Avant diffusion sur le site (peut-être sous une forme légèrement différente et plus courte), j'aimerais vous faire partager cet article qui est le résultat d'une recherche documentaire que j'ai effectuée sur le rôle de l'acide lactique.
Acide lactique : l’ennemi public n°1 ?
Acide lactique. Voilà une molécule que les sportifs ont accusée de tous les maux : fatigue musculaire, crampes, courbatures. L’entraînement était d’ailleurs un véritable plan de bataille contre cet ennemi. Objectif : limiter son apparition et en cas d’apparition en favoriser l’élimination dans les plus brefs délais !
Il est pourtant très probable que l’acide lactique ait été victime pendant plusieurs décennies d’un mauvais procès et de nombreuses études conduisent aujourd’hui à sa réhabilitation. Comme nous allons le voir, ce revirement complet a de nombreuses conséquences et entraîne l’abandon de notions encore largement diffusées comme les fameux seuils anaérobie et aérobie.
Courbatures, crampes : l’acide lactique un coupable facile
Précisons tout d’abord que l’acide lactique n’apparaît quasiment pas en tant que tel dans l’organisme. Il est immédiatement dissocié en un sel appelé lactate et un proton. C’est pourquoi nous parlerons ici souvent de lactate. Les mesures de concentration en lactate sont le plus souvent effectuées après le passage de cette molécule dans le sang.
La relation entre acide lactique et courbatures était probablement la plus douteuse. Comment expliquer en effet qu’un sportif très entraîné les ressentent beaucoup moins qu’un sportif occasionnel alors que sa production d’acide lactique est généralement très supérieure ? Comment expliquer également que certains sports soient nettement plus épargnés que d’autres (les nageurs étant d’ailleurs plutôt bien lotis dans ce domaine) ?
Aucune corrélation n’a pu être trouvée lors d’expériences associant prélèvements sanguins et questionnaire sur les douleurs ressenties. D’autres responsables sont aujourd’hui désignés, notamment les contractions excentriques (contractions qui ont lieu lorsque le muscle résiste à l’allongement et qui sont obtenues par exemple lors d’une course en descente) (4)
Les corrélations ne sont pas plus évidentes entre la concentration en lactate et l’apparition de crampes. On peut même développer des crampes musculaires pendant le sommeil à un moment où la lactatémie est particulièrement basse.
D’autres mécanismes nettement plus probables expliquent l’apparition des courbatures et des crampes notamment les microlésions musculaires pour les courbatures, la déshydratation ou les carences minérales pour les crampes (1).
Ces mécanismes étant restés longtemps méconnus ou incertains, l’acide lactique a semble-t-il constitué pendant longtemps un coupable par défaut.
Fatigue musculaire : l’acide lactique, un spectateur malheureux
Le doute étant levé sur ces maux du sportif, reste à savoir si l’acide lactique est responsable de la fatigue musculaire et s'il constitue un frein à la performance.
Là encore, la corrélation entre acidité et fatigue musculaire n’est pas probante. On peut observer des situations où l’acidité est faible mais la fatigue élevée à l’exemple du marathonien mais aussi des situations où l’acidité est élevée sans que la fatigue soit importante. Guy Thibault et François Peronnet ont publié un article sur le sujet (2) dans lequel ils prennent l’exemple de l’exercice dit de « la chaise ». Cet exercice impose une contraction isométrique des quadriceps qui entraîne une hausse importante de l’acidité. Pourtant, les quadriceps récupèrent leur niveau de force initial après seulement 2 minutes alors que le muscle conserve à ce moment un très haut niveau d’acidité.
Des chercheurs britanniques (3) ont quant à eux demandé à des cyclistes de réaliser un test dans lequel ils devaient tenir le plus longtemps possible une puissance de pédalage déterminée. Or les meilleurs résultats sur ces tests ont été obtenus lorsque ces sportifs avaient réalisé au préalable un effort soutenu occasionnant une élévation assez nette du taux de lactate dans le sang.
Une autre conception de l’acide lactique a ainsi progressivement émergé. L’acide lactique est un produit intermédiaire des mécanismes de production d’énergie. Ce produit intermédiaire, loin d’être un déchet nocif, dispose encore d’un fort pouvoir énergétique et constitue une véritable source d’énergie alternative pour le muscle. In vitro, on a même pu mettre en avant un effet protecteur du lactate contre la fatigue musculaire (6), le monde à l'envers !
Des conséquences importantes pour l'entraînement
Ces recherches révolutionnent la façon d’aborder l’entraînement dévaluant en premier lieu, toutes les méthodes qui mesurent l’intensité de l’exercice à l’aune de la concentration en lactate. Les notions de seuil aérobie ou de seuil anaérobie en particulier, semblent à la fois inutiles et faussées. Inutiles puisque l’acide lactique n’est pas forcément nuisible à la performance. Faussées puisque la concentration sanguine en lactate (on estime généralement que le seuil anaérobie correspond à une concentration sanguine de 4 mmol/L) n’est que le reflet imparfait de l’activité musculaire dans laquelle les lactates sont en permanence à la fois produit et utilisés comme carburant.
En second lieu, si l’acide lactique peut être considéré comme un carburant de l’activité musculaire, il peut sembler intéressant de favoriser l’entraînement à des intensités qui mettent assez largement en jeu les processus anaérobies sous forme par exemple de séries avec variations d’allure par rapport à un entraînement à une intensité continue (5).
Enfin, cette nouvelle vision influencera certainement beaucoup le choix des méthodes de récupération et des modes d'échauffement. De nombreuses recherches restent à mener à cet égard.
Sources :
(1) Lactate et exercice : mythes et réalités :
http://www.cairn.info/article.php?ID_RE ... 0063&FRM=N
(2) Magazine Sport et Vie numéro 92 (septembre / octobre 2005)
(3) Cheung K, Hume P et Maxwell L Delayed onset muscle soreness: treatment strategies and performance factors Sports Med 33(2):145-64, 2003.
(4) Schwane et coll., 1983 (Effets des contractions excentriques sur les courbatures)
(5) Intérêt de l’entraînement par intervalles courts :
http://www.savoir-sport.org/savoir_spor ... mplateID=5
(6)
http://www.bulletins-electroniques.com/ ... /22850.htm