Puisque c'est devenu le sujet du moment :
"D’une manière tout à fait conventionnelle, le cannabis me provoque une sensation physique agréable, une certaine euphorie, et surtout une accélération de la pensée, qu’on nomme paraît-il tachypsychie. Ce mélange a tendance à donner lieu à une certaine inspiration artistique, dans tous les domaines ; cependant, elle s’oriente pour ainsi dire toujours dans une direction spécifique, celle du grotesque. Pas de l’élégance baroque, ni même du kitsch assumé, mais bien dans la surenchère continuelle, dans l’excès sans fin qui s’aventure sans vergogne au-delà des frontières de l’écœurant. Une sorte de comedia dell’arte où les archétypes récurrents sont de l’ordre du nazi pédophile qui torture des chatons trisomiques. La boîte à outils narrative et stylistique se limite plus ou moins à la caricature, au crescendo de crescendos, et à l’absurde sans subtilité. Les bons jours, il peut y avoir un sens caché plus profond, mais celui-ci est inévitablement que “IL N’Y A PAS DE SENS CACHÉ, HAHAHA !” … Hilarant, n’est-ce pas ?
D’une manière assez évidente, cette forte compulsion au burlesque sied assez peu à l’usage dans le cadre d’une relation sexuelle. Cependant, le caractère profondément agréable de l’ivresse cannabique décuple très bien les plaisirs masturbatoires, donnant ainsi tout son sens à l’expression “branlette intellectuelle”. Le résultat, selon la dose, a tendance à être un peu déroutant, continuant sans surprise dans le domaine de l’érotisme tous les travers auxquels on peut s’attendre. L’orgie spectaculaire d’une multitude de corps androgynes difformes s’y étale comme un Kajuraho conçu par Sade.
L’ivresse cannabique me donne un goût immodéré pour le trop : trop de syllabes dans les mots-valise façonnés à la volée, trop de très dispensables adjectifs antéposés avant chaque nom (et trop de pléonasmes), trop de parenthèses et de propositions incisées dans chaque phrase, trop de double-sens et de parodies nases à base de paronomases, trop de phrases dans chaque paragraphe, trop de paragraphes dans chaque chapitre, jamais assez de chapitres pour donner un début d’intrigue à ces romans qui finissent inévitablement avortés aux premiers stades fœtaux. Je les conserve parfois quelque temps dans des bocaux de formol, pour les observer avec un mélange de honte et de dégoût, avant de finir par m’en débarrasser."