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Guest
La dépersonnalisation est définie, comme une expérience prolongée et répétée d’un sentiment de détachement et d’une impression d’être devenu un observateur extérieur de son propre corps.
La déréalisation est une altération de la perception, vécue comme le sentiment que le monde extérieur est étrange, voire irréel.
La différence notable vient du fait que la dépersonnalisation serait le pendant intérieur de la déréalisation, cette première étant une expérience subjective de perte de son individualité, quand la seconde est une expérience déconnectant l’individu du monde qui l'entoure. Dans les deux cas l’individu a un sentiment d’étrangeté et de prise de recul, que ça soit vis à vis de lui-même, de son entourage, ou de son environnement. Si ces ressentis symptomatiques réactionnels proviennent des phénomènes dynamiques, mobiles et variables que sont la dépersonnalisation et la déréalisation, ils apparaissent comme une protection de l’esprit contre une forte angoisse, mais ne sont pas des mécanismes de défense de la personnalité. A savoir que la DP/DR peut être volontairement induite dans des expériences de méditation ou de transe.
APPARITION
La dépersonnalisation/déréalisation débute souvent durant l’adolescence, progressivement ou subitement, momentanément ou durablement. Lorsqu’elle perdure, elle évolue par répétition de phase anxieuse et de sensation de malaise, en se chronicisant.
Chez le sujet normal
La dépersonnalisation est le plus souvent fugace, réversible et transitoire. Elle peut s’observer sous l’effet de la fatigue, de l’endormissement, et lorsqu’il y a baisse de la vigilance. L’individu s’emploie alors à une introspection pour comprendre ce qui lui semble étrange, et il peut soit se retrouver, soit rester perdu et étranger à lui-même.
En pathologie
On la retrouve associée à des troubles anxieux, des troubles dissociatifs, des psychoses, des troubles obsessionnels compulsifs, des dépressions, des comportements borderlines et aussi addictifs.
Sans rentrer dans le détail, et pour n’aborder que rapidement les thèmes de la dépression et des addictions, j’ai noté que des sentiments d’étrangeté sont fréquents chez le mélancolique, qui peut se sentir malade et vide intérieurement, en plus d’avoir tendance à se culpabiliser, ce qui n’aide pas à arrêter de ruminer pour reconnecter avec soi.
La dépersonnalisation/déréalisation se retrouve aussi lors d’expérimentations de tout type de drogue, sans que l’on puisse parler de trouble avéré, si il s’agit juste d’effets indésirables lors d’une descente pénible. Les effets pendant le trip sont eux similaires à un état de DP/DR, mais ne durent pas longtemps, contrairement à une consommation addictive qui, en favorisant des prises régulières, tend à chroniciser le phénomène. L’état de dépersonnalisation s’observe aussi pendant et après le sevrage, lorsque l’individu ne retrouve pas un état psychique stable et serein.
Un diagnostic n’est pas toujours évident au vu des descriptions variées des patients, et parce qu’ils s’expriment le plus souvent par métaphore et comparaison ("comme si…"). Les principales descriptions comportent souvent une référence à la réalité, comme si les individus vivaient dans un rêve éveillé, ou avançaient avec un voile devant les yeux.
UN TROUBLE DU MOI
On ne trouve pas de signe pathologique dans les organes des dépersonnalisés, et tous leurs sens fonctionnent normalement, d’autant plus qu’ils sont stimulés par l’étrangeté même. Donc seuls les rapports du moi de l’individu sont perturbés. Certains dépersonnalisés témoignent que leur moi avait besoin d’être renforcé, ou qu’au contraire il s’était gonflé, quand les psychanalystes disent que le narcissisme de leur patient a été blessé. Tout dépend de la manière dont l’individu va contrer son angoisse, en fonction de si sa réaction lui fait perdre ou gagner en estime de soi (narcissisme) pour préserver sa personnalité, qui peut alors être momentanément amenée à faire preuve d’égocentrisme, d’orgueil ou de vanité.
