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Guest
Bienvenue dans l’ego-société, où chacun se doit d’être hyper-performant pour ne pas passer pour un looser.
Ici tout est image et apparence, où dans une volonté contemporaine nihiliste la valeur et l’essence de toute chose a été relégué au second plan, si ce n’est détruite pour des raisons économiques. Cette ambition individualiste a pour but le bénéfice, et pour finalité un intérêt purement égoïste. Le marketing a ainsi provoqué des envies et créé des besoins de toute pièce, grâce à des études cognitives et des publicités spécifiques, pour s’introduire dans l’intimité des consommateurs, et leur vendre des produits dont la qualité et l’utilité importe peu. L’acte d’achat étant un acte narcissique, celui-ci s’est toujours plus répandu au fur et à mesure que le modèle économique libéral a accaparé les esprits, et ce au point de normaliser le consumérisme et ses techniques toujours plus culottées pour exploiter la faible estime qu’on les gens d’eux-même, et que le produit leur rendra en satisfaisant leur besoin matériel. Face à la prétention grandissante des individus voulant faire du fric, à leur arrogance mise au service de leur réussite professionnelle, les relations humaines en ont été profondément changé. Dans la dualité narcissique d’une âme meurtrie, il s’agit alors de manger ou d’être mangé, d’assujettir ou d’être assujetti, d’un côté les winners sous les feux des projecteurs et de l’autre les loosers dans l’ombre de leur manque d’affirmation de soi.
Donc tout se vend, tout s’achète, et la morale ne côte plus rien en bourse. Le respect d’autrui est devenu un manque à gagner, un symptôme de faiblesse individuelle, faute de confiance en soi sur laquelle il est facile d’appuyer, pour culpabiliser les individus dont la dignité et la souveraineté leur ont été retiré. Pour faire simple, si tu ne sais pas te vendre en faisant preuve d’exhibitionnisme, de soumission au marché et de forcing, t’as raté ta vie. Heureusement il existe de multiples stages pour regagner cette estime de soi perdue, ou jamais acquise, et ainsi apprendre à devenir un pro du marketing en faisant de sa personne un clown jouant son rôle et sachant répondre aux attentes des spectateurs, afin qu’ils signent. Et à quoi bon prendre le temps de démontrer intellectuellement un propos, quand en usant de gesticulations physiques et de mots appropriés, il est possible de convaincre et d’empocher l’argent tant désirer ? Donc pourquoi pas se vendre comme une marchandise, si l’on peut être rentable dans un marché toujours plus concurrentiel ? Mais cette objétisation de soi en vue de plus de profit n’est absolument pas une preuve de bonne estime de soi, parce que l’estime de soi implique avant tout le respect de soi, et d’autrui. Sauf que les apparences prévalant sur la vérité, ainsi que l’enrichissement sur une éthique de vie plus sobre, c’est dans le rejet des valeurs traditionnelles où la pudeur s’apparentait à une vertu, que l’individu s’est condamné au culte de l’instant présent et de la personnalité, au vide moral et à l’errance spirituelle, dans un modèle sociétal où la finance fait loi.
Comment avons-nous pu en arriver à cette culture narcissique du développement personnel, à cette expression d’un besoin d’affirmation et de reconnaissance quasi pathologique, où la poursuite du bonheur revient à amasser des richesses et satisfaire ses pulsions dans une mise en avant de soi, tout en repoussant toujours plus les limites de la morale ? Une partie des réponses se trouve dans l’effondrement de la structure familiale qui, ne maintenant plus l’individu dans une dynamique collective, a favorisé son affirmation individuelle tout en le rendant plus fragile parce qu’isolé, et livré à d’autres individus apeurés et se voulant plus fort en écrasant autrui. Dans un temps plus rapproché, l’avènement des nouvelles technologies, des selfies et autres réseaux sociaux prônant l’unicité de l’individu ont émergé, avec un besoin de possession démesuré. La téléréalité a ensuite fini de déconstruire les repères de l’individu, qui se réfèrent désormais à des icônes médiatiques, glorifiantes mais factices, idéalisées mais peu relativisées dans ce qu’elles représentent, tant elles font désormais partie intégrante de notre culture populaire.
Il y a dans tous ces constats un lien qui ne parait pas évident en apparence, mais saute aux yeux lorsque l’on supprime quelques masques et observe le dire et l’agir avec un nouveau prisme, qu’est le narcissisme moral. Le narcissisme est une instance psychique , qui étant le support de l’estime de soi, intervient naturellement pour aider l’individu lorsqu’il est en difficulté en se sentant culpabilisé ou honteux, et agit ainsi pour lui redonner une confiance en lui, nécessaire à sa survie individuelle et sociale. Honteux de n’être que ce qu’il est ou de prétendre à ce qu’il n’est pas, ou coupable d’une faute commise pour justifier sa honte existentielle, l’individu se déprécie d’après des idéaux qui lui sont propres ou communs avec ses semblables. En se dévalorisant il se met sur la touche, et se voit écrasé par d’autres individus honteux et culpabilisés, mais qui font preuve d’un narcissisme pouvant être moral, pour se sortir de leur marasme quitte à s’appuyer sur autrui en lui marchant littéralement dessus. Je vous propose de voir plus en détail quels ressorts de la mécanique psychique s’articulent en l’individu, pour retrouver une estime de soi suffisante grâce à la morale, tant dévaluée.
