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LES ORIGINES DE L'ADDICTION, LE NOYAU PATHOGÈNE DES TOXICOMANIES
Cet article est une recomposition de paragraphes prélevés dans différents articles, dont les sources sont dans l'introduction.
Les mécanismes de l'addiction sont u
ne question d'archaïsme
, relevant de différents modes opératoires constants comme la tentation, les transgressions, les défis (prises de risque), la rupture avec la monotonie du quotidien, les rêveries fantasmatiques, l'idéalisation d'un monde meilleur et de soi...
Contrairement aux idées reçues qui supposent une simple recherche de plaisir aux conduites toxicomaniaques (consommer pour kiffer), pour la psychanalyse il s’agit souvent d’une réponse archaïque, quasi-réflexe, de tentative de survie à des angoisses catastrophiques. L'addiction n'est jamais anodine, elle est un besoin qui s'impose à soi par déterminisme psycho-socio-culturel. Le geste répétitif du toxicomane court-circuite la pensée, tient la relation à l’écart, enfouit le sujet dans une sorte de régression à l’« animalité », dans une reconnexion avec soi-même, une recouvrance d'un idéal au plus profond de lui. Toute toxicomanie relève, au moins en partie, des zones psychotiques de la personnalité (d'une structure psychotique en soi et non de maladie), sans exclure que des développements psychiques plus adaptatifs se soient construits en parallèle (les manières dont l'individu se comporte en réponse aux exigences de son environnement, selon son éducation, son milieu, etc). De cette faille psychique très précoce se prépare la rencontre bien plus tardive avec le toxique, qui va un jour (et pas forcément à la première expérience), s’imposer comme seule réponse adéquate à la souffrance psychique. L'addiction se présente alors comme un moyen de s'adapter à son environnement, dans un compromis entre principe de plaisir (besoin de jouissance) et principe de réalité (se plier aux exigences du réel).
LE FANTASME ET LA VIE PSYCHIQUE
Avant d’examiner la relation d’objet dans les toxicomanies, un retour sur les premières phases du développement psychique normal n’est pas inutile.
L
e nourrisson pendant l’expérience de satisfaction de ses besoins vitaux, investit fortement les qualités de la relation maternelle (et non pas les quantités de soin que la mère apporte à son enfant). Un écart va se produire entre l’attente de la satisfaction du besoin et l’anticipation de la présence chaleureusement sécurisante de la mère.
C’est dans cet écart que naît la vie fantasmatique et que va s’exercer l’activité de représentation (si il y a frustration, la représentation s’avère confuse et ça brouille les repères identitaires). Les qualités maternelles dans leur réalité et les circonstances du maternage, et les frustrations, induisent le caractère bon ou mauvais de cet objet (voir clivage bon/mauvais objet). Dans le fantasme, l’objet subit toutes sortes d’avatars, jusqu’à ce qu’il se stabilise dans le psychisme de l’enfant comme un bon objet permanent (ex la tétine c'est cool à sucer). En l’absence de la mère réelle, des représentations font « vivre » l’objet protecteur dans le contenant psychique peu à peu individualisé (la psyché du bébé se développe autour des représentations qu'il se fait des choses, jusqu'à la perception de lui-même vers un an (stade du miroir)).
Une différenciation importante s’opère alors en parallèle entre le psychique et le corporel, et entre soi et les autres (le bébé se rend compte qu'il n'est pas sa mère). Les mots apportés par l’entourage, les échanges verbaux, viennent discriminer les différentes sensations, créer un lien de pensée entre les ressentis biologiques, cénesthésiques et les états affectifs, les émotions. La mise en relation de la psyché et du soma s’effectue, l’image du corps se constitue, l’enfant s’approprie un corps érogénéisé (voir investissement narcissique dans le schéma projection-identification-introjection, dans un retour de la libido sur soi pour se constituer individuellement).
