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Guest
Effet d'opprobre entraîné par un fait, une action transgressant une norme éthique ou une convenance (d'un groupe social, d'une société) ou par une action jugée avilissante par rapport à la norme (d'un groupe social, d'une société).
Sentiment de pénible humiliation qu'on éprouve en prenant conscience de son infériorité, de son imperfection (vis-à-vis de quelqu'un ou de quelque chose).
Gêne qu'on éprouve à l'idée d'enfreindre certaines convenances sociales, culturelles ou morales, ou à l'idée d'agir à l'encontre de sa dignité ou de la décence.
On peut différencier deux grands types de civilisation, celles de la honte et celles de la culpabilité, même si chaque civilisation connait honte et culpabilité bien sur. Les civilisations de la honte sont rattachées à un mode tribal où le père est tout-puissant et ne connait aucune autorité au dessus de la sienne, exemples des cultures asiatiques. Les civilisations de la culpabilité s'orientent plutôt vers un monothéisme impliquant une Loi au-dessus du Père, telles les cultures européennes et américaines modernes.
La honte semble plus originaire que la culpabilité, et le passage de la honte à la culpabilité se ressent par une première idée de souillure, de perte d'un idéal, ou par la prise de conscience d'un mal moral. Les notions de dégoût et de morale sont donc liées à la honte, par le biais de plusieurs sentiments et notamment de la culpabilité, qui se fond dans la complexité des liens entre la psyché interne de l'individu et ses relations sociales.
DIFFÉRENCE ENTRE HONTE ET CULPABILITÉ
La culpabilité et la honte sont donc souvent confondues, malgré des mécanismes d'action très différents. En première distinction, la honte est dénuée de toute responsabilité humaine, en frappant l'individu dans son essence, dans son être le plus profond, alors que la culpabilité concerne le faire, en étant la conséquence d'une faute où la volonté est engagée dans le sens d'une transgression. L'individu se sentant coupable d'avoir pensé et agi en mal, peut alors prêter attention aux problèmes d'autrui pour réparer sa faute. Au contraire, la honte peut entrainer de l'hostilité à l'égard des autres, en provoquant des sentiments centrés sur soi, et pouvant être reportés sur autrui pour ne pas s'avouer sa propre honte. Si le coupable peut reconnaitre son tort moral, le honteux l'éprouve sans forcément l'appréhender, mais dans les deux cas il est possible de projeter sa culpabilité ou sa honte sur son entourage, comme les accepter.
La honte a un caractère irréparable en ne se partageant pas, lorsque la culpabilité, dont les sources sont parfois aussi inconscientes, peut être dépassée en étant analysée, ou partagée dans un but réparateur. D'autre part, la culpabilité implique une référence au temps qui apaise et rapproche les individus en remaniant leur relation, alors que la honte se réfère à l'espace séparant les corps dans une intime et innommable distance, et à cette inavouable solitude. Par ailleurs, elles nouent ensemble des liens, lorsque l'on peut avoir honte d'être coupable, ou se sentir coupable d'être honteux.
La problématique de la honte est donc intriquée dans celle de la culpabilité, puisque avant même de créer une confusion pour se défendre d'un risque de désagrégation psychique, la honte et la culpabilité dans leur rapport avec le refoulement organique et originaire, ont permises d'accéder à la parole, dans une organisation hiérarchique des sens. Cette alliance de construction émotionnelle et relationnelle, nous structure individuellement et socialement, et œuvre dans notre processus culturel en amenant les individus au langage. Néanmoins, la honte étant ancrée dans le corporel, reste plus primitive et intime que la culpabilité, qui est plus socialisée.
ORIGINES
La honte est un enchevêtrement d'émotions telles que la peur, la tristesse ou la colère, et de sentiments d'impuissance, de rage retenue, de désespoir et de vide. Elle est archaïque parce que plus sensorielle que verbale, et très souvent liée à des carences affectives prenant formes dans l'enfance, avant de se manifester dans des dynamiques relationnelles lors de son parcours de vie. Mais la honte ne peut se réduire à un type d'éducation, ou à un profil psycho-social particulier, tant elle est universelle et présente dans toutes les couches de la société, en évoluant par degré d'intensité et niveaux d'expression selon les âges et les contextes.
