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VIS A VIS DES ADOLESCENTS, DE L’ANXIÉTÉ ET DU STRESS
Cet article est une recomposition de paragraphes prélevés dans différents articles, dont les sources sont dans l'introduction.
Après avoir mis l’accent sur l’importance des relations primaires de la mère et de son bébé dans l'article sur les origines de l'addiction, notons que nous ne devons pas perdre de vue le fait que les addictions ont souvent à voir avec les crises de l’adolescence. Les adolescents, tout comme les jeunes adultes, sont non seulement exposés aux vicissitudes qu’impose la consolidation de leur identité avec leur groupe social mais, de plus, ils se trouvent confrontés à des exigences sociales hautement contradictoires : d’un côté, il y a l’encouragement verbal des parents à « se libérer » (y compris sexuellement, lesquels, dans certains cas, couvrent secrètement ce qu’ils n’ont pas eux-mêmes vécu !) ; d’un autre côté, les adolescents d’aujourd’hui, pour des raison
s financières, se voient obligés de rester longtemps dépendants de leurs parents. Rappelons aussi qu'à l'adolescence, s'opère une reviviscence naturelle des angoisses du passé, ce qui rajoute une complication à l'équation des addictions.
Les néo-besoins, que cherchent-ils à accomplir ?
Si la solution addictive est une tentative d’auto-guérison face à la menace de stress psychique, les états psychiques qui conduisent à l’addiction peuvent se résumer en quatre catégories :
- Une tentative d’éviter les angoisses névrotiques
- Une tentative de réparer une image narcissique endommagée, de retrouver confiance en soi
- Une tentative de combattre des états d’angoisse sévères – parfois avec une tendance paranoïde – ou bien la dépression, qui s’accompagne souvent de sentiments de mort interne
- Une tentative d’échapper aux angoisses psychotiques telles que la peur d’une fragmentation corporelle ou psychique, ou même à la terreur de se trouver devant le vide, là où le sens de l’identité subjective elle-même est ressenti comme compromis (quand on est paumé dans sa vie, dans ses choix d'orientation, de relation, etc)
La compulsion comme solution
Comme aucun élément ou objet appartenant au monde réel ne peuvent réparer des manques dans le monde psychique interne, le comportement addictif souffre inévitablement d’une dimension compulsive. En plus du besoin désespéré de se débarrasser du fardeau des pressions affectives, toutes les formes que prend l’addiction ont pour but non seulement de réparer l’image endommagée de soi-même (estime de soi) mais aussi de régler des comptes avec les figures parentales du passé. Il y a donc, d’abord, une défiance devant l’objet maternel interne (ressenti comme absent ou incapable de consoler l’enfant perturbé qui se cache à l’intérieur de soi). Les substituts addictifs seront toujours là pour compenser les fonctions maternelles défaillantes et le message de base est : « Vous ne pouvez plus m’abandonner parce que maintenant, c’est moi qui vous contrôle. » La preuve étant que les parents n'ont aucun contrôle sur l'addiction de leurs enfants.
Le problème de l’addiction étant que le sujet est contrôlé par l’objet drogue et doit s’y soumettre selon sa tolérance et sa dépendance
Mais l'adolescent dénie ce fait en clivant l’objet drogue comme un bon objet lui apportant satisfaction (idéalisation de la drogue, clivée comme un bon objet), omettant ainsi toutes les conséquences néfastes d’une addiction (jusqu'à ce que la réalité des excès le rattrape). En parallèle opère une deuxième défiance devant le père interne, ressenti comme défaillant dans ses fonctions paternelles et, par conséquent, déchu (déception quand à l'idéal que l'enfant se faisait de son père tout puissant). Sur le plan manifeste, la dépendance addictive renforce la dépendance affective, mais elle la pousse à ses limites par l’excès, par la caricature (les engueulades parents/adolescents typiques).
Enfin, la défiance finale est à la mort elle-même et celle-ci prend deux directions : la première proclame crânement « rien ne me touche, la mort c’est pour les autres ! » ; mais lorsque cette bruyante forme de défense s’effondre et que la sensation de mort interne ne peut plus être déniée, on découvre une soumission devant les pulsions de mort (« le prochain shoot sera peut-être l’overdose, mais je m’en fous »). On retrouve toute la dimension nihiliste post désillusion, quand les idéaux sont tombés et que l'individu n'en a plus rien à faire de sa santé et de son intégrité, c'est la recherche du néant dans l'auto-destruction délibérée (certains se l'avouent, d’autres non, certains la proclament, quand d'autres la cachent).
