Eh bien, pourquoi pas écrire en commun.
En attendant, je n'ai écris que deux nouvelles dans ma vie. Je vous poste la première, que j'ai écris lorsque j'étais en seconde (il y a environ 4 ans.)
LA CONJURATION DU FROMAGE
Je hais le gruyère.
Ce n’est pas une haine simple, une haine basique, comme on hait la petite vieille qui nous passe devant à la caisse du supermarché, prétextant un mal de dos infernal de sa voix craquelée et chevrotante, et qui, une fois la porte franchie, exécute quelques pirouettes, afin de se rendre, sans doute, à sa séance de saut à l’élastique.
Même pas une haine semblable à celle qui nous envahit lorsque le chauffeur du dernier bus passe sans s’arrêter, et que la pluie se met à tomber, recouvrant notre silhouette esseulée, sémaphore brisé, accablée de déréliction.
C’est une haine gigantesque, incommensurable. Tout, dans ce fromage, me révulse, me répugne profondément.
Quand ma mère m’annonce un repas de famille important, avec mon frère gay et son nouveau petit ami, ma sœur, et – beurk – mon crétin de beauf, je ne peux pas refuser.
Connaissant mes talents derrière les fourneaux, mes parents m’ont donc chargé d’apporter le vin et le fromage.
Pour l’alcool, pas de problème.
Mais qui dit fromage, dit plateau de fromage, et qui dit plateau dit gruyère, ce fromage qui n’existerait pas, avec le lundi matin, si l’univers était parfait.
C’est dans cet état d’esprit que je me rends à la fromagerie la plus proche, tenue, je le sais, par un spécimen qui mériterait sa place dans un zoo.
Mon long manteau noir tombe jusqu'à mes genoux, et ma barbe de 3 jours cumulée à mes longs cheveux me donnent un air d’ancien de la bande à Bonnot. Surgit alors un homme dont je vous passe la description, sortant de la fromagerie d’en face, et mangeant un morceau de cet iconoclaste fromage. J’ai envie de proférer de terribles paroles. Des paroles telles qu’il ne toucherait plus jamais à un bout de gruyère, voire qu’il ne fréquenterait plus quelqu’un en consommant, voire qu’il changerait de trottoir à la vue d’une fromagerie, apeuré.
Une haine féroce.
Mais je me tais, et traverse. Je chasse d’une main les cheveux qui cachent mes yeux hagards et cernés, et franchit le palier de la boutique. Un carillon placé au-dessus de la porte tinte. La vendeuse arrive, ses talons claquent contre le sol.
Elle est jolie. Ses cheveux légèrement bouclés, ondulés, auburn encadrent son visage fin et harmonieux, délicatement proportionné. Ses pommettes hautes, son sourire délicat, rayonnant, ses lèvres tendrement boudeuses, sont adorables. Son teint est très légèrement hâlé, et ses yeux amandes pétillent.
Malheureusement, je ne peux la voir entièrement car elle est dissimulée derrière le comptoir ; seuls son cou et son visage sont visibles. Je passe ma commande, en laissant traîner des espaces superflus entre mes mots, au risque de passer pour un simple d’esprit, afin de rester longtemps en compagnie de cette féerique apparition.
Mais sa supérieure arrive, et prend sa place. Elle, par contre, n’a pas la moindre once de charme : sa face bouffie reluit, ses yeux sont cachés au fin fond de leurs orbites, et elle ressemble véritablement à un cochon. Sa tête de haribo fondu, de chamallow grillé me présente la note. Je paie. Écoeuré, je sors. Encore sous le charme de ma nouvelle muse, je ne fais pas attention à ce crétin de poteau, et il me percute douloureusement le coude. Aïe !!
Maudit fromage.
Oooooof ! Je me réveille enfin. Mon réveil affiche 9 : 00. Samedi. J’esquisse un pas en dehors de mon lit, dans le noir.
Grave erreur : je trébuche sur quelque chose et m’affale bruyamment sur la moquette. Ainsi étalé, comme une grenouille écrasée au sol, les bras le long du corps, allongé sur le ventre, la tête posée sur la joue droite, je songe.