INDIVIDUEL
Le narcissisme moral est donc en lien avec l’idéal propre de l’individu, auquel chacun cherche à correspondre pour s’estimer moralement, et ainsi retrouver un sens à son existence. Ce qui fait moralement défaut à l’individu en manque de repère n’est pas d’avoir fauté, mais la honte qu’il ressent d’être resté fixé à une image de lui tout puissante et enfantine, qu’il cherche inconsciemment à reproduire pour s’en sentir fort et se protéger d’une réalité jugée menaçante. « Il a honte de n’être que ce qu’il est ou de prétendre à plus qu’il n’est. » Dans son quotidien, cela se traduit par une volonté d’être pur et en parfaite correspondance avec son idéal moral, lui dictant une manière d’être saine, et une direction à suivre exemplaire. Le discours choisit est alors un bouclier protecteur dans ses fonctions esthétisantes et morales, lorsque l’individu obéit à l’exigence de former une belle totalité en tant que personne porteuse de sens, toujours d’après son idéal. Cette éthique de vie est digne d’un ascétisme dans lequel l’individu se porte volontaire à tout renoncement le rapprochant de son idéal jugé subjectivement comme moralement bon, et devenir un modèle d’humilité fuyant le monde et ses plaisirs. Il y a là une attitude quasi masochiste, mais dont le narcissisme moral se différencie en tant qu’il est d’abord animé par la honte de ne pas coller à son idéal, qui peut ensuite être transformée en culpabilité et amener à des pratiques masochistes, lorsque l’individu cherche dans la souffrance morale la punition d’une faute réelle ou imaginaire, en réponse à sa honte existentielle (exemples des mises en échecs systématiques et répétées, empêchant l’individu d’être reconnu et estimé socialement, mais aussi par lui-même en dépassant ses blocages).
Le monde paradoxal du narcissique moral
Dans sa recherche de perfection morale, le narcissique peut se montrer hypocrite dans les faits, lorsqu’il se permet de faire la morale à son entourage alors qu’il ne la respecte pas lui-même, et quand ce qu’il dit ne correspond pas à ses actes. D’ailleurs le fait de le lui dire se traduit souvent par un état de déni, ou de susceptibilité accrue, parce qu’il ne se sent pas coupable de ce qu’il fait endurer aux autres, faute de s’en rendre compte. Il est intéressant de noter qu’en reprenant au mot ce type de narcissique sans se laisser culpabiliser, il est possible de leur retirer toute leur confiance en portant atteinte à leur image idéale qu’ils ont d’eux-mêmes, totalement distincte de leurs actes véritables. Ils perdent alors de leur aplomb en se culpabilisant de s’être fourvoyé, ou se victimise pour se justifier et continuer de nier la vérité, qu’ils ne peuvent admettre au risque de se briser intérieurement. Une des caractéristiques de ce type de narcissique moral est l’arriération affective, qui se manifeste soit dans des comportements enfantins, soit dans des exigences sentimentales (égoïsme, jalousie, agressivité), soit par des mécanismes de compensation de l'insatisfaction qu'elle entraîne (intériorisation, complexe d'infériorité, mythomanie, asociabilité). Il y a là un déni de leur monde pulsionnel et de la place de leur désir dans le monde. Pour aller plus loin, l’individu envie un caractère d’absolu, et est attaché à des rêveries puériles, emphatiques, voire messianiques. Mais la caractéristique la plus évidente de ce genre de comportement, est la faculté qu’à l’individu à se positionner en tête de Turc, tellement il est convaincu de son bon droit, si ce n’est de sa supériorité sur autrui.
Mais pourquoi monter au front de la sorte, pourquoi se donner corps et âme à une cause, qui nous dépasse en tant qu’individu isolé ? La réponse est l’orgueil qui en émane, et masqué derrière des formes trompeuses d’humilité. Ces choix comportementaux qui révèlent un véritable mode de vie politique, appelant à différents renoncements en s’imaginant que si chacun faisait comme soi, tout irait pour le mieux, sont le mortier d’un orgueil immense, qui édifie la personnalité dans une droiture morale à toute épreuve. Mais la raison initiale ayant poussé l’individu à un tel blindage égotique est une fragilité dans son Moi, ne lui permettant pas d’encaisser la réalité, et donc en s’opposant aux stimulations externes risquant d’exciter ses pulsions, l’individu se protège de lui-même en refusant en partie l’expression de ses passions. Il s’agit donc d’un mécanisme visant à protéger l’intégrité de l’individu, qui idéalise des manières d’être en tentant d’y correspondre, et pour se fixer des repères existentielles lui permettant de se reconnaitre. Sauf que répondre à un idéal n’est évidemment pas toujours possible quand la réalité met en échec ses propres conduites, et entraine de la honte plus que de la culpabilité, de la dépendance plus que de l’indépendance. Exemple du jeune travaillant dur à ses cours, parce qu’on l'a bien culpabilisé en lui promettant un bel avenir comparé au fait de finir clochard...stupide morale entrainant la compétition, mais pourtant très répandue.
Le narcissisme moral fait de la morale une jouissance auto-érotique
La satisfaction que trouve le narcissique moral dans ses privations est le sentiment d’être meilleur par le renoncement, fondement de l’orgueil humain. Ainsi l’individu dans son auto-privation se replie au cours d’un retrait de plus en marqué, qu’il rencontre des difficultés selon ses responsabilités. L’adolescence étant le moment où le renoncement est le plus affirmé, même si l’individu ne reconnait pas les raisons idéologiques de ses privations, toujours en se justifiant parce qu’il manquerait soit disant d’argent, de temps, d’énergie, d’intérêt, etc...bref l’individu passif et manquant de philosophie de vie pour se fixer des repères existentielles, ne se donne pas les moyens d’être ce à quoi il aspire secrètement. Pourtant il s’agit bien pour le narcissique moral de se vouloir pur dans un refus factuel, de dire « non » en renonçant au monde ainsi qu’à ses plaisirs comme à ses déplaisirs, en sachant tirer plaisir du déplaisir, toujours par orgueil. Certains vont plus loin que le refus du plaisir ou du déplaisir, en recherchant seul et dans la neutralité, une volonté d’endurance ascétique pour se rapprocher de leur vision absolu de la perfection, état d’équilibre où il ne serait plus soumis à des pulsions et passions dont ils ont honte. Si la souffrance n’est alors pas recherchée, elle n’est malheureusement pas évitée pour autant (contrairement au masochisme).
