Salut,
en lisant en diag’ le topic je me suis rendu compte que ça faisait plus de 10 ans que les psychos répètent approximativement les mêmes choses à propos du phénomène de perte d’ego, et je vous propose quelques informations nouvelles si ça peut en intéresser quelques uns.
Je tire ça de nombreuses recherches en philosophie et psychanalyse notamment, mais aussi de travaux en neurosciences essayant de faire des liens entre ces trois disciplines. Je vais essayer de ne pas trop vous prendre la tête en vous présentant mon point de vue, à partir d’idées vulgarisées et bricolées. En gros je vais prendre des raccourcis, voir carrément couper à travers champs... On est pas là pour être noté par un professeur en répondant exactement ce qu’il veut entendre, mais plutôt baliser l’infinité de chemins que peut prendre l’esprit en essayant de s’y retrouver, un peu à la manière de cartographes. Enfin c’est mon approche de la psychonautique, je vous la partage, après vous en ferez bien ce que vous voudrez.
Bon j’allais dire je vais faire court, mais ceux qui me connaisse savent que ça va être long =)
Alors pour commencer faut définir la perte d’ego, qui est liée à un phénomène de dissociation, d’où le fait que les dissociatifs la favorisent. Mais on retrouve également le phénomène (de dissociation, donc de perte d’ego qui en est la variante vénère) dans les effets de toutes les autres drogues. A petites, moyennes et fortes doses on se dissocie, dans un continuum allant d’un état de dissociation normal jusqu’à un état pathologique (c’est là qu’on retrouve la perte d’ego quand on part dans un délire psychotique de ouf).
Je vais pas remplir des lignes sur la dissociation, j’ai proposé cet article qui apporte des vues cliniques sur le phénomène, à la suite d’un autre article sur le clivage, qui serait une manière psychanalytique d’expliquer le phénomène dissociatif. Qu’il faudrait également relier à la dépersonnalisation et la déréalisation, pour bien le définir dans ses mécaniques. Je met tous les liens vers les articles à propos de chacun de ces sujets que je vais tacher de résumer brièvement, en mettant en évidence les liens entre :
La dissociation est un mécanisme de défense qui advient suite à une déstabilisation externe ou interne dans son homéostasie, c’est à dire entre son corps et son esprit, dans son environnement. Si t’as une légère peur, tu te dissocies légèrement. Si t’es traumatisé, tu te dissocies vénère. Tout ça est expliqué dans l’article.
Comment ça se passe ?
Comme ça a été dit plus haut dans le topic, ça part d’un sentiment d’absurde, c’est à dire quand on se retrouve perdu entre soi et le réel, quand on a l’impression que sa personnalité est derrière ou devant soi, idem pour le réel qui serait devant ou à côté de soi. Donc on ne se sent plus vraiment soi, parce qu’on ne se sent ni dans soi, ni dans le réel. On est perdu, en comparaison d’un idéal en temps normal qu’est de se sentir soi dans le réel. Quand on se sent un et pas multiple en soi.
Si on décompose par phase cette perte du réel, liée à une diminution de son sentiment d’exister dans une diminution de ses frontières du moi :
A la base y a ce sentiment modéré d’absurde, qui entraine un léger sentiment d’étrangeté. Ca devient chelou, y a un truc que tu piges pas, mais ça va c’est relax. Sauf que ça se corse, et là tu te tapes un ou deux sentiment de déjà-vu quand ton cerveau commences à plus trop comprendre ce qu’il se passe. Tu confonds des souvenirs passés avec ta vision du présent qui s’actualise mal parce que plus en temps réel, autrement dit t’associes mal les données parce que tu commences à dissocier sérieusement.
C’est là que ça se trouble dans ton esprit qui déconnecte de ton corps pour protéger l’intégrité de ta personnalité. Alors tu rentres dans une phase de dépersonnalisation. Mais ça passe puisque la dissociation t’a détaché de ton soma, de tes affects qui faisaient flipper ton esprit. Tes émotions et sentiments négatifs restent à distance, tu gardes le contrôle mentalement. Ton esprit ne décompense pas, y a encore maitrise de soi.
