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LA PARANOÏA 1 - DE LA NORMALITÉ AU PATHOLOGIQUE
S’il est normal d’être méfiant, de s'inquiéter, ou même d'appréhender une difficulté lorsque l'on y est confronté sans solution évidente appropriée, il peut s’avérer pathologique d’interpréter à tort la réalité, c’est là tout le problème de la paranoïa. La peur, le stress et l’anxiété sont indispensables à notre survie, mais point trop n’en faut pour vivre sereinement, sans s’inquiéter plus que nécessaire. En postulant que chacun possède en lui une structure paranoïaque, l’on comprend que tout individu peut vivre normalement en société, tant qu’il respecte les lois en vigueur, la culture dans laquelle il évolue, et certains savoirs vivre d’ordre éthiques et moraux, comme le civisme et le respect des droits d’autrui.
Chamfort nous enseigne : “Jouis et fais jouir, sans faire de mal ni à toi, ni à personne, voilà je crois, toute la morale.”
DE LA STRUCTURE PARANOÏAQUE COMPENSÉE A LA DÉCOMPENSATION
Comme pour les névroses et les psychoses, la paranoïa n'est pas qu'une maladie, mais peut être observée comme une structure psychique présente en chacun de nous. Elle nous permettrait de prévenir d’éventuels risques à venir selon les situations rencontrées, ou d’anticiper des évènements dommageables d'après ses expériences passées, lorsque l’on a apprit de ses erreurs. En elle même la paranoïa n’est donc pas problématique mais salvatrice, le trouble de la personnalité paranoïaque advenant lorsque sa structure psychique initialement dans un état dit normal (compensé), vire au pathologique (en décompensant). Il faut bien comprendre que du normal au pathologique, tout est une question de compensation/décompensation, avec des degrés divers et des formes variées que nous examinerons au fil des articles à venir.
Les symptômes sont des messagers, chargés d’annoncer que l’angoisse est d’en train de monter depuis les tréfonds de l’esprit de l’individu. Il ne sont jamais que des comportements normaux, mais pathologisés par leur répétition. Pour parler de pathologique, il faudra donc que l’excès de répétition des symptômes névrotiques, psychotiques, limites ou paranoïaques nuisent à l’individu, d’une quelconque manière. Autrement, sa structure névrotique lui donnera une apparence normale, avec un comportement pro-social, comme la majorité des gens que l’on croise tous les jours. La notion de normalité étant très différente selon chacun, son éducation, son vécu, son milieu, sa culture, etc...
Les paranoïaques en société
Lorsqu’un individu a des traits paranoïaques non décompensés, ce qui n’est pas pathologique, il est probable que son adaptation sociale soit commune, voire lui donne accès à des postes hiérarchiques importants s'il se montre ambitieux (exemples de certains dirigeants politiques narcissiques, mais aussi d'hommes d'affaires sans scrupule). Le profil du paranoïaque convient à la prise de pouvoir, de part son absence de culpabilité et d’empathie émotionnelle dans la prise de décision, mais aussi avec des doses de narcissisme et de mégalomanie typiques de sa personnalité anxieuse, ainsi que de ses caractères égotiques. L’orgueil et la vanité étant les armes préférées du paranoïaque, nous y reviendrons en examinant les caractères narcissique et égocentrique de la personnalité paranoïaque. Néanmoins le paranoïaque n’est pas apathique pour autant. D'après ses degrés d'intelligences intellectuelle et émotionnelle, il connait de manière plus ou moins certaine sa place dans l'ordonnancement des relations humaines, son statut actuel dans son environnement et son potentiel d'évolution. Selon ses traits de personnalité il peut manipuler son monde de manière à s’affirmer dans des revendications intenses. Par exemple lorsqu’il désire une place sociale compensatoire et valorisant son soit disant prestige, quitte à ne laisser aucune chance à ses concurrents (voir les luttes acharnées et perverses pour les présidentielles, lorsque c'est l'un ou l'autre, tous les coups bas sont permis).
