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POURQUOI SE DROGUER ? D'AUTRES CAUSES ET RAISONS
Cet article est une recomposition de paragraphes prélevés dans différents articles, dont les sources sont dans l'introduction.
Si toute addiction est une série d’actes en lien avec son impulsivité, serait-ce pour se faire du bien ou du mal ? L'aspect masochiste est-il premier ou secondaire ? Ou est-ce par échec du fantasme ? Quels sont donc les buts, conscients ou inconscients, qui sous-tendent toutes les formes que peut prendre le comportement addictif ?
Il n’existe en français aucune traduction adéquate du mot « addiction », à l’exception du terme de « toxicomanie », ce qui est troublant parce que la notion qu’une dépendance de n’importe quelle nature – nourriture, tabac, alcool, drogues ou autres – soit motivée par un « désir maniaque de s’empoisonner » semble en désaccord avec les tensions psychiques qui sous-tendent les comportements addictifs. Parmi les éléments conscients et inconscients qui se cachent derrière de telles compulsions, effectivement il y a parfois un désir masochiste de se faire du mal, mais cela semble loin d’être la dimension dominante dans les observations cliniques.
Se vouloir du bien ou du mal ? Ou s'agit-il d'un mal pour un bien ? Ou d'un bien qui amène à se faire du mal ?
Et si la poursuite d’un objet d’addiction – même dans le cas des abus de drogue – ne relevait pas foncièrement du désir de se faire du mal – de s’empoisonner – mais qu’au contraire cette démarche procédait de l’espoir de rendre supportables les difficultés de la vie quotidienne, ressenties comme aliénantes, stressantes ? Maints comportements addictifs sont ressentis comme obligatoires au moment où le sujet se trouve seul – comme si le fait d’être seul chez soi, ou seuls ensemble dans un groupe, était une blessure narcissique qui requiert la solution addictive du sujet. Autrement pourquoi consommer pour se féliciter en se dévissant la tête lorsque l'on a réussit une tâche que l'on s'était fixée, pourquoi avoir besoin d'un produit pour fêter un évènement heureux ? Ne peut-on pas travailler pour soi et non pour une récompense, la drogue serait-elle donc notre fin en soi ? Et non pas un moyen par lequel arriver à nos fins ?
L’illusion donne du sens à sa vie
Ce que cherche avant tout la personne addict, c’est consciemment la quête du plaisir et non pas le désir de se faire du mal. Bien que la personne addict puisse se sentir esclave de son objet ou de son comportement addictif, son but n’est en aucun cas de se faire du tort ; bien au contraire, elle pense que cette poursuite est celle d’un bon objet en ce sens qu’il lui procure avant tout du bien-être et même, dans les cas extrêmes, qu’il peut être vécu comme ce qui donne sens à sa vie (l'objet de l'addiction étant idéalisé, la drogue est un bon objet indispensable à sa survie).
Nous pouvons proposer alors que la dimension la plus urgente de l’économie psychique qui sous-tend la conduite addictive est le besoin de se débarrasser aussi rapidement que possible des sentiments de déception, d’angoisse, de colère, de culpabilité ou de tristesse qui font souffrir, voire des sentiments en apparence agréables ou excitants mais qui sont vécus inconsciemment comme défendus ou dangereux (problèmes des interdits moraux). À partir de la découverte de sa solution addictive, le sujet cherche compulsivement à la retrouver face à toute souffrance psychique. En bref, la dépendance implique toujours un mélange de douleur et de plaisir.
Reviviscence des angoisses infantiles
En ce qui concerne le rôle du comportement addictif comme analgésique, il faut ajouter un facteur important, à savoir que le pouvoir de l’addiction est accru en ce qu’elle est presque toujours une réponse à une souffrance psychique du passé (remontant souvent à l’enfance) et que, comme tous les symptômes d’ordre psychologique, elle se révèle être une tentative enfantine de se soigner (l'addiction en tant qu’auto-médication). A la base, l’addiction est davantage une solution psychosomatique que psychologique à la souffrance psychique.