Il y a trois principales formes de honte que sont :
- La honte du désarroi (désordre mental avec un possible effondrement psychique)
- La honte du presque-rien (impression d'inexistence, d'inconsistance, de manque de cohésion physique ou psychique)
- La honte de la déshumanisation (impression d'être étranger à soi-même, illégitime, déréalisé, dépersonnalisé, d'être une machine mécanique ou biologique)
Et dont les manifestations sont :
- émotionnelles (sentiment d'infériorité : gêne, malaise, peur - de supériorité : exubérance, agressivité)
- corporelles (yeux baisés, tête basse, rougissement, tête haute, tension musculaire)
- cognitive (rancœur, discours interne dévalorisant, agressif)
- comportementales (inhibition, paralysie ou ambition, fuite, exhibitionnisme, orgueil, envies et désirs)
Famille
La famille est un lieu de soutien, d'identifications et d'apprentissages, où le psychisme prend racine. Ainsi pour comprendre d'où nait la honte qu'un individu ressentirait, il est nécessaire d'analyser les situations d'enfance au cours desquelles il a été confronté à la honte, les situations humiliantes auxquelles il a vu ses parents confronté, et aux hontes cachées des parents, qu'il a ressentir en s'en imprégnant inconsciemment. Toutes ces impressions constituent un matériel psychique dynamique, dont les valeurs peuvent être partagées et assumées, ou bien contestées et refoulées.
Un individu dont la personnalité a été initialement fragilisée par la honte, avec des enveloppes psychiques clivées ou instables, est susceptible de perdre ses repères internes en étant confronté à des situations difficiles, et auxquelles il ne pourra faire face. La honte momentanément suscitée est potentiellement destructrice de sa confiance en soi si elle n'est pas relativisée, en entrainant la personne dans un cercle vicieux de ressenti perçu comme le témoignage émotionnelle d'une inadéquation croissante entre son monde et sa personne (désarroi). La résultante étant de perdre toute estime de soi au point de s'en sentir comme inexistant, et quand au fait de n'être que ce que l'on est, ou de se rendre compte que l'on n'est pas ce que l'on croyait, vouloir disparaitre totalement pour fuir sa honte du presque-rien. En plus de ses expériences de mépris ou humiliation vécus, il est donc important de prendre en compte que l'enfant s'approprie et s'identifie à la honte de ses parents, selon des contextes sociaux ou professionnels, et selon un décalage générationnel, présentant une évolution des mœurs et une éventuelle déstigmatisation de certaines hontes passées.
Comment se fonde t-elle ?
Dans la perte de son sentiment de toute puissance, de son omnipotence infantile, lorsque l'enfant se trouve confronté à une réalité lui révélant sa précarité et ses faiblesses, et le coupant de la puissance de ses élans vitaux et élationistes. Alors l'enfant peu ou mal armé contre des évènements angoissants, s'abandonne douloureusement à une mélancolie dans une perte de soi ignorée, non formulée, et cachée derrière une idéalisation protectrice de son intégrité. La honte présente dès la naissance dans la rupture de son parfait équilibre narcissique pré-natal, unit le corps et l'esprit dans une souffrance individuelle et indicible, et dont l'enfant ne pourra s’échapper. Elle nous cloue à nous-même dans une intimité indépassable, dont la nudité si crue nous devient insupportable une masque tombés. Ainsi la honte est constitutive de notre intériorité, en étant le lieu de l'intimité et où l'individu est seul la mémoire de ses douceurs et douleurs, de sa grandeur et de sa misère.
Elle se manifeste aussi lorsque l'on demande ce qui est dû, ou bien son envie d'être loué en se plaignant de son sort. En découle alors le sentiment de culpabilité de rechercher des louanges, de quémander une oreille pour écouter sa complainte d'être humain honteux d'exprimer son narcissisme, ou d'exposer sa vulnérable infirmité d'un manque à être, faible de soi ou de son moi fragilisé.
Comment se propage t-elle ?
Très facilement en se communiquant dans une logique verticale de supériorité/infériorité. Ainsi elle nous tombe dessus lorsque l'on se sent inférieur à autrui, et l'on s'en défait lorsque l'on se sent à son tour supérieur. La honte serait alors un témoin de l'importance que nous accordons à soi-même et aux gens, devant lesquels nous nous sentirions soit honteux, soit plus ou moins fiers de sentir la honte que nous leurs inspirerions. Une relation saine serait un possible équilibre des hontes où d'un côté d'aucun se sentirait inférieur, et d'un autre côté personne n'en ressentirait de supériorité, même si la complexité et la diversité des relations humaines ne peut s'expliquer d'un point de vue quantitatif, la notion de qualitatif étant essentielle à chacun pour se sentir dans son bon droit et à sa place.
