petite vie et ses questions à lui. Je trouve que sa démarche rejoint la mienne et ma renaissance sous LSD. Je me reconnais en lui là-dessus.
On a beaucoup de questions, en fait. Dans le tas, Ming est sûrement le plus expérimenté spirituellement, et le plus modeste aussi. Il écoute et garde le silence. Je témoigne de mes plans de secours anti-angoisse, Anacore intervient par moments, Lando parle beaucoup, Clémentine reste très en retrait.
Ming s’en va, et on se retrouve à partager le cidre et l’hydromel dans un contexte de rêve, au bord du lac. Lando joue de la guitare, chante, c’est pas complètement mon truc mais ça se passe bien, je prends la guitare (guitare pour gaucher, dur) et joue quelques trucs aussi, on chante. On pourrait penser qu’il y a un super contact, mais je ne suis pas complètement satisfait, on pourrait aller plus loin.
Ceci dit, Lando a une super voix, il fait du chant de gorge et ça me perche grave.
Je ne le dis pas et ne l’admet pas encore, mais j’ai du mal avec Lando, que je trouve un peu cassant avec moi, ou alors je ne me sens pas entièrement écouté. Mais ça n’est pas du tout un problème dans ces conditions.
Bon, on en vient à parler de produits. Je parle de ma potion magique, que j’exhibe fièrement. Lando, lui, a des champignons.
Hé, pourquoi pas triper ensemble ? Ça peut se faire, n’est-ce pas ? Bien, on revois ça demain. Bonne nuit les amis.
On passe la nuit en mode liberté
Anacore et moi on va se poser pour dormir sur les rives du lac, il y a un parc bien sympa où il est interdit de camper, mais osef, et puis on dort à la belle étoile. Hop, on déroule tout, et voilà.
Je trouve moyen de me doucher avec trois litres d’eau, et me couche. Il fait toujours très chaud.
La nuit n’est pas très agréable, je ne suis pas installé très confortablement. Il pleut vers deux heures du matin, Anacore s’en fout, mais je flipe un peu, déballe la tente et étend sa toile au-dessus de nous sans la monter, pour nous protéger de l’eau. La pluie s’arrête, tout va bien.
Le matin je me lève en même temps que le soleil.
Matin hésitant
Anacore dort toujours, moi je vais me promener dans la forêt, pour tâter le terrain. Les bois près de l’eau sont très beau, clairs. Ah, j’ai bien fait de venir. Le soleil vient tout inonder, c’est magnifique. Bon, j’ai toujours pas mal d’angoisse, de tensions retenue. Rien que le fait de devoir attendre qu’Anacore se lève, je craint de m’ennuyer. Alors je le réveille en le hélant de la rive où je suis.
Boah, le décors de fou, n’empêche, on est bien, ici. Je ne sais toujours pas ce que je suis venu chercher ici, avec le LSA et la forêt. Et je ne sais pas dans quoi je me lance à triper avec Lando. On verra. Fais confiance, Stylo.
On se prends notre petit-dèj, on range nos trucs, on va se poser près du lac, on joue aux échecs. On fait de grosses erreurs, tout en se donnant du fil à retordre. Je perds une partie et en gagne une autre, j’ai vraiment l’impression de jouer ma vie.
Je passe au camion de Lando pour le retrouver, il est là, mais le contact avec lui est décidément perfectible. On ne se parler pas comme j’aime le faire, en témoignant des affects, des ressentis profonds. Mmh... Mais bon, on est toujours décidés à triper ensemble. On a chacun hésité, mais on est décidés à faire confiance.
Plus tard, Lando et Clémentine passent nous voir près du lac, on remballe nos trucs avec Anacore, et go pour le camion.
Super-potion magique
Avec Lando, on fait les calculs. On veut triper tous les quatres, Clémentine le sent bien dans la forêt, Anacore est sûr de lui. 8 graines de LSA pour quatres personnes, ça fait 2 par personnes, ce qui est léger. Lando, lui, a des champis pour 4 doses. Il commence une infusion, je ne sais pas avec quelle dose. Je ne sais pas de quels champis il s’agit, non plus, il n’a pas voulu me dire. Il dit les avoirs cueillis quelque part. Ça ne me fait rien, je fais confiance. Et puis, on est tous à en prendre.
Il fait donc le thé de champis, auquel il rajoute mon extraction de LSA au calva. En ouvrant ma fiole, le scellé du bouchon fait crac, exactement comme quand on ouvre une bouteille de coca. Ah, oui, j’ai fait les choses bien.
Et nous voilà avec une théière de potion super-magique, un combo LSA-champotes, que du naturel, voilà qui va bien avec Brocéliande.
Lando me tends le premier verre de la mixture, qui a un chaud goût de terre (c’est les champis) et de pomme (c’est le calva). Chacun prends un verre à son tour, et c’est reparti pour une ronde, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien. On est tous enthousiastes.
Dis donc, Lando, c’est cool, on fait du partage, là ! On partage les champis, le LSA, on tripe ensemble.
On partage tout... sauf les femmes ! C’est ce qu’on dit au Maroc.
Je ris un peu jaune. Je voulais témoigner de mon enthousiasme, et voilà que des tensions sexuelles apparaissent. Oui, Lando sors avec Clémentine, il y semble assez attaché. J’ai pas envie de perturber le truc, et en même temps, je m’entends bien avec elle. C’est pas un crime, mais y’a de la tension dans l’air. Cette fille semble assez fragile, Lando joue un peu le rôle de père avec elle, et mhh... ça perturbe un peu l’ambiance ces histoires de couple. C’est qu’ils ne sont ensembles que depuis quelques jours, on est pas dans un domaine très stable.
Oh et puis merde, je suis pas venu pour draguer, loin de là.
Bon, on se met en route. Il est peut-être 14:30.