Le moi est un organe sensoriel psychique permettant de percevoir la réalité. Il est le soutien indispensable de la personnalité en l’unifiant dans son ensemble, que sont le corps et l’esprit. La dépersonnalisation dissocie l’individu de son intériorité et il ne se reconnait plus dans l’image qu’il a de lui-même, ce qui lui donne cette impression d’avoir changé, ou dans le pire des cas de disparaitre. Cet éclatement du moi altère les perceptions de l’individu, qui peut se rendre compte de ses changements, ou les refuser jusqu’à ce que ceux-ci se manifestent en une crise d’angoisse par exemple. Souvent le dépersonnalisé se rend compte de ses impressions d’étrangeté dans des situations précises, telles que dans un véhicule en mouvement, en quittant la maison, parfois à un coin de rue, ou au travail.
Les perceptions du moi se font sur deux plans, l’un psychique, et l’autre physique. Sur le plan psychique on parle d’aperception, quand l’individu a des prises de conscience claires d'une perception, ou d'une connaissance. Sur le plan physique on parle de proprioception, perception qu'à l'homme de son propre corps dans l’espace et le temps. Lors d’une dépersonnalisation, si les aperceptions et proprioceptions sont modifiées, les autres processus psychiques comme l’intelligence et les compétences cognitives demeurent intacts. L’individu pense normalement, mais dans une logique froide et anesthésiée. Il ne peut plus ni aimer ou haïr, faute de ressentir des sentiments et émotions authentiques pour apprécier sa réalité.
Altération du moi psychique
Le sentiment psychique du moi est la représentation mentale que l’on a de sa propre personne. Cette représentation induit le rapport qu’à l’individu avec sa propre existence, en se reconnaissant dans son intériorité (ses émotions et ressentis), et dans son environnement (ses possessions, ses activités, son entourage). L’altération se produit lorsque le moi se scinde, et que le dépersonnalisé ne ressent plus d’affections en lui même, ni d’intérêt pour son monde extérieur quand il s’agit de déréalisation. Ainsi il trouve tout étrange, ses pensées et ses sensations lui paraissent lointaines, en plus d’être éloignées de ses ressentis ou déconnectées de la réalité.
Altération du moi physique
Le sentiment physique du moi est une représentation psychique des frontières corporelles de sa personne. Une personne normale avec un moi sain, garde de façon permanente un sentiment plein des frontières de son corps qui, inconsciemment le démarque du monde extérieur. L’altération se produit lorsque le dépersonnalisé ne reconnait plus des parties de son corps, et perd cette sensation d’évidence de son enveloppe charnelle. Sa représentation psychique de son corps étant incomplète, les zones inapparentes laissent à penser que ses membres agissent selon leur propre initiative, ou à se rendre compte que cette main écrivant sur le clavier m’appartient bel et bien.
Ainsi les mouvements et les fonctions les plus habituelles telles que respirer, manger, ou marcher, étonnent et semblent fonctionner au delà de notre volonté. Autrement, l’exemple typique d’une perte de représentation d’une partie de son soi physique est l’anesthésie locale. La zone endormie nerveusement n’est plus ressentis par proprioception, et l’individu ne peut plus se la représenter d'un point de vu sensoriel.
La dépersonnalisation se décompose donc en trois formes :
- sentiment d’altération de la conscience du moi psychique
- sentiment d’altération de la conscience du moi physique
- comme un trouble de la conscience et de la personnalité (dépersonnalisation vraie), pouvant s’associer à une impression de changement du monde extérieur, correspondant au phénomène de déréalisation.
TRAITS DE PERSONNALITÉ
Précisons maintenant les degrés de dépersonnalisation, entre l’altération d’une frontière du moi donnant un simple sentiment d’étrangeté, et le morcellement du moi de l’individu dissociant sa personnalité, et pouvant le mener à une possible déréalisation d’autant plus désunifiante.
