Canin
le Hutin (EEEEEHeh)
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Il y a 3 mois je suis rentré de Pologne. Pays situé en Europe centrale, c'est le premier quand on vient d'Europe occidentale et que l'on va vers l'Est à avoir une conso typique des pays d'Europe de l'Est. Pour mieux se représenter les choses, j'ai découvert les stimulants avec le speed en Estonie il y a quelques années déjà, alors que je cherchais juste de la weed. La réponse a été : c'est compliqué à trouver ici, par contre tout ce qui est chimique ça se fait bien. Dès que l'on va vers la Pologne, puis l'Ukraine, la Biélorussie, la Russie, et les pays baltes (Estonie, Lituanie, Lettonie) les stimulants sont très répandus. La mephedrone est une drogue de rue, de même que la 3-MMC. Beaucoup de consommateurs y ont touché jeunes, et il n'est pas rare de croiser des gens qui ont déjà consommé de la mephedrone alors qu'ils sont encore au lycée (ou ont découvert avant leurs 17 ans).
Quelques chiffres et liens : en 2017 en Pologne, 0.8% d'hommes (entre 15 et 34 ans) déclarent avoir consommé de l'amphétamine dans le courant de l'année, idem pour la cocaine, 1.7% pour la MDMA. Pour les femmes, 0% pour ces trois derniers produits. En 2019 les chiffres sont les mêmes, on est donc bien sur une tendance relativement stable.
Pourtant, en 2018, la mephedrone arrive parmis les substances les plus consommées, derrière l'alcool, la méthadone, les benzos, le cannabis et l'amphétamine (dans l'ordre du plus consommé au moins consommé). La consommation de stimulants atteint une telle échelle qu'en 2016, une étude portée sur la présence d'amphétamine dans les eaux usées de Cracovie (une des plus grandes villes du pays) est publiée.
En France, c'est 0.3% de la population adulte qui déclare avoir usé d'amphétamine dans l'année en 2017 (sur un échantillon d'age allant jusqu'à 64 ans). En ce qui concerne l'expérimentation, c'est 2.3% de la population qui déclare avoir essayé.
Je pense, malgré ces chiffres, qu'il faut aussi garder en tête certaines données. Il semble à première vue que la France soit plus grande consommatrice d'amphétamine que la Pologne. Cependant cette idée se base sur la déclaration des usagers, et le climat politique en Pologne est très tendu depuis quelques années déjà. La répression concernant les drogues est énorme, et la liberté d'expression peu utilisée. Je ne peux pas invalider comme ça des études relativement sérieuses à l'échelle européenne, mais je suis tout de même convaincu, à cause de ce que j'ai vu et vécu, que peu d'usagers se déclarent comme tels en Pologne. J'ai par exemple énormément de mal à croire au 0% de consommatrices de stimulants car c'est très loin de ce que j'ai vu : un certain nombre de gens accros et sans distinction de genre.
Ce contexte de consommation fait que des habitudes se développent, de la même manière qu'on sait chercher la meilleure boisson pour la pateuse dans les pays où on fume beaucoup (en vrai c'est le thé), ou que l'on sait gérer sa consommation d'alcool dans la soirée à force de pratiquer, de voir les autres faire. Comme on le dit souvent, on « apprend à boire ». J'ai donc dressé un petit recap de tout ce que j'ai pu remarquer pendant cette année, durant laquelle j'ai moi aussi beaucoup consommé d'amphétamine et de cathinones.
Une des premières choses que je voudrais souligner, c'est le fait que les stimulants ne sont pas uniquement présents dans le milieux techno. Bien sur, pouvoir rester debout des jours et continuer de bouger, ça va bien pour les soirées basées sur une musique répétitive qui donne l'impression que si on veut, elle ne s'arrête jamais. Idem pour les DJs qui enchaînent les soirées à mixer dans le même week end parfois.
