Tridimensionnel
Cheval théorique
- Inscrit
- 27/4/16
- Messages
- 7 250
Hello ! Au hasard de facebook je suis tombé sur ce texte, il a été posté le 4 septembre par une personne du nom de Joachim Mllner. Je vous le partage parce que j'étais justement en train d'écouter une série de podcasts des Pieds sur Terres sur les hommes violents et ce texte a d'autant mieux résonné en moi qu'il reprenait un certain nombre de points-clefs. J'ai passé 3 heures aujourd'hui à écouter parler des hommes coupables de violences conjugales, à me heurter auditivement à leur déni et à leur vision de la société, de l'humain, des rapports homme-femmes. Et là, une sorte de méta-étude subjective de pourquoi les victimes restent : c'est le même déni, la même vision de la société, de l'humain, des rapports homme-femmes.
Joachi Mllner a dit:(Attention c'est beaucoup trop long si ton cerveau a décidé de traiter ce sujet entre 2 pouces bleus et 3 vidéos de chatons... C'est une Histoire de 4 pages A4... Et de 5 ans aux Urgences Médico-Judiciaires de l'Hôtel Dieu).
Je suis donc médecin psychiatre et travaille entre autres aux Urgences Médico-Judiciaires de l’Hôtel Dieu, à Paris. Dans ce cadre, nous voyons des victimes d’agression (violences, harcèlement, violences sexuelles, attentats, tentatives d’homicide etc.). Nous les voyons sur réquisition judiciaire d’un Officier de Police Judiciaire (policier qui a fait des études complémentaires de Droit et a donc des responsabilités supplémentaires, c’est lui qui est chargé de l’enquête).
La mission que nous avons est d’évaluer la gravité du retentissement psychologique, c'est à dire une évaluation de la gravité des répercussions que ces violences ont eues sur le psychisme de la victime comme cela est fait sur le plan physique avec l'évaluation des « coups et blessures ».
Nous répondons à cette réquisition en décrivant lesdits faits (« lesdits » car nous n'étions pas là et ne pouvons que reprendre ce que la victime nous dit de ce qu'il s'est passé), le contexte de vie, la symptomatologie psychiatrique présentée au décours des événements et concluons d'une part en indiquant que le retentissement est léger/moyen/important/sévère, et d'autre part en décidant d’un nombre de jours d’ITT (Incapacité Totale de Travail). Ces ITT correspondent à un nombre de jours pendant lequel on peut considérer que la victime n’a pas pu vivre normalement dans la vie de tous les jours. En fonction du nombre de jours, c'est tout d’abord la juridiction compétente pour juger l'affaire qui est décidée : jusqu’à 8 jours d’ITT c’est une contravention jugée par un tribunal de Police, au delà de 8 jours c’est un délit jugé par un Tribunal Correctionnel, sauf dans certaines situations qui sont de toutes façons des délits comme les violences conjugales, ou les violences sur personnes dites « vulnérables » c’est-à-dire mineurs, femmes enceintes, et personnes âgée. Ces jours d'ITT déterminent également la gravité des faits et donnent donc plus ou moins d'arguments au juge pour pouvoir, en ce qui concerne les violences conjugales par exemple, faire des ordonnances d’éloignement du domicile, des interdictions de rentrer en contact avec la victime, et condamner l’accusé au pénal et au civil.
Dans le cadre de cette activité, sur une journée type à l’Hôtel Dieu, nous voyons 4 victimes le matin et 2 victimes l’après-midi, en plus des patient.e.s dites « surrajouté.e.s » qui sont vues dans le cadre d’une « garde à vue en cours » lorsque ce sont des situations de violences conjugales répétées et que le type est en garde à vue.