Pour en revenir à l’aspect enfantin de ce type de caractère, et que l’on pourrait associer à des bouderies, le narcissique moral veut être grand en ressemblant à l’idéalisation qu’il se fait des parents ayant appris à maitriser leurs pulsions, et ainsi arriver à contrer son sentiment d’être comme un enfant, toujours en quête de reconnaissance dans besoin d'être loué, et c'est ce dont il a honte. C’est donc comme un enfant dépendant de ses parents, que le narcissisme moral pousse l’individu à gagner l’amour et l’estime d’autrui, au travers d’actes moraux qui sont socialement reconnus et valorisés. En cas d’échec, son orgueil redouble d’intensité en prônant toujours plus de volonté de renoncement et de privation, parce que l’honneur d’un individu honteux, n’est jamais sauf. Seule sa fierté peut lui faire retrouver intégrité et dignité, et le sauver de lui-même. Comme toute personne en manque d’estime de soi, le narcissique moral a donc besoin d’une reconnaissance d’autrui, en lien au sacrifice du plaisir pour se sentir exister, tel un égocentrique qui ne peut s’apprécier qu’au travers du regard d’autrui, faute de s’aimer lui-même. Autrement l’individu se sublime dans le travail ou d’autres domaines d’activité, qui satisferont son idéal moral et le feront s’oublier, en se retirant d’un monde pulsionnel intérieur bien trop excitant pour être supporté.
A propos des pulsions et de la honte que l’on s’en fait
Ce repli pulsionnel et passionnel s’effectue au nom de la morale, pour endiguer l’agressivité croissante que l’individu ne peut plus contenir. Exemple typique de la personne disant s’isoler pour ne pas commettre un meurtre, parce qu’elle est sur le point de perdre toute retenue dans une situation qui ne lui convient pas. L’importance du cadre est donc primordiale pour ne pas péter les plombs, lorsque son degré d’insatisfaction n’est plus tolérable, et que l’individu n’arrive plus à réfréner ses pulsions agressives. On retrouve là le phénomène de l’adolescent ne supportant plus ses parents, l’environnement scolaire, et le modèle sociétal précaire qui ne lui donne pas envie. Sans être rassuré il ne peut se sentir sécurisé, et se retrouve en proie à des angoisses existentielles, faute de plus de repères faisant sens pour lui. Et si on lui a tout promit, il a la flemme de suivre un idéal parental qui n’est pas forcément le sien, parce qu’il est complètement individualisé et seul, perdu dans un tel flou, que la complexité de la réalité lui donne des vertiges qu'il n'arrive ni à formuler ni à exprimer, et dont il se sent honteux.
Quand le cadre dans lequel l’individu évolue, lui révèle ses insuffisances et vulnérabilités, en plus de lui saper son peu de confiance en lui imposant d’être compétitif dans un marché concurrentiel, il ne peut s’estimer correctement et s’émanciper. Alors il se replie dans des apparences d’assurances, et fait possiblement preuve d’un narcissisme moral dont le bénéfice substitutif est un orgueil, lui assurant une reconnaissance personnelle selon la morale qu’il suivra. En se fondant dans un moule idéologique, il peut cacher ses faiblesses derrière des masques d’humilité, des discours ou des choix menant à des actes louables, réparateurs, et libérateurs. L’orgueil est donc la satisfaction substitutive du renoncement du désir et de l’assouvissement pulsionnel. Mais si en apparence le narcissique moral proclame n’avoir besoin de personne, en réalité il est dans une relation de grande dépendance avec son entourage. Effectivement, en projetant inconsciemment sur autrui ses idéaux, son entourage devient le garant de la reconnaissance de sa morale, et le narcissique attend alors d’autrui un amour inconditionnel sous la forme de reconnaissance, d’approbation ou d’admiration, pour sa vertu exigeant tous ses sacrifices pulsionnels. Et dans le cas où il défaillirait en manquant ses objectifs, la dépression guette le narcissique moral, qui s’en prévient en usant donc d’apparences conformes avec ses idéaux et ses manières d’être idéalisées, et ce au détriment de sa vraie personnalité.
Si cette forme de narcissisme a un côté positif en tant qu’il protège l’individu, dont la personnalité est fragile, il est par ailleurs essentiellement négatif en valorisant le renoncement comme défense contre la privation et le manque d’être à soi. C’est le schéma classique préventif qu’est le fait de se désintéresser de tout, pour n’avoir plus rien à perdre. Mais n’est-ce pas nier le manque, l’incomplétude de chacun ? manque que l’on cherche à éviter alors que la complétude est impossible, manque qui va creuser l’écart existant entre ce qu’est l’individu réellement et son idéal de perfection, d’où naitra la honte de pas être à la hauteur de ses espérances.
LES AUTRES ASPECTS DU NARCISSISME
Le narcissisme se déclinant dans des dimensions intellectuelle, corporelle et morale, ce dernier est en relation avec les deux autres.
Le narcissisme intellectuel est une forme d’auto-suffisance et de valorisation de son intellect, que ça soit dans un but de maitrise ou de séduction. Il s’agit là d’une recherche intellectuelle de caractères moraux, comme le fait de trouver les raisons d’un fondement d’une éthique philosophique, ou d’un ordre divin pour le théologien, et ainsi lutter contre une vie pulsionnelle à dépasser, refouler ou éteindre. La commune honte de sa vie pulsionnelle peut pousser à se rassurer en comprenant le pourquoi du comment des choses, ou à développer une argumentation pour se justifier, même si une petite voix dans sa tête devine malgré tout les buts cachés des raisonnements et constructions mentales. Cette petite voix tourmentant les individus quand à leur fantaisie, leur mensonge et leur manque de respect, alimente d’une part la honte d’être passionné, et d’autre part l’intellect pour se raccrocher à une morale digne de l’image que l’on veut se porter. Cette tendance à l’établissement de règles morales révèle une véritable activité paranoïaque, qui constamment remodèle le réel selon les vécus instinctuels des individus et des masses, et ainsi résolve les conflits qui en émanent dans une possible sublimation individuelle ou collective.
