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Guest
A la suite du travail de Ouroboros, j'ai voulu aller plus loin dans l'explication du phénomène de la dissociation (clivage) en proposant deux articles dédiés aux sujets. Le premier traite du concept de clivage en psychologie et psychanalyse, c'est à dire de la dissociation au sein de l'individu, et dans ses relations avec son entourage ou son environnement, d'un point de vue normal et pathologique. Le second article porte plus spécifiquement sur la prise de produit psychoactif, et aborde les effets et ressentis lors des différentes phases de la dissociation, ainsi que l'intérêt et les désagréments liés au phénomène.
- Hey Freud et Jamy ! youhou vous m’entendez ?!?
- Oui la petite voix, on t’entend, mais où es tu ? on ne te voit pas...dit Jamy.
- C’est normal, je suis dans votre tête, en réalité je n’existe pas, je ne suis que le produit de votre imagination, de votre appareil psychique qui me pousse à travailler inconsciemment pour vous.
- Ah bon, mais comment ça se fait que tu puisses nous parler si tu n’existes pas alors ? c’est comme si tu étais avec nous, en nous, mais sans être là pour autant, rajoute Freud.
- Oui c’est étrange, mais c’est parce que j’ai emprunté les mécaniques de l’esprit pour dépasser quelques défenses et autres censures, et ainsi je peux vous parler comme si vous dialoguiez avec vous-même, dans votre for intérieur.
- Des mécaniques de l’esprit ? des défenses et des censures ? mais qu’est-ce donc que cela la petite voix ? s’étonne Jamy avec ses yeux ronds, le buste légèrement penché en avant et les poings posés sur ses hanches.
- C’est la dissociation, ou le clivage si tu préfères, tu ne connais pas ?
- Mais si la petite voix, avec Freud on a beaucoup étudié la question, et même expérimenté quelques états dissociatifs intenses, pas vrai Freud ?
- C’est vrai répondit Freud, d’ailleurs c’est Janet qui en 1889 aborda le concept de clivage, avant qu’on ne s’y intéresse par la suite avec Breuer. Aaah c’était à mes débuts, je m’en souviens très bien, on avait alors définit le clivage comme une action mentale de séparation, de division du Moi (clivage du Moi), ou de l’objet (clivage de l'objet), par deux réactions simultanées et opposées sous l’influence angoissante d’une menace. On a remarqué que l’une des deux réactions cherche la satisfaction de ses désirs, quand l’autre tient compte des exigences de la réalité. C’est un mécanisme qui sert à faire coexister dans l’esprit les deux parties en même temps, mais de manière indépendante l'une de l'autre, donc elles se méconnaissent, sans formation de compromis possible. Comme ça l’individu éprouve l’angoisse sans la ressentir consciemment en s’en détachant, en la mettant à distance en lui-même.
- Jamy enchainant : « Effectivement le clivage appartient à la tradition psychanalytique, et constitue une explication d'une des modalités les plus courantes de la formation de l'appareil psychique, puisqu’il joue un rôle organisateur important, présent dès le début et tout au long de la vie psychique. Il permet d'intégrer les règles sociétales en séparant les envies personnelles comme les désirs à court terme, des comportements socialement acceptables, et soutenus par des mécanismes comme l'imitation ou l'anticipation. Il organise ainsi la vie psychique de sorte qu'elle tienne compte de la réalité en "effaçant" temporairement les réactions spontanées. Disons que le clivage est ce qui masque à soi même et à autrui ce qui ne doit pas être montré. »
- On peut donc affirmer que le mécanisme de clivage permet de maîtriser l’angoisse, et sert d’issue lors d’ambivalence conflictuelle dans l’esprit, surenchérit la Petite Voix.
- Hé oui, valide Jamy, si l’action de cliver renvoie aux notions de fendre un corps, de dissocier ou encore séparer, dédoubler, diviser, la notion de clivage de l’esprit s’inscrit directement en ces termes. D’ailleurs, les premières observations psychiatriques cliniques du clivage, le définissaient en termes de dédoublement de la personnalité.