Dernier truc avant de parler des violences conjugales plus précisément, pour que quelqu’un soit en Garde à Vue et donc sous les mains de la Police de base pour 24 heures renouvelables une fois, il faut qu’une autre personne ait déposé plainte contre la personne, ou bien que la Police elle-même décide de poursuivre la personne. Au décours de cette GAV, l’OPJ transmets les données de l’enquête au Procureur de la République, donc le « Parquet », et c’est lui qui décide si la personne doit être présentée immédiatement à un juge (comparution immédiate), si elle doit être relâchée avec un RDV chez le juge, si elle doit être placée en prison de manière « préventive » en attente de son jugement et en raison d'un mandat de dépôt, ou bien si l’affaire est classée sans suite. Nos évaluations sont donc, pour certains dossiers et en particulier pour les violences conjugales, particulièrement attendues par les OPJ, tant les policiers se retrouvent le plus souvent avec la parole de l’un contre la parole de l’autre.
Le 1er élément que j'aimerais vous partager de notre expérience est la quantité absolument terrifiante de ces violences. À l'Hôtel Dieu, tous les jours, tous les jours, tous les jours, nous voyons des violences conjugales.
Les violences faites aux femmes par leurs conjoints et autres maris ont tué 121 d'entre elles en 2018, 130 en 2017, et déjà 101 en 2019.
Tous les jours nous recevons des femmes violentées par leur conjoint.
La 2ème chose que je voudrais échanger avec vous ici, ce sont les grands facteurs que j'ai vus revenir encore et encore dans les discours, les vécus, et les expériences rapportées par les femmes victimes de violence. Beaucoup de choses ont déjà été écrites là-dessus, et il y a par exemple cette très bonne vidéo que j'ai vu ce matin sur le sujet: https://www.facebook.com/franceinfovideo/videos/2699169530126528/ , mais bordel, 101 personnes ont déjà été tuées depuis le début de l’année et j'aimerais enfin partager un bout de mes 5 ans de pratique dans ce marasme des Humains.
• Culture Patriarcale : C'est le 1er truc. La base. Le fondement. La structure. Le 1er truc à bilanter. Chez les femmes, chez les hommes, par les femmes, par les hommes. Dans le Monde entier et depuis d'immémorables lustres, il y a cette Culture machiste, phallocrate, cette « forme d’organisation sociale et juridique fondée sur la détention de l’autorité par les hommes » qu’est le patriarcat. Ce patriarcat se retrouve tant et tant dans les discours des femmes que je rencontre. Il se retrouve dans ce qu'elles ont appris à trouver normal ou pas, dans ce qu'elles ont appris à penser normal de supporter ou pas. Il se retrouve aussi bien évidemment dans le discours de ces types que je vois en garde à vue, ces types qui rationalisent tant et quasiment toujours leurs actes par un : « elle m’a poussé à bout ». Personnellement, et même si cela existe évidemment, je n'ai jamais entendu une histoire de femme poussée à bout par son mari qui termine en garde à vue pour coups et blessures sans que le conjoint y soit aussi. C’est évident que ça existe mais je n’en ai jamais vu en 15 ans de médecines et 5 ans d’exercice à l’Hôtel Dieu. Il y a donc là-dedans une dimension culturelle majeure et indéniable ; un patron sur lequel se brodent ces grilles de lecture archétypales et parcellaires du réel, dont nous sommes Toutes et Tous là ici maintenant chaque jour à chaque instant plus ou moins dépositaires et plus ou moins les pourvoyeurs.
• Alcool et psychotropes : La consommation de produits et en particulier d’alcool est très très très souvent retrouvée dans les violences en général, et dans les violences conjugales en particulier. L'alcool est un pourvoyeur majeur de violences. Combien de fois n'ai-je pas entendu : « il est tout à fait calme et aimable quand il ne boit pas... il s’excuse à chaque fois… C'est quand il boit que ça va pas ».
