« Vous connaissez le Jeu ? »
J'avais essayé de parler d'un ton anodin, sans trop savoir si c'était réussi. Il est grand temps que je m'inscrive à un cours de théâtre : pour le moment, je ne suis qu'un mauvais écrivain. Bon, et en plus je suis défoncé ; mais mieux vaut être trippé que fou (ça dure moins longtemps).
Bref, j'ai essayé de parler du Jeu tout à l'heure. C'est toujours un grand moment quand des gens prennent connaissance du Jeu pour la première fois, qu'on doit leur – j'ai perdu – expliquer qu'il vont passer le reste de leur vie à perdre. Les règles du Jeu sont assez simples : quand on entend parler du Jeu, on y joue. Chaque fois qu'on y pense, on perd. Le seul moyen d'arrêter le Jeu, donc d'arrêter de perdre, est que toute l'humanité y joue.
Donc à partir de maintenant, tu joues au Jeu. Et d'ailleurs, tu as perdu. Je suis sincèrement désolé, mais tu comprendras que c'est pour la bonne cause. Pour tous les pauvres qui sont en train de jouer, et de perdre. Personnellement ça va, j'ai des nerfs d'acier et je sais me prendre en main pour – j'ai perdu – ne pas perdre trop souvent, pour prendre les bonnes décisions afin de minimiser les dégâts de manière rationnelle. Mais c'est pas le cas de tout le monde. Y'a des gens qui pourraient ne pas supporter les choses, et devenir complètement barges. Enfin, pas que ça soit en train d'arriver à quelqu'un que je connaisse, que je connaisse vraiment je veux dire. C'est juste histoire de prendre les devants, d'avoir une vision d'ensemble, de garder la tête froide.
Enfin, revenons à cette soirée. Ça parlait cinéma, particulièrement Tarantino à ce moment-là. Toutes ces discussions à propos de scénario me donnent généralement envie de commencer à écrire une nouvelle. Tu auras remarqué que c'est d'ailleurs ce que je suis en train de faire – à part perdre, je veux dire. Une nouvelle sur le Jeu ; pourquoi pas, après tout ? Mais, pour rendre la chose plus divertissante, il faut humaniser les choses, permettre de s'identifier, mettre du dramatique histoire d'avoir une histoire passionnante. Je trouve qu'un personnage gagne beaucoup en profondeur dès qu'on commencer à douter de sa santé mentale ; le procédé est un peu facile mais ça me plait.
Et puis c'est ça, aussi, écrire une bonne nouvelle, il faut que ça marche, quitte à rester simple (et à perdre). Le plus important, c'est de partager, de faire ressentir quelque chose au lecteur, pas de faire de l'expérimentation à tout va en abattant le cinquième mur comme un sagouin. D'ailleurs c'est marrant, le seul fait de mentionner le cinquième mur suffit à l'abattre complètement. Enfin, à le fissurer, en tout cas.
Donc voilà, j'ai décidé de dévier un peu la conversation en parlant de mon projet d'écrire une nouvelle sur un type qui joue au Jeu et devient totalement fou à force de perdre, mais essaye de faire semblant d'être normal pour sauver les apparences. Alors il rentre chez lui tout en continuant à perdre (et à le crier dans la nuit parisienne, aux clodos, aux flics, aux petites Anglaises en minijupe, …
pour se jeter sur son clavier. Il commence à taper dessus frénétiquement, avec un gros plan sur le rictus étrange qui se forme sur ses lèvres. Tout ça pour – j'ai perdu – écrire une nouvelle qui commence comme ça : « Vous connaissez le Jeu ? ».
Ici, il suffirait de laisser la boucle boucler tranquillement en se frottant les mains, mais ce serait une solution de facilité.
Enfin, revenons à cette soirée. Ça parlait cinéma, particulièrement Tarantino à ce moment-là. Toutes ces discussions à propos de scénario me donnent généralement envie de commencer à écrire une nouvelle. Tu auras remarqué que c'est d'ailleurs ce que je suis en train de faire – à part perdre, je veux dire. Une nouvelle sur le Jeu ; pourquoi pas, après tout ? Mais, pour rendre la chose plus divertissante, il faut humaniser les choses, permettre de s'identifier, mettre du dramatique histoire d'avoir une histoire passionnante. Je trouve qu'un personnage gagne beaucoup en profondeur dès qu'on commencer à douter de sa santé mentale ; le procédé est un peu facile mais ça me plait. C'est comme la répétition de passages, il faut parfois savoir s'amuser, hein. Je ne sais pas si ça te fait tellement rire, cela dit, mais je l'espère de tout mon cœur.