Freud poursuivit : « En 1894, j’ai écris dans Les psychonévroses de défense, "Les patients que j'ai analysés, en effet, se trouvaient en état de bonne santé psychique, jusqu'au moment où se produisit dans leur vie représentative un cas d'inconciliabilité, c'est-à-dire jusqu'au moment où un événement, une représentation, une sensation se présenta à leur Moi, éveillant un affect si pénible que la personne décida d'oublier la chose, ne se sentant pas la force de résoudre par le travail de pensée la contradiction entre cette représentation inconciliable et son Moi". »
- Il y a donc dissociation lorsque s’opère un clivage entre la réalité de ses affects et l’idéalisation ou l’illusion dans laquelle on vit, résume la Petite Voix. Ce mécanisme de défense peut se mettre en place, lorsque face à une situation, ou un objet, on éprouve deux émotions contradictoires ou conflictuelles, l'une ne pouvant pas, en toute logique, exister avec l'autre dans le même système mental. Séparer ces émotions (par exemple, ne penser qu'à une réaction possible, à un moment donné, sans tenir compte de l'autre réaction qui pourrait nous venir à l'esprit - la chasser, en quelque sorte) permet d'atténuer, voire supprimer complètement, l'angoisse naissant de cette confrontation. C’est vrai qu’il arrive parfois que l’on préfère s’en tenir à son idéal, à un mensonge ou une illusion qui rassure, au lieu d’accepter la dure réalité.
- Tout à fait la Petite Voix conclue Jamy, et ce processus est même plus souvent à l’œuvre qu’on ne le croit, parce que l’on ne s’en rend pas compte, c’est le principe d’un mécanisme de défense, rendant inconsciemment inconscient ce que la conscience n’admet pas, ce que le Moi ne veut pas voir pour ne pas être angoissé. Par exemple, lorsque l'on se concentre sur une tâche tout en écoutant de la musique, l'esprit concentré clive la tâche à effectuer ou la musique, en privilégiant l'une ou l'autre selon qu'il décide de travailler ou de planer. Malgré tout on peut nuancer mon propos et celui de Freud, parce que pour Laplanche et Pontalis, le clivage n'est pas à proprement parler un mécanisme de défense, mais plutôt une manière de faire coexister deux procédés de défense que sont le déni et le refoulement. Selon les circonstances, il est à supposer que c'est la prévalence du rôle structurant ou défensif qui fera de ce clivage "réussit", un moteur de développement ou un obstacle à la croissance psychique.
NORMAL/PATHOLOGIQUE
- Mais je me pose quand même une question Freud et Jamy, que ce soit au sein du Moi ou par rapport à l'objet, j’ai compris que le mécanisme de clivage répond au besoin de maîtriser l'angoisse par deux réactions simultanées et opposées, l'une cherchant la satisfaction, l'autre tenant compte de la réalité frustrante. Et que si ce procédé sert d'issue en cas d'ambivalence conflictuelle, il est généralement réversible et temporaire, parce que normalement présent dès les débuts de la vie psychique. Mais si il joue un rôle organisateur important, poussé à l'extrême, est-ce qu’il peut présenter un caractère déstructurant et dangereux comme je l’ai lu sur doctissimo ? non pas qu’on y lisse que des sottises, mais je préfère vous demander...
- Très bonne question dit Freud, avec les collègues, depuis un siècle on a établit d’évidentes différences entre le clivage dit normal, et le clivage à caractère pathologique !