L’arbre maître
Lando guide la troupe. Il connaît un vieux hêtre, on a convenu d’y aller pour y passer le trip. En chemin dans cette magnifique forêt, on discute ensemble. J’aborde un thème que j’avais commencé avec Anacore :
« J’ai bien l’impression qu’on est venu ici pour se rappeller qui nous sommes. Comme si nous l’avions toujours su, jadis, et puis oublié, au moment de venir sur Terre. Et là, on retrouve nos personnalité profonde, celle qui ne meurt pas. »
Lando semble d’accord avec moi, on progresse. Mais je suis tendu à parler avec lui. J’ai peur qu’il trouve mon discours arrogant, qu’il le casse. Oui, à dire vrai, j’angoisse de parler avec Lando. Je ne parviens pas à savoir qui il y est, à comprendre ce qu’il ressent. C’est comme s’il y avait un mur entre lui et moi.
Il guide notre petite expédition, puis dit « regardez autour de vous ». Et là, nous le trouvons. C’est un grand hêtre, au large tronc, un arbre maîre, le plus vieux des alentours. Autour de lui, un large espace libre. Cet arbre est une explosion de branche, une illustration de la fractale. C’est comme si une fusée avait décollé pour exploser à six mètres du sol, en traçant le chemin de la pousse du tronc et des branches.
Nous y sommes ! Il est 15 heures. On commence à se poser, à faire des câlins à l’arbre, à s’allonger autour, au creux de ses racines. Je m’apuie contre le tronc, et quand je lève la tête je vois quelque chose comme ça :

L’attente incertaine
On commence à chanter. Lando joue, et là encore j’ai du mal à accrocher. Je tâche de chanter avec, mais la suite d’accords est imprévisible pour moi, pas assez répétitive. Je tâche de jouer avec la guitare, aussi, et curieusement, le cœur n’y est pas. J’ai la désagréable impression d’être au lycée, à l’époque où l’on tâche de faire son petit numéro à la guitare, en tâchant d’impressionner les autres, mais sans les écouter, sans partager.
Puis, Lando prends le jembé, et joue, et ça envoie, alors je me lève, je danse en le regardant dans les yeux. J’ai décidément l’impression de pouvoir rentrer dans un truc avec lui. Je commence à danser, à me démembrer comme un pantin désarticulé, à triper, vraiment. Il joue la danse du lion, mais je me retrouve plutôt à faire la danse du serpent. J’ai l’impression de faire les choses mal.
Clémentine rit de me voir danser, et j’ai tout de suite l’appréhension de réveiller une tension entre moi et le couple. Trop tard, la tension est là. Je ne veux pas danser d’une manière qui plairait à Clémentine, pour ne pas déplaire à Lando, dont j’ai peur. Bref, vous voyez le mic-mac.
Je me pose sur mon tapis de sol près de l’arbre, parce que je me sens groggy. Je commence à déphaser un peu, à ressentir le chaos. « Oh, un arbre ! Il est tout petit ! » La réplique fait mouche, Clémentine rigole franchement. Voilà quelque chose de spontanné, qui nous fait rire. Et Lando qui reste de marbre. Anacore, serein, dans ses pensées.
Je me sers du carnet de trip pour noter les impressions des gens.
Anacore : « Ça monte, ça sort de l’arbre. »
Clémentine : « Trop bien. Inexplicable. Ineffable. »
Lando : « Super bien. »
Moi : « Associations d’idées canabesques. Si tu cherches le serpent, tu trouves le serpent. »
Sur le cahier, je note aussi le concept d’hyperbole décrit par Lando : dans une discussion partie sur une idée, on passe à une autre idée, puis à une autre, et ainsi de suite, et au final on retombe sur la première idée. C’est une hyperbole.
Et une citation d’Anacore : « Peut importe où tu es sur Terre, du moment que tu es avec toi. »
Ça commence à monter vraiment. Je décide de m’éloigner du groupe. Je marche à pas hésitant. Le chien me suit. Faire quinze mètres me prends une éternité. Je suis dans le chaos de l’instant présent, à la manière du cannabis. Mais que suis-je venu faire ? Mais que faire ?
Lando vient juste de dire : « La forêt, elle a toujours quelque chose à te dire, et on a toujours quelque chose à lui demander. »
Mais que suis-je venu faire ? Que faire ?
La forêt me réponds qu’il me faut aimer les autres. Alors je reviens vers les autres. Et au moment de revenir vers les autres, je sens quelque chose. Je ne me sens pas bien avec les autres. Je voudrais qu’ils me donnent leur attention, je voudrais exister pour eux, mais j’ai peur qu’ils me prennent pour un crétin, ou qu’ils n’aient rien à faire de moi. Je ne sais pas quoi faire, ne sais pas où me mettre. Mon trip part dans tous les sens.
Om
Me voilà devant Lando et l’arbre, en tailleur. On sent qu’il y a quelque chose à faire. J’ai tendance à me disperser, il faut se rassembler. De fil en aiguille, ça se fait naturellement, on décide de se tenir la main. Je prends celles de Clémentine et d’Anacore, Lando lâche la guitare, joint les mains à son tour, et il commence à chanter.
Om
D’une voix profonde, guturale, méditative. C’est superbe. Nous chantons à notre tour. Je chante le Om, Anacore chante, Clémentine chante.
Tout se centre, tout se concentre. L’énergie se met à couler. Ma voix se perche, passe du Om à une forme de chant plus chamanique. J’ignore d’où ça vient, mais ça vient tout seul. « Hey hey hey hey hey oheyeyeyeyyeyee » et je commence à trembler, à convulser aussi, à lever la tête. J’ouvre les yeux pour demander aux autres si ça les gêne pas. Clémentine me dit « Vas-y, là, au point où on en est... » en s’amusant, parce qu’elle passe un bon moment. Mais là je sens que je ne fais pas ça pour m’amuser, c’est quelque chose de profond. Je doute que tout le monde puisse suivre ce genre de voyage chamanique dans lequel une force m’aspire. Lando le pourrait, certainement. Mais les autres ?
Je me remet à chanter, mais d’une façon ou d’une autre, on s’arrête.