Parce que c'est ça, aussi, écrire une bonne nouvelle, il faut que ça marche, quitte à rester simple (et à perdre). Le plus important, c'est de partager, de faire ressentir quelque chose au lecteur, pas de faire de l'expérimentation à tout va !
Donc voilà, j'ai décidé de dévier un peu la conversation en parlant de mon projet d'écrire une nouvelle sur un type qui joue au Jeu et devient totalement fou à force de perdre, mais essaye de faire semblant d'être normal pour sauver les apparences. Alors il rentre chez lui tout en continuant à perdre (et à le crier dans la nuit parisienne, aux clodos, aux flics, aux petites Anglaises en minijupe, …
pour se jeter sur son clavier. Il commence à taper dessus frénétiquement, avec un gros plan sur le rictus étrange qui se forme sur ses lèvres. Tout ça pour – j'ai perdu – écrire une nouvelle qui commence comme ça : « Vous connaissez le Jeu ? ».
Ensuite, une fois que c'est fini, il se lève et se jette sur son lit moelleux. Il s'y enfonce, enfonce, toujours plus profondément. On a l'impression qu'il ne va jamais toucher le fond. A cet instant-là, il a l'idée étrange de regarder sa main droite. Elle a quelque chose de bizarre, mais quoi ? Ah, oui, il a six doigts ; et cette harpe n'a rien à faire ici. De toute façon, ça n'a vraiment pas de sens.
C'est à ce moment-là qu'il se réveille. Choqué. Après quelques instants, une première pensée lui vient : encore raté. Pourquoi est-ce que tout fout le camp dès qu'il commence à devenir lucide ? Comme si son inconscient cherchait à le protéger de quelque chose. Ou peut-être juste à s'amuser (il a un inconscient très farceur, un comique de premier ordre) comme quand il prend la forme de personnages qui se foutent de sa gueule, surtout quand la lucidité pointe le bout de son nez. La fois où il avait pris l'apparence d'un ami pour lui rappeler le Jeu... Ah, il vient de perdre ; et moi aussi. Et toi aussi.
Il se lève, encore un peu perturbé par cette activité onirique intense, et trouve son ordinateur allumé à côté de la harpe. Le traitement de texte est ouvert. « … nouvelle sur un type qui joue au Jeu et devient totalement fou à force de perdre, mais essaye de faire semblant d'être normal pour sauver les apparences. Alors il rentre chez lui tout en continuant à perdre (et à le crier dans la nuit parisienne, aux clodos, aux flics, aux petites Anglaises en minijupe, …
pour se jeter sur son clavier. Il commence à taper dessus frénétiquement, avec un gros plan sur le rictus étrange qui se forme sur ses lèvres. Tout ça pour – j'ai perdu – écrire une nouvelle qui commence comme ça : « Vous connaissez le Jeu ? ».
Ensuite, une fois que c'est fini, il se lève et se jette sur son lit moelleux. Il s'y enfonce, enfonce, toujours plus profondément. On a l'impression qu'il ne va jamais toucher le fond. A cet instant-là, il a l'idée étrange de regarder sa main droite. Il y a quelque chose de bizarre, mais quoi ? Ah, oui, elle a six doigts ; et cette harpe n'a rien à faire ici. De toute façon, ça n'a vraiment, vraiment pas de sens.
C'est à ce moment-là qu'il se réveille. Choqué. Après quelques instants, une première pensée lui vient : encore raté. Pourquoi est-ce que tout fout le camp dès qu'il commence à devenir lucide ? Comme si son inconscient cherchait à le protéger de quelque chose. Ou peut-être juste à s'amuser (il a un inconscient très farceur, un comique de premier ordre) comme quand il prend la forme de personnages qui se foutent de sa gueule, surtout quand la lucidité pointe le bout de son nez. La fois où il avait pris l'apparence d'un ami pour lui rappeler le Jeu... Ah, il vient de perdre ; et moi aussi. Et toi aussi.
Il se lève, encore un peu perturbé par cette activité onirique intense, et trouve son ordinateur allumé. Le traitement de texte est ouvert. »
Dans un mouvement de recul, il cligne des yeux. La boucle est toute proche, il peut réussir à ne pas se laisser happer s'il est vigilant, s'il reste lucide. Ou le devient. Un, deux, trois, quatre. Tout va bien, il a quatre doigts. Quatre ? C'est qu'il est en train de rêver. D'ailleurs cette harpe n'a rien à faire ici.