Avant de rentrer plus en avant dans le sujet, voyons ce que décrit le DSM 5 du trouble de la personnalité paranoïaque :
A. Méfiance soupçonneuse envahissante envers les autres de sorte que leurs intentions sont interprétées comme malveillantes, qui est déjà présente au début de l'âge adulte et est présente dans divers contextes, comme en témoignent au moins quatre des manifestations suivantes :
1. La personne s'attend sans raison suffisante à ce que les autres l'exploitent, lui nuisent ou la trompent
2. Est préoccupée par des doutes injustifiés concernant la loyauté ou la fidélité de ses amis ou associés
3. Est réticente à se confier à autrui en raison d'une crainte injustifiée que l'information soit utilisée de manière perfide contre elle
4. Discerne des significations cachées, humiliantes ou menaçantes dans des commentaires ou des événements anodins
5. Garde rancune, c'est-à-dire ne pardonne pas d'être blessée, insultée ou dédaignée
6. Perçoit des attaques contre sa personne ou sa réputation, alors que ce n'est pas apparent pour les autres, et est prompte à la contre-attaque ou à réagir avec colère
7. Met en doute de manière répétée et sans justification la fidélité de son ou sa conjoint(e) ou de son (sa) partenaire sexuel(le)
B. Ne survient pas exclusivement pendant l'évolution d'une schizophrénie, d'un trouble de l'humeur avec caractéristiques psychotiques ou d'un autre trouble psychotique, et n'est pas dû aux effets physiologiques directs d'une affection médicale générale.
Si vous ne vous êtes pas reconnus en tant que paranoïaque jusque là, c’est que vous l’êtes très certainement, mais au delà du déni commun à tous les êtres humains, ne prenons pas peur de nous-mêmes et gardons à l’esprit que nous sommes autant notre meilleur ami que notre pire ennemi. La normalité de l'aspect pathologique de la structure paranoïaque, se distingue lorsque le caractère de l'individu devient gênant dans ses relations quotidiennes, et vis à vis de son propre équilibre mental. Autrement dit, tout est question de ses relations intra-personnelles, c'est à dire de la qualité de son dialogue intérieur.
QUATRE PRINCIPAUX DEGRÉS DE PARANOÏA ENTRE LE NORMAL ET LE PATHOLOGIQUE
Si l'économie pathologique du paranoïaque semble calquée sur la structure normale de la personnalité, l’on peut distinguer des degrés allant d‘une tendance paranoïaque naturelle (la méfiance commune), à une forme de paranoïa bénigne et réversible (l’inquiétude de base), jusqu’à l’émergence d’un délire d’ordre pathologique, pouvant devenir chronique dans les cas les plus graves.
1 - La tendance naturelle à se méfier
Il y a des raisons valables à se montrer paranoïaque, lorsque l'on a peur de perdre sa place dans des jeux de pouvoir par exemple, ou lorsque l’on est confronté à des individus peu scrupuleux, n’hésitant pas à abuser de la naïveté de leur contemporain. C’est une question d’éthologie (l'étude des mœurs humaines en tant que faits sociaux), qui structure les rapports humains tout comme les animaux vivant en communauté, c’est à dire à partir d’un mâle alpha dominant le groupe, et imposant verticalement son autorité à ses sujets. Il en va des rapports égotiques entre les être humains ayant besoin d'un chef tout puissant leur disant que faire, ainsi que des différentes interactions entres les animaux animés d’instincts et de tendances les poussant à satisfaire leur désir, dans un besoin de reproduction. La paranoïa permet inconsciemment de se situer dans sa hiérarchie sociale, en comprenant quelle y est sa place, quels ordres moraux sont à respecter, et quels codes, valeurs et structures entretiennent les relations entre individus.
2 - La paranoïa bénigne
Une paranoïa bénigne et latente sommeille en chacun de nous. Sans conduire inévitablement au délire, elle se manifeste seulement lors d'évènements particulier, ou d’occasions faisant que l'individu ruminerait quelques peurs en interprétant des phénomènes à tort. Mais le délire d’interprétation ou d'imagination ne s'installerait pas durablement, et l’esprit angoissé du sujet reviendrait à un état d'accalmie lorsque ses affects ne le perturberaient plus. L'individu rassuré et restant maitre de ses émotions aurait la possibilité d'atténuer ses pensées inconvenantes, en désarmant par une autocritique ses inquiétudes et autres ruminations, tout en s'adaptant à la situation et en trouvant des solutions à d'éventuels problèmes qu'il se serait lui-même créé. Une réflexion introspective permettrait donc de réguler sa structure paranoïaque en comprenant quelles dynamiques et quels mécanismes se jouent en soi, c’est l'auto-observation pour s'analyser et définir des limites à ses manières de pensées dites délirantes.