D’abord, à ce repas de famille d’hier au soir. Je déteste ça ; ma sœur est arrivée – comme à son habitude – deux heures à l’avance, et son niais de mari nous a rejoint peu après, sur son destrier pétaradant. Je l’imaginais bien emmener Luciole (ma sœur) manger un Macdo, puis aller faire une partie de FIFA sur PS3 en buvant une kronembourg tiède. D’habitude, je m’interdis les préjugés tels que ceux-ci, mais parfois, la tête de l’individu est tellement appropriée…
Mon karma avait dû choisir de se défouler allègrement à cette soirée, car une sympathique personne s’était ajoutée à nos joyeux festins : mon cousin.
Enfin, pas un cousin normal, un « mormon ».
Cette ébauche de cousin dont je garde le souvenir très net - comme on se souvient distinctement d’une épine qui nous a traversé le pied d’un bout a l’autre - qu’il m’avait proposé, il y a quelques années, un voyage au pays de Jim Harrison.
Encore pur et immaculé d’esprit, j’avais accepté de l’accompagner dans l’Utah. Arrivés dans une jolie ville qui me rappela quelque chose – Salt Lake City -, il m’avait tenu ces propos : « je vais te présenter une nouvelle famille. Une famille gentille, la vraie, l’unique famille, celle qui sera notre salut ! » Ses yeux pétillants m’avaient un peu inquiété, de même que sa voix a l’ambitus tout à coup démesuré. Je me souviens d’avoir demandé au serveur une pinte de whisky. Ami, remplis mon verre ! Mon cousin était parti a ce moment-là, aux toilettes, m’avait-il dit. Quelques cigarettes plus tard, je le voyais revenir, affublé d’une toge ridicule, un vieux livre grisâtre et froissé à la main et il m’avait dit, calmement, comme s’il parlait à un enfant, ou à quelqu’un écoutant du rap, que nous allions rejoindre son maître à penser, Gordon Hinckley.
En entendant cela, j’avais ri, puis détalé. Depuis ce jour, malgré mes diverses tentatives pour échapper à son prosélytisme (j’avais même porté une énorme croix et clamé quelques paroles saintes d’un vieillard cacochyme, en brandissant pathétiquement deux doigts tremblants, une fois, pour le dissuader), rien n’y avait fait, et la seule méthode efficace avait été de l’ignorer.
Ensuite, je pense à ma jolie vendeuse de cet immonde fromage. J’ai très envie de la retrouver, de la rejoindre. Rien que sa vision m’illumine, c’est mon rayon de soleil à travers le quotidien brumeux.
Ma grotesque position commence à m’endolorir sérieusement les muscles. Je décide de me lever. À force de aaah ! et de oooh ! je suis debout, chancelant.
La lumière se déclenche dans un "clac" discret, et je regarde au sol l’objet qui a failli causer ma perte : une guitare, et, sur la caisse, entre le chevalet et la rosace, repose le sac qui contenait le gruyère – maudit soit son nom -, et que j’ai oublié de jeter. Grr !
J’enclenche distraitement la machine à café, toujours épris du magnétisme de mon Aphrodite.
Je crois que je suis amoureux
Quelle sombre connerie ! Mon cœur, mon cœur, ne t’emballe pas …
Bon, je prends une décision qui, je n’en doute pas, va changer le regard du monde sur moi-même : je vais à la salle de bain me raser, prendre une douche, et, accessoirement, me peigner. Une fois ma toilette terminée, je dessine un petit cœur dans la buée fixée sur le miroir. Mon dessin ressemble, certes, à un cœur, mais qui aurait subi Tchernobyl, Hiroshima, et une soirée devant la télévision avec mon crétin de beau-frère. Je m’améliorerai.
Sur la vitre, la buée s’est dissipée, à pas feutrés, afin de laisser place à mon visage quelque peu émacié, taillé à la serpe. Mes yeux pers brillent d’une lueur moqueuse, mes cheveux blonds un peu décolorés sont retranchés derrière mes oreilles : ils sèchent. Je n’ai plus de barbe. Ma muse ne résistera pas à mon charme sauvage. Je tente le mouvement de tête vu maintes et maintes fois a la télévision, dans une publicité pour le shampoing. Mes cervicales protestent vigoureusement.