Sentiment d’étrangeté
Il se décompose en un sentiment intérieur et un sentiment extérieur. L’étrangeté intérieure porte sur les les émotions, les pensées et idées existentielles, et sur ce qui nous introvertie en général. L’étrangeté extérieure porte sur ce qui nous extravertie, à savoir nos aperceptions et intellectualisations qui apparaissent comme manquant de familiarité (quand nos prises de conscience ne semblent pas nous appartenir). Elle porte aussi sur nos perceptions qui manquent de chaleur, de vitalité et de spontanéité. L’étrangeté de la propre voix du malade réunit l’étrangeté intérieure et extérieure, et alors ces perceptions et aperceptions étrangères ont un caractère commun d’éloignement, constituant souvent le stade initial de la dépersonnalisation.
Dépersonnalisation
Arrivé au stade de la dépersonnalisation, l’individu a le sentiment de ne plus exister comme il ne se ressent pas, ou alors de manière floue. Il peut en venir à ne pas se reconnaitre dans un miroir, en s’étonnant d’être soi, plutôt qu’un autre. Ayant perdu son sentiment d’unité et d’individualité, la notion même du vivant devient relative, et ses sensations ne lui paraissent plus évidentes et immédiates.
En perdant la continuité de son être, l’individu change de point de vue en n’étant plus le centre de ses réflexions, et il se met à s’observer depuis une position périphérique. De ce nouveau référentiel plus objectif mais dénué d’humanité, l’individu se perçoit comme un être ou objet automatisé, un organisme biologique très développé et évoluant dans une réalité absurde. Le pire étant que le dépersonnalisé est conscient de sa condition déterminée, mais il continue de trouver toutes ses actions insensées, parce que motivées par des buts sans véritables intérêts.
Desséché et irritable, le dépersonnalisé ne comprend plus les notions de plaisir et de divertissement. Si il ressent quelque chose, il a l’impression que ça ne le concerne pas, et il peut en venir à se demander pourquoi l’être humain devrait ressentir, être heureux, ou même malheureux ? ses ruminations métaphysiques le mènent toujours plus loin dans la compréhension de nos agissements pulsionnels, et de l’absence de sens de notre présence sur terre. Ou dans un excès nihiliste, à force de déconstruire ses valeurs, il s’abîme dans les méandres de son esprit dissocié et tend vers son propre anéantissement moral, conduisant à une possible dépression.
Déréalisation
La déréalisation modifie les ressentis au point que l’individu a l’impression que tout est irréel, comme s’il évoluait dans un rêve. Tout lui parait si distant qu’il se voit comme spectateur de sa vie, sa conscience flottant à côté de son corps. La réalité du déréalisé lui parait fausse, tel un décor de cinéma, et il ne ressent plus son environnement intuitivement. Ainsi plus rien n’a de valeurs et de significations émotionnelles ou humaines, et il interprète les choses en les analysant au lieu de les vivre, les décortiquant en données statistiques et caractéristiques toujours plus techniques. D’une vie sensorielle lui permettant d’apprécier son monde, le déréalisé fait l’expérience d’un vécu exclusivement mental, son appareil cognitif ayant prit le dessus sur ses capacités à s’émouvoir de la beauté de la nature, ou de ses relations amicales, familiales et amoureuses.
Cette tendance à s’isoler dans son mental, pousse le déréalisé à douter de tout ce qui l’entoure. Sans être nécessairement paranoïaque, il remet en question son existence jusqu’à la réalité elle-même. Il sait qu’il existe dans un monde matérielle, mais continue pourtant de s’interroger sur l’essence même des choses, sur les vérités et axiomes qu’il a intégré jusque là. Au fur et à mesure qu’il cherche plus loin que ses acquis, c’est en voulant incessamment comprendre le pourquoi du comment que plus rien ne lui semble cohérent, et il en vient à toujours plus réfléchir pour ne pas se faire submerger par ses doutes, intellectualisant tout sur son passage. Il s’immerge dans l’infinité des possibles, se repliant dans ses ruminations pour se prouver qu’il existe, et se détache de sa vie active et sociale dans un besoin de solitude, d’autant plus qu’il se garde de faire part de sa condition à ses proches, de peur d’être incompris ou pris pour fou.