J’interviens : « Est-ce qu’on veut tous dire quelque chose d’important pour nous ? » J’aimerai partager comme j’aime le faire : avec la parole. Clémentine réponds directement : « Ah, non, je préfère pas. J’ai mes histoires, et j’ai pas envie de creuser. C’est pas que je te fais pas confiance ou quoi, mais j’ai vraiment pas envie d’en parler. »
Pas de souci, bien sûr. J’ai l’intime certitude que je ne triperai pas avec Clémentine, qui semble tourmentée, et vouloir rester dans un trip récréatif.
De l’obsidienne comme trip toy
On s’est calé ensemble, avec le chant. Et maintenant il nous faut un trip toy, c’est Anacore qui émet l’idée qu’un objet nous permettrait de nous canaliser.
Lando sors une pierre d’obsidienne, qu’il donne à Clémentine, dont les doigts tremblent beaucoup. Chose amusante, après avoir discuté un peu le phénomène, il apparaît que lorsqu’elle tient la pierre, ses doigts arrêtent de trembler. Elle passe sa pierre d’une main à l’autre pour vérifier le phénomène, et s’en amuse. La manière qu’elle a de s’en amuser me fait faire tilt : tout le monde ne tripe pas comme moi. Certains s’amusent.
La pierre arrive vers moi. Je la tiens, m’émerveille de sa forme, et constate qu’elle a tendance à partir sur ma droite. Je ne fais qu’accompagner son mouvement de translation, magnifique. Et puis, elle revient, part sur ma gauche. Je m’extasie de sa forme, commence à la faire tourner, mais non, c’est elle qui tourne d’elle-même, je m’efforce juste de suivre son mouvement. J’ai un grand sourire sur le visage, ceci est magnifique.
Je donne la pierre à Anacore en faisant un grand sourire à Lando, dont le visage reste impénétrable.
Anacore tient la pierre dans sa main et la contemple avec respect. Puis il la passe à Lando.
Lando tient la pierre dans sa main, passe l’autre main au-dessus, et ferme les yeux. Je commence à m’émerveiller de ce qu’il fait, et en même temps, une certaine frustration commence à poindre. Ah, merde, Lando garde les yeux fermés et ne partage pas ce qu’il vit.
Commencement de l’errance
Je déclare à tout le monde que maintenant je veux aller vivre mon truc, je vais prendre ma goa et ma serviette, et me poser quelque part. Clémentine est la seule à me répondre, me confirme qu’il n’y a pas de problème. Anacore, heu... je sais pas ce qu’il fait celui-là ! Il est dans son coin, il ne bouge pas et ne dit rien. Lando est toujours impénétrable, centré sur sa pierre.
Donc, me voilà à errer pour trouver un coin où je pourrai me poser à méditer. Hop, je m’assieds, me met ma petite goa sur les oreilles, et tâche de rentrer dans le silence.
Seulement, difficile. Je m’en veux de ne pas pouvoir rester avec les autres, de ne pas être sociable. Si ça se trouve ils me prennent pour un connard autiste. Ah, zut. Bon, on écoute, on regarde. Je m’allonge, me laisse pénétrer par la musique, mais il ne se passe pas grand-chose. Les visuels timides ne sont constitués que de petits insectes qui passent par là, normal, je suis sur le sol de la forêt, qui en est plein.
Bon, je ne peux pas passer à côté, il faut que je regarde les choses en face, en l’occurence ma relation aux autres. Que dois-je faire ? Et vite fait, la lumière me dit qu’il me faut aimer les autres. Comment aimer Lando ? Ah, je sais ! Lui dire que j’ai apprécié le chant et le partage de la pierre, moments où je n’avais pas peur de lui ! Simple, en fait.
Tentative de contact avec Lando
Je retourne vers l’arbre, où Lando joue maintenant de la guitare. Clémentine est allongée, Anacore est en méditation.
Je m’assied devant Lando. Ce qu’il joue à la guitare n’est pas complètement mon truc, mais pour être honnête, c’est Lando lui-même qui fait que j’ai du mal. D’ordinaire, c’est mon phantasme de jouer de la guitare pour les autres. Et là, c’est lui qui remplis ce rôle. Collision de personnalités. Mais je veux lui parler pour l’atteindre, sûr de moi.
« Lando... »
Il lève la tête et me regarde en s’arrêtant de jouer. Clémentine fait « Ah, non... ». La guitare l’a bercée. J’ai vraiment l’impression de casser une vie de famille dont Lando est le patriarche, Clémentine la femme, et Anacore le fils.
« Lando, je souhaite avoir une discussion avec toi.
Là, je suis bien, avec la guitare, j’ai pas trop envie de bouger. On pourra le faire plus tard, si tu veux. »
Le contact passe mal pour mettre la conversation en route. Il est bien, là avec sa guitare, il voudrait remettre ça à plus tard. J’ai le net sentiment de casser une routine de trip. Exprimer un souhait, c’est pas comme ça qu’il fonctionne, j’ai l’impression.
De plus, il a quelque chose dans l’œil qui lui fait mal, on doit prendre soin de lui, et j’ai le net sentiment que ça retarde la conversation à dessein. Bref, je part dans des mauvaises pensées, dans une grosse appréhension.
On finit par marcher ensemble et par trouver un endroit. Il s’assied sur une souche, ce qui le place en légère surélévation par rapport à moi. Je bafouille en cherchant mes mots, plein d’appréhension, un discours qui peut se formuler comme suit :
« Voilà, Lando, pour être honnête, j’ai peur de toi. Je ne te l’ai pas dit, mais j’ai eu peur de toi, jusqu’à ce qu’on chante le Om ensemble, et qu’on se passe la pierre d’obsidienne. À ce moment, je n’ai plus eu peur de toi. C’est que j’ai beaucoup d’angoisse en moi, ça fait partie de ma vie.»