Mais comme t’as encore abusé, ba oui, d’un coup t’as une puissante impression de creux, de tomber dans un vide, en toi, devant toi, derrière toi, nul part et partout en même temps, ça dépend d’à quel point t’es atteint. Tu vois ta personnalité se distancer depuis ton point d’observation qui n’est ni dans toi, ni dans le réel qui parait alors loin de toi. Là tu commences à vraiment baliser parce que tu ressens ou vois ta personnalité s’éloigner autant de toi que le réel se fait la malle lui aussi. Tu te retrouves total largué, c’est la déréalisation en pleine phase psychotique, en plus de la dépersonnalisation. Si tu prends une photo de toi à ce moment là, le lendemain tu te vois et je peux te jurer que t’arrête la dope tellement tu flippes pour ta santé.
Bref, vous avez compris qu’il y a un continuum qui va de la normalité au pathologique, qui dans le cas du mécanisme de défense qu’est la dissociation, passe par plusieurs phases relatives à différents stades, qui peuvent s’inverser et se compléter tout en se cumulant, mais on va pas trop complexifier le baille pour que ça reste digeste. On retient que la dissociation va du simple petit délire sympas « jsuis foncedé la vie est rose c tro cool » à la perte de l’ego :
Donc la perte de l’ego est un stade bien précis de dissociation, de clivage vénère, qui modifie grandement ses perceptions dans des phases de dépersonnalisation et déréalisation. Jusque là rien de nouveau pour ceux qui ont suivit mes recherches, mais j’arrête de me répéter en proposant une approche plus détaillée, qui cherche à comprendre les modifications que subit le moi lors du phénomène de perte d’ego.
Tout est donc une question d’état du moi, qui sont multiples, simultanés et varient selon ses états de défonce, qui eux aussi sont multiples, simultanés et varient selon ce qu’on a prit et dans quel set&setting.
Quels sont ses différents états du moi ?
D’après mes recherches, j’ai aujourd’hui relevé que le moi pouvait être dans un état :
- État d’observation, lorsque l’on est attentif à ce qu’il se passe en soi et autour de soi, dans un état passif d’attention et de concentration normal, comme dans sa vie de tous les jours. Pour faire un lien avec une approche philosophique, je relie ça au moi transcendantal, qui consiste à penser à partir de son ego qui règne dans son mental en faisant passer le corps après lui, alors que le corps pense avant l’esprit, mais ça c’est un autre sujet. On retiendra que si Descartes a dit « Je pense donc je suis » en posant les bases de l’individualité du sujet qui va ne faire que s’individualiser jusqu’à aujourd’hui, Nietzsche lui opposerait que ça serait plutôt « ça pense, donc je suis », autrement il inverse l’approche philosophique du sujet en signifiant que si « je suis, alors je pense », enfin si on est pas on ne peut pas penser, ou alors faut y croire fortement, mais bref. On a donc dans son esprit le mental, dont son moi est le boss en étant le garant de sa subjectivité. C’est l’ego, son moi, qui procure son sentiment d’exister, d’après son narcissisme. En gros son ego rapporte tout à soi en disant « moi », et dans son mental son ego parle pour soi de soi en utilisant le je pour signifier son individualité. D’où le fait qu’en bon individualiste narcissique on dise « moi, je, et bla bla bla et bla bla bla et bla bla bla », ouai c’est ça ta gueule.
- État d’expérimentation, lorsqu’on est actif dans une expérience. On n’est alors plus attentif passivement, mais attentif activement. On est immergé dans une action, absorbé dans une expérience psycho-sensorielle qui nous connecte à notre corps (le moi est en même temps conscient, préconscient, inconscient, l’inconscient étant totalement corporel). Quand on expérimente on tire des connaissances à partir de ce que perçoivent ses sens. C’est à dire que nos sensations et émotions vont se traduire en sentiments dans l’esprit, et à partir de là vont se constituer nos intuitions, nos idées, nos pensées, à partir de nos facultés de juger, critiquer et raisonner avec logique en réfléchissant dans son esprit pensif ce que son corps pense. Vous voyez le passage du somatique au psychique ? Plus d’infos là dessus en dessous.s Philosophiquement on appelle cet état le moi expérimentant.