Si les connivences intellectuelles du narcissisme moral peuvent se perdre dans des jactances et autres justifications rhétoriques, le corps lui ne trompe pas. Il témoigne par sa posture et ses formes de la droiture morale de l’individu, morale qui le sculpte dès le plus jeune âge en favorisant certaines attitudes forçant le respect, et refusant quelques positions suggérant le plaisir et la séduction afin de conquérir autrui. Pour le narcissique moral, le corps est un quasi supplice qui va à l’encontre de sa raison, et trahit ses envies et pulsions malgré lui. Il est à l’origine de malaises corporels tels les bruits intestinaux, pleurs, rougeurs, tachycardie, sudation, sensations de froid ou de chaud, et autres contractions musculaires traduisant un mal-être dans sa peau, un conflit entre corps et esprit, entre pulsions et raisons morales. Démuni devant ses manifestations physiques, le narcissique moral nie pour sauver les apparences ou se sent honteux, mais il peut aussi ne pas se rendre compte de ses gestes, quand le fantasme le domine. Mais cette souffrance plus ou moins affichée et perceptible est la preuve d’une vie intérieure intense et dévoilant la grande raison du corps, face à la petite raison de l’esprit. Ce corps qui pense avant que la conscience n’est pu formuler ce que ça veut signifier. L’orgueil tendant à vouloir se faire paraitre neutre et humble dans un contrôle défensif du corps et de ses bouillonnements pulsionnels, vecteurs d’angoisses viscérales. Si la morale est trop brutale en étant intolérante contre quoi elle se protège, la souffrance psychique induite est constatable et mesurable aux degrés des troubles physiques liés. Alors la maitrise du corps pousse à un engourdissement somatique, annonciateur d’une regrettable mort intérieure, paralysant l’individu dans sa vie psychique.
POLITIQUE
Le narcissique moral est persuadé de savoir mieux que les autres ce qui est bon pour eux, quitte à le leur imposer, tant il est convaincu d’œuvrer pour le bien du plus grand nombre. Il est ainsi animé par une volonté teintée de bonnes et généreuses intentions, motivé par un sentiment altruiste de justice sociale. Sauf que le narcissique moral se protège derrière le bien fondé de ses louables intentions, pour justifier ses décisions et ne pas toujours assumer ses actes et leurs conséquences. Il s’agit là des tenants du politiquement correct et de la bien-pensance l’accompagnant d’une pensée se voulant souvent unique, qui codifient les discours en nuisant à la liberté d’expression, et permet le mensonge dans la désinformation, puisque seules les bonnes intentions comptent pour les acteurs et les spectateurs de la comédie politique.
C’est de cette façon que le narcissisme moral réduit les personnes à leurs idées et non à leurs actes, à leurs discours enjolivés et non aux effets produits, en affectant tous les aspects du débat politique et culturel. Il n’est donc plus moralement permit de penser autrement que ce qu’une caste médiatique et influente impose aux gens par le biais de la culpabilité, et tendant à instaurer une vision des choses uniformisées et lissées. Les plus réceptifs accepteront cela comme une évidence, et entraineront par leur bonne parole les individus désireux d’être acceptés en pensant comme la masse, quitte à s’approprier fièrement le discours ambiant comme étant leur propre moral. Sans plus de remise en cause, des idées plus ou moins justes et avérées peuvent émerger et gouverner les consciences, dans une domination idéologique.
Les techniques de manipulation servent ensuite à rassembler ou diviser, mais toujours dans le but de ramener à sa cause intéressée des individus initialement désintéressés. Ici s’articule les affects de la politique, de manière immorale en culpabilisant les individus honteux, en les désinformant avec des réponses données à des questions précises masquant les vérités dérangeantes, et en ne mettant jamais en perspective les faits actuels pour que la masse prenne du recul. C’est donc dans une dynamique manichéenne que les puissants élaborent par le biais des médias, des visions dualistes du monde, où s’opposent le bien et le mal, le bon et le mauvais, sans plus de nuance et d’explication remettant en cause la fausse bonne morale, qui maintient les spectateurs dans l'immédiateté du spectacle de la communication politique. Ces tendances s’appliquent en économie, quand une récession parait nécessaire pour parer à la dette croissante des pays, en géopolitique, quand on se doit d’intervenir dans des guerres au nom des Droits de l’Homme, ou en écologie, quand il n’est plus concevable de nier la responsabilité humaine dans le réchauffement climatique. De ces affirmations naissent des oppositions contraires, et d’infinies possibilités de récupérations politiques, dogmatiques et simplifiées à l’extrême, pour satisfaire un futur électorat ignorant dans son grand ensemble la complexité des phénomènes se jouant dans notre société.
La morale s’affirmant en se cachant derrière ses bonnes intentions, le narcissique persuadé d'être dans son bon droit affirme qu’il est essentiel de lutter par tous les moyens pour son projet, même si ses croyances prônées comme des vérités sont contestables ou indéterminées. Le problème venant le plus souvent de l’ignorance et la crédulité des acteurs médiatiques et des spectateurs, relayant des informations incomplètes, hors contextes, si ce n’est erronées. Mais ce n’est pas pour autant qu’il faut condamner le narcissisme moral, parce que des actes en accord avec les bonnes intentions les instiguant, peuvent améliorer les problèmes sociétaux rencontrés et favoriser l’adaptation à tendance égalitaire des différentes classes sociales, dans une société toujours plus technologique. Il serait ensuite indispensable de critiquer les conséquences des décisions prises pour juger de si elles ne correspondent pas aux propositions initiales, dont le représentant exhibitionniste, et beau parleur politicien, est le reflet flatteur d’individus moralement influençable, et pouvant défendre une cause qui leur est par ailleurs nuisible.