Cette impression de folie provient de la perte graduelle de cohérence dans ses interactions avec le réel, mais le déréalisé s’attarde de plus en plus sur des détails au lieu de voir les choses dans leur ensemble. Il peut virer à l'obsession en réduisant ses grilles de lecture jusqu’à ce que la réalité lui apparaisse comme matérielle et déterminée, sans plus aucuns affects. Le déréalisé peut alors se dire qu’il a fait le tour de sa personne et de son monde, et son trouble dissociatif peut s’intensifier ou évoluer vers d’autres pathologies.
DÉJÀ VU ET TEMPORALITÉ
Un des aspects les plus étranges de la dépersonnalisation, est l’impression de déjà-vu. Cet état fréquent chez celui qui remet en doute sa perception de la réalité, lui fait revivre le passé comme si c’était le présent, et inversement. Plus précisément, c’est une impression subjective et inappropriée, laissant pour familière une expérience indéfinie entre présent et passé. Il s’agirait d’une confusion attentionnelle, lorsque sortant d'un instant d'inattention, l’individu se concentrant à nouveau sur le réel, serait confronté à une double lecture du moment présent, et à un souvenir refoulé. Ce qui l’amènerait à vivre simultanément le réel et l’émotion d’un réel déjà éprouvé par le passé. Ainsi il reconnait son émotion passé, mais sans pouvoir l’associer au souvenir lui correspondant, puisqu’il est attentionné au présent.
Les émotions passées du dépersonnalisé peuvent lui paraitre étrange, parce que ce sont des souvenirs d’expérience perturbés par sa mémoire et son attention défaillante. Ses fonctions cognitives fonctionnant très bien, ses souvenirs entrent donc correctement dans le conscient, mais néanmoins de manière peu égotique. Peut-être est-ce dû au fait que l’individu remet en cause sa réalité au point d’y perdre son individualité et son égos, ou bien que ses impressions de déjà-vu le bouleversent tellement, qu’il en perde ses repères temporelles en ne sachant plus si ce qu’il a en mémoire est déjà arrivé auparavant, ou si cela vient de se produire réellement ?
Ce melting-pot de sentiment d’étrangeté, d’impression de déjà-vu, de doute quand à ses facultés mémorielles, et d’un rapport au temps perturbé, empêche l’individu de vivre dans une continuité suffisante pour sereinement éprouver ses émotions.
ANALYSE INTROSPECTIVE
Cette absence émotionnelle typique chez le dépersonnalisé, prévient de son angoisse et de sa perplexité due au sentiment d’étrangeté de son corps et du réel. Un grand nombre de dépersonnalisé essaye d’être leur propre psychologue, ce qui les occupe face à l’ennui de leur vide existentiel, et les tient en éveil au lieu de se laisser aller à des réactions dépressives. Malgré ce point positif, l’introspection peut aggraver le phénomène de dépersonnalisation en l’entretenant, quand conscientiser ses maux pousserait à s’en distancer d’autant plus. Aussi l’introspection allant toujours plus loin en profondeur, elle demande beaucoup de concentration, et en se concentrant sur des détails de détails, le dépersonnalisé en vient à négliger ses autres problèmes.
Les impressions de déjà-vu alimentant les questionnements personnels, sans trouver de réponse le dépersonnalisé en vient à traverser des phases d’anxiété, qui le poussent à toujours plus intellectualiser son monde en s’en éloignant. Et si l’individu croit bien agir parce que ses pensées le rassurent, il ne se rend pas toujours compte de son isolement croissant. Au final, la mort s’immisce naturellement dans son raisonnement, et le dépersonnalisé en vient à penser que mourir serait préférable face à sa propre néantisation, même si celui-ci n’a pas de tendance au suicide.
En conclusion, si l’introspection est momentanément utile pour contrer ses angoisses existentielles, elle ne permet pas de se sortir de sa dépersonnalisation. Seule une hygiène corporelle et mentale peut réunifier le moi scindé du dépersonnalisé, en restaurant son investissement dans des travaux l’intéressant, et lui redonnant goût aux choses de la vie. Ayant besoin de repos, l’individu doit trouver un équilibre lui permettant de pratiquer des activités sans être trop fatigué, mais assez pour qu’il s’endorme sereinement, sans rumination nuisible.