• Le Pardon : Toutes les femmes qui restent avec de tels types disent la même chose : « il m'a présenté ses excuses... il était trop mal… je lui ai pardonné », quand ça ne sont pas des propos plus tordus et donc plus difficiles à défaire du genre : « Mais lui-même il est désolé, il souffre, il pleure de tout ça... C'est parce qu'il m'aime tellement que ça le fait souffrir… C’est ce qu’il me dit en tout cas ». Il y a donc bien souvent un pardon qui est accordé et qui est sincèrement basé sur la croyance en la sincérité de l'agresseur. Ce qui est bien étrange c'est que, si l'auteur des violences était un simple inconnu, jamais de la vie il ne serait question de pardon plutôt que de dépôt de plainte, alors que si l'auteur est pourtant la personne qui est censée être celle qui nous protège le plus au Monde, il est possiblement question de Pardon. Il n'y a donc évidemment rien de rationnel là-dedans et c'est expliqué par la suite.
• L’Espoir : De la même façon il y a cette croyance associée aux excuses que « ça va pouvoir changer »… que « ça va s'arranger », « je le crois quand il me dit que ça n'arrivera plus ». Le truc de base que je pense et que je dis à chaque fois c'est que, par définition, si cela est arrivé une fois c’est donc par définition que cela pourra à nouveau arriver, et que, sauf à avoir pu analyser rigoureusement et traiter radicalement les causes de ces violences, il est absurde, illogique, car en fait tout simplement irrationnel, de penser que cela va pouvoir changer. Mais alors pourquoi cette irrationalité ?
• L’Amour : Oui. Aussi trivial cela puisse paraître et aussi choquant cela puisse apparaître aux yeux de certain.e.s, la 1ère des causes de ce bordel et que j’ai entendu tant et tant de fois invoquée, est ce que les Humains appellent l’« Amour »… « Oui… Mais je l’aime ». Aussi étrange cela puisse paraître, il est toujours question de cet « Amour » qui était là et qui « empêchait de partir », ou de cet « Amour », si « intense au début », et si « intense lorsqu’on se retrouvait après des disputes ». Pourtant, je le dis tranquillement, en particulier depuis que je fais ce métier, je ne sais absolument plus ce que c’est ce que les gens appellent l’ « Amour ». Je sais évidemment l’utilisation culturelle qui est faite de ce terme et connais moi-même l’utilisation que j’en ai par exemple en rapport avec l’immensité de ce que je ressens pour les miens ou pour ma tant aimée compagne, mais je sais aussi combien il ne caractérise en rien une entité claire, définie, et donc existante. Ce concept est un conglomérat d’émotions, de sensations et de représentations qui bénéficie d’autant de définitions qu’il y a de personnes sur cette Terre… Tout exactement comme ce que des gens appellent « Dieu ». Ce que les gens appellent « Amour » c’est cet original mélange d’amitié, de sexe, de dépendance, de partenariat de vie, de partenariat pour l’éducation… Cette chose qui nous dépasse tant elle commence bien souvent par de la « passion amoureuse » pendant laquelle notre cerveau est tranquillement conditionné pour avoir envie de faire l’Amour 15 fois par jour et d’augmenter ainsi la probabilité de perpétuer l’espèce… Cette chose qui évolue ensuite et devient aussi originale qu’il y a de relations sur cette Terre. Point barre. Le reste c’est de la chimère culturellement conditionnée, ce dogme qui nous apprend à croire que « la vie ne vaut le coup d’être vécue sans Amour », et que le vrai le grand « Amour » c’est cette passion qui ne peut, pourtant, biologiquement et neurologiquement que finir par passer, une Histoire de relation à 2 (et surtout pas plus hein ouhlala attention), avec une personne de sexe opposé pour les plus coincés du bulbe, pour la vie et jusqu’à ce que la mort nous sépare. On comprend le rationnel du truc quand on mourrait à 35 ans à la Guerre ou d’une infection de môlaire… Mais pourquoi en rester là aujourd’hui? Au 3ème millénaire? Alors que nous vivons jusqu’à 85 ans, pour de plus en plus d’entre nous dans des villes, et que donc 1 mariage sur 2 saute, et que, quand même, tout le monde continue à hurler à la Mort, à se dire que c’est l’horreur, que c’est un « échec » si on se sépare, et que la plupart se mettent sur la gueule, si ce n’est physiquement au moins par les mots?