C'est à ce moment-là qu'il se réveille. Choqué. Après quelques instants, une première pensée lui vient : encore raté. Pourquoi est-ce que tout fout le camp dès qu'il commence à devenir lucide ? Comme si son inconscient cherchait à le protéger de quelque chose. Ou peut-être juste à s'amuser (il a un inconscient très farceur, un comique de premier ordre) comme quand il prend la forme de personnages qui se foutent de sa gueule, surtout quand la lucidité pointe le bout de son nez. La fois où il avait pris l'apparence d'un ami pour lui rappeler le Jeu... Ah, il vient de perdre ; et moi aussi. Et toi aussi.
Il se lève, encore un peu perturbé par cette activité onirique intense, trouve son ordinateur allumé à côté de la harpe et commence à en jouer en fermant les yeux. Au bout d'un moment, il demande à ses amis fans de Tarantino ce qu'ils en pensent, bavardent un moment de musique celtique et de Bach. Dans la conversation, d'un ton anodin, l'un d'eux (celui qui s'était inscrit à un cours de théâtre) demande s'ils connaissent le Jeu. Il a décidé d'écrire une nouvelle dessus. Une nouvelle sur le Jeu ; pourquoi pas, après tout ? Mais, pour rendre la chose plus divertissante, il faut humaniser les choses, permettre de s'identifier, mettre du dramatique histoire d'avoir une histoire passionnante.
« Je trouve qu'un personnage gagne beaucoup en profondeur dès qu'on commencer à douter de sa santé mentale ; le procédé est un peu facile mais ça lui plait », commence t-il en s'emparant du tabouret pour se mettre à jouer de la harpe.
« Et puis c'est ça, aussi, écrire une bonne nouvelle, il faut que ça marche, quitte à rester simple (et à perdre). Le plus important, c'est de partager, de faire ressentir quelque chose au lecteur, pas de faire de l'expérimentation à tout va en abattant le cinquième mur comme un sagouin. D'ailleurs c'est marrant, le seul fait de mentionner le cinquième mur suffit à l'abattre complètement. Enfin, à le fissurer, en tout cas. »
Juste à cet instant, une faille béante de doute s'immisce dans l'esprit de son interlocuteur. D'accord, son ami peut bien être fan de Tarantino, mais de là à avoir cinq doigts ? Oh, mais, cinq, c'est le bon nombre, c'est lui qui ne devrait pas en avoir six, à moins... A moins d'être dans un rêve, en train d'écouter une projection de son inconscient jouer de la harpe – harpe qui n'a rien à faire ici d'ailleurs.
« Dis, ça fait quoi d'être une projection de mon inconscient ?
- Oh, je sais pas. Ça fait quoi d'être un personnage de nouvelle ? »
Ce rêve devient carrément oppressant.
C'est à ce moment-là qu'il se réveille. Choqué. Après quelques instants, une première pensée lui vient : encore raté. Pourquoi est-ce que tout fout le camp dès qu'il commence à devenir lucide ? Comme si son inconscient cherchait à le protéger de quelque chose. Ou peut-être juste à s'amuser (il a un inconscient très farceur, un comique de premier ordre) comme quand il prend la forme de personnages qui se foutent de sa gueule, surtout quand la lucidité pointe le bout de son nez. La fois où il avait pris l'apparence d'un ami pour lui rappeler le Jeu... Ah, il vient de perdre ; et moi aussi. Et toi aussi.
Il se lève, encore un peu perturbé par cette activité onirique intense, et trouve son ordinateur allumé à côté de la harpe. Le traitement de texte est ouvert.
« Vous connaissez le Jeu ? »
J'avais essayé de parler d'un ton anodin, sans trop savoir si c'était réussi. Il est grand temps que je m'inscrive à un cours de théâtre : pour le moment, je ne suis qu'un mauvais écrivain. Bon, et en plus je suis défoncé ; mais mieux vaut être trippé que fou (ça dure moins longtemps).