Cette tendance paranoïaque commune chez chacun, se manifeste souvent dans des prises de pouvoir ou des interprétations douteuses
La paranoïa bénigne est une manière de penser ne s'apparentant pas à un trouble de la personnalité, ou à un quelconque problème psychique. L'individu croit qu'on lui en veut parce qu'il est sur le moment peut confiant, se mésestime, et interprète à tort la réalité. L'aspect pathologique apparait quand ses erreurs d'interprétations l'entrainent dans des problèmes relationnels et personnels majeurs, correspondant à un diagnostique clinique précis. Le paranoïaque "normal" l'est surtout avec sa famille proche, mais ne manifeste pas ses inquiétudes en société pour ne pas être mal vu, quand en bon vaniteux il tient à préserver ses apparences morales en paraissant comme un individu bien faisant et bien pensant. Autrement, l'individu dont la paranoïa est plus manifeste qu'à la normale reste le plus souvent seul et isolé, parce qu’il est fuit et rejeté par son entourage proche et lointain. Par exemple, lorsqu'un père de famille accuse sans cesse sa femme de le tromper parce qu'elle rentre un peu plus tard qu'habituellement, là où un individu sain d'esprit lui ferait confiance, le paranoïaque prend son retard comme une preuve irréfutable et n'en démord pas, allant jusqu'à imposer ses certitudes et ses croyances, qu'elles soient vraies fausses. C'est là que le diagnostic peut être ambiguë, en tant que la vérité se révèle multiple selon les perspectives avec laquelle on peut l'aborder.
3 - Le délire paranoïaque épisodique
Les phases de paranoïa d’ordre pathologique (correspondant à des cas cliniques précis) peuvent être épisodiques chez un individu n'ayant pas forcément un trouble de la personnalité paranoïaque. Dans ses accès paranoïaques, si le délire du sujet est manifeste au travers de comportements exubérants, d’interprétations loufoques et infondées, ainsi que d’une attitude autoritaire mais contradictoire, il n'est pour autant pas stable et durable. A un moment ou l'autre de sa vie, n'importe qui interprète à tort les choses en se survalorisant parce qu'il se sent inférieur au fond de lui, ou en agressant autrui parce qu'il se sent persécuté, c'est une question hormonale. Le sujet est sur la défensive et donc possiblement dans l'offensive, réagissant pour se défendre d’évènements extérieurs ou intérieurs perçus et jugés comme menaçants.
4 - Le trouble de la personnalité paranoïaque
Au stade pathologique établi et dont le diagnostique n'est plus à démontrer, le délire est chronique. L'individu paranoïaque se montre constamment méfiant, persécuté, interprétant les choses autour de lui comme malveillantes, et rapporte sans cesse tout à sa personne auto-centrée (égocentrisme +++). L’aspect pathologique peut être dangereux lorsque l'individu est agressif, et réagit violemment vis à vis d'autrui ou de lui-même (que ça soit physiquement, verbalement, ou symboliquement). Si les vrais paranoïaques ne représentent que 0,5 à 2,5 % de la population, on note qu’il y a environ deux fois plus d'hommes atteints que de femmes. Par rapport à la curabilité du trouble, rien en dehors de l'évolution des symptômes du délire ne permet de distinguer les cas curables des cas chroniques de paranoïa.
EN CONCLUSION
Avant de développer plus en détails les points abordés précédemment, retenons que la tendance paranoïaque n'est pas une maladie en tant qu'elle ne réduit pas les capacités cognitives de l'individu (sur les plans sensoriels et intellectuels). Le paranoïaque est souvent une personne intelligente, autant intellectuellement qu’émotionnellement, et très sensible.
Le discours du paranoïaque peut être autant cohérent que discordant, tenant la route jusqu'à ce que ses propos deviennent bancals, peu factuels, excessifs dans ses arguments, et que ses interprétations de la situation évoquée deviennent inappropriées, insensées, et dérangeantes. C'est donc lorsque ses interprétations se systématisent dans un délire chronique précis, que l'on entre dans l'aspect pathologique du délire paranoïaque. Le reste du temps, il ne s'agit que de notre imagination qui au nom d'une folle liberté d'expression, se permet de raconter tout et n'importe quoi, qu'importe la vérité tant que l'on croit en ses propres mensonges, l'important étant toujours de se rassurer pour ne pas mourir de ses propres vérités, inavouées.
"Il n'y a pas de paranoïa, il n'y a que des paranoïaques" - Bleuler