Le clivage normal :
Grâce à la capacité de discrimination et d'attention qu'il établit, le clivage normal permet l'organisation des émotions, des sensations et des pensées ou encore des objets, condition préalable à tout processus d'intégration et de socialisation. C'est un mécanisme "déconfusionnant" puisqu'il instaure une première séparation et distinction dans l’esprit, et à sa place tout au long de la vie. Plus que d'autres mécanismes de défense, son rôle est éminemment positif dans la structuration de la psyché comme dans l'instauration des modes relationnels. Le clivage inaugure la démarcation d'un appareil psychique différencié, et les premières relations objectales marquées par l'ambivalence, lorsque l’individu se repère dans son environnement et dans son propre esprit, en adaptant sa réalité intérieure inconsciente au monde extérieur, par le biais de sa conscience. Il s’agit de trouver un équilibre en soi, pour s’adapter au mieux en se dissociant de certains affects dans certaines situations.
En situation classique, le clivage permet de faire attention (capacité d’attention) à une émotion ou à la mettre de coté (capacité de discrimination) afin de pouvoir simplement penser, se forger un jugement, initier une réaction adaptée à la réalité malgré des désirs antagonistes. Il autorise l’organisation des émotions, des sensations et des pensées, ou encore des objets extérieurs que l’individu investit. C’est comme lorsqu’il lit un livre puis en parle à un ami choisi, en ne lui donnant qu’un certain type ou une certaine quantité d’informations précises et choisies, qui sauront l’intéresser ou lui servir, et ainsi permettre par cette forme d’échange spécifique l’accès aux processus d’intégration et de socialisation.
Le clivage à caractère pathologique :
Mais poussé à l’extrême et utilisé trop fréquemment, le clivage peut étouffer les émotions, notamment celles qui ne sont pas adaptées à la réalité, alors que pourtant elles reflètent notre condition véritable dans le moment présent. La dissociation conduisant alors plus ou moins à une désensibilisation, un émoussement voire un vide affectif apparent, relatif à une état de dépersonnalisation ou de déréalisation. Paradoxalement, l'adaptation à la réalité devient une inadaptation à la vie sociétale : c'est par exemple le cas d'une personne prête à sacrifier (activement) une autre personne pour en sauver deux, un choix pour lequel tout homme dit "normal" éprouve de l'hésitation, de la tension, et peut être incapable de faire ce choix. Une personne capable de faire ce choix sans la moindre hésitation établit un clivage fort, parfois adaptée au métier, ou à la situation, mais fondamentalement anormal pour la psyché humaine, et par ailleurs, source de tension et de conflit, que l'on rencontre par exemple chez les personnes ayant à un moment donné, la vie d'autres entre leurs mains (militaires, médecins).
- Le clivage pathologique apparaît notamment dans la névrose obsessionnelle, la psychose et les perversions, continue Freud. J’ai d’ailleurs expliqué grâce à ce phénomène dissociatif, certaines actions démesurées où la folie cohabite avec la réalité, exemples dont les médias se montrent friands : un "homme ordinaire" étrangle plusieurs prostituées puis va se dénoncer dans l’espoir de faire cesser ses cauchemars, au cours desquels il revoit les femmes, vivantes. Il fut étonné de son arrestation et n'estimait aucunement avoir commis quelque chose de grave. Dans cet exemple, l'homme a complètement séparé et étouffé ses réactions normales (d'intégration et de sociabilisation) face à ses obsessions et désirs spontanés, ce dont on se rend compte non seulement dans les actes commis, mais également dans sa perception de ces actes. Or les processus d'intégration étaient bel et bien présents, puisque l'homme était "ordinaire" auparavant.
- Oui je comprends mieux maintenant dit la Petite Voix. En fait le clivage nous est utile, mais faut pas trop abuser de la dissociation, sinon on s’y perd. Mais ce qui m’échappe, c’est lorsque tu as parlé de clivage du Moi et de clivage d’objet, c’est quoi la différence ?
Freud répondant : « C’est là que ça devient technique la Petite Voix, on parle de clivage du Moi lorsque deux attitudes distinctes et opposées (c’est-à-dire qui s’ignorent) coexistent au niveau du Moi. Alors que le clivage de l’objet est la séparation d’un objet en deux objets différents : un bon-objet et un mauvais-objet. Mais on va détailler tout ça pour y voir plus clair. A toi de jouer Jamy !