Bref, j'ai essayé de parler du Jeu tout à l'heure. C'est toujours un grand moment quand des gens prennent connaissance du Jeu pour la première fois, qu'on doit leur – j'ai perdu – expliquer qu'il vont passer le reste de leur vie à perdre. Les règles du Jeu sont assez simples : quand on entend parler du Jeu, on y joue. Chaque fois qu'on y pense, on perd. Le seul moyen d'arrêter le Jeu, donc d'arrêter de perdre, est que toute l'humanité y joue.
Donc à partir de maintenant, tu joues au Jeu. Et d'ailleurs, tu as perdu. Je suis sincèrement désolé, mais tu comprendras que c'est pour la bonne cause. Pour tous les pauvres qui sont en train de jouer, et de perdre. Personnellement ça va, j'ai des nerfs d'acier et je sais me prendre en main pour – j'ai perdu – ne pas perdre trop souvent, pour prendre les bonnes décisions afin de minimiser les dégâts de manière rationnelle. Mais c'est pas le cas de tout le monde. Y'a des gens qui pourraient ne pas supporter les choses, et devenir complètement barges. Enfin, pas que ça soit en train d'arriver à quelqu'un que je connaisse, que je connaisse vraiment je veux dire. C'est juste histoire de prendre les devants, d'avoir une vision d'ensemble, de garder la tête froide.
Enfin, revenons à cette soirée. Ça parlait cinéma, particulièrement Tarantino à ce moment-là. Toutes ces discussions à propos de scénario me donnent généralement envie de commencer à écrire une nouvelle. Tu auras remarqué que c'est d'ailleurs ce que je suis en train de faire – à part perdre, je veux dire. Une nouvelle sur le Jeu ; pourquoi pas, après tout ? Mais, pour rendre la chose plus divertissante, il faut humaniser les choses, permettre de s'identifier, mettre du dramatique histoire d'avoir une histoire passionnante. Je trouve qu'un personnage gagne beaucoup en profondeur dès qu'on commencer à douter de sa santé mentale ; le procédé est un peu facile mais ça me plait.
Et puis c'est ça, aussi, écrire une bonne nouvelle, il faut que ça marche, quitte à rester simple (et à perdre). Le plus important, c'est de partager, de faire ressentir quelque chose au lecteur, pas de faire de l'expérimentation à tout va en abattant le cinquième mur comme un sagouin. D'ailleurs c'est marrant, le seul fait de mentionner le cinquième mur suffit à l'abattre complètement. Enfin, à le fissurer, en tout cas.
Donc voilà, j'ai décidé de dévier un peu la conversation en parlant de mon projet d'écrire une nouvelle sur un type qui joue au Jeu et devient totalement fou à force de perdre, mais essaye de faire semblant d'être normal pour sauver les apparences. Alors il rentre chez lui tout en continuant à perdre (et à le crier dans la nuit parisienne, aux clodos, aux flics, aux petites Anglaises en minijupe, …
pour se jeter sur son clavier. Il commence à taper dessus frénétiquement, avec un gros plan sur le rictus étrange qui se forme sur ses lèvres. Tout ça pour – j'ai perdu – écrire une nouvelle qui commence comme ça : « Vous connaissez le Jeu ? ».
Ici, il suffirait de laisser la boucle boucler tranquillement en se frottant les mains, mais ce serait une solution de facilité.
Enfin, revenons à cette soirée. Ça parlait cinéma, particulièrement Tarantino à ce moment-là. Toutes ces discussions à propos de scénario me donnent généralement envie de commencer à écrire une nouvelle. Tu auras remarqué que c'est d'ailleurs ce que je suis en train de faire – à part perdre, je veux dire. Une nouvelle sur le Jeu ; pourquoi pas, après tout ? Mais, pour rendre la chose plus divertissante, il faut humaniser les choses, permettre de s'identifier, mettre du dramatique histoire d'avoir une histoire passionnante. Je trouve qu'un personnage gagne beaucoup en profondeur dès qu'on commencer à douter de sa santé mentale ; le procédé est un peu facile mais ça me plait. C'est comme la répétition de passages, il faut parfois savoir s'amuser, hein. Je ne sais pas si ça te fait tellement rire, cela dit, mais je l'espère de tout mon cœur.
Parce que c'est ça, aussi, écrire une bonne nouvelle, il faut que ça marche, quitte à rester simple (et à perdre). Le plus important, c'est de partager, de faire ressentir quelque chose au lecteur, pas de faire de l'expérimentation à tout va !
