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La Condition Pavillonnaire

  • Auteur de la discussion Auteur de la discussion Morning Glory
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Morning Glory

Holofractale de l'hypervérité
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13/10/12
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Lieu sinistre, immense et brûlant, bâtiment gris noirci par le temps. Sans fenêtre. Des gens aux discussions légères dans une lourde atmosphère. Odeur âpre chimique, boucan à vous en crever les tympans. La trotteuse déjà a de l’avance, d’aller pisser j’ai perdu ma chance, je fonce vers ma cage il le faut bien, parce que le temps c’est de l’argent… mais pas le mien.​
La machine tourne, je dois accélérer.​

Neuf-cent pièces en huit heures, cinq-mille fois le même mouvement. Cette cadence personne ne la tient, mais faudrait pas qu’on en fasse moins demain. Campée sur mes jambes, protections anti-bruit à mes frais, je demeure là, statique, comme si ma bouffe en dépendait. Formelle interdiction de s’asseoir, effrayés qu’ils sont d’un hypothétique retard.​
Au début je prends sur moi, ça semble plutôt facile. Mais demain, dans deux semaines, dix, douze mois… Le dos noué, je ne pensais pas une nuque si fragile, je ne sens plus mes jambes, je souffre, tout mon corps est fébrile. Le vacarme de la bécane me tanne le crâne, pneumatique, les particules plastique la poitrine m’irritent, je crache mes tripes, mécanique.​
La machine tourne, je dois accélérer. ​

A la longue le temps alanguit s’effiloche et s’étiole, je ne me sens plus dans la vie, putain, qu’est-ce que c’est que cette bestiole ? Plus rien n’existe que mon automate et son roulis, un hole de kétamine, oui, quelque chose de ressemblant. Je me perds, boucle spatio-temporelle infinie, ce trip est un bad, il n’a vraiment rien d’élégant. Serait-ce donc cela, que ressent un hamster dans sa roue ? Y penser je ne préfère pas, il doit devenir fou !​
Par les seules ouvertures levant les yeux, j’aperçois un oiseau courir sur le ciel bleu. M’évader par cette lucarne, rejoindre cet heureux, chérir sa liberté : en cet instant mon vœu le plus pieux.​
Trait de poudre, sniff rapide, discret. Mon joker, ma morphine, mon secret. Mes membres enfin se décrispent, quel soulagement ; en échange ce soir l’inquiétude, le flip : dépendance approchant. Mais combien de temps tiendrais-je, sans ?…​
La machine tourne, je dois accélérer.​

Les inserts qu’on clippe coupent, cassent la pulpe des mains, dont le jus parfois coule, je vois du vermillon sur mon voisin.​
Ils sont tous là à deux pas de moi, dans leur propre cage, blaguant et souriant, serait-ce un mirage ?! Nous sommes aussi nombreux qu’une armée, assez pour renverser ce système dépravé. Pourtant trop peu osent se lever, on s’est laissé anesthésier. Faut dire que ce travail est une lobotomie, comment alors conserver de l’autonomie ? Comble de l’ironie, parlons écologie : moi qui voudrais préserver la vie, voilà que je la détruis avec énergie !​
Par réchauffement au moins s’allongera l’été, mais jamais n’aurais-je cru un jour tant le détester. Debout, entre deux immenses presses d’un hangar métallisé, par moments en plein soleil, putain de toit vitré. Un aprèm’, ils ont enregistré cinquante degrés. Les uns les autres on s’est dévisagés, ce serait à qui tomberait le premier.​
La machine tourne, je dois accélérer.​

Sinon c’est sur, je serais remplacée. Vulgaire outil bon à jeter quand usagé, sans un au revoir un merci, pas même après toute une année. On nous narre une société juste, où chacun a à y gagner. Loin du moyen-âge, des comtes, de l’esclavage. Mais des millions contre un millier, ce n’est pas ce que j’appelle du partage. La chaîne permet d’augmenter la productivité, cette sur-fabrication de biens dont le besoin, l’utilité, par des gens avides a de toutes pièces été créé. La publicité.​
« C’est pas moi qui fixe les règles », récite seul celui asservissant ses semblables. Sourire faussement contrit et cigare aux commissures des lèvres, vrai scélérat qui jamais la vraie Justice n’affrontera. Oui, c’est tout ce qu’on est ! On est des roues des rouages, des objets loués et employés. Pour faire tourner LEUR business. LEUR bonheur. Leur vie. Leur… monde.​
On est des oubliés.​