A partir de ces deux états fondamentaux faudrait expliciter les variations lorsqu’on passe d’une phase dissociative à l’autre, de la normalité au pathologique, mais c’est un travail de ouf qui prendrait des années pour être fait sérieusement, donc on va rester tranquille posé en essayant de voir d’autres états, postures et dimensions du moi :
- Posture contemplative, quand on phase serein en ne pensant à rien de précis. Ses idées défilent dans sa tête, le plus souvent en arrière-pensée ou sous forme d’images mentales dont on a pas vraiment conscience. On est à la limite entre le préconscient et le conscient, là où se forment ses pensées verbalisées, qui au départ sont non formulées sous forme de mot, donc normal que si on reprend conscience alors qu’on phasait dans cet état de préconscience, on n’ait aucun ou peu de souvenirs de ce à quoi on pensait. Dans cet état du moi sa pensée est flottante, elle va par-ci par-là sans qu’on l’oriente, on se laisse porter par le courant de ses humeurs.
- Posture descriptive, quand on est conscient en posant des mots sur ses sensations. Sa pensée est alors fixante, quand on sort de son état de flottement et qu’on se concentre sur une pensée, on se focalise sur un objet qu’on est à même de décrire. Ses sensation se transforment en pensée via ses intuitions, qui sont à la jonction entre le corps et l’esprit, mais sont mentales, alors que les sensations sont corporelles. Le corps pense dans une dimension somatique à des échelles subatomiques, via tout un tas de bailles chelous dont on ne parlera pas parce qu’on a pas de microscope. L’esprit pense dans une dimension métaphysique, qu’on peut appréhender parce qu’on vit dedans, dans la grande illusion qu’est sa réalité, que l’on construit d’après ses perceptions qu’on se fait du réel qui est devant soi, mais auquel on accède jamais (à part quand on se cogne selon Lacan). On accède pas vraiment au réel donc, mais d’après la réalité qu’on sent, ressent et s’imagine, on peut le théoriser en mettant des mots dessus, en décrivant ce qu’on ressent, d’après ce qu’on sent (je prends le parti de différencier réel et réalité).
- Dimension morale du moi, quand on adopte des postures en jugeant les choses, ce qu’on fait tout le temps à l’échelle du corps, et très souvent à l’échelle de l’esprit, surtout de son mental quand on manque d’esprit justement. On juge en permanence d’après ses valeurs, issues de son éducation, de son environnement, des règles et normes de la société dans laquelle on vit à une époque donnée. Le moi se veut moral en mettant en place tout un arsenal de pensées basées sur des principes moraux et éthiques, qui nous structurent à un point que vous n’imaginez pas. On retiendra qu’on est constamment dans une posture morale, sauf quand on gagne en epochè, c’est à dire qu’on perd en jugement, en critique. Un peu comme lorsqu’on dissocie et que son égo perd en teneur, alors on se montre moins critique, plus tolérant, jusqu’à perdre sa subjectivité en devenant comme mort, comme si on avait plus de personnalité parce qu’on arrêtait de juger. Autrement dit de percevoir les choses, comme en pleine egodeath. Je pense que ceux qui suivent voient où je veux en venir. La morale établit un état moral du moi, comme quand on a le moral ou qu’on subit une baisse de moral, et si on perd en jugements moraux, on désinvestit sa personne dans une perte d’ego. Après on est pas en train de dire c’est bien c’est pas bien hein, on parle de morale dans une dimension par delà bien et mal, extramorale. Pour le dire autrement, la perte d’ego c’est une grosse déprime de son activité morale, de ce qui constitue sa subjectivité dans son individualité.
Bon après y aurait plein d’autres choses à dire mais ça partirait en branlette incompréhensible d’intello. Néanmoins, parce qu’on le vaut bien, pour pas terminer sans vraiment parler de perte d’ego, voila une idée qui permettrait d’orchestrer tout ce qui a été dit précédemment dans ce fameux continuum dissociatif :
Lorsqu’on dissocie, il y a un dédoublement de son attention.
C’est de la bombe hein ? =)
Non sérieux, ça signifie que son attention, qui dans son moi observant est passive, et dans son moi expérimentant active, opère un dédoublement qui permet d’avoir comme accès à deux points de vue dans son esprit, en même temps. Un peu comme si ça conscience de soi et des choses se scindait en deux et offrait la possibilité de penser à deux choses simultanément, depuis deux approches, deux perspectives dans son esprit qui d’habitude n’en présente qu’une. Sauf si de base t’es quelque peu troublé, m’enfin.
Comment ça s’opère ce dédoublement, en phase de dissociation ?