Qui parle et de quoi ?
L’agir désigne la répétition sous forme d’action de ce qui ne peut être remémoré : l’acte vient à la place du souvenir (Freud). Et si le problème des addicts était de ne pas arriver à désigner ces actes dont ils ne sont pas capable de se restituer le sens ? Au lieu de croire que l'esprit dirige l'individu (illusion de son ego, du libre arbitre), il est impératif de comprendre que le corps parle au travers de symptômes et de maux (psycho-somatisation), sur lesquels il reste à poser des mots pour en définir les causes, les déterminismes psycho-socio-génétiques, et un sens éventuellement libérateur.
Cherche-t-on à se « calmer » ou à « se remplir » ?
Ces considérations peuvent aussi nous amener à nous intéresser aux différents fantasmes cachés derrière les comportements addictifs. « Quand je me jette sur la nourriture, c’est comme si je cherchais à calmer une bête féroce à l’intérieur de moi », « Je suis obligée de manger incessamment comme pour conforter une enfant triste et abandonnée en moi. », « Quelquefois, je ne sais même pas si je suis triste ou en colère, si j’ai faim ou si j’ai envie de faire l’amour ; et c’est alors que je commence à boire. » Qu'on ne sache pas différencier, afin de pouvoir les nommer, ses divers états affectifs est étonnant, mais très révélateur des comportements addictifs, comme on ne sait pas, on reproduit des actes qu'on connait faute de se renouveler dans une direction nouvelle.
Il est impératif de comprendre que l'on consomme autant lorsque l'on a une tâche difficile ou délicate à accomplir, ou lorsque l'on est particulièrement heureux ou excité, tout comme lorsque l'on est triste ou angoissé. Ainsi l’un des buts du comportement addictif est de se débarrasser de ses affects ! L'individu se met un écran de fumée sur la quasi-totalité de son expérience affective, neutralisant ou dispersant ainsi une partie vitale de son monde interne, sa part d’ombre cachée, cette part de soi que certains psychonauts essayent de découvrir !
DES CAUSES ET DES RAISONS - Illustrer les aspects de sa souffrance psychosomatique
Les raisons de ces compulsions et les causes des addictions se retrouvent durant sa petite enfance, lorsque l'on commence à se remémorer le portrait d'un de ses parents vu comme une force engloutissante, intrusive et aliénante (qui prend la tête), cherchant à exercer une autorité physique et psychique sur soi (fais-ci, fais pas ça, écoute moi et tais-toi). Lorsque les enfants se vivent comme une extension libidinale et narcissique, un objet de contentement et satisfaction de leur parent, cette expérience « dévorante » tend souvent à provoquer chez eux une appréhension inconsciente, voire une terreur de la mort psychique (individuation impossible tant on a l'impression de vivre avec son parent en tête, terrorisé par son autorité). Cependant, derrière de telles relations parent-enfant, et la rage que l’enfant en éprouve, on trouve aussi une satisfaction mégalomaniaque : « Sans moi, maman ou papa tomberait en morceaux. » Alors ce lien parent-enfant, imprégné des pulsions primitives prégénitales, cherche à perdurer en dépit d’une apparente rébellion.
On se rebelle contre son parent en entretenant la relation de dépendance. Pour exister dans le conflit, parents et enfants ont besoin les uns des autres. Et quand on a grandi dans le conflit, on ne sait pas faire autrement, donc on reproduit ces schémas en soi et avec autrui, ces relations conflictuelles parents-enfants intériorisées et mimées. En outre, les parents sont présentées comme très concernées par les souffrances physiques de leurs enfants, tout en étant incapables d’entendre et de comprendre leur douleur psychique (un enfant manifeste sa colère, et son parent lui dit qu'il n'a pas de raison d'être en colère, il nie ses sentiments et l'enfant croit qu'il n'est pas autorisé à ressentir ses émotions, d'où une confusion quand à ses affects qu'il met en doute et redoute). Malgré ça, chaque enfant apporte sa propre solution au problème de la séparation avec ses parents, tout comme il s’arrange avec l’inconscient biparental, mais, bien entendu, il n’en résulte pas nécessairement une solution psychique addictive !