Ici tout est image et apparence, où dans une volonté contemporaine nihiliste la valeur et l’essence de toute chose a été relégué au second plan, si ce n’est détruite pour des raisons économiques. Cette ambition individualiste a pour but le bénéfice, et pour finalité un intérêt purement égoïste. Le marketing a ainsi provoqué des envies et créé des besoins de toute pièce, grâce à des études cognitives et des publicités spécifiques, pour s’introduire dans l’intimité des consommateurs, et leur vendre des produits dont la qualité et l’utilité importe peu. L’acte d’achat étant un acte narcissique, celui-ci s’est toujours plus répandu au fur et à mesure que le modèle économique libéral a accaparé les esprits, et ce au point de normaliser le consumérisme et ses techniques toujours plus culottées pour exploiter la faible estime qu’on les gens d’eux-même, et que le produit leur rendra en satisfaisant leur besoin matériel. Face à la prétention grandissante des individus voulant faire du fric, à leur arrogance mise au service de leur réussite professionnelle, les relations humaines en ont été profondément changé. Dans la dualité narcissique d’une âme meurtrie, il s’agit alors de manger ou d’être mangé, d’assujettir ou d’être assujetti, d’un côté les winners sous les feux des projecteurs et de l’autre les loosers dans l’ombre de leur manque d’affirmation de soi.
Donc tout se vend, tout s’achète, et la morale ne côte plus rien en bourse. Le respect d’autrui est devenu un manque à gagner, un symptôme de faiblesse individuelle, faute de confiance en soi sur laquelle il est facile d’appuyer, pour culpabiliser les individus dont la dignité et la souveraineté leur ont été retiré. Pour faire simple, si tu ne sais pas te vendre en faisant preuve d’exhibitionnisme, de soumission au marché et de forcing, t’as raté ta vie. Heureusement il existe de multiples stages pour regagner cette estime de soi perdue, ou jamais acquise, et ainsi apprendre à devenir un pro du marketing en faisant de sa personne un clown jouant son rôle et sachant répondre aux attentes des spectateurs, afin qu’ils signent. Et à quoi bon prendre le temps de démontrer intellectuellement un propos, quand en usant de gesticulations physiques et de mots appropriés, il est possible de convaincre et d’empocher l’argent tant désirer ? Donc pourquoi pas se vendre comme une marchandise, si l’on peut être rentable dans un marché toujours plus concurrentiel ? Mais cette objétisation de soi en vue de plus de profit n’est absolument pas une preuve de bonne estime de soi, parce que l’estime de soi implique avant tout le respect de soi, et d’autrui. Sauf que les apparences prévalant sur la vérité, ainsi que l’enrichissement sur une éthique de vie plus sobre, c’est dans le rejet des valeurs traditionnelles où la pudeur s’apparentait à une vertu, que l’individu s’est condamné au culte de l’instant présent et de la personnalité, au vide moral et à l’errance spirituelle, dans un modèle sociétal où la finance fait loi.
Comment avons-nous pu en arriver à cette culture narcissique du développement personnel, à cette expression d’un besoin d’affirmation et de reconnaissance quasi pathologique, où la poursuite du bonheur revient à amasser des richesses et satisfaire ses pulsions dans une mise en avant de soi, tout en repoussant toujours plus les limites de la morale ? Une partie des réponses se trouve dans l’effondrement de la structure familiale qui, ne maintenant plus l’individu dans une dynamique collective, a favorisé son affirmation individuelle tout en le rendant plus fragile parce qu’isolé, et livré à d’autres individus apeurés et se voulant plus fort en écrasant autrui. Dans un temps plus rapproché, l’avènement des nouvelles technologies, des selfies et autres réseaux sociaux prônant l’unicité de l’individu ont émergé, avec un besoin de possession démesuré. La téléréalité a ensuite fini de déconstruire les repères de l’individu, qui se réfèrent désormais à des icônes médiatiques, glorifiantes mais factices, idéalisées mais peu relativisées dans ce qu’elles représentent, tant elles font désormais partie intégrante de notre culture populaire.
Il y a dans tous ces constats un lien qui ne parait pas évident en apparence, mais saute aux yeux lorsque l’on supprime quelques masques et observe le dire et l’agir avec un nouveau prisme, qu’est le narcissisme moral. Le narcissisme est une instance psychique , qui étant le support de l’estime de soi, intervient naturellement pour aider l’individu lorsqu’il est en difficulté en se sentant culpabilisé ou honteux, et agit ainsi pour lui redonner une confiance en lui, nécessaire à sa survie individuelle et sociale. Honteux de n’être que ce qu’il est ou de prétendre à ce qu’il n’est pas, ou coupable d’une faute commise pour justifier sa honte existentielle, l’individu se déprécie d’après des idéaux qui lui sont propres ou communs avec ses semblables. En se dévalorisant il se met sur la touche, et se voit écrasé par d’autres individus honteux et culpabilisés, mais qui font preuve d’un narcissisme pouvant être moral, pour se sortir de leur marasme quitte à s’appuyer sur autrui en lui marchant littéralement dessus. Je vous propose de voir plus en détail quels ressorts de la mécanique psychique s’articulent en l’individu, pour retrouver une estime de soi suffisante grâce à la morale, tant dévaluée.