Une mèche rebelle de cheveux revient sans cesse sur mon visage, et lorsque je la remets, elle retombe… Faut dire, faut dire qu’on ne nous apprend pas à se méfier de tout.
De retour dans la cuisine, je vide le café dans une grande tasse. J’allume une cigarette, que je tiens entre mes lèvres minces, me dirige vers un placard, et en sors une bouteille de Scotch. Je crache un cumulus odorant, et verse une dose de whisky à noyer une colonie de baleines dans mon élixir de performance, mon sans-plomb 98 à moi.
Un Irish maison, que j’avale presque aussitôt. In whiskey veritas.
Je jette mon peignoir dans un coin, et drape mon squelette d’une chemise blanche, d’une cravate noire, et d’un jean serré. Je sors. Dehors, l’air est chaud, mais pas écrasant, doux.
Au sommet de mon immeuble, j’aperçois toujours le panneau « à vendre » au dernier étage.
Sans hésitation aucune, je me dirige vers ma belle.
Je suis sûr d’être amoureux.
J’entre dans la fromagerie. « L’objet » de ma venue n’est pas présent.
Mobidic, si.
Mais dans un coin, celui où quelques ballons flottent paresseusement, une fillette brune est assise. Je m’adresse à Bibendum :
- Qui est cette enfant, là-bas ? (je fais un mouvement de tête vers la petite)
- Oh, elle ? C’est la fille d’Helea, son nom c’est Myrna, m’explique t-elle d’une voix à faire trembler une montagne
- Helea, c’est la jol… euh, nouvelle vendeuse ?
- Oui
Je m’écarte prestement des 36 tonnes, et me dirige vers la jeune fille.
- Bonjour, Myrna.
- Bonjour, réplique-t-elle poliment
Sa voix est douce, chantante, reposante. Elle est adorable.
- Je suis un ami d’Helea. (Qu’est ce que je raconte, moi ?!)
- Ah bon ? Maman va bientôt arriver.
- (Et merde) Génial ! Tu veux qu’on parte à sa rencontre ?
Elle acquiesce. Je lance un « au revoir » au monstre avachi derrière l’étalage de fromage où se trouve ce traître de gruyère. Nous discutons un peu de ses résultats scolaires.
Mon cœur joue l’hymne national, je songe à ce que je vais pouvoir dire à Helea : « Bonjour mademoiselle » Mademoiselle ? Et si jamais elle est mariée ? J’espère bien que non. Je m’apprête à poser la question à la gamine.
- Est-ce que ta maman est mariée ?
La petite me regarde avec des yeux ronds. De sa main gauche – je tiens la droite, sa peau est lisse et douce – elle joue avec ses cheveux, les entortille autour de l’index.
- Maman m’a dit souvent, commence Myrna, que Papa est parti il y a longtemps, parce qu’il avait une autre amoureuse…
Sa voix gracile me touche profondément, et je prends mon air le plus triste ; bien qu’au fond, je saute de joie.
Je sors une cigarette, enflamme l’extrémité et tire dessus : l’extrémité rougeoie, et je crache lentement un cumulo-nimbus qui rivaliserait avec le Vésuve. La fée miniature éternue, je jette ma cigarette et m’excuse. Elle me sourit.
Elle me donne un coup de coude lorqu’un homme affublé d’un chapeau de la plus ridicule espèce nous croise. Évidemment, je laisse la petite marcher en avant : je ne connais pas le chemin.
- Et tu as quel âge déjà ?
- 10 ans, enfin, 10 ans dans trois jours. Mardi. Maman organise une fête avec toutes mes copines. Puisque vous êtes un ami de ma mère, vous pourriez venir ? C’est à 14h.
- Bien sûr
Je suis désespérant, je ne sais absolument pas où elles habitent, mais qu’importe. La gamine, tout à coup, s’élance en courant. Un peu affolé, je regarde devant. Je resserre ma cravate.