Donc voilà, j'ai décidé de dévier un peu la conversation en parlant de mon projet d'écrire une nouvelle sur un type qui joue au Jeu et devient totalement fou à force de perdre, mais essaye de faire semblant d'être normal pour sauver les apparences. Alors il rentre chez lui tout en continuant à perdre (et à le crier dans la nuit parisienne, aux clodos, aux flics, aux petites Anglaises en minijupe, …
pour se jeter sur son clavier. Il commence à taper dessus frénétiquement, avec un gros plan sur le rictus étrange qui se forme sur ses lèvres. Tout ça pour – j'ai perdu – écrire une nouvelle qui commence comme ça : « Vous connaissez le Jeu ? ».
Ensuite, une fois que c'est fini, il se lève et se jette sur son lit moelleux. Il s'y enfonce, enfonce, toujours plus profondément. On a l'impression qu'il ne va jamais toucher le fond. A cet instant-là, il a l'idée étrange de regarder sa main droite. Il y a quelque chose de bizarre, mais quoi ? Ah, oui, il a six doigts ; et cette harpe n'a rien à faire ici. De toute façon, ça n'a vraiment pas de sens.
C'est à ce moment-là qu'il se réveille. Choqué. Après quelques instants, une première pensée lui vient : encore raté. Pourquoi est-ce que tout fout le camp dès qu'il commence à devenir lucide ? Comme si son inconscient cherchait à le protéger de quelque chose. Ou peut-être juste à s'amuser (il a un inconscient très farceur, un comique de premier ordre) comme quand il prend la forme de personnages qui se foutent de sa gueule, surtout quand la lucidité pointe le bout de son nez. La fois où il avait pris l'apparence d'un ami pour lui rappeler le Jeu... Ah, il vient de perdre ; et moi aussi. Et toi aussi.
Il se lève, encore un peu perturbé par cette activité onirique intense, et trouve son ordinateur allumé à côté de la harpe. Le traitement de texte est ouvert. « … nouvelle sur un type qui joue au Jeu et devient totalement fou à force de perdre, mais essaye de faire semblant d'être normal pour sauver les apparences. Alors il rentre chez lui tout en continuant à perdre (et à le crier dans la nuit parisienne, aux clodos, aux flics, aux petites Anglaises en minijupe, …
pour se jeter sur son clavier. Il commence à taper dessus frénétiquement, avec un gros plan sur le rictus étrange qui se forme sur ses lèvres. Tout ça pour – j'ai perdu – écrire une nouvelle qui commence comme ça : « Vous connaissez le Jeu ? ».
Ensuite, une fois que c'est fini, il se lève et se jette sur son lit moelleux. Il s'y enfonce, enfonce, toujours plus profondément. On a l'impression qu'il ne va jamais toucher le fond. A cet instant-là, il a l'idée étrange de regarder sa main droite. Il y a quelque chose de bizarre, mais quoi ? Ah, oui, elle a six doigts ; et cette harpe n'a rien à faire ici. De toute façon, ça n'a vraiment, vraiment pas de sens.
C'est à ce moment-là qu'il se réveille. Choqué. Après quelques instants, une première pensée lui vient : encore raté. Pourquoi est-ce que tout fout le camp dès qu'il commence à devenir lucide ? Comme si son inconscient cherchait à le protéger de quelque chose. Ou peut-être juste à s'amuser (il a un inconscient très farceur, un comique de premier ordre) comme quand il prend la forme de personnages qui se foutent de sa gueule, surtout quand la lucidité pointe le bout de son nez. La fois où il avait pris l'apparence d'un ami pour lui rappeler le Jeu... Ah, il vient de perdre ; et moi aussi. Et toi aussi.
Il se lève, encore un peu perturbé par cette activité onirique intense, et trouve son ordinateur allumé. Le traitement de texte est ouvert. »
Dans un mouvement de recul, il cligne des yeux. La boucle est toute proche, il peut réussir à ne pas se laisser happer s'il est vigilant, s'il reste lucide. Ou le devient. Un, deux, trois, quatre. Tout va bien, il a quatre doigts. Quatre ? C'est qu'il est en train de rêver. D'ailleurs cette harpe n'a rien à faire ici.
C'est à ce moment-là qu'il se réveille. Choqué. Après quelques instants, une première pensée lui vient : encore raté. Pourquoi est-ce que tout fout le camp dès qu'il commence à devenir lucide ? Comme si son inconscient cherchait à le protéger de quelque chose. Ou peut-être juste à s'amuser (il a un inconscient très farceur, un comique de premier ordre) comme quand il prend la forme de personnages qui se foutent de sa gueule, surtout quand la lucidité pointe le bout de son nez. La fois où il avait pris l'apparence d'un ami pour lui rappeler le Jeu... Ah, il vient de perdre ; et moi aussi. Et toi aussi.