La déréalisation est une altération de la perception, vécue comme le sentiment que le monde extérieur est étrange, voire irréel.
La différence notable vient du fait que la dépersonnalisation serait le pendant intérieur de la déréalisation, cette première étant une expérience subjective de perte de son individualité, quand la seconde est une expérience déconnectant l’individu du monde qui l'entoure. Dans les deux cas l’individu a un sentiment d’étrangeté et de prise de recul, que ça soit vis à vis de lui-même, de son entourage, ou de son environnement. Si ces ressentis symptomatiques réactionnels proviennent des phénomènes dynamiques, mobiles et variables que sont la dépersonnalisation et la déréalisation, ils apparaissent comme une protection de l’esprit contre une forte angoisse, mais ne sont pas des mécanismes de défense de la personnalité. A savoir que la DP/DR peut être volontairement induite dans des expériences de méditation ou de transe.
APPARITION
La dépersonnalisation/déréalisation débute souvent durant l’adolescence, progressivement ou subitement, momentanément ou durablement. Lorsqu’elle perdure, elle évolue par répétition de phase anxieuse et de sensation de malaise, en se chronicisant.
Chez le sujet normal
La dépersonnalisation est le plus souvent fugace, réversible et transitoire. Elle peut s’observer sous l’effet de la fatigue, de l’endormissement, et lorsqu’il y a baisse de la vigilance. L’individu s’emploie alors à une introspection pour comprendre ce qui lui semble étrange, et il peut soit se retrouver, soit rester perdu et étranger à lui-même.
En pathologie
On la retrouve associée à des troubles anxieux, des troubles dissociatifs, des psychoses, des troubles obsessionnels compulsifs, des dépressions, des comportements borderlines et aussi addictifs.
Sans rentrer dans le détail, et pour n’aborder que rapidement les thèmes de la dépression et des addictions, j’ai noté que des sentiments d’étrangeté sont fréquents chez le mélancolique, qui peut se sentir malade et vide intérieurement, en plus d’avoir tendance à se culpabiliser, ce qui n’aide pas à arrêter de ruminer pour reconnecter avec soi.
La dépersonnalisation/déréalisation se retrouve aussi lors d’expérimentations de tout type de drogue, sans que l’on puisse parler de trouble avéré, si il s’agit juste d’effets indésirables lors d’une descente pénible. Les effets pendant le trip sont eux similaires à un état de DP/DR, mais ne durent pas longtemps, contrairement à une consommation addictive qui, en favorisant des prises régulières, tend à chroniciser le phénomène. L’état de dépersonnalisation s’observe aussi pendant et après le sevrage, lorsque l’individu ne retrouve pas un état psychique stable et serein.
Un diagnostic n’est pas toujours évident au vu des descriptions variées des patients, et parce qu’ils s’expriment le plus souvent par métaphore et comparaison ("comme si…"). Les principales descriptions comportent souvent une référence à la réalité, comme si les individus vivaient dans un rêve éveillé, ou avançaient avec un voile devant les yeux.
UN TROUBLE DU MOI
On ne trouve pas de signe pathologique dans les organes des dépersonnalisés, et tous leurs sens fonctionnent normalement, d’autant plus qu’ils sont stimulés par l’étrangeté même. Donc seuls les rapports du moi de l’individu sont perturbés. Certains dépersonnalisés témoignent que leur moi avait besoin d’être renforcé, ou qu’au contraire il s’était gonflé, quand les psychanalystes disent que le narcissisme de leur patient a été blessé. Tout dépend de la manière dont l’individu va contrer son angoisse, en fonction de si sa réaction lui fait perdre ou gagner en estime de soi (narcissisme) pour préserver sa personnalité, qui peut alors être momentanément amenée à faire preuve d’égocentrisme, d’orgueil ou de vanité.