• Le manque de Culture de la gestion de conflit : Une autre chose claire, c’est le manque d’apprentissage et donc de connaissances que nous avons toutes et tous pour gérer les conflits. Je pense sincèrement que l’absence d’apprentissage de la communication non violente, du fonctionnement de la psychologie humaine, du fonctionnement de notre cerveau et de nos émotions, des stratégies à développer en cas de conflit, l’absence d’apprentissage de comment souffler un bon coup et remettre à plus tard, et de comment arrêter de jouer notre vie à chaque soucis, de comment apprendre combien la plupart des conflits sont liés à de l’incompréhension, et de combien nous devons apprendre à tolérer qu’autrui, qui lui aussi n’a qu’une seule vie à vivre, ne soit tout bonnement pas de notre avis, je pense sincèrement que tous ces manques sont des causes majeures de conflits interpersonnels et donc potentiellement de ces violences. On préfère nous apprendre les carolingiens et Hugues Capet à l’école que de nous apprendre ces trucs utiles… Bah ouai tu m’étonnes… On voit bien l’intérêt qu’il puisse y avoir à apprendre les dates de baptêmes des rois plutôt qu’à nous doter des moyens de réfléchir et d’agir avec sagesse.
• La Croyance que « c’est mieux pour les enfants » : il y a une autre croyance qui entraîne bien souvent un entretien coûte que coûte du couple, c’est la croyance entretenue par 70 ans de psychologisme archaïque bercé à la sauce réac du « couple à 2 jusqu’à ce que la mort nous sépare », que si les parents se séparent, les enfants iront nécessairement mal. C’est faux. Il vaut beaucoup beaucoup beaucoup mieux pour des enfants que leurs parents se séparent plutôt que de voir leur père violenter leur mère. Alors oui bien évidemment que pour l’équilibre psychique des enfants c’est plus confortable que les parents soient ensemble, et encore, si ils naissent dans une société qui valorise cela comme la Société Occidentale, mais si et seulement si ils ne sont pas eux-mêmes violentés par les violences auxquelles ils assistent. Et enfin… Faut le dire… Avec un couple sur 2 aujourd’hui en France qui se sépare et le nombre d’autres modèles d’éducation qui existent dans le Monde, ça se saurait si la société était devenue tragiquement pétrie d’enfants dépressifs et malheureux.
• Ne pas vouloir faire du mal au père de ses enfants : Il y a, bien souvent, cette idée que c’est celui ou celle qui porte plainte contre une autre qui est responsable de la garde à vue ou de la condamnation de l’auteur et donc de lui faire mal. Les hommes violents sont d’ailleurs de potentiels génies de la manipulation pour réussir à faire porter à l’autre le chapeau de la responsabilité de leur propre violence et donc pour culpabiliser leurs victimes. Un truc fondamental est de se rappeler que l’on n’a pas d’autre choix que de porter plainte pour se protéger soi. Sauf à user de violence soi-même qui risque de vous mettre vous-même dans la merde, et sauf à vous enfuir à l’autre bout de la Terre, porter plainte est bien souvent le seul moyen de déclencher une protection et une mise à l’abri. Et par contre, ce que la plainte déclenche, ce qui arrive potentiellement à l’agresseur, c’est le boulot de la Police, des juges, et c’est de sa responsabilité à lui liée à ses actes à lui. Point barre. Ce sont les coups qu’il a donnés à sa femme qui envoient un mari en prison. Pas le fait qu’elle ait porté plainte. « Le pauvre il est en GAV il doit souffrir »... OK oui vous avez le droit de penser cela c’est tout à votre honneur de ne pas lui vouloir de mal car cela ne changera en effet jamais rien à ce qu’il vous a fait subir… Mais protégez-vous de ce sentiment en vous concentrant sur votre défense contre cet individu, car c’est lui qui vous a fait souffrir et du fait qu’il vous a fait souffrir qu’il en souffre peut être lui aussi maintenant. C’est lui-même qui se fait souffrir avec la merde qu’il a commise. Vous, vous n’avez fait que demander protection. Point barre. C’est la victime qui se protège en portant plainte, en demandant à un tiers censé être plus puissant que tout individu ou toute cellule familiale et qui est l’État (ce que je dis là ne tient donc pas pour les milieux mafieux par exemple), et c’est l’agresseur qui répond de ses gestes, de son comportement et de leurs conséquences. Point barre.