INDIVIDUEL
Le narcissisme moral est donc en lien avec l’idéal propre de l’individu, auquel chacun cherche à correspondre pour s’estimer moralement, et ainsi retrouver un sens à son existence. Ce qui fait moralement défaut à l’individu en manque de repère n’est pas d’avoir fauté, mais la honte qu’il ressent d’être resté fixé à une image de lui tout puissante et enfantine, qu’il cherche inconsciemment à reproduire pour s’en sentir fort et se protéger d’une réalité jugée menaçante. « Il a honte de n’être que ce qu’il est ou de prétendre à plus qu’il n’est. » Dans son quotidien, cela se traduit par une volonté d’être pur et en parfaite correspondance avec son idéal moral, lui dictant une manière d’être saine, et une direction à suivre exemplaire. Le discours choisit est alors un bouclier protecteur dans ses fonctions esthétisantes et morales, lorsque l’individu obéit à l’exigence de former une belle totalité en tant que personne porteuse de sens, toujours d’après son idéal. Cette éthique de vie est digne d’un ascétisme dans lequel l’individu se porte volontaire à tout renoncement le rapprochant de son idéal jugé subjectivement comme moralement bon, et devenir un modèle d’humilité fuyant le monde et ses plaisirs. Il y a là une attitude quasi masochiste, mais dont le narcissisme moral se différencie en tant qu’il est d’abord animé par la honte de ne pas coller à son idéal, qui peut ensuite être transformée en culpabilité et amener à des pratiques masochistes, lorsque l’individu cherche dans la souffrance morale la punition d’une faute réelle ou imaginaire, en réponse à sa honte existentielle (exemples des mises en échecs systématiques et répétées, empêchant l’individu d’être reconnu et estimé socialement, mais aussi par lui-même en dépassant ses blocages).
Le monde paradoxal du narcissique moral
Dans sa recherche de perfection morale, le narcissique peut se montrer hypocrite dans les faits, lorsqu’il se permet de faire la morale à son entourage alors qu’il ne la respecte pas lui-même, et quand ce qu’il dit ne correspond pas à ses actes. D’ailleurs le fait de le lui dire se traduit souvent par un état de déni, ou de susceptibilité accrue, parce qu’il ne se sent pas coupable de ce qu’il fait endurer aux autres, faute de s’en rendre compte. Il est intéressant de noter qu’en reprenant au mot ce type de narcissique sans se laisser culpabiliser, il est possible de leur retirer toute leur confiance en portant atteinte à leur image idéale qu’ils ont d’eux-mêmes, totalement distincte de leurs actes véritables. Ils perdent alors de leur aplomb en se culpabilisant de s’être fourvoyé, ou se victimise pour se justifier et continuer de nier la vérité, qu’ils ne peuvent admettre au risque de se briser intérieurement. Une des caractéristiques de ce type de narcissique moral est l’arriération affective, qui se manifeste soit dans des comportements enfantins, soit dans des exigences sentimentales (égoïsme, jalousie, agressivité), soit par des mécanismes de compensation de l'insatisfaction qu'elle entraîne (intériorisation, complexe d'infériorité, mythomanie, asociabilité). Il y a là un déni de leur monde pulsionnel et de la place de leur désir dans le monde. Pour aller plus loin, l’individu envie un caractère d’absolu, et est attaché à des rêveries puériles, emphatiques, voire messianiques. Mais la caractéristique la plus évidente de ce genre de comportement, est la faculté qu’à l’individu à se positionner en tête de Turc, tellement il est convaincu de son bon droit, si ce n’est de sa supériorité sur autrui.
Mais pourquoi monter au front de la sorte, pourquoi se donner corps et âme à une cause, qui nous dépasse en tant qu’individu isolé ? La réponse est l’orgueil qui en émane, et masqué derrière des formes trompeuses d’humilité. Ces choix comportementaux qui révèlent un véritable mode de vie politique, appelant à différents renoncements en s’imaginant que si chacun faisait comme soi, tout irait pour le mieux, sont le mortier d’un orgueil immense, qui édifie la personnalité dans une droiture morale à toute épreuve. Mais la raison initiale ayant poussé l’individu à un tel blindage égotique est une fragilité dans son Moi, ne lui permettant pas d’encaisser la réalité, et donc en s’opposant aux stimulations externes risquant d’exciter ses pulsions, l’individu se protège de lui-même en refusant en partie l’expression de ses passions. Il s’agit donc d’un mécanisme visant à protéger l’intégrité de l’individu, qui idéalise des manières d’être en tentant d’y correspondre, et pour se fixer des repères existentielles lui permettant de se reconnaitre. Sauf que répondre à un idéal n’est évidemment pas toujours possible quand la réalité met en échec ses propres conduites, et entraine de la honte plus que de la culpabilité, de la dépendance plus que de l’indépendance. Exemple du jeune travaillant dur à ses cours, parce qu’on l'a bien culpabilisé en lui promettant un bel avenir comparé au fait de finir clochard...stupide morale entrainant la compétition, mais pourtant très répandue.
Le narcissisme moral fait de la morale une jouissance auto-érotique
La satisfaction que trouve le narcissique moral dans ses privations est le sentiment d’être meilleur par le renoncement, fondement de l’orgueil humain. Ainsi l’individu dans son auto-privation se replie au cours d’un retrait de plus en marqué, qu’il rencontre des difficultés selon ses responsabilités. L’adolescence étant le moment où le renoncement est le plus affirmé, même si l’individu ne reconnait pas les raisons idéologiques de ses privations, toujours en se justifiant parce qu’il manquerait soit disant d’argent, de temps, d’énergie, d’intérêt, etc...bref l’individu passif et manquant de philosophie de vie pour se fixer des repères existentielles, ne se donne pas les moyens d’être ce à quoi il aspire secrètement. Pourtant il s’agit bien pour le narcissique moral de se vouloir pur dans un refus factuel, de dire « non » en renonçant au monde ainsi qu’à ses plaisirs comme à ses déplaisirs, en sachant tirer plaisir du déplaisir, toujours par orgueil. Certains vont plus loin que le refus du plaisir ou du déplaisir, en recherchant seul et dans la neutralité, une volonté d’endurance ascétique pour se rapprocher de leur vision absolu de la perfection, état d’équilibre où il ne serait plus soumis à des pulsions et passions dont ils ont honte. Si la souffrance n’est alors pas recherchée, elle n’est malheureusement pas évitée pour autant (contrairement au masochisme).