Et j’ai oublié l’élément important qui vient clore un discours non-violent : la demande. J’aurai du lui dire « Lando, je souhaite partager mon trip avec toi. S’il te plaît, montre-moi ce qu’il y a de bon en toi ». Mais je n’y suis pas parvenu, je me sentais trop coupable de l’avoir déjà tant dérangé.
Sa réaction a été, une fois de plus, impénétrable. Il a admis que j’avais une sacrée machine à laver dans la tête, et.... il ne m’a rien dit de plus (en même temps, je lui ai pas formulé la demande, donc...).
Bref, un coup dans l’eau, et on retourne près de l’arbre. Et là, il s’est passé quoi ? Heu...
Tout est flou. Je retourne dans l’errance. Il est 17:40.
Ah ! J’ai de l’angoisse !
Je ne veux pas rester près de l’arbre. Anacore aimerait parler avec moi. Mais là, je souhaite m’écouter ma goa, je lui dit que je le contacterai après.
Je me pose sur un tallus et commence à danser. Je vois des bois de cerfs qui montent, et mes bras montent, et, heu... l’angoisse monte aussi. Qu’est-ce qu’il se passe ? Ah, cette musique me fait peur. J’ai de l’angoisse. Et merde, mais qu’est-ce que je fous là, pourquoi je suis venu dans cette forêt prendre des champis, et que dois-je faire de ma vie, etc.
Je cherche Anacore. Il a laissé Lando et Clémentine seuls près de l’arbre, pour se percher sur un tallus entouré de buissons épineux. « On peut parler ? » Il m’invite à le rejoindre. C’est un peu chaud à atteindre mais bon. Bien, m’y voilà. Il va très bien, très serein. « J’ai fait ma renaissance », dit-il. Nickel pour lui. Moi, je n’ai pas fait ma renaissance.
« Anacore, tu veux m’aider ? (Je lui prends la main)
Oui.
Voilà, j’ai de l’angoisse....
Trop d’angoisse. »
Mmh, c’est pas ce discours qui va m’aider. Je regarde Anacore dans les yeux et lui dit « Anacore, tu ne peux m’aider, et c’est très bien comme ça. Je m’en vais m’aider moi-même. »
Mmh, la situation est critique mais pas desespérée. Je retourne près de l’arbre. Ma détermination devient de plus en plus claire : gérer l’angoisse. J’arrive près de Lando et Clémentine, qui se font des papouilles, et leurs dit gaiement : « J’ai de l’angoisse ! Je m’en vais gérer mes trucs dans la forêt, de mon côté, avec la musique ! Vous en faites pas pour moi, je sais faire mon ménage ! » Ils approuvent. Et en même temps ils m’ont l’air un peu estomaqués, j’imagine qu’il n’y a pas beaucoup de loulous comme moi qui tiennent ce genre de discours.
Allez, go, j’y vais.
Mise en place du plan de secours
Car oui, c’est un plan de secours. Allez, j’ai ma serviette pour m’allonger, j’ai ma goa, j’ai tout ! Je fonce gaiment dans un tas de fougères géantes pour me mettre à l’écart. Quand j’ai progressé difficilement, je m’aperçois que décidément je fais n’importe quoi, parce que ces fougères sont trop impénétrables. Pfiou, saloperie de champotes qui ôtent le bon jugement.
Bon, je ressors, et je me remet à courir. Cours vers ta vie, Styloplume. Cours vers ta mort. Car c’est vers la mort que nous allons.
L’angoisse est un affect
Me voilà dans des sous-bois plus praticables. Je commence marcher moins vite, et à parler.
« Oui, j’avoue. J’ai pris cette potion magique car je recherchais un moyen d’épater les gens du forum, pour recevoir de l’attention, de l’amour. J’ai besoin d’amour et je n’en ai pas reçu des autres.
- T’as vu, Stylo, tu voulais un psyché, un trip aux affects, et maintenant t’es en plein dedans, en plein dans les affects. Tu es triste, plein d’angoisse. Wuuvgan l’a dit : c’est de l’anxiété que tu ressens. Tu prends cher, là, hein ?
- C’est vrai. Je prends cher. Je suis désolé...»
Je jette ma serviette par terre et m’écroule dessus en pleurant. Je suis désolé ! J’ai fait une connerie ! Je sais pas ce que j’ai fait mais je suis désolé !
Le bad monte sec. Putain, c’est dur les psychés, c’est dur, est-ce que je vais y arriver ?
Je peux gérer la mise en introspection
La réponse vient. Bordel, mais oui, je connais les trucs ! J’ai de la théorie et de la pratique en plans de secours, alors maintenant calme-toi, je prends les choses en main.
Là, allez, on s’allonge sur la serviette. C’est piquant par terre ? Et bah oui, écoute, tant pis, on aurait pu mieux gérer le set & setting, mais là il faut s’en contenter. Allez, allonge-toi. Voilà. Maintenant, la goa, voilà. Ca y est ? Bon, maintenant, le cache sur les yeux. Allez, mets-le, il est dans ta poche, tu vois qu’on a fait les choses bien. Maintenant souviens-toi, laisse-toi bouffer par le truc et bouge pas de là.
D’accord, d’accord. Je m’allonge, je met la goa, puis le cache sur les yeux, qui aussitôt transforme le champ visuel en un écran géant de visuels psychés. Sur mes oreilles, Electric Universe, la track One Love. Rien d’autre ne passe, alors je me branche sur une valeur sûre.
Et c’est parti pour le grand saut. Allez, on se conditionne pour triper introspectif :
« Anacore n’est pas thérapeute, ce n’est pas son rôle et on ne peut pas lui en vouloir. Lando n’est pas thérapeute, ce n’est pas son rôle et on ne peut pas lui en vouloir.
Clémentine n’est pas thérapeute (elle en aurait plutôt besoin),
Et moi je ne suis le thérapeute de personne. »
Je cherche la porte étroite
Et à mesure que je dis ça, tout se profile. Je me laisse remplir par l’évidence : c’est ça que je voulais faire en venant prendre du LSA à Brocéliande. Pas triper avec des gens que je ne connaît pas, mais vivre mon voyage intérieur. Et je ne fais que me retrouver là où j’aurai du être depuis le début : seul avec moi.