Le développement psychique normal implique des acquisitions différenciatrices, tant entre le sujet et l’objet qu’entre le psychisme et le corps. La clinique des processus toxicomaniaques révèle au contraire une double confusion, à la fois du côté du sujet et du côté de l’objet d’addiction. Ces confusions suggèrent des hypothèses sur l’origine du dysfonctionnement qui conduit à la toxicomanie (le manque de représentation de ses affects créé des troubles inconscients menant à la dépersonnalisation, puis à la recherche d'un objet qui redonne sens à son sentiment d'existence).
L’objet addictif, le statut de l’objet d’addiction présente à la fois confusion et paradoxe
La confusion vient de ce que l’objet réel addictif répond par une incorporation réelle à une souffrance psychique intolérable (une angoisse que le bébé n'arrive pas à refouler, et qui le marque). La réponse toxicomaniaque à une angoisse psychique est une réponse du corps lorsque les registres du psychique et du corporel sont confondus. Cette confusion souligne l’origine archaïque du noyau pathogène. Un objet de réalité (la drogue) est très fortement investi comme étant le seul à pouvoir assurer la survie psycho-corporelle. Cependant, dépourvu des qualités relationnelles de cet objet, il n’introduit pas l’écart nécessaire entre le besoin et l’attente de la chaleur relationnelle associée pour que le fantasme puisse advenir (la drogue ne résout pas les problèmes, elle les masque). L'objet d'addiction ne fait que combler momentanément un vide dans son esprit, c’est pourquoi sa présence dans la réalité est indispensable, sinon il n'aurait aucune consistance. L’absence est un trou, mais elle a trouvé un objet qui, à la fois le creuse et l’obture (paradoxe de la drogue qui masque mais ne soigne pas les problèmes en soi).
Pour Mélanie Klein, le moteur des ruptures dépressives serait la réactivation à l’âge adulte des sentiments contradictoires et ambivalents d’amour et de haine, vécus par le jeune enfant lors de la position dépressive, au cours du second semestre de la vie. L’addiction constitue un déni de la perte et une impossibilité de franchir cette position dépressive. De même, la séparation prématurée et répétée conduit l’enfant dépendant à trouver des adjuvants et des substituts pour compenser la souffrance due à l’absence. Winnicott, enfin, parle de défaut de transitionnalité chez l’enfant et l’adolescent pour traduire cette incapacité à se séparer et à supporter l’absence dans la dépression comme dans l’addiction (recherche d’un objet comblant ses manques et désirs pour assurer la satisfaction sans éprouver de frustration/vexation).
L’économie addictive vise la décharge rapide de toute tension psychique, interne ou externe : angoisses névrotiques, angoisses psychotiques, angoisses de fragmentation ou état dépressif.
Cette dépendance est donc liée à l’illusion de retrouver le paradis perdu de l’enfance (cet idéal en soi). À l’atteinte narcissique originaire favorisant une fragilité identitaire, l’addiction répond par des « actes-symptômes », parmi lesquels chacun « tient lieu d’un rêve jamais rêvé, d’un drame en puissance, où les personnages jouent le rôle des objets partiels, ou sont même déguisés en objets-choses, dans une tentative de faire tenir aux objets substitutifs externes la fonction d’un objet symbolique qui manque ou qui est abîmé dans le monde psychique interne ». Ces actes utilisent des objets matériels (objets de l’addiction comme la drogue, l’alcool, etc.) qui représentent des substituts de l’objet transitionnel. En d'autres termes, l'objet physique de l'addiction sert à mettre en scène son fantasme inassouvi dans des actes répétés et symptomatiques, lorsque l'on reproduit des schémas gravés au plus profond de soi en se droguant par exemple.
ORIGINE DE LA DÉPENDANCE, VIS A VIS DE LA MÈRE
C’est à Winnicott que nous devons les théories et les observations les plus minutieuses sur ce qu’il a appelé la « constellation mère-nourrisson », en insistant ainsi sur l’unité psychique de la mère et de son bébé. En 1964, il proclamait : « Un bébé, ça n’existe pas », signifiant par là que le bébé est en relation symbiotique avec sa mère et qu’on ne peut les comprendre séparément. C’est à lui aussi que nous devons le concept d’espace et d’objets dits « transitionnels » qui nous aident à mieux comprendre l’économie psychique fragile qui sous-tend la capacité du bébé à sortir de sa dépendance totale et à gagner son indépendance (le doudou l'aide à accepter la séparation symbiotique d'avec sa mère).