Pour en revenir à l’aspect enfantin de ce type de caractère, et que l’on pourrait associer à des bouderies, le narcissique moral veut être grand en ressemblant à l’idéalisation qu’il se fait des parents ayant appris à maitriser leurs pulsions, et ainsi arriver à contrer son sentiment d’être comme un enfant, toujours en quête de reconnaissance dans besoin d'être loué, et c'est ce dont il a honte. C’est donc comme un enfant dépendant de ses parents, que le narcissisme moral pousse l’individu à gagner l’amour et l’estime d’autrui, au travers d’actes moraux qui sont socialement reconnus et valorisés. En cas d’échec, son orgueil redouble d’intensité en prônant toujours plus de volonté de renoncement et de privation, parce que l’honneur d’un individu honteux, n’est jamais sauf. Seule sa fierté peut lui faire retrouver intégrité et dignité, et le sauver de lui-même. Comme toute personne en manque d’estime de soi, le narcissique moral a donc besoin d’une reconnaissance d’autrui, en lien au sacrifice du plaisir pour se sentir exister, tel un égocentrique qui ne peut s’apprécier qu’au travers du regard d’autrui, faute de s’aimer lui-même. Autrement l’individu se sublime dans le travail ou d’autres domaines d’activité, qui satisferont son idéal moral et le feront s’oublier, en se retirant d’un monde pulsionnel intérieur bien trop excitant pour être supporté.
A propos des pulsions et de la honte que l’on s’en fait
Ce repli pulsionnel et passionnel s’effectue au nom de la morale, pour endiguer l’agressivité croissante que l’individu ne peut plus contenir. Exemple typique de la personne disant s’isoler pour ne pas commettre un meurtre, parce qu’elle est sur le point de perdre toute retenue dans une situation qui ne lui convient pas. L’importance du cadre est donc primordiale pour ne pas péter les plombs, lorsque son degré d’insatisfaction n’est plus tolérable, et que l’individu n’arrive plus à réfréner ses pulsions agressives. On retrouve là le phénomène de l’adolescent ne supportant plus ses parents, l’environnement scolaire, et le modèle sociétal précaire qui ne lui donne pas envie. Sans être rassuré il ne peut se sentir sécurisé, et se retrouve en proie à des angoisses existentielles, faute de plus de repères faisant sens pour lui. Et si on lui a tout promit, il a la flemme de suivre un idéal parental qui n’est pas forcément le sien, parce qu’il est complètement individualisé et seul, perdu dans un tel flou, que la complexité de la réalité lui donne des vertiges qu'il n'arrive ni à formuler ni à exprimer, et dont il se sent honteux.
Quand le cadre dans lequel l’individu évolue, lui révèle ses insuffisances et vulnérabilités, en plus de lui saper son peu de confiance en lui imposant d’être compétitif dans un marché concurrentiel, il ne peut s’estimer correctement et s’émanciper. Alors il se replie dans des apparences d’assurances, et fait possiblement preuve d’un narcissisme moral dont le bénéfice substitutif est un orgueil, lui assurant une reconnaissance personnelle selon la morale qu’il suivra. En se fondant dans un moule idéologique, il peut cacher ses faiblesses derrière des masques d’humilité, des discours ou des choix menant à des actes louables, réparateurs, et libérateurs. L’orgueil est donc la satisfaction substitutive du renoncement du désir et de l’assouvissement pulsionnel. Mais si en apparence le narcissique moral proclame n’avoir besoin de personne, en réalité il est dans une relation de grande dépendance avec son entourage. Effectivement, en projetant inconsciemment sur autrui ses idéaux, son entourage devient le garant de la reconnaissance de sa morale, et le narcissique attend alors d’autrui un amour inconditionnel sous la forme de reconnaissance, d’approbation ou d’admiration, pour sa vertu exigeant tous ses sacrifices pulsionnels. Et dans le cas où il défaillirait en manquant ses objectifs, la dépression guette le narcissique moral, qui s’en prévient en usant donc d’apparences conformes avec ses idéaux et ses manières d’être idéalisées, et ce au détriment de sa vraie personnalité.
Si cette forme de narcissisme a un côté positif en tant qu’il protège l’individu, dont la personnalité est fragile, il est par ailleurs essentiellement négatif en valorisant le renoncement comme défense contre la privation et le manque d’être à soi. C’est le schéma classique préventif qu’est le fait de se désintéresser de tout, pour n’avoir plus rien à perdre. Mais n’est-ce pas nier le manque, l’incomplétude de chacun ? manque que l’on cherche à éviter alors que la complétude est impossible, manque qui va creuser l’écart existant entre ce qu’est l’individu réellement et son idéal de perfection, d’où naitra la honte de pas être à la hauteur de ses espérances.
LES AUTRES ASPECTS DU NARCISSISME
Le narcissisme se déclinant dans des dimensions intellectuelle, corporelle et morale, ce dernier est en relation avec les deux autres.
Le narcissisme intellectuel est une forme d’auto-suffisance et de valorisation de son intellect, que ça soit dans un but de maitrise ou de séduction. Il s’agit là d’une recherche intellectuelle de caractères moraux, comme le fait de trouver les raisons d’un fondement d’une éthique philosophique, ou d’un ordre divin pour le théologien, et ainsi lutter contre une vie pulsionnelle à dépasser, refouler ou éteindre. La commune honte de sa vie pulsionnelle peut pousser à se rassurer en comprenant le pourquoi du comment des choses, ou à développer une argumentation pour se justifier, même si une petite voix dans sa tête devine malgré tout les buts cachés des raisonnements et constructions mentales. Cette petite voix tourmentant les individus quand à leur fantaisie, leur mensonge et leur manque de respect, alimente d’une part la honte d’être passionné, et d’autre part l’intellect pour se raccrocher à une morale digne de l’image que l’on veut se porter. Cette tendance à l’établissement de règles morales révèle une véritable activité paranoïaque, qui constamment remodèle le réel selon les vécus instinctuels des individus et des masses, et ainsi résolve les conflits qui en émanent dans une possible sublimation individuelle ou collective.