LES SOIREES ET AFTERS
Pour autant, il est assez courant que les soirées normales en appart, au lieu d'être basée sur une consommation d'alcool, soit basée sur une consommation de mephedrone. Cinq personnes en rond autour d'une table qui prennent des stimulants du vendredi soir au dimanche matin, c'est normal, c'est hyper courant même. Certains groupes de potes font ça tous les week ends.
Ayant moi même plutôt évolué dans le milieu techno, je vais surtout parler de celui ci, avec quelques spécificités locales. Pour commencer les afters. Ils durent deux voir trois jours là bas. Des fois on va en soirée le vendredi, l'after dure tout le samedi, et ça repart en soirée le samedi soir, et puis re after jusqu'à dimanche 21h. D'autres fois c'est juste soirée le vendredi, puis after jusqu'au dimanche matin.
Forcément j'en ai déjà parlé sous forme de « les gars vos afters ici ils sont énormes, c'est de la frappe, j'espère je pourrai me refaire le même mais j'en doute » et on m'a expliqué que parfois, la soirée est juste une excuse pour faire un after. Que le centre du truc c'est pas tellement d'aller danser avec des gens, c'est de rentrer chez son pote après et de continuer à se faire des traces toute la journée avec le confort de l'appartement. En fait le week end entier ne tourne qu'autour de la drogue.
J'aimerai parler un peu amplement de ces afters car c'est un des moments où l'on voit les comportements induits par cette consommation ressortir le plus.
L'idée c'est quand même de binger des stims, principalement de la mephedrone mais aussi pas mal de speed, parfois de la 3-MMC et de manière plus anecdotique de la C. Le joint ne fait son apparition que le dimanche matin au plus tôt, parfois un peu de D circule pendant la soirée. Tout le monde se rend compte de ce que ça va être, avant même d'y aller, et donc tout le monde comprend le binge, et le fait qu'il faut s'arrêter à un moment donné. J'ai déjà entendu à midi un dimanche « ça n'a plus aucun sens de prendre une trace maintenant, je vais juste fumer une cigarette. » Certes, c'était au moment ou quelqu'un d'autre me disait « putain j'ai pris trop de speed j'en peux plus » à deux doigts de l'OD. Mais en conséquence ce dernier a su s'arrêter aussi.
Si tout le monde comprend ce que c'est que le binge, ça veut aussi dire que les gens savent le gérer, et c'est le cas. Par exemple tout le monde comprend bien qu'il faut manger, boire, se reposer.
Dans le déroulé typique de l'after polonais, il y a ce moment le samedi soir où, après que personne n'ait mangé ou dormi pendant durant 36h, un petit groupe se dévoue pour aller faire des courses. En général, ça arrive au moment de la fin du stock de mephedrone. Les courses consistent toujours en beaucoup de bière, beaucoup de vodka, des softs, des bouteilles d'eau, et un peu de bouffe du genre les hot dogs du Jabka (une superette) en comptant un demi par personne.
Tout le monde mange, tout le monde boit de l'eau, du jus d'orange, fume une cigarette, et surtout attend bien 40 minutes à une heure avant de recommencer à prendre des stimulants. En général il faut attendre le dealer de toute manière, mais même si il arrive avant, personne ne se jette sur le prod. Tout le monde attend calmement de retrouver une forme physique plus ou moins viable, de se sentir bien, et que ce soit le cas pour tout le monde. Prendre de la drogue est une activité sociale à ce moment là, et on ne commence pas tout seul.
Après ça et avant de ressortir le samedi soir (quand ça arrive) il n'est pas rare non plus de voir des gens prendre leur temps, prendre une douche. On ne part pas à l'arrache. Si on fait after chez soi, il faut s'attendre à voir sa douche squattée. Et son lit aussi.
Ce genre d'excès, répété toutes les semaines par beaucoup, épuise le corps. Cela tous le comprennent, et les habitudes de vies sont en conséquence.