La musique devient cosmique. Les visuels s’étalent, bien que ténus. Ce sont des branchages symétriques qui tombent du haut vers le bas, qui sont fort piquants. Normal, je suis allongé sur des choses qui piquent : faînes pleins de petites pointes, ronces, trucs et machins. Et je laisse tout venir. Si je dois me faire piquer par des trucs et des tiques, j’assume. Je suis venu pour triper, et triper c’est accepter toutes les choses.
Un visuel notemment m’intéresse : c’est un vortex maigrelet dont les bords s’effilochent pour former les pattes d’une araignées, qui fait son chemin vers moi. Cependant, les visuels sont ténus, et je ne me retrouve pas dedans. Je tache de lâcher prise, de ne penser à rien. Et quand j’y parviens, la musique prends plus de place. Electric Universe c’est beau et répétitif, il me faut bien ça pour garder confiance.
Bon, j’en chie vraiment là, je ne trouve pas la porte étroite, je ne trouve pas la lumière. Je m’en veux, je ne suis vraiment bon à rien, je fais tout de travers, j’ai rien compris.
Lutte pas contre le désespoir, Stylo. Par contre, tu peux t’asseoir pour mieux méditer.
Je m’assied. C’est ni pratique ni comfortable sur ce sol, mais l’essentiel est que je puisse faire abstraction pour rentrer dans l’expérience. Une fois assis, il est plus facile de me concentrer sur ma respiration, d’écouter la musique.
La musique est magnifique, évidemment. Elle ne me prends pas non plus complètement par la main, ou bien ? On va voir. En attendant, j’aperçois quelques expolsions thermonucléaires au loin, ce qui m’indique que je suis dans la troisième matrice périnatale, en tout cas, je crois. (dommage que la dose soit pas plus forte, j’aurai kiffé de voir ces explosions en plus gros).
Bon, je vais me concentrer sur cette ligne de basse bien chimique et écrasante, voir si ça marche.
Clic
Donc, je suis cette ligne de basse. Et les visuels, bien que très timides, se mettent à monter. Des lignes bleues et épaisses qui semblent former un éléphant debout. C’est vrai que c’est assez joli.
Ah, ouais, pas mal cette basse en fait. Cette musique est plaisante, à dire vrai. Elle prends beaucoup de place, elle remplit tout l’univers.
Ah, on est bien ici. Qu’est-ce que j’étais venu faire, au fait ?
De l’angoisse ? Ha ! Laissez-moi rire. Tout va bien ici.
Tout va bien ?
MOTHERFUCKING JESUS !
Yeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeehhhhhhhhaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa !!!!!!!!
Et voilà, connard de petit chéper. T’as. Tout. Compris.
J’enlève le cache sur les yeux. La FORÊT, messieurs-dames ! La forêt, avec plein de couleurs. Ces couleurs, ça faisait un an que je les avais pas vu ! Je suis revenu dans le monde magique du LSD, des psychés, du grand tout et ainsi de suite. Je suis ressucité !
J’ai réussi ! Bordel de merde, j’ai réussi ! Je tripe à bloc, maintenant, tout va bien, putain, tout va bien, toute cette angoisse venait de moi !
Donc, je n’avais pas peur de Lando à cause de lui mais à cause de moi ! Il faut que j’aille lui dire ça ! Il faut absolument témoigner de ce que j’ai vécu ! Il faut que je partage ça ! Bordel, je tripe à bloc, j’ai compris les champis et j’ai compris pourquoi j’en ai pris ! C’est pour vivre, pour avoir la joie !
La course
Je retourne près de l’arbre en courant. Ah, putain, ces couleurs ! Ah ! Anacore est là, mais ni Lando ni Clémentine. Ils sont partis ? Il y a combien de temps ? Il faut que je les rejoigne !
Allez, allez, allez ! Je peux le faire ! Je me met à courir dans la forêt, je perds le chemin, je cours à gauche, à droite, et puis merde, je reprends la grande route, et je cours, je cours, je cours, je suis à balle, dans le vortex de la vie. Stylo, jeune homme plein de bonnes intentions, qui veut témoigner de l’amour à celui dont il a peur, et qui est prêt à lui courir après pour lui dire. Je sais que je suis grave immature, que j’agis comme un gamin, et je m’accepte comme ça. J’ai encore le temps de grandir.
Et Electric Universe qui galope dans mes oreilles, et je crois un cycliste que je salue, et je me retrouve au camion de Lando, qui n’est pas là, et je croise des randonneurs à vélo en train de chiller, je leurs demande s’ils ont vu passer Lando et Clémentine. Ils ne les ont pas vu : « Qu’est-ce qu’on leurs dit si on les voit ? » Du tac au tac je réponds : « Dites-leurs que je les aime ».
Je me remet à courir dans le sens inverse pour capter Lando et Clémentine sur le chemin, de sorte d’être sûr de les croiser. Et déjà je les vois arriver. Je cours vers eux, rempli de joie.
« Fais le silence »
Lando me regarde avec un peu d’émotion. Peut-être de l’amusement.
« T’es fatigué ?
- Non ! Je suis venu vous dire... j’ai réussi. Toute cette angoisse venait de moi. J’en ai chié, putain, j’en ai chié, c’était dur, et puis j’ai trouvé la porte étroite, et toute la joie est revenue. Voilà, j’ai dit que j’avais peur de toi, en fait tout venait de moi... »
Lando fait quelque chose que je n’oublierai jamais. Il pointe son bâton de marche vers ma tête, décris un triangle avec, en pointant successivement chaque épaule puis mon front, en déclarant : « Fais le silence, fais le silence, fais le silence ».