Il se lève, encore un peu perturbé par cette activité onirique intense, trouve son ordinateur allumé à côté de la harpe et commence à en jouer en fermant les yeux. Au bout d'un moment, il demande à ses amis fans de Tarantino ce qu'ils en pensent, bavardent un moment de musique celtique et de Bach. Dans la conversation, d'un ton anodin, l'un d'eux (celui qui s'était inscrit à un cours de théâtre) demande s'ils connaissent le Jeu. Il a décidé d'écrire une nouvelle dessus. Une nouvelle sur le Jeu ; pourquoi pas, après tout ? Mais, pour rendre la chose plus divertissante, il faut humaniser les choses, permettre de s'identifier, mettre du dramatique histoire d'avoir une histoire passionnante.
« Je trouve qu'un personnage gagne beaucoup en profondeur dès qu'on commencer à douter de sa santé mentale ; le procédé est un peu facile mais ça lui plait », commence t-il en s'emparant du tabouret pour se mettre à jouer de la harpe.
« Et puis c'est ça, aussi, écrire une bonne nouvelle, il faut que ça marche, quitte à rester simple (et à perdre). Le plus important, c'est de partager, de faire ressentir quelque chose au lecteur, pas de faire de l'expérimentation à tout va en abattant le cinquième mur comme un sagouin. D'ailleurs c'est marrant, le seul fait de mentionner le cinquième mur suffit à l'abattre complètement. Enfin, à le fissurer, en tout cas. »
Juste à cet instant, une faille béante de doute s'immisce dans l'esprit de son interlocuteur. D'accord, son ami peut bien être fan de Tarantino, mais de là à avoir cinq doigts ? Oh, mais, cinq, c'est le bon nombre, c'est lui qui ne devrait pas en avoir six, à moins... A moins d'être dans un rêve, en train d'écouter une projection de son inconscient jouer de la harpe – harpe qui n'a rien à faire ici d'ailleurs.
« Dis, ça fait quoi d'être une projection de mon inconscient ?
- Oh, je sais pas. Ça fait quoi d'être un personnage de nouvelle ? »
Ce rêve devient carrément oppressant.
C'est à ce moment-là qu'il se réveille. Choqué. Après quelques instants, une première pensée lui vient : encore raté. Pourquoi est-ce que tout fout le camp dès qu'il commence à devenir lucide ? Comme si son inconscient cherchait à le protéger de quelque chose. Ou peut-être juste à s'amuser (il a un inconscient très farceur, un comique de premier ordre) comme quand il prend la forme de personnages qui se foutent de sa gueule, surtout quand la lucidité pointe le bout de son nez. La fois où il avait pris l'apparence d'un ami pour lui rappeler le Jeu... Ah, il vient de perdre ; et moi aussi. Et toi aussi.
Il se lève, encore un peu perturbé par cette activité onirique intense, et trouve son ordinateur allumé à côté de la harpe. Le traitement de texte est ouvert, il commence à lire.
« Note à moi-même : Oh, désolé pour toutes ces boucles ; non seulement ça m'amuse beaucoup mais c'est le meilleur moyen que j'aie trouvé pour que tu passes plus de temps à lire que moi à écrire, et donc que tu perdes plus que moi. Au fait, tu noteras que je n'écris qu'une seule fois ce texte, en espérant que beaucoup de gens le lisent. Et d'ailleurs, tu as perdu. Je suis sincèrement désolé, mais tu comprendras que c'est pour la bonne cause. Pour tous les pauvres qui sont en train de jouer, et de perdre.
Personnellement ça va, j'ai des nerfs d'acier et je sais me prendre en main pour ne pas perdre trop souvent, pour prendre les bonnes décisions afin de minimiser les dégâts de manière rationnelle. Mais c'est pas le cas de tout le monde. Y'a des gens qui pourraient ne pas supporter les choses, et devenir complètement barges. Enfin, pas que ça soit en train d'arriver à quelqu'un que je connaisse, que je connaisse vraiment je veux dire. C'est juste histoire de prendre les devants, d'avoir une vision d'ensemble, de garder la tête froide. »
Il doit se rendre à l'évidence : il devient fou. Inéluctablement. Comme dans un cauchemar. D'ailleurs c'est peut-être un cauchemar ! Un, deux, trois, quatre, cinq. Non, ça n'a rien d'un cauchemar.