À quelques mètres de là se tient Helea, mon cœur joue une marche impériale allemande
Qu’elle est belle ! Je peux enfin la contempler, dans une espèce d’adoration. Elle est si élégante avec son jean’s cigarette et son T-shirt Hard Rock Café. Elle rayonne de douceur, elle est si attirante que j’ai envie de la saisir dans mes bras osseux, et de rester ainsi toute ma vie, elle près de moi, moi près d’elle.
Une bouffée de chaleur submerge mon visage, une montée ardente, incontrôlable m’envahit. J’ai l’impression de m’être pris un coup dans le plexus, j’en perds mon souffle, c’est l’asphyxie, la noyade infernale.
Myrna lui saute dans les bras. Ah ! comme je l’envie… Bon, je tente de rassembler mes idées.
Je ne peux pas. Je lui serre la main.
- Dean Moriarty. Enchanté.
- Helea Fosca, me dit-elle simplement, de même.
Elle aurait pu être inquiète qu’un individu comme moi – même propre et rasé, je ressemble à un dealer – raccompagne sa fille.
Mais non.
Helea a l’air (et la chanson, haha) contente. Ses yeux scintillent. Myrna est partie un peu plus loin retrouver une copine. Je ne sais pas quoi faire ! Dans ma tête, j’entreprends la construction d’une phrase sensée. C’est compliqué. Je dois mettre chaque mot à sa place, au risque de lui inventer des mots insensés, qu’elle ne comprendra… pas.
Je me lance.
Ite, missa est.
Oooooof ! 9 :00 heures ? Je me lève dans l’obscurité. A nouveau, je trébuche sur un objet qui émet toutes sortes de ding ! et de dong ! et même parfois des clank !
Sans doute ma guitare. Ah ! il faudrait qu’un jour, je la range : cela fait depuis la nuit des temps que, chaque matin, je pique du nez vers la moquette. Je connais relativement bien l’endroit où je tombe : c’est toujours le même.
Malgré le fait que mon instrument soit au sol, j’ai installé un coussin à l’endroit où je chute : il est vrai, je tombe, mais au moins, je ne me fais plus mal.
Bref. Je sais qu’à partir de maintenant tout sera différent. Plus de demi-mesures, de compromis, d’arrangements : ce sera l’espoir ou le désespoir, le bonheur ou le spleen, la lumière ou l’ombre, la vie ou la mort, - puisque hier j’ai invité Helea à boire un café.
Enfin, elle, un café, moi un Laphroaig.
Nous avons longuement discuté ; elle se souvenait de moi, à la fromagerie. Elle m’a aussi expliqué les raisons de sa douloureuse rupture, il y a tout juste 7 ans. Elle avait fait une tentative de suicide, par étouffement au monoxyde de carbone en reliant le pot d’échappement de sa voiture à l’habitacle.
- Je me souviens … Je me souviens qu’il était venu me rendre visite une dernière fois, et qu’il m’a dit, mot pour mot : « je suis venu te dire que je m’en vais, et tes larmes ne pourront rien changer. Comme dit si bien Verlaine au vent mauvais, je suis venu te dire que je m’en vais, je t’aimais, oui, mais … » Après cela, il était parti. Comme ça, simplement, et il avait rejoint, en bas, dans la rue, Fanette, sa nouvelle femme. Puis faut dire, faut dire qu’ils ont ri, quand ils m’ont vu pleurer, faut dire qu’ils ont chanté, quand je les ai maudits. Mais parlons d’autre chose …
Elle me raconta tous ses rêves avortés lors de sa rupture avec Serge : la maison en quartier résidentiel, la Renault Scénic, Médor et sa niche…
Ensuite, elle était passée à autre chose, et elle n’avait connu aucun autre homme durant ces 7 dernières années. Nous avons encore discuté un peu, fumé quelques cigarettes, puis elle s’est levée, m’a déposé un baiser léger, furtif, au coin des lèvres, pas tout à fait sur la joue, pas tout à fait sur les lèvres.
Rouge comme une pivoine, comme si j’avais croqué un quintal de piments mexicains, je suis rentré chez moi me servir un seau de Caol Ila.
Mardi, j’ai mangé et il est midi pile.