CLIVAGE DU MOI - C’est en quelque sorte comme penser en se regardant penser.
- Pour bien comprendre les différences de clivage, il faut d’abord se visualiser là où le clivage va s’effectuer, pour mieux analyser comment il opère ensuite. Ici on parlera du lieu psychique qu’est le Moi, l’instance qui dans notre esprit, fait tampon entre la réalité extérieur (l’environnement), et sa réalité intérieure (le Ça, qui dans l’inconscient est le siège des affects et des pulsions). Le clivage du Moi est le terme employé par Freud pour désigner un phénomène bien particulier qu'il voit à l’œuvre surtout dans le fétichisme et les psychoses, à savoir la coexistence au sein du Moi, de deux attitudes psychiques à l'endroit de la réalité extérieure, en tant que celle-ci vient contrarier une exigence pulsionnelle. Autrement dit, dans la tête de l’individu un mécanisme dissocie son Moi, qui se représente alors la réalité de deux manières distinctes, l'une tenant compte de la réalité en étant pro-social, l'autre qui dénie la réalité en cause, parce qu’elle produit des désirs pas toujours adaptés à la vie sociale, d’où l’intérêt de s’en dissocier pour rester présentable. Donc d’un côté est exposée une façade où l’individu parait «normal», quand de l’autre côté ses pulsions sont refoulées parce que inappropriées dans le moment présent, sinon l’individu se montre comme «délirant» en ne répondant pas aux critères et aux normes sociaux-culturels de son milieu. Ces deux attitudes persistent côte à côte sans s'influencer réciproquement, ce qui permet au Moi d’accepter d’une part les exigences pulsionnelles de sa réalité intérieure inconsciente, et d’autre part les exigences du réel, de l’environnement extérieur.
Freud précisant alors une différence entre clivage et ambivalence :
- L’ambivalence est une disposition à la simultanéité de deux sentiments ou de deux comportements opposés, lorsque le clivage ne permet pas cette simultanéité. Comprenez bien que dans le clivage, une seule face de la personnalité ou de la conscience apparaît alternativement dans un objet partiel (l’autre face étant refoulée ou déniée, car affectivement trop pénible ou inappropriée), alors que dans l’ambivalence les deux faces apparaissent dans un objet total, et donc non dissocié. Par exemple, dans lorsqu’un individu est pointé du doigt et se retrouve honteux, dans l’ambivalence on présenterait une gêne émotionnelle tout en se sentant bien comme si la honte ne nous atteignait pas, alors que le clivage n’offre la possibilité que de montrer sincèrement la gêne, ou alors de la masquer par un faux sourire trompeur. L’ambivalence équivaudrait donc à l’acceptation des choses et objets qui peuvent être aussi bons que mauvais selon la manière dont on les éprouve et les interprète (donc une vision tragique en voyant le réel tel qu’il est, et non d’une manière pessimiste ou optimiste), quand le clivage équivaudrait à un état de ON ou OFF, on éprouve l’affect ou on est apathique, on aime ou on déteste, on accepte ou on fuit/critique, on présente sincèrement ou on pose un masque soit en se travestissant (par orgueil et vanité), soit en restant insensible aux affects (dépersonnalisation).
- Ah d’accord commente la Petite Voix, alors c’est pour cela que le clivage du Moi est très utile pour s’adapter en société, mais peut néanmoins présenter un caractère déstructurant et dangereux, quand l’individu n’est pas lui-même en présentant un faux-self, et allant jusqu’à se déshumaniser et mécaniser sa vie psychique pour se conforter à un modèle sociétal...ça fiche la frousse quand même vos travaux Freud, et sinon qu’en est-il du clivage de l’objet Jamy ?