MANQUE DE SUBJECTIVATION ET TROUBLE IDENTITAIRE - Une thèse liant addictions, troubles du narcissisme et de l’identité, tentative de maîtrise et de défense des limites du moi
La subjectivation est notre dialogue intérieur, cet échange dialectique entre les instances psychiques constitutives de notre psyché. Si le dialogue intérieur est peu effectif ou problématique, l'individu en pâtit dans un manque de confiance en soi, et dans une succession de conflit en son for intérieur.
Jeammet a estimé que l’addiction était un moyen de trouver un support dans la réalité externe (extra-psychique) à ce qui manquait dans sa réalité interne (intra-psychique) et dont le sujet ne pouvait se consoler. L’addiction est une tentative d’idéaliser et de se raccrocher à la réalité externe et au monde perceptif pour compenser l’échec du monde interne et de la réalisation hallucinatoire du désir, ainsi que pour opposer un contre-investissement à la destructivité interne (quand on sent qu'on est prêt à tout péter, on canalise sa colère en faisant une activité libératoire (sport, jeux-vidéos, sexe, drogues, écouter de la musique très fort, etc)). La défaillance des assises narcissiques place le sujet soumis à la pulsion, dans une crainte de la dépendance à l’objet libidinal qui représente un danger pour lui : l’amour est une violence incontrôlable qui risque de placer le sujet sous le régime de l’objet – de l’y assujettir pourrait-on dire. Et paradoxalement l'addict veut être libre.
Ces conceptions, pour différentes qu’elles soient, mettent avant tout l’accent sur la constitution du moi, ses défaillances, les troubles de l’élaboration psychique et de la symbolisation, l’économie de décharge, la tentative paradoxale de restitution d’un objet psychique intériorisé et le danger représenté par la dépendance aux objets libidinaux conduisant à une dépendance plus grande encore à des objets matériels.
Chez certains patients la consommation de différents types de substances toxiques ainsi que l’usage d’excitants alternant souvent avec celui de calmants, alcool, tabac, médicaments, se trouvent au centre d’un mal-être identitaire diffus et constituent par leur caractère compulsif et irrépressible une sorte de néo-identité (idéalisée), une solution illusoire et paradoxale de restitution de l’identité qui portera la marque de cette aliénation (l'addict se définit de part les drogues qu'il prend). La boulimie, l’alcoolisme, le tabagisme et certaines formes de toxicomanie sont des « actes symptômes compulsifs à la frontière entre psyché et soma » qui font office de rempart contre l’indifférenciation et la perte d’identité.
Objets de transition ou de substitution ?
Plutôt qu’objets transitionnels pour passer d'un stade à l'autre en gagnant en maturité, les drogues sont utilisées comme objets de substitution toujours à disposition, totalement maîtrisables en apparence et selon ses croyances, réalisant ainsi un état idéal de satisfaction donnée à soi-même, d’auto-suffisance, voire de toute puissance défiant les objets déficients en soi et dans son environnement. La drogue masque ses faiblesses et manques tout en les révélant indirectement, mais ça l'usager n'est pas prêt à le voir, et encore moins à l'admettre. Pathologie de l’excès contre l’excès, c’est la jouissance à volonté qui est recherchée en lieu et place du désir. La boulimie comme certaines conduites addictives, dans lesquelles la recherche de la jouissance devant l’émergence pulsionnelle est obtenue sur le mode de la décharge, signent l’échec de l’organisation du principe plaisir-déplaisir et de la satisfaction hallucinatoire du fait du défaut de constitution d’un objet interne fiable et représentable (on en revient au manque de représentation de ses affects, de soi, il y a une quête identitaire dans la prise de produit).