Dire qu’à l’autre bout du globe un gamin vit deux fois plus lourd, au péril de sa vie car sans protections, tout ça pour moins d’un dollar par jour, lui c’est sur, est né en prison. Ce gamin, c’est la moitié de la population. Dont plus d’un milliard vit dans des villes bidons. En mon cœur quel choc de comprendre que dans mon propre malheur, je reste sur cette Terre un des plus heureux serviteurs. Comment font-ils, comment font-ils ? Comment sont-ils parvenus à adopter cette résignation, de vivre toute une vie de robot, de sujétion ? De mensonges on nous a bercés, et par reproduction sociale nous avons intégré notre place comme étant méritée, et leur domination comme une légitimité. Manipulés. Mais ces réflexions, je dois les laisser…​
La machine tourne, je dois accélérer.​

Prendre une pièce. La poser sous le capteur. Ajouter des inserts. Presser le commutateur.​
Prendre une pièce. La poser sous le capteur. Ajouter des inserts. Presser le commutateur.​
Prendre une pièce. La poser sous le capteur. Ajouter des inserts. Presser le commutateur.​
Prendre une pièce. La poser sous le capteur. Ajouter des inserts. Presser le commutateur.​

Il est tard ça y est, le soir tant attendu, la délivrance. On va pouvoir rentrer chez nous, d’autant diront que c’est une chance ! Mais pas d’illusion pas d’espoir, non. Demain… tout recommence.​
C’est à ce prix que vous autres vivez de sérénité. Ici certains s’y feront, d’autres seront aliénés.​
A la fin, j’aimerais pouvoir crier que ma vie aura compté, que j’aurai été heureuse, épanouie et sans reproches. Que j’aurai rendu fiers mes proches. Que les nouveaux pourront considérer comme un cadeau le lègue de la génération passée. Voir si j’osais, que mon empreinte sur le monde l’aura un tant soi peu… amélioré ? Mais on n’est pas dans un monde de fées.​
Pour que cette société tourne, il faut des sacrifiés.​






(J'ai emprunté le titre à un livre de Sophie Divry (qui lui ne parle pas spécifiquement d'usine, plutôt selon moi de la vacuité humaine). Je l'ai trouvé juste parfait pour ce texte.)
 

Fichiers joints

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Très très fort, merci pour les frissons.
Ça me fait beaucoup penser à du Fauve autant sur le fond que sur la forme.
[video=youtube]
 
Surprise que ça t'ai plu, venant de toi c'est un beau compliment.

Je connaissais pas Fauve, j'aime bien, la différence entre lui et moi c'est que son texte a la rythmique pour être rappé, mais sur le coup je me suis pas trop fait chier avec ça je m'y connais rien en rap ><
 
Surprise que ça te plaise, c'est cool^^

Je connaissais pas Fauve, c'est sympa. Après lui il fait des textes qui peuvent se raper, moi j'ai pas fait gaffe au rythme et tout je m'y connais rien


Ça fait du bien de me sentir un peu créative, la dernière fois c'était il y a deux ans, c'est pas le texte le plus lumineux que j'aie écrit mais j'en suis contente, ce qui est d'autant plus rare lol
 
Sympa ton texte (bien que sombre en effet)...ça m'a fait penser un peu à ces deux titres :


[video=youtube]


[video=youtube]
 
....