• Penser que l’on pourra aider : Ceci est un des rouages de l’engrenage qui amène à tolérer l’intolérable. La croyance en l’idée que l’on pourra aider la personne violente, la violence étant en effet bien souvent l’apanage du faible qui ne sait pas faire autrement, les hommes violents étant souvent eux-mêmes bien cassés de la tête, bien confits de fragilités, et au moins par exemple bien souvent celle de l’addiction qui fait péter les neurones. Il y a bien souvent cet engrenage qui se fait à partir du moment où l’on se sent valorisé.e à ses propres yeux de « réussir à tenir », de « réussir à supporter », notamment au nom de l’ « Amour » ou de « nous 2 », ou des « enfants », et dans le but de pouvoir « aider la personne à aller mieux ». C’est là qu’il faut à nouveau être clair : danger absolu. C’est de la merde. Il ne s’agit pas de souhaiter la souffrance de l’autre, ça n’a jamais empêché de souffrir soi-même. Mais il faut qu’il soit hors de question de se faire croire que c’est nous-mêmes, nous qui sommes précisément pris dans la problématique relationnelle et bien souvent dans les angoisses existentielles et d’abandon, qui pourront régler le problème. Les conjoints ne sont ni la cause ni la solution aux problèmes de l’autre. Jamais. Ils sont tout au mieux des partenaires avec lesquels les nouvelles expériences de vie peuvent changer des choses dans le logiciel et recâbler quelques réflexes déconnants. Point barre. Nous n’avons qu’une vie, il s’agit de la vivre avec le plus de respect possible pour soi, et donc avec le moins de souffrance et le plus de plaisirs possibles. Quand on associe du plaisir au fait de tenir face à la douleur relationnelle, y a gros danger. C’est bien souvent ce qu’on appelle des relations « toxiques ». Il faut vite repérer ça, soi-même ou avec de l’aide, vite sortir du vase clos, et fuir.
• La Peur de changer de situation : Ça ça parait évident pour toute personne qui a été en couple, sauf à avoir certains traits de personnalité particuliers, nous savons tous combien nos cerveaux, dans des contextes de séparation à venir, essaient de peser le pour et le contre et de trouver des solutions pendant de loooooongues semaines voir mois, avant que la balance ne penche du côté du départ. Pendant de longs mois il est plus simple de remettre au lendemain, plus simple de pardonner, plus simple de rester dans la situation plutôt que de repartir vers l’inconnu, et ce d’autant plus évidemment que sa propre situation est précaire ou que le conjoint menace de mort face à la séparation.
• La Précarité : La précarité est un facteur majeur de non départ. Je n’ai pas les éléments ici pour dire qu’elle est pourvoyeuse de violences conjugales tellement ces violences concernent tous les milieux, mais il est en tous cas clair qu’elle est pourvoyeuse de peur de départ chez la victime. Dimanche encore je voyais une femme sans papier qui se disait « obligée » de rester, depuis 3 ans qu’elle subissait des violences avec un enfant en bas-âge, parce qu’elle n’avait pas de papiers, pas de travail, qu’elle n’avait donc nulle part où aller, pas d’argent pour se payer un hôtel, et peur que son mari la dénonce à la Police puisque c’est également ce que cette ordure menaçait de faire.