CLIVAGE DE L’OBJET
- Rassure toi la Petite Voix, on ne vit pas dans une société du paraitre, où l’on en serait à devoir se travestir pour être bien vu et apprécié, et ainsi espérer être reconnu, accepté et embauché. On le saurait si la société marchande libérale créait des clivages et autres inégalités équivalentes sur les plans anthropologiques et sociétaux, en faisant que dans le même temps les individus aspirent en eux à une vie tournée sur le social pour être estimé par autrui, mais aussi beaucoup à la possession et à l’enrichissement personnel par le profit...Mais maintenant écoutons Freud qui est parti interviewer Mélanie Klein, fameuse psychanalyste, qui a détaillé le clivage de l’objet chez le nourrisson entre bon et mauvais sein, et étant comme un processus normal dans son développement psychoaffectif, particulièrement au cours de la position schizo-paranoïde.
- Bonjour Mélanie, pourriez-vous nous expliquer votre démarche pour comprendre ce qui se passe dans le psychisme du nourrisson, apparemment il serait question de bon sein et de mauvais sein, peut on se demander si cela dépend de si ils sont en silicones ou bien ?
- Ahah bonjour Sigmund, je vois que vous êtes toujours aussi drôle, en fait il ne s’agit pas de tâter physiquement des seins mais d’observer l’image qu’on se fait du sein quand on est nourrisson, c’est comme pour vos concepts d’œdipe et de phallus, il est question d’une image métaphysique, d’une métaphore ou d’une allégorie pour se représenter une idée à ropos d’un processus psychique, qui est une réponse défensive primitive du Moi contre l’angoisse, en l’occurrence du clivage d’objet.
- Bien sur, partons sur cette idée d’une schématisation, mais dites-nous en plus quand au mécanisme du processus clivant, peut être pourriez-vous procéder à une sorte généalogie du phénomène pour que l’on saisisse bien de quoi il est question, en allant de l’origine du clivage dans la psyché du nourrisson, jusqu’à ses effectivités une fois adulte.
- Le clivage apparait lors des premiers mois dans la notion de plaisir et de déplaisir, suite à la frustration, par exemple lors de l’absence du sein nourricier au moment où le bébé à faim. Se développe alors une relation entre un sujet (le bébé) et un objet (le sein). En fonction qu’il éprouve du plaisir ou du déplaisir, le nourrisson associe l’une ou l’autre de ses positions à un "bon" ou un "mauvais" objet, le plaisir étant associé au "bon sein" et le déplaisir au "mauvais sein". Il y a ainsi un clivage de l’objet qu’est le sein pour le bébé, en un bon et un mauvais objet, le bon sein étant adoré quand le mauvais sein est haï.
- D’accord Mélanie, que se passe t-il ensuite ?
- Ensuite, le bébé qui jusque là avait une perception fantasmatique des choses et des objets, commence à percevoir de mieux en mieux la réalité et donc l’objet dans son unicité, et le clivage se fait désormais sur l’objet total. Pour le formuler plus simplement, le bébé va associer le sein à la mère à qui il appartient, et la détester autant qu’il l’aimera, selon ses plaisirs et déplaisirs. Puis suivant des jeux de projections et d’introjections, lorsque le bébé s’identifie à son environnement et à ses proches, il construit sa personnalité en rapportant et s’appropriant ce qu’il perçoit et voit, toujours sur un mode binaire de «j’aime» ou «j’aime pas», on parle à ce moment là de clivage du Moi.
- En fin de compte, on grandit tous dans cette opposition basique ?
- En soi oui, même si en réalité c’est bien plus complexe que ça, puisque après que l’enfant qui a grandit en ayant investit les objets de son entourage, par ses pulsions érotiques et destructives, a scindé ces choses en "bon" et "mauvais" objets, et bien le clivage de l’objet s'accompagne d'un clivage corrélatif du Moi en "bon" Moi et "mauvais" Moi, quand on se prendrait pour un objet, en s’objectivant.
- Il y a donc un clivage du Moi, en plus du clivage d’objet si j’ai bien compris ?
- Tout à fait, ils vont de pairs, lorsque le clivage d’objet s’opère entre le sujet et l’objet, entre l’individu et les choses ou gens autour de lui, alors que le clivage du Moi s’opère au sein même de l’individu, dans son Moi propre.