Moi aussi, d'ailleurs. Puisque lui, c'est moi. Enfin, je veux dire... J'ai perdu.
PERDU.
PERDUPERDUPERDUPERDUPERDUPERDU
Dites-moi que c'est un cauchemar. Un, deux, trois, quatre, cinq. Non. C'est pas possible. Je ne veux pas. Il ne faut pas que je hurle que j'ai PERDU, que toi aussi tu as PERDU, que tout le monde a perdu et que tout le monde va perdre, encore et encore. Mais je vais céder, c'est comme perdre, on a beau se retenir on finit toujours par perdre, alors je vais crier que j'ai perdu.
Je ne peux pas. Ça veut dire... Je ne peux vraiment pas émettre un son. C'est un cauchemar. Ça veut dire que c'est un cauchemar. C'est forcément un cauchemar. Alors comment me réveiller ? Je n'ai peut-être qu'à me coucher.
Je viens de me lever, et de trouver ça en traitement de texte sur mon ordinateur allumé à côté de ma harpe. Je ne comprends pas ces fixation bizarres sur la harpe, je ne comprends rien d'ailleurs. Si c'est vraiment écrit sur mon ordinateur, ça veut dire que je ne l'ai pas écrit en rêve, donc que je deviens vraiment fou.
Ou alors je suis en train de rêver en ce moment. Bon, si j'acquiers la lucidité, je vais peut-être bientôt me réveiller. Tout fout toujours le camp assez rapidement, en général, comme si mon inconscient cherchait à se protéger.
Mais j'ai l'impression qu'il me fait toujours me réveiller dans un rêve. Ah, je viens de perdre. Il faudrait que j'arrête avec ce truc, je hais le type qui m'en a parlé le premier. Qui était-ce d'ailleurs ? Ah, oui, ce fan de Tarantino qui joue de le harpe. Non, je lui en ai parlé hier. Ou alors c'était dans un rêve ? Je ne sais pas, je ne sais plus rien. Je me contente de perdre encore et encore, et d'écrire une nouvelle pour faire perdre les gens.
Et d'ailleurs, tu as perdu. Je suis sincèrement désolé, mais tu comprendras que c'est pour la bonne cause. Pour tous les pauvres qui sont en train de jouer, et de perdre.
Personnellement ça va, j'ai des nerfs d'acier et je sais me prendre en main pour ne pas perdre trop souvent, pour prendre les bonnes décisions afin de minimiser les dégâts de manière rationnelle. Mais c'est pas le cas de tout le monde. Y'a des gens qui pourraient ne pas supporter les choses, et devenir complètement barges. Enfin, pas que ça soit en train d'arriver à quelqu'un que je connaisse, que je connaisse vraiment je veux dire.
Enfin... Qui est-ce qu'on connait vraiment ? Pas soi-même en tout cas. Surtout pas soi-même ! C'est bien pour ça qu'on ne peut pas s'empêcher de perdre. Parce qu'on ne se maîtrise pas. Cela dit, ça fait un moment que je suis lucide et que je ne me réveille pas. Plutôt bon signe ! Ça peut aussi vouloir dire que je ne rêve pas et suis juste plus ou moins fou, certes. Je n'ai qu'à compter mes doigts.
Un, deux, trois, quatre, cinq. Je suis bien barge, d'accord. Mais je m'en rends compte. C'est un peu comme la lucidité en rêve, non ? Sauf qu'on ne se réveille pas. On ne se réveille jamais. On continue juste à perdre, à PERDRE, de plus en plus, jusqu'à n'être plus que l'ombre de soi-même.
Par pitié, faites tourner ce texte à vos connaissances, pour que tout le monde joue et que le Jeu prenne fin. C'est pour la bonne cause. Pour tous les pauvres qui sont en train de jouer, et de perdre.
Personnellement ça va, j'ai des nerfs d'acier et je sais me prendre en main pour ne pas perdre trop souvent, pour prendre les bonnes décisions afin de minimiser les dégâts de manière rationnelle. Mais c'est pas le cas de tout le monde. Y'a des gens qui pourraient ne pas supporter les choses, et devenir complètement barges. Enfin, pas que ça soit en train d'arriver à quelqu'un que je connaisse, que je connaisse vraiment je veux dire.