• La Peur : La peur est bien évidemment un des éléments majeurs de l’absence de départ du domicile. Les victimes sont évidemment fréquemment victimes de violences psychologiques avec des chantages au suicide de la part de leurs « « « courageux » » » conjoints, de menaces qu’ils prennent les enfants, ou de menaces de mort. Et d’ailleurs, en toute logique, plus les violences sont déclenchées par l’évocation d’une séparation plus la peur de s’en aller est grande. Cette peur est d’autant plus légitime, et voir même adaptée, que nombre d’homicides de femmes par leurs conjoints ont lieu autour de la séparation que la victime finit enfin par décider. Faut-il pour autant se taire? Bien évidemment non. Demander de l’aide, à sa famille, à ses amis, à des associations, à la Police, préparer sa fuite, peuvent aider à faire le pas, enfin.
• Le Sentiment de Honte : la culture patriarcale étant encore bien hégémonique, notamment particulièrement entretenue par les différents dogmes religieux, la peur du jugement des autres voire de la réprobation par les autres, si ce n’est même de la répudiation par les autres et à commencer par la famille, peut faire que les victimes restent dans ces situations inacceptables. Mais le fait de prendre à témoins 100 personnes et de faire la fête pendant 3 jours en dépensant une fortune sous prétexte de notre « Amour » et pendant un temps que d’aucuns appellent le « mariage » n’est-il pas aussi un moyen social d’enjoindre quelque peu fortement les époux à ne pas « décevoir » les familles respectives et donc à ne pas se séparer ?
• Le sentiment de Culpabilité : de base, dans chaque situation conflictuelle et sauf à avoir une personnalité structurellement paranoïaque ou narcissique, tout le monde se demande au moins quelques secondes si ce n’est pas lui le fautif. Pour peu que l’ordure en face soit particulièrement fin manipulateur, ou que nos défenses narcissiques soient particulièrement effondrées, nous n’arrivons plus à laisser la charge de la culpabilité sur le dos de l’auteur des faits et nous nous mettons à la partager avec elle, voire à la prendre pleinement, ce qui en rajoute évidemment à la violence et à la confusion.
• Le Psychotraumatisme : le syndrome de stress post traumatique est l’équivalent d’une fracture de jambe dans la tête [j'ai vraiment aimé cette formulation]. Je ne vais pas détailler ici ce serait bien trop long mais l’hypervigilance, les conduites d’évitement et en même temps le fait de devoir, de se forcer à, ou de se sentir obligé de rester en contact avec son agresseur est particulièrement déstructurant pour le cerveau. Le remodelage qui se crée du fait des violences crée un traitement des informations totalement confus. Le cerveau de la victime ne sait plus ce qui est « normal » ou pas, ne sait plus à quelle valence émotionnelle en l’occurrence négative associer le vécu. Vos réseaux neuronaux ne savent plus si ils doivent avoir peur ou pas de l’agresseur et cela crée cet état chelou de confusion totale qui peut largement expliquer ce fait social si étrange qui est que les victimes de violences conjugales restent bien souvent avec leur conjoint.
• La perte d'Estime de Soi : Plus les violences sont répétées, plus elles sont également psychologiques avec des propos dégradants « t’es nulle, tu sais rien faire, sans moi tu n’es rien, t’es moche, t’es juste une conne, t’es débile, une incapable, une mauvaise mère », plus vous entendez des saletés à longueur de journée, plus vous restez dans ces situations normalement clairement à fuir, plus vous avez un psychotraumatisme carabiné associé à des éléments dissociatifs, plus votre estime de vous-mêmes s’amenuise et moins vous vous défendez. C’est ce que j’évoquais juste au-dessus en parlant de « défenses narcissiques ». Tout le monde doit avoir ces défenses pour pouvoir se dire « je l’emmerde avec ses conneries je vaux mieux que lui et que ça », par contre si vous n’avez plus ces défenses vous ne réussirez plus à ressentir cette colère qui vous permettrait de vous en aller.