- Ah je comprends mieux maintenant dit la Petite Voix, c’est une question de référentiel, selon que l’on adopte un point de vue relationnel ou alors inter-personnel, donc selon que l’on observe la mécanique du psychisme d’un individu directement dans sa tête, ou bien lors d’un échange avec une chose ou une autre personne. Tu vois Jamy, j’ai tout compris :grin:
- Très bien la Petite Voix, reste à préciser que cette phase de clivage doit être dépassée lorsque l’enfant grandit, sinon le fait de voir les choses et les personnes comme bonnes ou mauvaises peut devenir handicapant par la suite, en poussant à des jugements comparatifs. C’est donc une phase de l’enfance qui devra par la suite être surmontée, lors d’un étayage du Moi sur le bon objet et réparation du mauvais objet détruit. Mais cela sera d’autant plus difficile que l’objet clivé est confiné dans ses extrêmes, c’est-à-dire comme très mauvais et comme très bon objet (autrement dit il est idéalisé, l’individu s’est fait un avis tranché et qui n’est pas prêt de changer, tant qu’il n’adopte pas un nouveau point de vue sur l’objet en question). Demandons à Mélanie un exemple...Mélanie, vous êtes toujours avec nous ?
- Oui Jamy, prenez le rêve d'une enfant, qui voit dans son imagination une maman qui la persécute, alors qu'en réalité le rapport mère-fille est normal, puisque la mère protège sa fille en lui donnant des conseils et en lui interdisant certains comportements malpolis, comme tout parent le fait avec son enfant lors de son éducation. L'ambivalence ressentie face au côté protecteur et au côté oppressif peut alors donner lieu à un clivage, par la scission de l'objet "mère" en "bonne-mère" et en "mauvaise-mère", et qui se formalise dans le rêve. L’enfant est alors amené à autant apprécier que déprécier sa mère, qu’il juge coup à coup comme bonne ou mauvaise, avec pour conséquences de très bons moments passés ensemble à rire et s’amuser, et de mauvais moments de tensions, de disputes ou de rejets. Pour gérer l’ambivalence et l’angoisse qu’elle peut susciter, le clivage de l'objet permet ainsi d'accepter la nuance dans un rapport à l'objet en faisant coexister les deux faces du clivage, par exemple, continuer d’aimer une personne tout en éprouvant une peur de la perdre ou de ne pas la contrôler. C’est préférable au fait de n’engager aucune relation pour être sur de ne pas être déçu d’une quelconque manière par la suite. En ceci le clivage est une bonne chose, à condition de sortir de l’ambivalence amour/haine d’un « je t’aime, moi non plus », à moins que vous soyez fait pour vivre des relations houleuses.
Freud s’adressant à Jamy : « Il y a donc aussi un clivage d’objet normal, et un pathologique. Encore une fois tout est une question de mesure et de conditionnement par rapport à soi (clivage du Moi), à ses proches, et à son environnement (clivage d’objet). Si il est normal de catégoriser les choses et de véhiculer des clichés, ou des vérités simplifiées, il faut savoir reconnaitre ses préjugés afin de pouvoir les remettre en cause, et sortir de la dualité bien/mal, bon/mauvais, qui caractérise les rapports sociaux. Il s’agit de dépasser ses croyances, ses illusions et ses idéalisations, pour faire la part des choses et se réconcilier avec soi quand on rumine trop ou qu’on se prend la tête, mais aussi avec ses proches, notamment ses parents à qui on pardonne parfois difficilement faute de les avoir comprit, et de les accepter en s’acceptant. Le clivage peut se montrer difficile à dépasser lorsqu'il s'établit entre un très mauvais objet (aspect pathologique du clivage d’objet) et un bon objet idéalisé. Toute la pathologie de l'idéalisation s'ouvre ici avec ses multiples facettes cliniques que l’on retrouve dans les tendances narcissiques et égocentriques. »
- Et puis c’est pareil en sport comme en amour enchaine Jamy, c’est souvent la faute de l’autre alors qu’on ne vaut pas toujours mieux, mais par orgueil ou vanité nous projetons naturellement nos torts sur autrui dans une phase de clivage qui peut déresponsabiliser. On apprécie ou critique l’équipe adverse comme on aime ou critique son ou sa partenaire, sans même identifier la joie, la rancœur ou la colère qui nous anime (on baigne dans notre subjectivité). Et il suffit qu’autrui éveille des angoisses du passé en nous, pour que se revivent les difficultés irrésolues et enfouies de l’enfance et de l’adolescence, avec ses mécaniques de refoulement et déni qui constituent notre personnalité et nos caractères.