Si les connivences intellectuelles du narcissisme moral peuvent se perdre dans des jactances et autres justifications rhétoriques, le corps lui ne trompe pas. Il témoigne par sa posture et ses formes de la droiture morale de l’individu, morale qui le sculpte dès le plus jeune âge en favorisant certaines attitudes forçant le respect, et refusant quelques positions suggérant le plaisir et la séduction afin de conquérir autrui. Pour le narcissique moral, le corps est un quasi supplice qui va à l’encontre de sa raison, et trahit ses envies et pulsions malgré lui. Il est à l’origine de malaises corporels tels les bruits intestinaux, pleurs, rougeurs, tachycardie, sudation, sensations de froid ou de chaud, et autres contractions musculaires traduisant un mal-être dans sa peau, un conflit entre corps et esprit, entre pulsions et raisons morales. Démuni devant ses manifestations physiques, le narcissique moral nie pour sauver les apparences ou se sent honteux, mais il peut aussi ne pas se rendre compte de ses gestes, quand le fantasme le domine. Mais cette souffrance plus ou moins affichée et perceptible est la preuve d’une vie intérieure intense et dévoilant la grande raison du corps, face à la petite raison de l’esprit. Ce corps qui pense avant que la conscience n’est pu formuler ce que ça veut signifier. L’orgueil tendant à vouloir se faire paraitre neutre et humble dans un contrôle défensif du corps et de ses bouillonnements pulsionnels, vecteurs d’angoisses viscérales. Si la morale est trop brutale en étant intolérante contre quoi elle se protège, la souffrance psychique induite est constatable et mesurable aux degrés des troubles physiques liés. Alors la maitrise du corps pousse à un engourdissement somatique, annonciateur d’une regrettable mort intérieure, paralysant l’individu dans sa vie psychique.
POLITIQUE
Le narcissique moral est persuadé de savoir mieux que les autres ce qui est bon pour eux, quitte à le leur imposer, tant il est convaincu d’œuvrer pour le bien du plus grand nombre. Il est ainsi animé par une volonté teintée de bonnes et généreuses intentions, motivé par un sentiment altruiste de justice sociale. Sauf que le narcissique moral se protège derrière le bien fondé de ses louables intentions, pour justifier ses décisions et ne pas toujours assumer ses actes et leurs conséquences. Il s’agit là des tenants du politiquement correct et de la bien-pensance l’accompagnant d’une pensée se voulant souvent unique, qui codifient les discours en nuisant à la liberté d’expression, et permet le mensonge dans la désinformation, puisque seules les bonnes intentions comptent pour les acteurs et les spectateurs de la comédie politique.
C’est de cette façon que le narcissisme moral réduit les personnes à leurs idées et non à leurs actes, à leurs discours enjolivés et non aux effets produits, en affectant tous les aspects du débat politique et culturel. Il n’est donc plus moralement permit de penser autrement que ce qu’une caste médiatique et influente impose aux gens par le biais de la culpabilité, et tendant à instaurer une vision des choses uniformisées et lissées. Les plus réceptifs accepteront cela comme une évidence, et entraineront par leur bonne parole les individus désireux d’être acceptés en pensant comme la masse, quitte à s’approprier fièrement le discours ambiant comme étant leur propre moral. Sans plus de remise en cause, des idées plus ou moins justes et avérées peuvent émerger et gouverner les consciences, dans une domination idéologique.
Les techniques de manipulation servent ensuite à rassembler ou diviser, mais toujours dans le but de ramener à sa cause intéressée des individus initialement désintéressés. Ici s’articule les affects de la politique, de manière immorale en culpabilisant les individus honteux, en les désinformant avec des réponses données à des questions précises masquant les vérités dérangeantes, et en ne mettant jamais en perspective les faits actuels pour que la masse prenne du recul. C’est donc dans une dynamique manichéenne que les puissants élaborent par le biais des médias, des visions dualistes du monde, où s’opposent le bien et le mal, le bon et le mauvais, sans plus de nuance et d’explication remettant en cause la fausse bonne morale, qui maintient les spectateurs dans l'immédiateté du spectacle de la communication politique. Ces tendances s’appliquent en économie, quand une récession parait nécessaire pour parer à la dette croissante des pays, en géopolitique, quand on se doit d’intervenir dans des guerres au nom des Droits de l’Homme, ou en écologie, quand il n’est plus concevable de nier la responsabilité humaine dans le réchauffement climatique. De ces affirmations naissent des oppositions contraires, et d’infinies possibilités de récupérations politiques, dogmatiques et simplifiées à l’extrême, pour satisfaire un futur électorat ignorant dans son grand ensemble la complexité des phénomènes se jouant dans notre société.
La morale s’affirmant en se cachant derrière ses bonnes intentions, le narcissique persuadé d'être dans son bon droit affirme qu’il est essentiel de lutter par tous les moyens pour son projet, même si ses croyances prônées comme des vérités sont contestables ou indéterminées. Le problème venant le plus souvent de l’ignorance et la crédulité des acteurs médiatiques et des spectateurs, relayant des informations incomplètes, hors contextes, si ce n’est erronées. Mais ce n’est pas pour autant qu’il faut condamner le narcissisme moral, parce que des actes en accord avec les bonnes intentions les instiguant, peuvent améliorer les problèmes sociétaux rencontrés et favoriser l’adaptation à tendance égalitaire des différentes classes sociales, dans une société toujours plus technologique. Il serait ensuite indispensable de critiquer les conséquences des décisions prises pour juger de si elles ne correspondent pas aux propositions initiales, dont le représentant exhibitionniste, et beau parleur politicien, est le reflet flatteur d’individus moralement influençable, et pouvant défendre une cause qui leur est par ailleurs nuisible.