Après les 12 heures de route les plus dures de mon voyage, j’arrive à Cochabamba de nuit, encore plus à plat que ma roue arrière. Je suis soulagé de rencontrer mon nouveau couchsurfeur, un compatriote qui répond au drôle de nom de Bernie Noel.
Bernie Noël, sisi, comme le personnage du film de Dupontel.
Et si comme certains flics boliviens vous en doutez, il vous montrera sa carte d’identité pour le confirmer. Evidemment, vue la perfection du document, pas une seconde vous ne penserez qu’elle a été fabriquée par un faussaire thaïlandais…Bernie est un mec incroyable, au sens littéral du terme. Il pourrait facilement être le personnage principal d’un film que je crève d’envie de voir : une sorte de mix entre Scarface, Carnets de Voyage, et l’Homme qui voulait vivre sa vie. Ce jeune marseillais a quitté la France il y a cinq ans pour parcourir le monde.
Quand au lendemain de notre rencontre, tous les deux sur Parkinson dans les rues ensoleillées de Cochabamba je lui demande comment il a fait pour financer cinq années de voyage, il me répond un mystérieux « j’envoie des cartes »
.J’ai beau essayer, je n’arrive pas à l’imaginer facteur.
Au fur et à mesure de nos pérégrinations en moto à travers la ville, il va m’en dire un peu plus sur lui.A dix-huit ans, il a déjà quitté l’école depuis longtemps. Il bosse comme couvreur, gagne pas mal de blé en faisant une mission par-ci par là, mais c’est surtout la bicrave qui finance son train de vie. Voila son vrai taf, il le fait bien et il est tellement connu que les jours de vente, les mecs font la queue devant chez lui. Mais ce n’est pas suffisant.
Bernie en a marre de la France, il veut tenter un gros coup puis s’arracher. Dans le milieu comme dans la vie, il n’y a qu’une seule manière de se faire des couilles en or : vendre sa propre production.Avec son meilleur pote, ils commencent tout de suite gros, remplissent les combles de graines et s’improvisent botanistes. Quelques mois de pousse, une seule récolte. Il vendent tout en quelques jours, empochent une dizaine de milliers d’euros et avant que les flics ne s’excitent, ils sont déjà en Australie.
Là-bas, ça devient épique. Ils s’achètent un van et mènent la grande vie. La dope, les meufs, les teufs. En quatre mois ils ont déjà tout fumé, et il faut bien trouver un moyen de continuer à vivre sans rabaisser leurs standards. Ils se mettent à vendre des pilules aux backpackers sur la plage, carottent la bouffe et l’essence dans les supermarchés. Un jour ils découvrent un hôpital abandonné et le démembrent littéralement pendant des semaines pour vendre le cuivre aux ferrailleurs.Tout le monde a commencé à parler de ces deux Français qui avaient rasé l’Australie pendant des mois. Les mecs étaient devenus des légendes. Là où ils passaient, l’herbe ne repoussait pas.
Si vous avez été dans le coin au début de la décennie 2010, vous avez forcément entendu parler d’eux. Si vous y avez été un peu plus tard, vous avez peut-être remarqué qu’à chaque fois qu’un Français entre dans un supermarché il se fait filer par le vigile : c’est en grande partie à cause d’eux.
Après quelques mois de folie, Bernie rentre en France pour taffer un peu. Du biz, quelques missions d’interim pour justifier ses allocs, puis il repart sur la route. Il débarque en Amérique, baroude à droite à gauche et quand il entre en Bolivie, il se rappelle d’une scène mythique de Scarface qui a lieu à Cochabamba et décide que c’est un bon endroit pour se poser.
moment où je le rencontre il y est depuis six mois, et les cartes qu’il envoie ne contiennent pas des bonnes nouvelles pour ses parents mais de la bolivienne, l’une des meilleures cokes du monde. Il se fournit à quelques heures de là, dans la province du Chapare. Les labos sont directement implantés dans les champs de coca, et la poudre qui en sort est presque pure. Il l’achète pour rien, et la revend une petite fortune en Europe. Après découpage et pertes liées aux contrôles, il fait une plus-value d’environ 1000%. De quoi vivre comme un ministre dans l’un des pays les plus pauvres du monde.