Le moi est un organe sensoriel psychique permettant de percevoir la réalité. Il est le soutien indispensable de la personnalité en l’unifiant dans son ensemble, que sont le corps et l’esprit. La dépersonnalisation dissocie l’individu de son intériorité et il ne se reconnait plus dans l’image qu’il a de lui-même, ce qui lui donne cette impression d’avoir changé, ou dans le pire des cas de disparaitre. Cet éclatement du moi altère les perceptions de l’individu, qui peut se rendre compte de ses changements, ou les refuser jusqu’à ce que ceux-ci se manifestent en une crise d’angoisse par exemple. Souvent le dépersonnalisé se rend compte de ses impressions d’étrangeté dans des situations précises, telles que dans un véhicule en mouvement, en quittant la maison, parfois à un coin de rue, ou au travail.
Les perceptions du moi se font sur deux plans, l’un psychique, et l’autre physique. Sur le plan psychique on parle d’aperception, quand l’individu a des prises de conscience claires d'une perception, ou d'une connaissance. Sur le plan physique on parle de proprioception, perception qu'à l'homme de son propre corps dans l’espace et le temps. Lors d’une dépersonnalisation, si les aperceptions et proprioceptions sont modifiées, les autres processus psychiques comme l’intelligence et les compétences cognitives demeurent intacts. L’individu pense normalement, mais dans une logique froide et anesthésiée. Il ne peut plus ni aimer ou haïr, faute de ressentir des sentiments et émotions authentiques pour apprécier sa réalité.
Altération du moi psychique
Le sentiment psychique du moi est la représentation mentale que l’on a de sa propre personne. Cette représentation induit le rapport qu’à l’individu avec sa propre existence, en se reconnaissant dans son intériorité (ses émotions et ressentis), et dans son environnement (ses possessions, ses activités, son entourage). L’altération se produit lorsque le moi se scinde, et que le dépersonnalisé ne ressent plus d’affections en lui même, ni d’intérêt pour son monde extérieur quand il s’agit de déréalisation. Ainsi il trouve tout étrange, ses pensées et ses sensations lui paraissent lointaines, en plus d’être éloignées de ses ressentis ou déconnectées de la réalité.
Altération du moi physique
Le sentiment physique du moi est une représentation psychique des frontières corporelles de sa personne. Une personne normale avec un moi sain, garde de façon permanente un sentiment plein des frontières de son corps qui, inconsciemment le démarque du monde extérieur. L’altération se produit lorsque le dépersonnalisé ne reconnait plus des parties de son corps, et perd cette sensation d’évidence de son enveloppe charnelle. Sa représentation psychique de son corps étant incomplète, les zones inapparentes laissent à penser que ses membres agissent selon leur propre initiative, ou à se rendre compte que cette main écrivant sur le clavier m’appartient bel et bien.
Ainsi les mouvements et les fonctions les plus habituelles telles que respirer, manger, ou marcher, étonnent et semblent fonctionner au delà de notre volonté. Autrement, l’exemple typique d’une perte de représentation d’une partie de son soi physique est l’anesthésie locale. La zone endormie nerveusement n’est plus ressentis par proprioception, et l’individu ne peut plus se la représenter d'un point de vu sensoriel.
La dépersonnalisation se décompose donc en trois formes :
- sentiment d’altération de la conscience du moi psychique
- sentiment d’altération de la conscience du moi physique
- comme un trouble de la conscience et de la personnalité (dépersonnalisation vraie), pouvant s’associer à une impression de changement du monde extérieur, correspondant au phénomène de déréalisation.
TRAITS DE PERSONNALITÉ
Précisons maintenant les degrés de dépersonnalisation, entre l’altération d’une frontière du moi donnant un simple sentiment d’étrangeté, et le morcellement du moi de l’individu dissociant sa personnalité, et pouvant le mener à une possible déréalisation d’autant plus désunifiante.