La toxicomanie comme point d’arrimage des identifications imaginaires dans la psychose
L’accoutumance et la dépendance à l’objet drogue viennent assurer une stabilité du moi (moi qui est fragilisé dans la structure psychotique). Car, comment mieux entretenir cette place identificatoire que de s’adonner à une pratique qui lui créée et lui assure un lien de dépendance, une nouvelle aliénation comme résultat espéré (en prenant le produit on sait ce qui va se passer, quel état l'on va retrouver). Ainsi s’évitent les inquiétantes fluctuations identificatoires que le sujet subit dans ses différents environnements sociaux. Le groupe social – les toxicomanes – sert de moi auxiliaire, d'où l'importance du groupe, de fréquentations d'individus similaires pour une meilleure reconnaissance, une plus favorable acceptation de son addiction. « Pour moi, l’opium n’avait jamais été une tentation, mais un remède », ce qui peut sembler d’abord n’être qu’une tentation pour le sujet psychotique est bien plus l’intérêt d’accompagner celui qu’il vient suivre et imiter : un copain, une bande ou un groupe pris par la tentation de ces produits.
Son rapport à autrui va dès lors s’organiser autour d’un objet commun, par exemple la drogue ou les jeux-vidéos, qu’il partage avec ce groupe social
Les propos, les jargons du groupe : « l'ud, la came, le dealer, l’od, les keufs, la RDR », privilégient un langage de signes, c’est-à-dire de mots, de codes, qui représentent quelque chose, un objet, et où ainsi le sujet n’est ni engagé ni représenté. La drogue installe une fonction de pacification, en ce sens que s’évitent l’affrontement, la rivalité, la concurrence entre les semblables, entre les frères par rapport à la défense de quelque idéal (cet état de fait est plus que palpable sur les forums). L’idéal, ici, ne se situe pas dans un affrontement narcissique ni d’un côté ni de l’autre. Il n’y a pas d’élément tiers qui ravive jalousie et rivalité spéculaire entre deux sujets mais bien plutôt une complicité entre copains de défonce, copains de galère, dans une même plainte à l’endroit des mêmes ennemis : le dealer peu scrupuleux, les bons et cons citoyens inhibés moralement, ou la Loi trop sévère (on nique la police en prônant la légalisation).
Certains états psychotiques s’expriment par un repli sur soi, un retrait social avec évitement du monde du dehors, mais on parle aussi du tonus des drogues
Il y a alors pour le sujet devenu toxicomane matière à trouver prétexte, un bon prétexte, à dépasser cette inhibition grâce à l’excitation psychique, à l’agitation produite par la douleur du manque et, par conséquent, une contrainte vers la course à la drogue. Melman évoque le « tonus » que donnent les drogues. Il existe un effet stimulant de certaines drogues au delà de leur propriété, celles-ci améliorent le dynamisme quand on est dans une optique de consommation créative et sociale, de recherche de produit et de liens autour de celui-ci (contacts ou informations multiples amenant à un possible savoir). Les médecins sont régulièrement témoins, lors de visites de patients hospitalisés et traités en psychiatrie, d’un retour au repli sur soi, de l’inhibition psychique et de l’adynamisme suite à la trop grande consommation ou l'arrêt de drogue. Cette tonicité attribuée à la drogue octroie une consistance de soi forte, aussi longtemps que perdure l’addiction, d'où la sensation de vide et d'ennui lors du sevrage, et même après.
En résumé, l’addiction peut non seulement s’installer à cause de violents accès affectifs de rage, d’angoisse, de peur ou d’abandon, mais elle peut également venir d’une rupture dans les relations parent-enfant, avec l’espoir que l’objet d’addiction puisse recréer l’illusion nostalgique de la béatitude fusionnelle de l’enfance.