À partir de là, il nous est loisible de proposer que la nature des relations mère-enfant peut être décisive quant aux origines de certains modes de fonctionnement psychique. Une mère « adéquate sans plus » éprouve le sentiment de se fondre avec son bébé au cours de ses premières semaines de vie. Cependant, Winnicott souligne bien que, si cette fusion persiste au-delà de ce temps premier, l’interaction risque de devenir persécutrice et pathologique pour l’enfant. Dans l’état de dépendance absolue à sa mère, le bébé a tendance à se conformer totalement à ce qu’elle projette sur lui (ses joies comme ses tristesses, sa colère comme ses goûts et dégoûts). La mobilité d’un petit enfant, sa vivacité émotionnelle, son intelligence, sa sensualité et son érogénéité corporelle peuvent se développer uniquement à condition que sa mère les investisse positivement. Mais une mère peut tout aussi bien inhiber les potentialités chez son bébé, surtout si son nourrisson sert à pallier des frustrations dans son monde interne à elle.
Comment s'estimer quand on est objet de satisfaction de ses parents, un support sur lesquels ils vont s'étayer faute de s'être autonomiser et individuer avant de procréer ?
Ce type de relation mère-enfant affecte alors le développement des phénomènes transitionnels (activités ou objets) et a tendance à instaurer chez l’enfant la crainte de développer ses propres ressources psychiques pour atténuer ses tensions affectives. Le développement de ce que Winnicott appelle « la capacité d’être seul » (c’est-à-dire, « seul en présence de la mère ») est alors mis en danger, et l’enfant, afin de résoudre les problèmes affectifs rencontrés dans son monde interne ou externe, cherchera alors à tout moment la présence maternelle rassurante (il en est dépendant dans sa structure psychique même). D'où l’hypothèse suivante : en raison de ses angoisses et de ses peurs et désirs inconscients, une mère est potentiellement capable de créer chez son bébé une relation addictive tant à sa présence qu’à ses soins. C'est le drame des adulescents aujourd'hui.
Dans cette situation, il importe de souligner que c’est la mère elle-même qui est dans un état de dépendance (qu'elle transmet à son enfant), quand elle fait un enfant pour combler ses propres attentes, ses manques. Un risque peut alors survenir, à savoir que l’enfant ne parvienne pas à acquérir une représentation d’une mère interne soignante, laquelle, normalement, lui donnerait la capacité de s’identifier à cet objet interne afin de supporter ses états de souffrance psychique (les représentations de ses propres affects, pour se comprendre et se surmonter). L’enfant qui n’arrive pas à une telle représentation restera incapable de supporter les moments de tension, de source interne et externe, de sorte qu’il cherchera une solution dans un objet addictif afin de pallier ses vulnérabilités, parce qu'il est habitué à ce qu'on règle ses problèmes à sa place. Ainsi la nourriture, les drogues, l’alcool, le tabac, ou autres, peuvent-ils temporairement pallier le stress psychique et, autrement dit, remplir une fonction maternelle que la personne addict est incapable de faire pour elle-même. Ces objets addictifs prennent alors la place des objets transitionnels de l’enfance (de la tétine on passe à la cigarette, du doudou on passe à la bibine (caricature)). Il y a donc un problème d’autonomie dans son individuation, comme dans celle de ses parents.