LES HABITUDES
La Pologne, en tout cas Varsovie, fait partie des ces endroits où les gens ont une certaine culture du sport et du corps. Les barres d’entrainement dans l'espace public sont bien utilisées, à peu près tout le monde fait du sport et essaye de garder sa forme. Faire du sport en semaine aide clairement à éliminer les toxines du week end, mieux dormir les jours suivants, et cela se voit. Ceux qui pratiquent seront plus en forme la semaine et se remettent plus vite des week ends. Ce sont en général aussi les premiers à se rendre compte des conséquences de leurs abus répétés, et à faire une pause dans leur conso.
La pause nécessaire est elle aussi bien comprise. Il est courant de voir quelqu'un se priver de soirées pendant un mois, ou au moins quelques semaines, pour éviter de consommer. Parfois il faut atteindre un seuil assez critique, de début de psychose en plein after, de faiblesse physique effrayante, mais atteins ce stade, la plupart des consommateurs, même les plus jeunes, savent qu'il faut arrêter temporairement.
Pour les autres, c'est souvent à grand renforts de Benzos que ça se passe. La culture du stimulant entraîne forcément celle du downer. Mais celle ci est dangereuse : addiction physique et psychologique à la fois, qui vient vite, plus vite que celle aux stimulants.
Tout le monde ne prend donc pas de benzos, certains en discutent, se demandent si c'est vraiment nécessaire, s'il ne vaut pas mieux s'en passer et leur préférer un joint en fin d'after ou en rentrant chez soi. La quantité de vodka bue pendant la soirée aide d'ailleurs de ce point de vue. Les accros aux benzos, eux, sont plutôt mal vus, chose que j'ai comprise par les quelques « fucking benzo addict » sortis par des amis à plusieurs reprises en parlant de personnes différentes. J'imagine que cela est du au fait que cette addiction montre un trop grand besoin de compensation, une non gestion de la redescente, et des jours qui suivent. Pour autant, tout le monde en possède, mais essaye de se limiter dans leur usage.
Les anti dépresseurs sont eux aussi fortement consommés dans ces milieux. Mais il n'est pas possible pour moi de dire si cela tient uniquement à la consommation de stimulants sérotoninergiques. La Pologne reste un pays d'Europe de l'Est, qui s'est développé sous l'URSS, avec un gouvernement conservateur dur qui voit d'un mauvais œil sa jeunesse engagée et instaure un climat dur à supporter pour les communautés gay, queer, et le monde de la nuit. Sans oublier l'hiver particulièrement rude.
Beaucoup compenseront avec autre chose. Notamment, le fait que le magnésium aide à récupérer musculairement est une information bien connue, et qui circule parmi les groupes de consommateurs.
LA RDR
D'autres informations et habitudes sont transmises, d'un usager à l'autre le plus souvent. Une forme de RdR plus directe, où l'on essaye de se donner les bonnes habitudes.
En ce qui concerne le mode de prise, il est évident que le sniff est le plus répandu. C'est lui qui donne le rush, il monte plus vite, on se met plus rapidement dans l'action de la soirée. Les habitudes à prendre avec cette ROA sont relativement présentes. Tout le monde a des mouchoirs, chez soi ou sur soi, et n'hésite pas à prévenir les autres. De même, il arrive relativement souvent que quelque se pointe avec des gouttes pour se rincer le nez, ou qu'un participant en regarde un autre ayant du mal et lui conseille simplement de se moucher, de sniffer de l'eau au robinet, et d'attendre un peu avant de se refaire une trace.
De même, la plupart des clubs donnent des pailles, même si une fouille a lieu à l'entrée. On sait que la drogue est là, et les organisateurs préfèrent faire ce geste qui peut paraître anodin plutôt que de ne rien faire. L'un des clubs restés ouverts illégalement durant la pandémie, relativement bien caché, se permettait même de fournir des assiettes pour préparer ses traces, et de vieilles cartes de transport inutilisables pour travailler son prod.
De plus, c'est sur une version Polonaise du tableau Tripsit que les cathinones ont d'abord été rajoutées, leur omniprésence obligent à les prendre en compte pour tous les consommateurs de drogue de la région.