• La Peur de la Police : La peur d’un mauvais accueil en commissariat, ou à fortiori l’expérience passée d’un mauvais accueil en commissariat, sont évidemment pourvoyeurs d’un évitement du dépôt de plainte qui n’est pourtant que le seul moyen de se protéger dans sa fuite. L’absence de blessures physiques visibles est aussi bien souvent un motif de peur d’aller au commissariat et de ne pas être crue tant cela peut se transformer en histoire de « parole contre parole » et tant les agresseurs sont capables d’inventer des horreurs pour se défendre. Pour peu également que les représentations du ou de la policier.e à l’accueil soit elles-mêmes empruntes d’une bonne culture patriarcale, vous entendrez dire que « c’est juste une dispute entre couple » « c’est bon ça va aller » « vous allez pas faire ça au père de vos enfants quand même » ou d’autres abjectes conneries du genre. Il faut absolument noter ici, qu’au-delà ce cette culture patriarcale qui existe dans la Police comme ailleurs, cette institution, comme tous les services publics, souffre d’un manque de moyens notoire. Fort heureusement, la culture changeant peu à peu, cela se ressent évidemment également dans les commissariats. C’est surtout le manque de formation qui est tragique, et le fait que des jeunes gens qui ne connaissent rien à la vie et sortent à peine du bac puissent se retrouver face aux citoyens à gérer de telles situations avec des responsabilités donc bien trop grandes pour leur niveau de maturité et de connaissance. Au-delà de la culture sociétale qui tend, tant bien que mal, à changer, cela s’affine également du côté de la formation professionnelle puisque pour ma part et avec mes collègues médecins légistes des Urgences Médico Légales, nous faisons également des formations auprès de Policier.e.s sur la prise en charge des femmes victimes de viol, et y rencontrons des personnes tout à fait intéressantes et intéressées.
• La Peur de la Justice : La peur de l’engrenage déclenché par la plainte, et à fortiori pour les victimes qui ont déjà vécu cet engrenage, avec les confrontations, les auditions, toutes les saletés les plus absurdes et les plus sexistes que l’autre va pouvoir dire sur vous puisque c’est « parole contre parole », l’absence de condamnation… Tout ça peut faire que nombre de personnes remettent à plus tard ou ne portent tout simplement pas plainte. Et là aussi le manque de moyens tragique alloués à la Justice, juste absolument scandaleux, qui limite bien évidemment la possibilité pour les juges de rendre les jugements les plus justes et intelligents possibles, dans les meilleurs conditions possibles.
Voilà.
J’oublie évidemment des choses.
Mais ça faisait un moment que je pensais important de mettre ces quelques trucs en mots. Ca faisait un paquet de fois que j’avais envie de les hurler face à ces morts qui s’égrènent…
Jour après Jour.
Et dans un silence assourdissant.
Vu le niveau d’intelligence, de créativité, et de courage politique de la bande organisée au pouvoir en ce moment, je peine à penser qu’un « grenelle » puisse changer quoique ce soit. Mais au moins cela permettra de mettre cet insupportable problème sous les projecteurs, et aux différents acteurs de se rencontrer.
Nous avons les idées, nous avons même les structures qui peuvent aider.
Il existe juste ici comme dans tant de domaines relevant des services publics, un faramineux manque de moyens…
Un faramineux manque de courage et d’énergie déployés pour changer notre culture, changer notre logiciel de rapport aux choses, aux autres, et au Monde...
Un faramineux manque de courage pour reprendre la faramineuse quantité d’argent planquée sur les comptes de ceux qui le confisquent.
Du courage.
Pour Chacune.
Et Chacun.