L’anniversaire de Myrna est à 14 heures, rue Alfred de Musset. Je prépare, comme à mon habitude, mon irish-coffee. Seule ombre au tableau : plus de cigarettes, bah, tant pis. Je me douche, et tire une recette de gâteau sur Internet : framboisier d’anniversaire.
Je sais que je n’ai pas tout appris à Bocuse, mais je vais tenter.
Clac, clac, clac, le fouet tourne dans un bol, et des schpouik sonores se font entendre dès que de la crème saute hardiment au-dessus du récipient et se colle dans un blob à ma chemise.
Tink ! le four sonne. Ce four a un problème : soit son tink ! est inaudible, presque indécelable, et, dans ces moments-là, le seul moyen de l’entendre et de rester planté a coté, l’oreille collée à la paroi. D’autres fois, plus fréquentes, il émet un bruit strident, perçant, intense et criard. Quand cela arrive, je me jette au sol et protége mes tympans de cet éclat horrible.
Bloub bloub, les framboises ont bouilli dans la casserole, et adhéré au fond : maintenant, cela ressemble à du sang coagulé et fumant.
J’ai donc réussi à former une pâte à peu près, je l’espère, comestible, et je la renverse dans un moule. Klonk, une noix de l’appareil me glisse sur les chaussures. Je dispose harmonieusement les framboises, et glisse le gâteau dans le four : flank ! Je vais m’asseoir un peu plus loin, quand une odeur déplaisante m’attire dans la cuisine : une épaisse fumée noire sort du four, juste au moment où je m’aperçois que j’ai oublié le sucre.
KLINK !! KLINK !! Mon four est pris d’une crise de folie, et il annonce des fins, des débuts, des milieux et des quarts de cuissons à tout va. Le son vibrant et violent me perce les tympans.
Dépité, je m’enfuis après avoir tout débranché dans la cuisine, et dans le reste de l’appartement, au cas où la déraison du four se propagerait, auquel cas, je serais poursuivi par un ordinateur sautillant et par un amplificateur retentissant.
Je suis dans la rue, et j’inspire de l’air frais. Dans ma hâte, j’ai omis de recenser des adresses de pâtisserie, et il est midi vingt. La seule que je connaisse se trouve à quinze minutes de marche. Tant pis, je relace mes chaussures, serre ma ceinture, reboutonne ma chemise, m’enroule dans mon duffle-coat, rabat mon chapeau, prend une inspiration digne de Pavarotti, et m’élance de l’autre coté de la rue.
Midi trente-cinq. Je suis devant ladite pâtisserie. Fermée pour cause « de fermeture ». Je sais que mes recherches m’ont entraîné à un quart d’heure de marche de la rue de Musset. Comme par hasard, les incapables – car ils sont sans doute d’une race autre, différente de la nôtre, et venus sur cette planète seulement dans le but de faire une grève, perpétuelle et incessante – « travailleurs » - je sais que le terme n’est pas très approprié – transports en commun font… grève, pour varier.
Je presse le pas, il faut que je sois à l’heure : on ne badine pas avec l’amour, après tout !
Pour retrouver ma désirée, il me faut passer par un pont, le pont Mathilde-Est-Revenue. Par malheur, une camionnette de gruyère a explosé dessus – c’est ce que m’expliquent des journalistes affolées, recouvert de fromage fondu – le pont est donc impraticable.
Mes mains tremblent de rage, et j’interpelle un papi :
- Bonjour, monsieur, auriez-vous une cigarette s’il vous plait ?
- Bijour, vii j’en ai.
- Au revoir.
- À la revoyure.
Sa voix me grommelle quelque chose, en même temps qu’il me sort une Gitane qui a dû connaître Napoléon. Décidemment, vu sa démarche, cet homme s’est sans doute engagé en 1870 aux côtés de l’empire français, contre le royaume de Prusse.
Je détale prestement, et la cigarette me racle la gorge.
Il est une heure trente.
Ma dernière chance se situe à un kilomètre d’ici, un autre pont s’y trouve, je le sais, mais c’est un pont qui se redresse, se scinde en son milieu, afin de brandir deux pattes de fer vers le ciel.