D’une part on a le point de vue de sa conscience qui perçoit un objet en même temps que son moi, lors de la construction de sa réalité qui s’élabore d’après ses perceptions avec quelques millisecondes de retard sur le réel, genre je vois mon écran normalou. Mais l’image que j’en ai représente l’objet tel qu’il était il y a quelques millisecondes. La perception de l'objet serait le point de vue du senti, immédiat mais imperceptible consciemment ou presque (point de vue 0). La représentation de l'objet serait le point de vue du ressenti, déphasé (point de vue 1).
D’autre part il y a le point de vue de son moi, qui en ayant prit un certain recul en se dédoublant dans sa part réflexive, voit dans son propre esprit sa conscience percevoir l’objet, genre je me vois de l’extérieur en train de regarder mon écran. Ce serait un second point de vue du ressenti (point de vue 2), déphasé de quelques millièmes de secondes en plus peut-être. Ou alors il reste simultané en apparaissant dans son esprit, mais qui se représente les deux points de vue (point de vue 1 et 2).
Donc hypothèse : le moi en se dissociant ressentirait sa conscience dissociée, quand sa conscience se dissociant, le moi se sentirait dissocié. Il n’y aurait donc plus une fusion entre ses perceptions proprioceptives et aperceptives, mais une dissociation qui les séparerait et produirait deux points de vue dans l'esprit (1 et 2).
Ce qui se traduirait dans l’esprit par un point de vue plus corporel et immédiat (proprioceptif - 1), et un point de vue plus mental et déphasé (aperceptif - 2). C’est à dire que les points de vue qui se représentent en soi se structurent et se repèrent depuis son corps jusqu’à son esprit. Au niveau de son esprit qui ne traite que ses ressentis, le phénomène dissociatif en détacherait le mental, qui en prenant un certain recul aurait alors accès aux dialectiques proprioceptives entre le corps et l’esprit (point de vue 1), et aperceptives entre le mental et le point de vue 1 (point de vue 2). C’est mon approche du dédoublement aujourd’hui.
Explications, parce que si vous n’avez rien compris c’est normal, moi aussi je m’y perds :
En temps normal le corps sent une chose qu’il perçoit (point de vue 0), l’esprit ressent cette chose en traduisant ses perceptions en proprioceptions (point de vue 1), puis en aperceptions, c’est à dire en données traitables mentalement (point de vue 2). J’avance qu’en tant normal le mental est transcendé dans l’esprit, lui même fusionné dans le corps. donc les points de vue 0, 1 et 2 ne sont pas dissociés et impossibles à distinguer. Ex : Tu vois ton écran, sans te dire « tiens, je vois mon écran ».
Alors que dans un état dissocié, le corps sent une chose qu’il perçoit (point de vue 0), l’esprit ressent cette chose perçue (point de vue 1), et le mental voit ça d’un point de vue qui semble au moi extérieur à soi (point de vue 2), donc le sujet distingue les points de vue 1 et 2 dans son esprit.
Faudrait développer les concepts de moi et de soi pour bien saisir le baille, mais on va juste retenir qu’en tant normal l’esprit évolue depuis des positions données et dans des états particuliers perçus simultanément, états qui évoluent sans cesse mais sans qu’on s’en rende compte comme on est transcendé en soi, unifié quoi (point de vue 0,1 et 2 non distingués).
Alors que dissocié, l’esprit se clive et les différents états du moi apparaissent distincts à sa conscience, d’où le fait que son attention puisse percevoir deux points de vue différents issus de deux états différents adoptés, en temps. En gros les différents états du moi adoptés ne sont plus simultanément compilés, mais sont représentés dans l’esprit différentes dans deux perspectives, observables et expérimentables en même temps (distinction des points de vue 1 et 2).
La perte d’ego advient quand on dépasse ce stade de dissociation classique et qu’on perd en conscience de soi, plus de distinction possible ou alors on est dans une lucide confusion faite d'intuition ou de pensée imagée en pénétrant les strates préconscientes de son moi, jusqu’à des niveaux inconscients. On est alors comme mort, dans un rêve dont on a généralement aucun souvenir quand on en revient, si l’on en revient.
Donc fais gaffe à vous les psychos, des bisous à tous ceux qui se cherchent, et même à ceux qui s’en branlax de l’introspection, l’important c’est d’être soi, cohérent et authentique.