Reprocher à ses parents de ne pas correspondre à son idéal parental
Quand l'adolescent trouve dans des tiers personnes une écoute attentive et compréhensive, il a la rage contre ses parents qui le critiquent et lui font la morale. Et par l'action de sa culpabilité, on retrouve un retournement contre soi de l’agressivité, l’accroissement de la dépression, de l’autocritique, et des positions masochistes d'auto-destruction ou de prise de risques. Et, si la dépendance addictive peut avoir pour visée première l’affranchissement vis-à-vis d’une dépendance affective aux parents, elle est aussi un moyen de les protéger de la violence pulsionnelle primaire localisée dans l’addiction. En s'en prenant à lui-même, l'adolescent protège ses parents de sa violence nihiliste, de sa rage qu'il éprouve à son égard (problématique de la haine de soi).
Une autre problématique adolescente serait le facteur stress, lorsque l'anxiété pousse le jeune à des réactions de combat, de déni ou de fuite. Mais l'anxiété a plus d'un tour dans son sac pour influencer sur nos comportements dans le cas d'addiction et de sevrage, en bien comme en mal. Voyons ça plus en détails.
L'ADDICTION, UNE SOURCE D'ANXIÉTÉ ?
Si une anxiété préexistante à toutes les échelles – anxiété généralisée, phobie sociale, trouble panique, syndrome post traumatique – peut expliquer le recours à l’usage de drogues ou l’entrée dans la dépendance, il est tout aussi indéniable que la conduite addictive va devenir source d’anxiété. C’est d’évidence le cas pour les formes de dépendance à faible dose de benzodiazépines, qui sont utilisées comme anxiolytiques ou hypnotiques, mais qui, tolérance oblige, finissent par ne plus remplir leur rôle, alors que le patient en est devenu dépendant. Il devient, avec le temps, difficile de faire la part de ce qui relève du syndrome anxieux initial, et de ce qui est directement dû aux signes de sevrage.
L’anxiété, la nervosité, les insomnies, les manifestations de « stress », font partie de tous les syndromes de sevrage, quel que soit l’objet de l’addiction. Ainsi, paradoxalement ce qui initialement, peut avoir fonction de rassurement, devient en soi source d’anxiété. Les modèles explicatifs des addictions font une large place à ce style de cercle vicieux, dans lequel ce qui initialement apaisait ou procurait du plaisir, en vient peu à peu à aggraver le malaise initial.
L’addiction, une automédication ?
Cette automédication peut, à court terme, correspondre à l’effet direct des produits : l’alcool peut avoir une fonction désinhibante, les opiacés sont de formidables anesthésiques qui calment toutes les formes de douleurs et d’angoisses, les stimulants et les empathogènes redonnent confiance en soi. Il existe donc une rationalité dans l’usage de substances, tant de façon positive (recherche de plaisir) que négative (évitement de la souffrance et de l’angoisse).
Mais l’automédication n’est jamais si simple et logique : les excitants et le jeu, qui ne sont pas du tout sédatifs, peuvent être utilisés dans le même but de lutte contre l’anxiété. L’habitude, le caractère éminemment prévisible des séquences addictives, joue le rôle de rassurement, et ce même dans le cas de conduites transgressives et risquées. S’il est possible de voir surtout la recherche de risque et de sensations dans le fait de jouer, ou de prendre des drogues, l’engagement dans la dépendance confère à la drogue ou à la conduite une autre valeur : l’aventure se transforme en routine dans le passage de l’abus à la dépendance. Ceci explique les discordances régulièrement retrouvées en matière de recherche de sensations, entre les « usagers fréquents » et les « dépendants », ces derniers apparaissant comme moins preneurs de risque et moins chercheurs de nouveauté en s'en tenant à une consommation régulière et routinière structurant un cadre de vie défini.
LE STRESS - Stress et addiction, de multiples facteurs causales
Le stress aigu ou chronique est un facteur pivot dans plusieurs théories sur la motivation dans le domaine des abus de substances. Par exemple, une hypothèse suggère que l'utilisation de substances addictives sert à réduire les affects négatifs, à favoriser les affects positifs, renforçant ainsi la prise de substances comme stratégie de fuite en avant efficace, mais inadaptée. Ce type d'hypothèse postule que la motivation à améliorer l'humeur est plus importante lors d'états de stress aigus ou chroniques. Une substance peut être utilisée initialement pour moduler une tension ou un désagrément ; par la suite la prise de substance peut devenir une réponse généralisée pour soulager le stress, mais aussi pour favoriser les effets euphorisants.