Freud reprenant l’interview : « Mélanie, auriez-vous d’autres exemples plus concrets de la vie courante pour finir de nous éclairer sur le clivage de l’objet ? »
- Bien sur, au delà de l’aspect bon/mauvais, on peut être attiré par tel ou tel objet selon ses humeurs et affects du moment. A ce niveau là il est intéressant de différencier le désir de l’amour, lorsque l’on est partagé entre deux personnes qui nous attireraient de deux manières différentes. Le désir serait plus animal et instinctif dans une volonté de posséder l’objet de ses envies, par exemple cette fille ou ce garçon que les autres désirent aussi, ce qui ne fait qu’accentuer son désir de possession, d’avoir cet objet pour soi. A l’opposé l’amour de ce même objet, de cette fille ou de ce garçon en vue, serait de l’apprécier pour ce qu’il est, et non de vouloir le posséder ou le contrôler pour satisfaire ses propres pulsions et envies sexuelles par exemple. L’on peut aussi prendre les exemples des différentes drogues et de l’hypocrisie se manifestant entre celles qui sont légalisées, comme l’alcool et le tabac, et celles qui sont pénalisées, comme le cannabis. L’alcool devenant alors une bonne drogue parce que accepté dans les mœurs, alors que le cannabis en serait une mauvaise parce que diabolisé, et ce malgré le fait que l’alcool est directement responsable de milliers de morts chaque année, quand le cannabis n’a jamais directement tué personne. Une autre opposition commune serait de voir la police comme un organisme répressif et avide de violence, ou bien comme des protecteurs des concitoyens, donc soit comme des « Forces de l’ordre », soit comme des « Gardiens de la paix ».
- J’ai un autre exemple pour toi Freud, propose Jamy, on retrouve la notion de clivage dans des expressions populaires, tel que « je sais bien…mais quand même… », mais aussi dans le « en même temps » de Macron, c’est une très bonne formulation pour cliver son discours et jouer sur tous les tableaux, lorsque chaque auditeur ne retiendra que la partie de la phrase qui l’intéressera, par un processus d’attention sélective. L’auditeur ne retient que ce qui l’arrange, et les équipes de communication de Macron l’ayant bien comprit, ont usé de cette rhétorique pour mieux manipuler ces gens crédules et peu critiques quand au discours des politiciens.