Cependant, les gestes ne sont pas toujours respectés. Il arrive souvent que les pailles tournent, de même que le rince pif, geste partant pour ce dernier d'une bonne intention mais qui n'empêche en rien la transmission des IST.
LE RITUEL SOCIAL DE CONSOMMATION
Forcément, au delà des habitudes qui touchent directement à la consommation, de manière très terre à terre, il y a aussi un regard qui se développe en lien avec cette consommation.
Tout le monde, du moins les consommateurs, sait que ce produit est dangereux, addictif, en connaît le craving. Ainsi, celui qui ne sait pas le combattre est mal vu. Le plus souvent les traces sont prises ensemble, car la commande passée ensemble, et payée en commun. Celui qui en redemande trop vite, qui tombe dans l'addiction, qui ne saura pas s'arrêter en même temps que les autres, qui veut en racheter encore le dimanche soir, est mal vu. Cela veut dire qu'il n'est pas plus fort que la drogue, qu'il n'est là que pour ça, pas pour voir ses amis, ni écouter de la musique. Tout ceci peut sembler paradoxal lorsque les soirées sont parfois des excuses pour la consommation.
Cela se voit aussi en regardant les petits gestes lors de la session : on ne gratte pas l'assiette, on ne demande pas à tout le monde un par un s'il en reste, on passe la redescente en même temps que les autres.
On ne se laisse pas non plus emporter par les sentiments trop pressants de l'empathogène. Tout le monde sais ce que c'est que de baiser sous mephedrone, mais aussi que le lieu social de l'after n'est pas forcément celui pour montrer son intimité. Les comportements ne sont pas beaucoup plus exacerbés que d'habitude. On ne se tripote pas en groupe juste parce que l'on a envie. Peut être cependant que ça se fait dans d'autres groupes de personnes ? Ou que ceci est lié aussi au climat relativement froid qui règne entre les personnes en Pologne. Le cliché des Européens de l'Est froids et distants est très vrai pour la Pologne, de ce que j'en ai vu en tout cas.
Tout cela vient aussi à mon sens d'une compréhension de ce que sont ces prods. Avec certaines personnes rencontrées dans ce contexte, les premiers objectifs pour plus tard on souvent été de se revoir sobre. Il y a une sacrée conception de l'état de conscience altéré, du fait qu'il est altéré, que les activités seront perçues différemment, que les gens ne sont pas les mêmes et donc qu'il faut se revoir sobre si l'on est réellement intéressés.
DES LECONS A EN TIRER ?
En ce qui me concerne le vécu est trop récent pour pouvoir encore être incorporé correctement. Pour l'instant, ça m'a surtout mené à un certain nombre d'abus, enfin surtout à une conso bien trop régulière, en me disant que ça allait vu que c'était juste pour un an. J'ai perdu physiquement, j'ai abîmé mes sinus et maintenant je ronfle. J'ai un sérieux problème de craving, même si je croyais avoir appris à gérer les redescentes. Mon problème de comportement, concernant toutes les drogues d'ailleurs, s'est amplifié. D'un autre côté je dois dire que j'ai côtoyé de sacrés defoncemans, et que j'ai même fini par toucher à des prods que je voyais jusque là comme le Sheitan.
Enfin, ma dernière session de conso (3-MMC) en France m'a amené à une phase de déréalisation assez rude, que j'aurais tendance mettre sur le dos de deux choses : la surconsommation sur une période bien trop longue, et une dissonance plutôt frappante, entre les habitudes de conso que j'avais prises, et la manière dont la soirée s'est déroulée ici, avec les mêmes produits. Les comportements, entre consommateurs, relevaient moins d'une compréhension du produit et de ses effets que d'une recherche de ces derniers. On se touche, se carresse, on parle beaucoup, s'expose emotionnelement, tout ce qui finalement était évité en Pologne car compris comme induit par la drogue.