Ce qui, a nouveau, a montré qu’il m’est absolument impossible de triper avec ce mec. On peut sûrement analyser dix mille trucs de ce qu’il s’est passé, inventer pleins d’hypothèses : que je le considérais comme une figure du père dont j’espérais les félicitations, qu’il pointait son bâton vers moi comme symbole phalique et aggressif, une confrontation entre mâle pour la fille à côté... on pourrait aussi imaginer que pour lui j’étais un jeune type bizarre et bouillonant d’énergie qui déborde dans tous les sens, qui avait besoin de recadrage. Ou tout simplement, il cherchait à transmettre sa façon de triper, qui passe par le silence intérieur. Ou bien, je lui ai juste fait peur et il a tenu à marquer de la distance. Sûrement un mélange de tout ça, à divers niveau de conscience et de refoulement.
Quel que soit l’origine de son geste, je me dois résolument de ne pas la rechercher, car cette piste ne m’appartient pas. C’est sa vie, c’est son histoire. Moi, j’ai ma vie.
Ce qu’il m’a dit m’a semblé absolument inutile. J’ai déjà la joie, pourquoi faire le silence ? J’ai fait ma mort/renaissance, j’ai trouvé ma personnalité, j’ai déjà fait le silence ! Je suis en paix à présent ! Soit, je bouillonne, mais je bouillonne de joie de vivre !
La seule chose dont je soit sûr, c’est que Lando et moi sommes différents, tripons différemment, et que le contact authentique est impossible (son geste est sans équivoque). Nous sommes juste différents.
De toutes façons, ce dialogue ne dure pas, je retourne dans la forêt pour retrouver Anacore. Et normalement les randonneurs cyclistes vont leur donner mon message d’amour quand Lando et Clémentine les croiserons.

La grosse perche lumineuse
Ça y est, je suis sur le chemin. Je suis dans la forêt, le long des rives du lac. Et je crois me perdre, tellement l’endroit est différent. Le lac, le château, éclairé par le soleil qui baisse lentement sur l’horizon. Tout est magique.
Magique, c’est le mot. Le lieu est magique, j’ai pris de la potion magique... Electric Universe a goût de joie de vivre dans mes oreilles, une vraie fontaine d’énergie. Et toute mon angoisse est partie. S’il faut que je me perde, très bien ! Je me perdrai donc. Anacore a dit que ça fait partie du truc de se perdre dans Brocéliande. Je m’égare, alors, je suis sur le bord de l’eau, je suis un chemin, je parcoure cette magnifique forêt pleine de couleurs. De là où je suis je profite d’un spectacle qui ressemble à ça :

Le vent balaye le lac, je suis libre !
Oh, un arbre ! Allez, un câlin.
Ça y est, j’ai renoué avec la magie des psychés. La mort/renaissance, ça marche enfin ! Et dire que tout ce qu’il fallait c’était un peu de LSA et des champotes ! Maintenant, tout est confirmé, je redescends dans la réalité en appuyant toutes mes pensées sur la Source. Là d’où vient la joie, viennent mes pensées. Je suis capable. Je suis quelqu’un, je suis moi. J’ai compris la perche, j’ai compris l’inversion des commandes. Jésus l’a bien dit :
«Car celui qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui qui la perdra à cause de moi la sauvera. » Luc 9:24
Voilà, j’ai accepté de perdre ma vie, de me laisser bouffer par l’angoisse, tout ça parce que j’ai la Foi. J’ai foi en la vie éternelle, putain, c’est ouf mais c’est excellent, c’est quelque chose qui fonctionne.
Et maintenant je suis absolument certain de distinguer le chemin. Et je pourrai accompagner les gens dessus. J’ai compris la logique du bad.
Je rejoins Anacore, qui est en train de lire près de l’arbre maître. Il est serein. Je me rapproche de lui (ah, il a plein de couleurs, les joues roses, ça fait plaisir à voir) et je lui dit : « Voilà. J’ai fait ma renaissance. » Il dit : « Très bien. »
Et puis, ce gars m’accepte, avec ce gars, je peut être moi-même ! Je suis vivant, bordel, j’ai plein d’énergie ! Alors je hurle à la forêt : « JE SUIS VIVAAAANT !! » de toutes mes forces. Ah, oui, l’énergie, wow, l’énergie. Je comprends pourquoi Lando m’a dit de la fermer, parce que je passe mon temps à parler, à m’extasier, à dire tout haut ma joie.
Allez, je vais me calmer, je vais sur le bord du lac, je me cale de la musique tranquille, et m’allonge n’importe comment sur le sol. Je m’en fous, je suis heureux. Je regarde mon corps pour regarder les dégats qu’y ont pu faire les insectes. J’ai une tique sur le poignet droit. Bien, c’est noté. Sinon, rien à signaler. J’ai un beau corps, dis donc ! Mes mains sont magnifiques, pleines de vie, remplies de couleurs. Je suis vraiment revenu au pays du LSD, en moins fort, mais définitivement psychédélique.
Bon, je me calme un peu, je retourne vers Anacore. Il m’aide à enlever la tique, et puis on se décide à voir ce qu’on fait, maintenant.
Toutes les pensées se déroulent sans problème. Voir quand on mange, où on va, combien de temps on y passe, tout ceci est d’une facilité désarmante avec Anacore. Je suis dans un enthousiasme incroyable. Ranger mes affaires, d’ordinaire j’angoisse rien que d’y penser, parce que ranger un sac de voyage en vrac c’est pas mon truc. Mais là, aucun problème, je m’attaque à chaque action comme à un défi personnel. « Boah, l’énergie, mec, l’énergie, un truc de malade ». Effectivement, tout l’effort que je mettais auparavant à angoisser est maintenant employé à meilleur escient : faire les choses. Et je les fais, et ça passe, et c’est génial.
Descente sans histoire
On repasse près des camions. Lando et Clémentine sont en conversation avec un couple de teufeurs. Il y a de la minimal qui passe dans leur camion. J’arrive, je dis bonjour, et leur musique me happe. Je commence à carresser la musique de la main, c’est un truc excellent, et je leurs dit : « Ah, vous êtes comme ça, vous ! » Pffff Lando a sûrement honte de moi. Mais il ne dit rien, en fait il ne m’accorde aucune attention, je crois que ce type ne m’aime pas, en fait. L’autre couple de teufeur, lui, sourit simplement en me demandant si ça va. « Ah oui, ça va, pas de soucis ! » Ha ha le gros smile, on est à Brocéliande et ça tripe, la force est avec moi !