Le mien est mieux :coool:



Hahaha non en vrai je connaissais pas non plus je suis pas trop rap à la base, mais ouai c'est trop ça omg jfais du plagiat O0O ^=^
Je trouve Le Dragon vraiment bien quoi qu'un peu cliché, mais je me reconnais dans plusieurs points du personnage c'est drôle
 
C'était très cool ! (et j'ai beaucoup aimé la conclusion également ^^)

Dans le même sujet je recommande Putain d'Usine de Jean-Pierre Levaray (ouvrier syndicaliste à la cégète, auteur à CQFD et militant à la fédération anarchiste). Le livre a en plus connu plusieurs adaptations vraiment sympq(BD et film).
 
Merci merci :blush:

Et merci pour les likes aussi, vu le nombre c'est effectivement pas si mal :p
 
Le rythme est bien tourné, surtout dans les premiers paragraphes. T'as du talent pour sur !

Ca me rappel le voyage au bout de la nuit que je suis en train de relire. Notamment ce passage dans les usines Ford :

"Nous fûmes répartis en files traînardes, par groupes hésitants en renfort vers ces endroits d’où nous arrivaient les fracas énormes de la mécanique. Tout tremblait dans l’immense édifice et soi-même des pieds aux oreilles possédé par le tremblement, il en venait des vitres et du plancher et de la ferraille, des secousses, vibré du haut en bas. On en devenait machine aussi soi-même à force et de toute sa viande encore tremblotante dans ce bruit de rage énorme qui vous prenait le dedans et le tour de la tête et plus bas vous agitant les tripes et remontait aux yeux par petits coups précipités, infinis, inlassables. A mesure qu’on avançait on les perdait les compagnons. On leur faisait un petit sourire à ceux-là en les quittant comme si tout ce qui se passait était bien gentil. On ne pouvait plus ni se parler ni s’entendre. Il en restait à chaque fois trois ou quatre autour d’une machine.

On résiste tout de même, on a du mal à se dégoûter de sa substance, on voudrait bien arrêter tout ça pour qu’on y réfléchisse, et entendre en soi son cœur battre facilement, mais ça ne se peut plus. Ça ne peut plus finir. Elle est en catastrophe cette infinie boîte aux aciers et nous on tourne dedans et avec les machines et avec la terre. Tous ensemble !

Les ouvriers penchés soucieux de faire tout le plaisir possible aux machines vous écoeurent, à leur passer les boulons calibrés et des boulons encore, au lieu d’en finir une fois pour toutes, avec cette odeur d’huile, cette buée qui brûle les tympans et le dedans des oreilles par la gorge. C’est pas la honte qui leur fait baisser la tête. On cède au bruit comme on cède à la guerre . On se laisse aller aux machines avec les trois idées qui restent à vaciller tout en haut derrière le front de la tête. C’est fini. Partout ce qu’on regarde, tout ce que la main touche, c’est dur à présent. Et tout ce dont on arrive à se souvenir encore un peu est raidi comme du fer et n’a plus de goût dans la pensée. On est devenu salement vieux d’un seul coup.

Il faut abolir la vie du dehors, en faire aussi d’elle de l’acier, quelque chose d’utile. On l’aimait pas assez telle qu’elle était, c’est pour ça. Faut en faire un objet donc, du solide, c’est la règle.

J’essayai de lui parler au contremaître à l’oreille, il a grogné comme un cochon en réponse et par les gestes seulement il m’a montré, bien patient, la très simple manœuvre que je devais accomplir désormais pour toujours. Mes minutes, mes heures, mon reste de temps comme ceux d’ici s’en iraient à passer des petites chevilles à l’aveugle d’à côté qui les calibrait, lui, depuis des années, les chevilles, les mêmes."
 
Quand mon cerveau veut bien se mettre en branle, j'avoue ça passe^^ L'est juste TRES flemmard :P

Ouai la seconde partie j'ai été un peu emmerdée par le fait de devoir comprimer de ouf des concepts un peu plus abstraits et complexes que de simples descriptions, et du coup y a des passages un peu indigestes j'avoue ><

"De mensonges on nous a bercés, et par reproduction sociale nous avons intégré notre place comme étant méritée, et leur domination comme une légitimité."
Rien qu'enlever "par reproduction sociale" ça aurait allégé cette phrase, mais bon si j'étais entrée en mode perfectionniste vous auriez eu le texte l'année prochaine^^

Yep ce texte mais c'est trop ça, quand tu entres pour les premières fois en usine genre t'es au bout de ta vie tu comprends que dalle^^" ...ou plutôt si, tu comprends beaucoup trop en fait, tu te prends les parpaings les uns après les autres lol
 
Ouah tu dechires grave ! Chapeau bas !