MANIFESTATIONS CLINIQUES DANS DIFFÉRENTS DEGRÉS
Jamy, les mains posées sur ses genoux, est assit en tailleur au centre du camion plongé dans l’obscurité, un halo de lumière traversant l’espace de gauche à droite et illuminant une face de sa personne : « Écoutons maintenant l’intriguant Lacan, à propos des manifestations cliniques de la dissociation. »
La voix de Lacan débutant : « Au niveau des manifestations cliniques, l’hallucination serait le moyen d’expression dans la réalité d’un refoulé forclos, refoulé qu’on dira exclu ou rejeté. Le clivage se retrouve aussi associé au déni dans certains mécanismes psychotiques. C’est le cas du fétichisme pour la perversion, de la schizophrénie, de l’autisme pour les psychoses. Si on se place d’un point de vue vertical, on retrouve finalement différents degrés au clivage du psychisme. En premier lieu il y a clivage comme dissociation au niveau du Moi, exemple de la schizophrénie. À un degré supérieur, s’ajoute le déni. Le Moi retrouve ainsi une certaine unicité englobant deux parties opposées qui s’ignorent, exemple du fétichisme. Mais le clivage fait aussi partie du processus de pensée : le Moi est pour ainsi dire clivé sur lui-même, c’est en quelque sorte comme penser en se regardant penser. À un degré ultime, le clivage serait dans le cadre analytique le moyen pour le Moi de former son identité sur trois parties distinctes : ce Moi qui se regarde en train de penser et de ressentir (deux parties orientées l’une vers l’esprit (le mental et la raison) et l’autre vers le corps (les sensations et émotions)) et une partie identifiée au psychanalyste qui se pose des questions. Freud a utilisé aussi ce terme à un niveau spatial pour désigner la séparation des différentes instances ou systèmes de l’appareil psychique ; mais on peut aussi envisager le clivage au niveau temporel. »
- Oula mais c’est compliqué tout ça, est-ce qu’on en sait plus pour ce qui est du déni et du refoulement, et pourquoi est-ce qu’on parle de point de vue vertical ? demande la Petite Voix.
CLIVAGE VERTICAL ET HORIZONTAL - Déni et refoulement.
Jamy présentant de nouveau son Moi professeur : « Arnold Goldberg part du fait que la psyché est souvent illustrée de façon imagée, et le clivage est l'une des façons de la représenter. Il dit que " Si le clivage est horizontal, on s'en sert pour mettre en évidence une division entre le haut et le bas. S'il est vertical, il doit montrer une séparation côte à côte. Le premier clivage, horizontal, représente le refoulement. Le second, vertical, peut être considéré comme une représentation du déni. Un clivage horizontal, la barrière du refoulement, sépare les matériaux inconscients des contenus préconscients, tandis que le clivage vertical divise pour l'essentiel un matériau plus ou moins accessible à la conscience ". Jamy poursuivant, il reprend donc la première topique de Freud et explique que si les idées freudiennes sur le refoulement et les forces qui l'entretiennent sont familières, l'idée d'un clivage vertical est un peu moins connue. Selon Heinz Kohut, ce dernier clivage se caractérise par l'existence côte à côte d'attitudes disparates en profondeur, lorsque le clivage émerge du sentiment d’ambivalence. Généralement, un versant de cette existence parallèle est jugé plus en accord avec la réalité, tandis que l'autre peut être jugé infantile ou tourné vers une gratification immédiate.
Freud terminant en citant Kohut : « L'une des façons de considérer ces attitudes parallèles de la personnalité consiste à dire que la réalité de l’une est mieux structurée et/ou plus neutralisée tandis que l'autre est relativement peu structurée et/ou non neutralisée. Ce secteur moins structuré est parfois impliqué dans un fantasme, mais avec encore moins de structure il peut déboucher sur une action manifeste. Tel est le cas dans des troubles de comportement comme les addictions, la délinquance et les perversions. Avec un clivage horizontal, le matériau infantile et non structuré est tenu en respect. Avec un clivage vertical, il parvient à s'exprimer. Le comportement pathologique est la manifestation de ce secteur clivé. »
- Notre assistante technique Laura a fait des schémas explicatifs, pour comprendre plus en détails les clivages vertical et horizontal, que voici :
Le déni : Action de dénier, de refuser de reconnaître la vérité ou la valeur d'une chose. Mode de défense consistant en un refus par le sujet de reconnaître la réalité d'une perception traumatisante.
Le refoulement : Action de repousser plus ou moins consciemment des désirs, des sentiments que l'on ne peut ou que l'on ne veut pas exprimer. Mécanisme psychologique, généralement inconscient, qui serait à la base de nombreuses névroses et s'observerait plus accessoirement dans certaines psychoses. Il s'agit d'une opération psychique par laquelle le sujet repousse ou maintient dans l'inconscient des pensées, des images mentales ou des souvenirs liés à un désir profond et instinctif (pulsion) senti comme interdit ou contraire à certaines exigences morales.