Avec Anacore on se pose sur les bords du lac. On a faim, alors on mange. J’ai un peu mal au ventre, comme si je voulais uriner tout le temps. Je pense que c’est l’intoxication LSA champis qui a fait ça. Ça ne dure pas très longtemps.
On chauffe des canellonis sur le réchaud et on commence une partie d’échecs. Le réchaud bascule et on se retrouve avec de la sauce tomate sur le jeu d’échecs, c’est le gros bad pendant quinze secondes. Et puis on fait face. Je vais chercher des serviettes sur le marché.
Un gars descend d’une voiture pour me demander le chemin d’une crêperie. Je lui dit d’aller voir dans la rue principale avec un grand sourire. Le mec me fait un sourire entendu, et me fait :
« Elle est bonne ?
- La crêperie ? Aucune idée ! Mais j’ai goûté autre chose qui étais très bon !
- C’est quoi ?
- Ah, il faut pas le dire.
- Boah, allez...
- Oh, vous savez, Brocéliande, les korrigans, les druides... la potion magique... (clin d’œil) »
Bref je suis d’une humeur excellente.
Avec Anacore on mange, et là je deviens un peu chiant (je veux dire, un peu plus), je tiens absolument à m’enfoncer un peu plus loin dans la forêt pour la nuit, je veux faire du feu. Lui, il est crevé, il ne tient pas à devoir marcher de trop, et moi j’insiste, je suis sûrement très lourd. C’est que j’ai plein d’énergie, de l’énergie à revendre même.
Finalement on s’en va, on croise Lando et Clémentine, avec qui on fait des adieux sommaires. Lando me dit deux trois mots à propos du silence, mais quelque part j’ai bien compris qu’on ne se comprends pas, alors je ne vais pas y faire attention.
On se pose dans un bois près du lac, à la fois proche du village et déjà bien sauvage. Je laisse tomber l’idée de faire du feu, on est bien crevés en fait. Il est 22 heures. On passe un peu de temps à lire, on parle de temps à autre, on chille, quoi.
Je remarque quelque chose, à ce moment : le trip a fait du bien, à nous deux. Avant, j’avais pas mal d’appréhensions dans mon contact avec Anacore, ne serait-ce que des trucs tout cons, comme dire ce que je pense à propos de telle ou telle chose. Comment je me place par rapport à lui ? Quelle image a-t-il de moi ? Est-ce que je fais semblant de me prendre pour quelqu’un d’autre ? Et ainsi de suite.
Or là, rien de tel. Anacore m’a vu bader et sortir du bad, courir dans la forêt vers mes angoisses, et courir dans la forêt une fois sorti de l’angoisse. J’ai été MOI en face de lui, je ne pouvais pas tricher. Et lui, je l’ai vu comme il est, pendant le trip : le même. Je sais qui il est, il sait qui je suis. Nous pouvons donc être parfaitement honnêtes l’un avec l’autre.
Ainsi, chaque mot que nous échangeons, et qui pourrait paraître banal à des yeux extérieurs, a pour nous une signification plus profonde qu’en temps normal. Nous sommes dans l’afterglow, l’état de grâce post-trip, où la clarté est de mise.
Nuit sans histoires. Anacore s’est réveillé pendant la nuit, mais je n’en sais pas plus.
Les adieux à Brocéliande
Le réveil sonne à 7:30. « Hey, Anacore, lève la tête, regarde en face de toi ! » Encore endormi, le gars lève la tête, et boah, on est maintenant deux à s’en prendre plein la gueule.
Le SOLEIL, les mecs ! Le soleil qui se lève en même temps que nous, et qui rentre dans le bois, en illuminant le matin de ses chauds rayons. Le SOLEIL, la source, ha shemesh !
Je cours jusqu’au bord du lac, où je hurle : « BON MATIN, BROCÉLIANDE !! »
Boah, l’énergie, les mecs, l’énergie!
Anacore, après avoir satisfait un besoin naturel, me fait une remarque : « J’ai trouvé quelque chose à dire à ceux qui disent : « Vous imaginez si tout le monde faisait pareil ? » Et bien, si tout le monde faisait pareil, il n’y aurais plus de problème, car le comportement ne serait plus marginal. » Anacore est lui aussi dans l’afterglow, à construire ses pensées sur la solide base du trip. Ce type est génial, et en plus je peux lui dire que je l’aime comme ça. Tout est parfait.
On se fait un petit dèj pain+spéculos, un combo qui se défend bien, même si ça manque un peu de café. Allez, on remballe tout (« l’énergie, boah, l’énergie ») et on se met en route. Au revoir Brocéliande, on reviendra, oooohhhh oui.
Voyage retour
Hop, on grimpe dans le bus, et c’est parti pour un voyage un peu éprouvant. Arrivés à Rennes, on se rends compte qu’il va falloir attendre plus de quatre heures avant notre train pour la Normandie... Un peu dur. On se pose en mode campeurs, avec le réchaud et les raviolis.
On fait la rencontre d’un libre-penseur qui nous vends son bouquin imprimé avec les moyens du bord, et qui démonte les illusions dans lesquelles nous bercent la société. Bonnes réfléxions sur le changement. Je me rends compte que ceux qui s’intéressent à la fin du monde, aux prophéties maya, et tutti quanti, et bien, c’est comme s’ils attendaient la grosse mort/renaissance collective, reflet de la mort/renaissance individuelle. C’est ce que je vois dans les yeux de ce gars révolté et plein de bonne volonté. C’est bien, je peux lui faire un câlin au moment de l’encourager et de lui dire au revoir.