Ton texte dégage énormément d'émotions, c'est grave bien et joliment tourné !
 
Je viens de découvrir le texte.
Très belle plume, très touchant, très réel.
Bravo !
 
Ouah tu dechires grave !
Je sais je sais  :blush:

*fuit*


Merci à vous deux^^ Pis whaaat TREIZE likes?! Oh mon dieu, OHMONDIEUUUUU O0O CA FAIT BEAUCOUP DE LIKES!!!

Calmez vous :3

<3
 
Morning Glory a dit:
Merci à vous deux^^ Pis whaaat TREIZE likes?! Oh mon dieu, OHMONDIEUUUUU O0O CA FAIT BEAUCOUP DE LIKES!!!

Calmez vous :3

<3

Une invitation à en lire plus de ta part :)
 
Je demande que ça d'en faire plus!!! A l'école primaire j'avais déjà écrit un texte, qu'on avait d'ailleurs lu en classe lol, dès lors j'ai voulu faire écrivaine ^_^ Rêve de gosse. Maiiis j'ai un cerveau récalcitrant de ouf T_T

Le présent texte là, je l'ai trouvé très fun à écrire malgré le sujet pas drôle, j'ai mit trois jours à l'écriture et un aux relectures. J'ai ecrit mes idées au fur et à mesure, fait des phrases pel-mel (pelle-melle? o_O), les assemblai en paragraphes progressivement puis montai le tout en me disant tiens ça c'est plus logique si j'y mets là ça fait une bonne transition etc. J'ai vraiment eu l'impression d'assembler  un puzzle dont je créais moi-même les pièces^^ Première fois que j'écris un texte simili-rap aussi avec rimes et tout tout le long, ça me ressemble pas trop mais j'ai bien kiffé^^ Limite jvais regretter de pas savoir rapper pour en mettre en audio  :'D
Bref.
Il a popé au beau milieu d'un autre auquel je réfléchis depuis un mois, qui devrait être assez différent au moins dans la forme, il devrait peut-être un peu plus se rapprocher de mon premier billet de blog sur PA (qui au passage a perdu un audio, vive l'impossibilité de rééditer mon propre billet après un certain temps... je le ramènerais peut etre ici du coup un de ces quatre, meh, ça fait quand même un peu la meuf qui s'étale partout et qui déterre ses propres anciens posts  :rolleyes: jverrais) , mais j'en suis pas encore sure il est encore très flou. Il est plus complexe que celui ici présent pour moi, même si au final il fera peut-être plus cheap lol j'en sais rien. Jveux dire que mon cerveau a plus de mal à le cerner pour l'instant, les idées viennent doucement.

Et là où jveux en venir c'est que c'est vraiment comme ça que je "marche" (ou marche pas^^'), trois jours, c'est comme mon premier billet de blog y a deux ans, c'est court pour moi mais mon cerveau juste... ba il me donne les idées fluidement, c'est logique ça s'emboite, c'est agréable à faire, pof! Ca fonctionne :D
Mais tout le reste du temps c'est le désert, il me donne rien zéro idée, ou pas de quoi faire quoi que ce soit de cohérent en tout cas. Ma créativité c'est du tout ou rien .____. (Et plus souvent du rien que du tout.)
J'espère que je réussirais à pondre le ptit dernier là, il me tient assez à cœur fufu, suspense...

Encore mercimerci pour vos encouragements ^_^ Quand j'arrive enfin à faire des esquisses d'art, que je suis contente du résultat et que EN PLUS les lecteur.ices aiment aussi, alors là la boucle est bouclée, c'est vraiment Génial comme sentiment^^ Genre du partage, de l'accomplissement, de l'expression de soi, de l'utilité... et beaucoup d'autres nuances .___. C'est super précieux
 
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