J’espère de toute mes force qu’il a conservé un aspect de pont normal, et cours. Plus que vingt minutes. Je suis devant le pont, une petite lumière bleue clignote à côté, j’ignore ce qu’elle signifie, mais je sais ce que signifie la boutique à côté. J’entre donc dans la pâtisserie, terriblement débraillé, et commande le premier gâteau qui me passe sous le nez.
Au moment de sortir de la boutique, j’aperçois le pont qui commence à monter. J’attrape mon gâteau et inspire bruyamment, je fixe le pont, je le défie du sommet de ma grandeur. Je commence à courir, enjambe la barrière, mon souffle est saccadé, et je suis au milieu de mon trajet. Comme me l’aurait dit Michel-Ange, « l’amour, c’est l’aile que Dieu a donné a l’homme pour monter jusqu’à lui ». Pour le moment, voler vers l’autre côté me suffira amplement. Mes chevilles sont enflammées, et je saaaauuuttte… Et passe ! Un saut et une course à faire pâlir Carl Lewis. Je prie pour que le gâteau ne se soit pas permis un lifting, et m’élance vers la rue de Musset, qui n’est pas loin.
Je me trouve devant le perron, et passe la porte rapidement. Myrna et Helea habitent au sixième, l’ascenseur sera donc plus rapide, et puis je suis à bout de force.
J’appuie nerveusement sur le bouton, et la grille s’ouvre sur la cage vide. J’entre, sélectionne mon étage. Mais après trente secondes, les lumières s’éteignent, et la machine arrête sa course dans un silence angoissant.
Une profonde lassitude m’envahit, une fatigue gigantesque, comme si j’avais mille ans. Je me laisse tomber sur le banc de l’ascenseur, je proclame mon droit à la paresse, à ne pas bouger mes fesses. Je bloque mon briquet, sa lumière jaune, vacillante, amicale, rassurante m’assure une frêle compagnie, et je sors ma flasque de Scotch de l’intérieur de mon pardessus. Je bois une gorgée, et le feu se propage dans mon corps. Je songe à ce fromage, je ne sais pas pourquoi, a ce gruyère. Est ce que je le déteste autant maintenant ? Non, bien sur que non. C’est grâce a lui que j’ai connu Helea, mais si jamais tout tourne mal avec elle, le gruyère en pâtira. Dans le cas contraire, je … Je lui érigerai un autel !
Pour tuer l’ennui, je vide les poches de mon duffle-coat, et trouve ma carte – tiens, elle était là ? – de représentant en commerce, des mouchoirs, et un petit livre, « Le Festin Nu ».
Il est quatorze heures trente, je commence à sérieusement ronger mon frein, et à me demander si cet ascenseur n’avait pas joué dans « The Lift ». Mais, pour quelque sombre raison stochastique, la cage se rallume, et amorce une montée, avec une lenteur sensationnelle et décoiffante : je mets dix minutes pour monter deux étages.
Je suis devant la porte, au-dessus de la petite plaque dorée gravée « Fosca » , et moi, Peeping Tom, je me colle à l’œilleton, mais je n’y vois rien. Je sonne une fois. Deux fois. Trois fois. Personne.
Je reprends l’escalier afin de descendre en toute sécurité.
Dans la rue, dépité, j’achète un paquet de cigarettes, en fume plusieurs a la suite. Des gouttes, minces, froides, serrées, tombent du ciel, je ne sais pas pourquoi la pluie quitte la haut ses oripeaux…
Je connais un pub calme et nostalgique sur une place, pas loin de ma rue. Je marche, et me rends tristement, dans un voile de brouillard glacé, au bar. Là-bas, je commande un triple whisky, et observe la rue en contrebas, à quelques dizaines de mètres, quand tout à coup, j’aperçois une voiture, unique dans la rue, suivie par un camion de déménagement. Ils viennent de la rue de Musset, sans aucun doute, et autre chose tout aussi importante : la conductrice est Helea, et la petite fille, sur le siège passager, qui s’entortille les cheveux avec son index gauche, est Myrna.