Ensuite, j’insiste auprès d’Anacore pour aller sur les quais. Sur les quais, je me met ma goa sur les oreilles et je fais mon acid dance en marchant lentement, en saluant les trains qui passent, etc. Je suis libre, bordel, je suis LIBRE !
Et voilà le train, et on y va. Le voyage est un peu éprouvant. Une fois arrivés, je fais mes adieux à Anacore, avec tout plein de mercis pour ce qu’on a vécu. Merci pour Brocéliande, Anacore. Merci pour la forêt. Merci pour être qui tu es. Ensemble nous avons retrouvé notre propre nature, et nous avons pu la partager.
En marchant pour rentrer, je me fais un petit bad en repensant à Lando et en me reprochant d’avoir mal géré le trip auprès de lui. Heureusement, une pensée vient, très claire, une décision : ne pas droper avec des gens qu’on ne sent pas.
Je croise mes copains mormons, avec qui j’ai déjà eu des grosses conversation sur Dieu et la foi. Avec un sourire radieux, je leurs raconte mon pélerinage à Brocéliande, mon trip aux champis et ma mort/renaissance. Muhahahaha je les ai sûrement choqués. Et puis plein de messages d’amour (parce qu’entre croyants on se comprends), et salut les gars.
Une dernière session goa en passant sur la fac, retour à la maison, et hop dodo.
Digestion du trip
Je ne veux pas triper avec des gens que je ne sens pas
Vachement important. Je veux triper avec des gens en qui j’ai confiance, avec lesquels je peux partager ce que je pense et ce que je ressens. Si j’ai pas pu mettre les choses au point avant, ne pas compter sur le trip pour arranger cela.
De même, et Quetzal l’a confirmé : triepr avec un couple ne semble pas idéal, il y a trop de tensions sous-jacentes qui risquent de partir dans des directions indésirables.
L’inversion des commandes, je gère
Ça se confirme et ça se résume comme ça : mourir plus pour vivre plus. C’est le grand paradoxe de l’existence qui s’applique merveilleusement si on l’applique, et qui nous poursuit diaboliquement si on le fuit.
Là, c’est devenu certain : je suis capable de gérer l’inversion des commandes, en m’isolant pour foncer vers l’angoisse plutôt qu’essayer de la refouler. Le reste, c’est balisé : les matrices périnatales, la mort/renaissance, et ainsi de suite.
Mon symptôme c’est l’angoisse
Ça aussi c’est clair : j’ai tendance à angoisser facilement si je tripe avec des gens en qui je n’ai pas confiance. C’est pas grave d’être angoissé, j’ai d’autres qualités. En fait, ça me rassure profondément de mettre un mot sur le symptôme dont je souffre (quand je souffre... j’angoisse pas tout le temps non plus).
Et l’enfant intérieur ?
Il semble que sous psychés je devienne mon enfant, sensible à tout. Une chose certaine, l’enfant est le produit brut de la mort/renaissance. L’adulte est là pour meubler le retour sur terre, et si il le fait bien, l’enfant reste présent. Sinon, l’adulte prends le pas et l’enfant redisparaît sous la couche de névrose habituelle. Heureusement, le trip, en dévoilant l’enfant, permet d’avoir une bonne image de ses besoins et d’agir en conséquence, ce qui fait que l’enfant est davantage présent, et la joie avec : c’est l’afterglow.
Quid des substances ?
Et bien, les psychés ça marche mieux que le DXM.
Cette combinaison de psychédéliques à dose modérée s’est avérée très pertinente sur le plan des effets : ressources cognitives centrées sur l’instant présent, dilatation des affects, diminution du jugement raisonné, pouvoir de décision (relativement) préservé, quelques visuels, perceptions intensifiées... rien à voir avec les effets dissociatifs du DXM. Voilà des choses qui collent beaucoup mieux aux théories psychonautiques de mon copain Stan Grof.
Impossible pour moi de distinguer les effets des champignons de ceux du LSA. Je n’avais jusqu’alors aucune expérience de l’un comme de l’autre. Quetzal m’a affirmé que les champignons sont moins francs que le LSA, qui est dans une dualité chaotique/clarté plus marquée. Lefeusombre m’a expliqué que les visuels sont sûrement issus des champignons, car le LSA n’en délivre pas.
En fait, tout ceci n’a fait que me rapprocher du psychédélique de référence : le LSD. Ce sont les sensations du LSD que j’ai retrouvées en regardant mes mains pleines de vie, en écoutant la musique devenue cosmique, etc. Je sais que le LSD creuse dans la même direction, et plus profond. Ceci dit, les doses présentes dans la potion magique restent modestes.
Et le carnet de trip dans tout ça ?
Je m’en suis à peine servi ! J’ai compris ce qu’on m’a dit : « Lâche ce carnet et vis ton trip ! ». Ah, mais c’était impossible avec le DXM, ça décollait pas. Mais alors que je réussissais à suivre le voyage intérieur pleinement, je savais pertinament que je n’avais pas besoin du cahier pour me souvenir de ce que je vivais. Au moment où je suis revenu vers Anacore pour lui dire : « J’ai fait ma renaissance », il m’a dit de le noter sur le cahier, mais je savais que mes souvenirs se marqueraient très précisément dans ma mémoire.
Le cahier est certainement très utile pour noter ce qui se passe au niveau social. On garde des citations de manière plus fraîche. Il m’aurait peut-être été utile pour préparer ma conversation avec Lando, ou pour calmer le bad, mais il n’en a pas été ainsi.
J’aurai un carnet dans mes prochains trips, parce que des fois on en a vraiment besoin, et parce qu’on ne sait jamais à l’avance ce qu’il va se passer.
Pour finir
Il n’y a pas de grande conclusion à ce trip, pas de grosse réponse éclairante. Je savais déjà où j’étais sur mon chemin, et c’est confirmé, j’ai obtenu une bonne image de moi. Rien de plus.
Pas de progrès facile, pas de raccourci spirituel ! Par contre, j’ai vu la lumière briller, et ça fait du bien, ça donne de l’espoir.