L'exposition à certains types de stresseurs augmente la probabilité d'auto-administration de substances comme la cocaïne, l'alcool ou la nicotine chez l'animal. Certaines études chez l'homme ont confirmé ces observations (problèmes au travail, problèmes familiaux, relationnels, financiers, etc). Chez des «buveurs sociaux», l'exposition à des stresseurs tels que la peur de l'évaluation interpersonnelle, la colère due à des provocations et l'exposition à des problèmes insolubles, peut être associée à une augmentation de la quantité d'alcool consommée (comparée aux quantités consommées en situations non stressantes). Les patients alcoolodépendants sont aussi connus pour augmenter leur consommation d'alcool lors de situations stressantes, et les fumeurs leur consommation de tabac dans des situations anxiogènes. Ceci peut être accompagné par une appétence intense (craving) pour la substance et par une activation physiologique. Les procédures de désintoxication et les symptômes de sevrage constituent aussi des stresseurs, provoquant une activation sympathique, mesurable, entre autres, par une augmentation de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle.
Stress et rechute
L'exposition au stress a été associée à la réactivation de comportements de recherche de substance chez l'animal précédemment désaccoutumé, ainsi qu'à des rechutes chez l'homme. Le stress est même considéré comme l'un des facteurs prédicteurs majeurs de rechute (le stress fait perdre ses moyens, ses repères temporels et nuit à son cadre de vie bien établi, que l'individu cherche à retrouver dans des consommations pour gagner en stabilité). La capacité de gestion du stress, par contre, semble être un bon facteur protecteur contre la rechute chez le fumeur, chez le sujet alcoolodépendant ou héroïnodépendant ainsi que chez les abuseurs de cocaïne. Des stratégies considérées moins efficaces, comme celle de l'évitement, semblent finalement particulièrement fréquentes chez les patients toxicodépendants (solution de facilité).
Les données épidémiologiques
Les données, en matière d’usage et d’abus d’alcool, mais aussi de substances illicites, tendent à confirmer les hypothèses théoriques, et montrent aussi qu’il n’existe pas un modèle unique de lien entre anxiété et addictions. Elles montrent en effet une forte augmentation des troubles anxieux (anxiété généralisée, phobie sociale, agoraphobie, trouble panique, syndrome de stress post-traumatique) chez les alcoolodépendants comme chez les toxicomanes. Mais elles soulignent aussi que les syndromes anxieux précèdent souvent la survenue des troubles addictifs : elles ne tranchent donc pas sur le sens d’une causalité entre les deux catégories de troubles. Dans le cas de sujets présentant des troubles « externalisés » (conduites antisociales, hyperactivité…), l’anxiété serait un facteur de moindre risque d’abus ou de dépendance (la crainte des dommages ou de l’interdit social jouant un rôle protecteur).
Que traiter en priorité ?
Ces données montrent bien qu’il convient de ne pas sous-estimer les divers syndromes anxieux préexistants, et valident donc, au moins partiellement, une vision de l’abus et de la dépendance comme automédication. Mais elles montrent aussi, notamment quant aux différences entre usage d’alcool et de drogues illicites, que l’anxiété peut être un facteur de protection contre les formes les plus transgressives et les plus explosives d’usage de substances psychoactives (pratique RdR par peur du risque de se faire du mal en consommant).
Faut-il donc, en cas de coexistence d’un syndrome anxieux et d’une addiction, traiter préférentiellement l’un ou l’autre ?
Contrairement à la vision théorique, selon laquelle il faudrait traiter le « problème de fond » sans trop se préoccuper du « symptôme » addictif, le traitement de l’addiction doit, le plus souvent, être considéré comme prioritaire. Il est par exemple généralement illusoire de traiter pour anxiété un patient alcoolodépendant qui continue à consommer.
Mais un schéma qui consisterait en une séquence simple où alterne un premier temps de type sevrage ou, (dans le cas des opiacés) traitement de substitution, puis un second temps de thérapie adaptée au syndrome anxieux, serait, lui aussi, trop simpliste. C’est le plus souvent de façon globale qu’il convient d’agir, en prenant en compte parallèlement addiction et anxiété, dans le cadre d’approches thérapeutiques « multimodales ». Chaque avancée dans le soin de l’addiction diminuera les causes d’anxiété, et, dans le cadre d’un accompagnement au long cours, la dynamique du cercle vicieux pourra s’inverser en un « cercle vertueux ».