Je réprime les larmes amères et salées qui me montent aux yeux, bloque un sanglot, et commande un double gin, pour changer. Le goût de genièvre, liquoreux, me réchauffe la gorge, et je tousse. Pour faire passer tout cela, je demande une pinte de bière au patron, mais celui-ci commence à avoir quelques réticences à me servir. J’ai dû lui prononcer de telles paroles qu'il est revenu quelques minutes après, portant une chope de bière mousseuse à noyer un âne, et l’a déposé avec milles précautions devant moi. Je le remercie. La bière disparaît en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, et mes yeux deviennent plus glauques que brillants. Bien décidé à me calmer, j’interpelle l’unique serveur, et il revient avec un grand verre de gin étincelant.
J’essaie de ne pas penser à Helea. Après tout, ça ne fait que quelques jours que je la connais. Malgré ça, je n’arrive pas à penser a autre chose, elle m’obsède, je vois son visage partout. Plaisir d’amour dure un temps, chagrin d’amour dure toujours. J’ai envie de me jeter du pont Moribond.
Encore un et je va, encore un et je vais, non, je ne pleure pas, je chante, et je suis gai, mais j’ai mal d’être moi. Buvons à ma santé, moi qui sais si bien dire que tout peut s’arranger, qu’elle va revenir ; tant pis si je mens, je serai saoul…
Buvons à la santé des amis et des rires, que je vais retrouver, qui vont me revenir…
Non, je ne pleure pas.
Je sors une cigarette, et ma tête tourne, je vacille, je paye le patron, et sors. Les rues sont désertes, mais je ne sais pas pourquoi ces rues s’ouvrent devant moi une à une, vierges et froides, froides et nues, rien que mes pas… et pas de Lune !
J’allume une nouvelle cigarette avec le reste de la dernière.
Je rentre chez moi, tant bien que mal, titubant, chancelant, et une grosse voiture est garée en bas de mon immeuble, mais je ne la vois pas distinctement : ses phares jaunes m’éblouissent. J’ai un peu la nausée, mais grille tout de même une cigarette. Après ma colère vient le chagrin, la mélancolie. Mes pas traînent, et lorsque je franchis la porte, une voix jaillit dans le brouillard, mais mon esprit anesthésié n’interprète rien, et je monte.
Chez moi, ma nausée est très forte, et je m’écroule au sol, totalement ivre.
Toc ! Toc toc !
Oooooof ! que se passe t-il ? Les Allemands reviennent ?
Non, mais quelqu'un frappe. À cette heure ci ? à l’aube ? Enfin, à quatorze heures ? Ma tête est lourde, pesante, et mon cerveau proteste contre le moindre effort. Je prends deux aspirines, et vais ouvrir la porte.
Ma surprise, gigantesque, assommante, inquantifiable, inqualifiable se mu tout de suite en admiration béate, intense, presque malsaine, devant la silhouette parfaite, élancée, douce d’Helea.
Je la regarde quelques instants, hébété. Je ne peux rien dire.
Elle m’annonce qu’elle a déménagé, que cet endroit est parfait, que cela faisait longtemps qu’elle voulait le faire, que…
Instinctivement, sans réfléchir, par désespoir – ou bien par espoir ? -, je lui saute dans les bras.
Elle rit doucement, et ses bras enserrent mon dos. Ses doigts jouent dans mes cheveux, caressent ma nuque.
Tout ce qui s’est passé avant, hier soir, les autres jours, passent maintenant du côté superflus. Peut importe tout ça, elle est là, elle ne s’en va pas, et c’est moi qu’elle tient contre elle, contre son cœur.
Bougnat, apporte nous du vin, celui des noces et des festins !
Je l’invite à entrer. Elle obtempère. Je lui dis de s’asseoir ou elle veut, que je vais aller lui chercher à boire. Je lui sers un verre de la première chose qui me passe devant les yeux. Je lui apporte le verre, mais je sens ma tête qui tourne, les lumières bougent et dansent. Je vais lentement vers Helea, et nous nous embrassons pour la première fois, tendrement, longuement, avec désir. Le baiser paraît à la fois éternel et éphémère, un opéra de sensations, une cascade d’émotions !
Son parfum indescriptible m’enivre, dans un ballet de senteurs, de saveurs…
Je n’y vois plus rien
Je m’écroule dans ses bras.