La honte est donc mobile et diverse, par sa singulière rencontre avec une réalité extérieure en faisant perdre à l'individu son illusion d'unité indifférenciée d'avec soi, dans le tout. Elle est ce défaut d'amour laissant les demandes sans réponse, ce sentiment paradoxal et insaisissable de ne pas être comme l'autre, ou de ne plus être soi en se fondant dans l'autre. Elle est donc irresponsable parce qu'elle n’enfreint aucune règle. Elle se répercute socialement par la réflexion de son insuffisance révélée à travers le regard d'autrui, tout en déstructurant l'individu.
IDÉAL ET COMPARAISON DE SOI
La honte ne prend pas forcément son origine dans un grand secret. Elle est une marque identitaire qui distingue l'individu d'autrui, et plus la distinction est grande, plus la douleur ressentie peut être prenante. Il est alors terrible que sa propre singularité puisse faire éprouver à l'individu un tel sentiment d'indignité, et le faire se déprécier au point de se dévaloriser en se comparant aux autres, parce que son identité ne correspondrait pas aux normes du groupe auquel il appartient, ou voudrait appartenir. Si la notion d'idéal est indispensable à la compréhension du mécanisme de la honte, il faut distinguer les idéaux collectifs et sociétaux, des idéaux familiaux et parentaux, et des idéaux individuels que l'on simplifiera aux idéaux qu'a l'individu de sa propre personne, et a son idéal narcissique d'équilibre parfait lorsqu'il était au stade fœtal.
Des idéaux individuels aux idéaux collectifs.
L'idéal individuel et propre à chacun prend racine dans la perte de l'omnipotence infantile, ce stade précoce où le bébé commence à se différencier de son environnement et de sa mère, en prenant conscience de lui-même (formation du moi vers 2 ans). En perdant cette illusion de toute puissance, l'enfant perd son unité d'avec le tout environnant, et comprend que de part son individualité naissante, il n'est pas l'univers. A partir de ce stade crucial, il n'aura de cesse de chercher à retrouver cet idéal de paix intérieure, en quel cas il en ressentirait physiquement et psychiquement de la honte, si il n'y correspondait pas pour y retrouver cette unité narcissique originelle, équilibrée et parfaite. Puis au fil de son éducation, l'enfant adoptera des idéaux parentaux liés à sa famille, vecteurs de valeurs faisant référence pour que l'enfant puisse s'en servir comme modèle, tout comme des idéaux sociaux et liés à la collectivité, et qui s'ajouteront à son idéal du moi individuel, en lien avec son narcissisme moral et corporel.
C'est donc en transgressant ses différents idéaux, qu'à plusieurs niveaux de ressentiment moral et corporel, l'individu éprouve de la honte en restant obnubilé par ses propres problèmes, et fuyant le regard d'autrui. On retrouve ici les plaisirs solitaires et coupables, les violences complaisantes et autres fantasmes en tout genre, témoins d'un monde intérieur pulsionnel et sujet à la désapprobation du surmoi, jaugé d'après les valeurs de l'idéal du moi. En tant que face obscur de cet idéal du moi, la honte opère donc un repli narcissique nombriliste, dans son intériorité qu'il est indispensable de surmonter pour s'émanciper.
Honte, carences affectives et éducation
L'enfant carencé affectivement et narcissiquement déséquilibré, cherchera une satisfaction morale, intellectuelle ou corporelle, dans des efforts ou des renoncements divers et multiples, en lien avec ses idéaux. Il s'agira alors pour lui, honteux de sa personne, de modeler son idéal propre à ses idéaux parentaux, en diluant son identité dans celle des figures parentales, et d'ainsi ne valoriser que leur gloire narcissique, lorsque l'enfant n'arrive à s'estimer et se sentir exister qu'en servant les intérêts de ses parents. C'est donc pour ne pas subir sa honte, faute de s'estimer inconditionnellement par lui-même, qu'il va refouler ses sentiments négatifs en cherchant une reconnaissance conditionnée d'après les volontés et les idéaux de ses parents.
" Pour se faire aimer, l’enfant n’a guère d’autre solution que d’être sage, c’est-à-dire obéir, être conforme à ce qu’on attend de lui, ce qui implique qu’il renonce en partie du moins à ses pulsions qui le poussent à vouloir tout tout de suite et sans tenir compte des conséquences. C'est l'objet de l'éducation. Donc l’enfant sacrifie sa pulsion au sentiment d’amour et de sécurité de même qu’à la restauration de son estime que garantit l’amour parental.