Le manque de ce qui n’a pas eu lieu, et non le manque de ce qui n’est plus
L’inadéquation des réponses de l’objet maternel qui ne peut investir l’enfant et le soutenir dans la constitution et l’élaboration de son narcissisme primaire maintient une incertitude identitaire et entrave sa capacité à symboliser l’excitation pulsionnelle (se représenter ses affects, d'où des angoisses latentes qui restent). L’objet maternel reste investi d’un pouvoir magique, tout autant salvateur que destructeur. Le souvenir de l’épreuve catastrophique du manque primaire n’était pas accessible à la mémoire ou à la conscience, non pas qu’il ait été refoulé, mais sans doute parce qu’il a été exclu comme un vécu « inintégrable ». Lorsque la reviviscence dans le présent peut survenir, soutenue d’un lien transférentiel fiable, alors seulement l’expérience analytique peut permettre que l’ « appropriation subjective » puisse avoir lieu.
Pour Winnicott, la « régression à la dépendance » fait partie du processus de guérison et permet au patient d’être au contact de son vrai self
Le « trop de manque », générateur de trop de tension, déborde un appareil psychique régi par un moi immature et dépendant de l’objet. En cas d’absence trop prolongée de la mère, le désarroi du bébé se transforme en angoisse, puis en angoisse agonistique traumatique. La recherche de l’objet d’addiction toujours extérieur, transitoire et factice, liée au manque premier de l’objet et de l’expérience de satisfaction, au manque d’un objet maternel capable de se constituer en « structure encadrante tenant un rôle de contenant de l’espace représentatif », traduit le manque de ce qui n’a pas eu lieu, et non le manque de ce qui n’est plus. Il manque dans l'esprit un support sur lequel la pensée puisse s’étayer. Face au manque d’un objet nourrissant et gratifiant, seule persiste la trace de l’objet persécutant qui exige et se montre dans l’incapacité de donner ou de répondre aux besoins de l’enfant. Dans ce cas, le manque ne peut donc concerner que le manque de l’objet idéalisé et non celui de l’objet de la satisfaction. Les tensions pulsionnelles à la recherche du plaisir-décharge d’excitations internes menaçantes s’organisent alors « comme de véritables actings érotiques directs et court-circuitent les termes mêmes du processus analytique. Une faim qui se présente comme pure défense anti-dépressive ».
ORIGINE DE LA DÉPENDANCE, VIS A VIS DU PÈRE
Il faut également noter que, dans bien des recherches cliniques qui ont été menées sur l’addiction, le père, s’il n’est pas mort, est fréquemment absent ou, s’il est là, est souvent présenté comme inconsistant, coupable ou incestueux, et même, dans certains cas, lui-même addict (souvent alcoolique). Le père est aussi souvent décrit comme très surchargé professionnellement et donc relativement absent. Mais le point sur lequel il faudrait insister est le rôle caché du père dans la conduite addictive – là où l’objet addictif se montre comme une protection inconsciente contre les aspects dangereux de l’imago maternelle.
L’idée centrale est que la quête addictive est la recherche dans le monde externe d’une solution au manque d’introjection d’un environnement maternant. Par rapprochement avec la pathologie psychosomatique, “ Les objets addictifs (ou “objets transitoires”) ne résolvent que momentanément la tension affective, car ce sont des solutions somatiques et non psychologiques, censées remplacer la fonction maternante primaire manquante ”. Mais il semble qu’il faut prendre en compte le fait que les modifications somatiques provoquées par l’addiction ont des effets sur les sensations corporelles et psychiques et que le processus engagé de la sorte se caractérise justement par la circularité des causes et des effets entre différents niveaux. Les rapports de la force et du sens par l’activité de représentation, ses aléas, ses limites et ses échecs constituent le fil conducteur de l’intelligence métapsychologique des addictions.
EN CONCLUSION DES POSSIBLES ORIGINES DE L'ADDICTION VIS A VIS DE LA FAMILLE
- L'ENVIRONNEMENT qui n’aurait pas apporté de signification aux excitations corporelles (relations parents/enfant), problème identitaire dans sa reconnaissance de soi
- DE POSSIBLES TRAUMAS cumulés, ou unique mais trop intense vis à vis de ce que le bébé peut endurer
- L'ABSENCE DE SOIN OU MAUVAIS SOINS des parents, ne répondant pas aux attentes du bébé