Sentiment d’étrangeté
Il se décompose en un sentiment intérieur et un sentiment extérieur. L’étrangeté intérieure porte sur les les émotions, les pensées et idées existentielles, et sur ce qui nous introvertie en général. L’étrangeté extérieure porte sur ce qui nous extravertie, à savoir nos aperceptions et intellectualisations qui apparaissent comme manquant de familiarité (quand nos prises de conscience ne semblent pas nous appartenir). Elle porte aussi sur nos perceptions qui manquent de chaleur, de vitalité et de spontanéité. L’étrangeté de la propre voix du malade réunit l’étrangeté intérieure et extérieure, et alors ces perceptions et aperceptions étrangères ont un caractère commun d’éloignement, constituant souvent le stade initial de la dépersonnalisation.
Dépersonnalisation
Arrivé au stade de la dépersonnalisation, l’individu a le sentiment de ne plus exister comme il ne se ressent pas, ou alors de manière floue. Il peut en venir à ne pas se reconnaitre dans un miroir, en s’étonnant d’être soi, plutôt qu’un autre. Ayant perdu son sentiment d’unité et d’individualité, la notion même du vivant devient relative, et ses sensations ne lui paraissent plus évidentes et immédiates.
En perdant la continuité de son être, l’individu change de point de vue en n’étant plus le centre de ses réflexions, et il se met à s’observer depuis une position périphérique. De ce nouveau référentiel plus objectif mais dénué d’humanité, l’individu se perçoit comme un être ou objet automatisé, un organisme biologique très développé et évoluant dans une réalité absurde. Le pire étant que le dépersonnalisé est conscient de sa condition déterminée, mais il continue de trouver toutes ses actions insensées, parce que motivées par des buts sans véritables intérêts.
Desséché et irritable, le dépersonnalisé ne comprend plus les notions de plaisir et de divertissement. Si il ressent quelque chose, il a l’impression que ça ne le concerne pas, et il peut en venir à se demander pourquoi l’être humain devrait ressentir, être heureux, ou même malheureux ? ses ruminations métaphysiques le mènent toujours plus loin dans la compréhension de nos agissements pulsionnels, et de l’absence de sens de notre présence sur terre. Ou dans un excès nihiliste, à force de déconstruire ses valeurs, il s’abîme dans les méandres de son esprit dissocié et tend vers son propre anéantissement moral, conduisant à une possible dépression.
Déréalisation
La déréalisation modifie les ressentis au point que l’individu a l’impression que tout est irréel, comme s’il évoluait dans un rêve. Tout lui parait si distant qu’il se voit comme spectateur de sa vie, sa conscience flottant à côté de son corps. La réalité du déréalisé lui parait fausse, tel un décor de cinéma, et il ne ressent plus son environnement intuitivement. Ainsi plus rien n’a de valeurs et de significations émotionnelles ou humaines, et il interprète les choses en les analysant au lieu de les vivre, les décortiquant en données statistiques et caractéristiques toujours plus techniques. D’une vie sensorielle lui permettant d’apprécier son monde, le déréalisé fait l’expérience d’un vécu exclusivement mental, son appareil cognitif ayant prit le dessus sur ses capacités à s’émouvoir de la beauté de la nature, ou de ses relations amicales, familiales et amoureuses.
Cette tendance à s’isoler dans son mental, pousse le déréalisé à douter de tout ce qui l’entoure. Sans être nécessairement paranoïaque, il remet en question son existence jusqu’à la réalité elle-même. Il sait qu’il existe dans un monde matérielle, mais continue pourtant de s’interroger sur l’essence même des choses, sur les vérités et axiomes qu’il a intégré jusque là. Au fur et à mesure qu’il cherche plus loin que ses acquis, c’est en voulant incessamment comprendre le pourquoi du comment que plus rien ne lui semble cohérent, et il en vient à toujours plus réfléchir pour ne pas se faire submerger par ses doutes, intellectualisant tout sur son passage. Il s’immerge dans l’infinité des possibles, se repliant dans ses ruminations pour se prouver qu’il existe, et se détache de sa vie active et sociale dans un besoin de solitude, d’autant plus qu’il se garde de faire part de sa condition à ses proches, de peur d’être incompris ou pris pour fou.