Peu à peu tout ceci va se tempérer, Idéal du Moi et Surmoi intériorisés remplaceront les parents externes et agiront de concert pour contribuer à une image réaliste de soi et du monde, ce qui passe bien sur par la désidéalisation des images parentales. Dans la honte pathologique, cette tempérance de l’Idéal du Moi, du fait de failles dans la relation précoce, ne s’est pas faite et l’individu est resté fixé à un Idéal du Moi dont il lui est tout aussi indispensable de se faire aimer que l’amour maternel l’était à l’époque pour l'enfant, et les exigences de cet Idéal sont tout aussi disproportionnées qu’elles l’étaient alors. C’est « Tu dois être parfait pour être aimé, sinon, tu ne seras rien ! ». C’est à ce rien, cette inexistence que renvoie la honte, cette blessure narcissique que rien ne peut réparer si ce n’est disparaître de la surface de la terre. "
HONTE POSITIVE
La honte est positive quand elle permet des acquis éducatifs, favorisant ensuite l'apprentissage de la vie sociale par l'empathie, lorsqu'il s'agit de ressentir et comprendre les états affectifs et subjectifs d'autrui. En se sentant humilié ou méprisé, il est possible de ne pas tomber dans la rancune et le ressentiment, en comprenant le phénomène que l'on ne souhaite pas projeter et faire subir aux autres pour se venger. En régulant les relations sociales, c'est accompagnée de sa comparse la culpabilité qu'elles fixent les limites à ne pas dépasser de la respectabilité, tout en restant soi-même. La honte est aussi positive quand elle informe sur son état émotionnel, et invite à se positionner ni dans un état de soumission, d'abandon ou de victime, ni dans un état de domination, de persécuteur ou de sauveur.
HONTE NÉGATIVE
Si la honte a le potentiel d'inhiber sa colère en réfrénant ses pulsions d'agressivité, cette limitation peut aussi favoriser le développement d'une névrose. En excès, elle est la source de souffrance individuelle amenant à des conduites d'évitement, une phobie sociale, ou à une anxiété liée à un sentiment d'insécurité, qu'un orgueil ou une vanité pourront sublimer. Ces excès de honte proviennent de moqueries enfantines ou d'humiliations récentes, de mépris ou de mensonges, de rancunes ou de jalousies extérieures à la honte originaire. Intérieurement, même si l'individu n'a rien fait de mal, même si il ne se sent pas coupable de quoique ce soit, il peut souffrir d'une honte l'amenant à croire que quelque chose ne va pas chez lui, quitte à lui provoquer un malaise vecteurs d'échec réels, justifiant sa souffrance existentielle par des actes manqués et répétés. Cette tendance honteuse sans culpabilité émerge dans notre société post moderne, où le libéralisme favorise le culte de la personnalité tout en retirant aux individus aliénés leur dignité. La résultante est que l'individu est poussé dans des ascensions émotionnelles en spirale, qui tendent soit vers le bas dans un manque narcissique et une mésestime de soi, soit vers le haut dans un excès narcissique et une surestimation de soi.
Blessure narcissique
La honte témoigne d'une blessure narcissique plus ou moins profonde, mais trop souvent irréparable. Son intensité est mouvante selon les situations et ses actions d'abandon face au tragique, ou de résilience pour un possible avenir meilleur. C'est cachée ou dévoilée, soumise ou défensive, qu'elle enveloppe l'individu dans la déception d'une insuffisance narcissique pouvant être morale (auto-privation et renoncement pour satisfaire un idéal), intellectuelle (dévalorisation de soi en se trouvant nul et inapte), ou corporelle (en lien avec la sexualité et l'image dépréciée que l'on a de son corps. On se trouve laid, sale, difforme, avec des imperfections plus ou moins imaginées).
Dans le pire des cas la honte est associée à d'autres troubles tel l'alcoolisme, les addictions, la dépression, qui peut conduire à la dépression voire au suicide, lorsque l'individu à dépenser toute son énergie à lutter contre soi.
"Qui qualifies-tu de mauvais ? — Celui qui veut toujours faire honte.
Qu'y a-t-il pour toi de plus humain ? — Épargner la honte à quelqu'un. "
F. Nietzsche