Cette impression de folie provient de la perte graduelle de cohérence dans ses interactions avec le réel, mais le déréalisé s’attarde de plus en plus sur des détails au lieu de voir les choses dans leur ensemble. Il peut virer à l'obsession en réduisant ses grilles de lecture jusqu’à ce que la réalité lui apparaisse comme matérielle et déterminée, sans plus aucuns affects. Le déréalisé peut alors se dire qu’il a fait le tour de sa personne et de son monde, et son trouble dissociatif peut s’intensifier ou évoluer vers d’autres pathologies.
DÉJÀ VU ET TEMPORALITÉ
Un des aspects les plus étranges de la dépersonnalisation, est l’impression de déjà-vu. Cet état fréquent chez celui qui remet en doute sa perception de la réalité, lui fait revivre le passé comme si c’était le présent, et inversement. Plus précisément, c’est une impression subjective et inappropriée, laissant pour familière une expérience indéfinie entre présent et passé. Il s’agirait d’une confusion attentionnelle, lorsque sortant d'un instant d'inattention, l’individu se concentrant à nouveau sur le réel, serait confronté à une double lecture du moment présent, et à un souvenir refoulé. Ce qui l’amènerait à vivre simultanément le réel et l’émotion d’un réel déjà éprouvé par le passé. Ainsi il reconnait son émotion passé, mais sans pouvoir l’associer au souvenir lui correspondant, puisqu’il est attentionné au présent.
Les émotions passées du dépersonnalisé peuvent lui paraitre étrange, parce que ce sont des souvenirs d’expérience perturbés par sa mémoire et son attention défaillante. Ses fonctions cognitives fonctionnant très bien, ses souvenirs entrent donc correctement dans le conscient, mais néanmoins de manière peu égotique. Peut-être est-ce dû au fait que l’individu remet en cause sa réalité au point d’y perdre son individualité et son égos, ou bien que ses impressions de déjà-vu le bouleversent tellement, qu’il en perde ses repères temporelles en ne sachant plus si ce qu’il a en mémoire est déjà arrivé auparavant, ou si cela vient de se produire réellement ?
Ce melting-pot de sentiment d’étrangeté, d’impression de déjà-vu, de doute quand à ses facultés mémorielles, et d’un rapport au temps perturbé, empêche l’individu de vivre dans une continuité suffisante pour sereinement éprouver ses émotions.
ANALYSE INTROSPECTIVE
Cette absence émotionnelle typique chez le dépersonnalisé, prévient de son angoisse et de sa perplexité due au sentiment d’étrangeté de son corps et du réel. Un grand nombre de dépersonnalisé essaye d’être leur propre psychologue, ce qui les occupe face à l’ennui de leur vide existentiel, et les tient en éveil au lieu de se laisser aller à des réactions dépressives. Malgré ce point positif, l’introspection peut aggraver le phénomène de dépersonnalisation en l’entretenant, quand conscientiser ses maux pousserait à s’en distancer d’autant plus. Aussi l’introspection allant toujours plus loin en profondeur, elle demande beaucoup de concentration, et en se concentrant sur des détails de détails, le dépersonnalisé en vient à négliger ses autres problèmes.
Les impressions de déjà-vu alimentant les questionnements personnels, sans trouver de réponse le dépersonnalisé en vient à traverser des phases d’anxiété, qui le poussent à toujours plus intellectualiser son monde en s’en éloignant. Et si l’individu croit bien agir parce que ses pensées le rassurent, il ne se rend pas toujours compte de son isolement croissant. Au final, la mort s’immisce naturellement dans son raisonnement, et le dépersonnalisé en vient à penser que mourir serait préférable face à sa propre néantisation, même si celui-ci n’a pas de tendance au suicide.
En conclusion, si l’introspection est momentanément utile pour contrer ses angoisses existentielles, elle ne permet pas de se sortir de sa dépersonnalisation. Seule une hygiène corporelle et mentale peut réunifier le moi scindé du dépersonnalisé, en restaurant son investissement dans des travaux l’intéressant, et lui redonnant goût aux choses de la vie. Ayant besoin de repos, l’individu doit trouver un équilibre lui permettant de pratiquer des activités sans être trop fatigué, mais assez pour qu’il s’endorme sereinement, sans rumination nuisible.