Laura Revenudelaba
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DU CORPS AU CERVEAU - UNE CARTOGRAPHIE PERMANENTE DE SOI DANS SON ENVIRONNEMENT, QUI STRUCTURE L’ESPRIT CONSCIENT DE SON PROPRE ORGANISME
L’esprit émerge du corps en s’auto-percevant dans une cartographie de soi permanente. Au point de jonction entre corps et esprit advient la subjectivité, centre nécessaire à toute conscience de soi pour, toujours, se rapporter à elle-même. Nous comprenons ainsi comment se structure l’égocentrisme le plus fondamental à partir de la notion de subjectivité, en tant que tout individu est sa propre référence, du fait d’être lui-même son propre référentiel. Voyons en quoi consiste cette cartographie et comment l’égocentrisme se structure dans l'auto-perception de soi.
SYSTÈMES NERVEUX ET CARTOGRAPHIE
« Le cerveau humain cartographie tous les objets situés à l’extérieur de lui, toutes les actions, dans le temps et dans l’espace, relativement les uns aux autres et eu égard au vaisseau amiral qu’est l’organisme, unique propriétaire de notre corps, de notre cerveau et de notre esprit. Le cerveau humain est un cartographe né, et cette cartographie débute par celle du corps dans lequel il est installé. » - Antonio Damasio
Le corps n’est jamais passif.
En permanence le cerveau passe en revue l’organisme tout entier, localement et directement - par les terminaisons nerveuses (nerfs périphériques sensoriels et moteurs + transmission neurale via des signaux électrochimiques) - mais aussi globalement et chimiquement - par la circulation sanguine (transmission hormonale via des signaux chimiques, hormones, neurotransmetteurs et modulateurs).
« Le cerveau reçoit des messages de tout le corps, mais aussi, à certains niveaux, de quelques-unes de ses propres régions, lesquelles reçoivent des messages du corps. L’unité organique constituée par le partenariat corps-cerveau interagit en tant que tout avec l’environnement, l’interaction n’étant le fait ni du corps seul, ni du cerveau seul. » - Antonio Damasio
L’organisme humain est ainsi constitué d’un corps et d’un esprit, dont le cerveau est l’élément clé unifiant ces deux facettes d’une même médaille, toujours en rapport avec l’environnement. La faculté d’être conscient est propre à tout organisme possédant un système nerveux assez développé pour produire des sentiments de soi, reflets psychiques de ses propres états corporels immédiats. Nos sentiments de soi dépendent de cartes neurales très complexes, issues d’une incessante cartographie.
CONSTRUCTION DES CARTES (ENCARTAGE)
Seuls des systèmes nerveux complexes ont les capacités de cartographier l’environnement en générant des images, qui pourront ensuite former un esprit. Ces cartes sont relatives à des structures neuronales qui connectent des ensembles de neurones au travers de circuits spécifiques, dans le corps et dans le cerveau (le cerveau étant le lieu où toutes les connexions se réunissent).
« Ces cartes se construisent lorsque nous interagissons de l’extérieur du cerveau vers l’intérieur avec des objets, par exemple une personne, une machine, un lieu. On n’insistera jamais assez sur ce mot interaction. Il nous rappelle que la production de cartes, qui est essentielle pour améliorer nos actions, a souvent d’abord lieu au départ de l’action. L’action et les cartes, les mouvements et l’esprit participent d’un cycle sans fin, idée qu’a bien saisie Rodolfo Llinas quand il attribue la naissance de l’esprit au contrôle par le cerveau du mouvement organisé. » - Antonio Damasio
Où les cartes sont-elles conçues ?
« Les structures de cartographie sont situées dans le système nerveux central, du moins si l’on précise clairement que nombre de structures intermédiaires dans le système nerveux périphérique préparent et préassemblent des informations pour les cartes neurales centrales. » - Antonio Damasio
L’hippocampe est une structure cérébrale qui permet un taux élevé d’intégration des images par le code. Il assure également de convertir les codages temporaires en codages permanents (mémorisation via habituation), ce qui assure l’acquisition d’informations sous forme d’automatisme, essentiels à notre adaptation. Notre esprit est donc constitué d’une myriade d’images contenant des informations, qui défilent au fur et à mesure que s’élabore notre film cérébral en direct dans notre mental.
« Quand le cerveau produit des cartes, il s’informe. Les informations contenues dans ces cartes peuvent servir, sans passer par la conscience, à guider efficacement le comportement moteur, ce qui est des plus désirables si on considère que la survie dépend du fait de bien agir. Mais lorsque le cerveau fabrique des cartes, celles-ci créent aussi des images, lesquelles représentent ce qu’il y a de plus courant dans notre esprit. Enfin la conscience nous permet de percevoir les cartes sous forme d’images, de les manipuler et de leur appliquer des raisonnements. » - Antonio Damasio
CONSTRUCTION D’UN CADRE DE REFERENCE, BASE NEURALE DE LA STRUCTURE EGOCENTREE FONDAMENTALE
Le cerveau spectateur du corps.
« Puisque le cerveau est le public obligé du corps, la perception des émotions l’emporte sur les autres processus perceptifs. Et puisqu’elle se développe en premier, elle constitue un cadre de référence pour ce qui se développe ensuite, et par là elle intervient dans tout ce qui se passe dans le cerveau, et notamment dans le domaine des processus cognitifs. Son influence est immense. » - Antonio Damasio
En soulignant l’importance de la perception des émotions vis-à-vis de la construction de l’esprit conscient de lui-même, on retiendra que cette perception de nos émotions, ainsi que de nos sensations, est à l’origine de toutes nos interprétations et autres constructions de notre réalité. A l'origine de tout sentiment, de toute pensée, se trouve l'émotion. D'abord le corps éprouve, puis l'esprit ressent ce que le corps a senti, en y apposant une image mentale et éventuellement un mot ou un concept. On passe du senti (physique) au ressenti (psychique) lorsque l'on construit nos représentations de la réalité. On précisera néanmoins qu’il y a une communication permanente entre corps et esprit, dans des aller-retours somato-psychiques opérant au niveau du cerveau :
« Le corps façonne les contenus de l’esprit plus que l’esprit ne façonne ceux du corps, même si, dans une large mesure, les processus mentaux se reflètent dans le corps. » - Antonio Damasio
NATURE ET ORIGINES DE L’ESPRIT
Pas de corps, pas d’esprit.
L’esprit est le produit d’interactions entre corps et cerveau : il ne s’agit pas d’un phénomène purement cérébral. L’esprit, composé d’images, est formé à la fois dans le cortex cérébral et le tronc cérébral. Les phénomènes mentaux ne peuvent se concevoir sans une certaine référence au corps. On commence à comprendre en quoi l’esprit est inter-dépendant du corps, en étant (auto)centré sur ce dernier.
L’unité de base de l’esprit est l’image :
« L’esprit est une combinaison subtile et flottante d’images présentes et d’images remémorées, dans des proportions qui changent sans arrêt. » - Antonio Damasio
Sans système nerveux capable de cartographier les structures et les évènements, ni sentiment ni esprit.
A partir de l’activité de certaines cellules neuronales et gliales, l’esprit apparaît lorsque l’activité de petits circuits neuronaux s’organise pour former de grands réseaux entre matière grise et matière blanche, entre zones corticales et sous-corticales, ce qui produit des systèmes et des structures temporaires, permettant de cartographier l’organisme dans son environnement. Cette incessante activité de cartographie dynamique a une conséquence spectaculaire : l’esprit doué de sentiment de soi.
« On peut raisonnablement avancer que la douleur, qui est une expérience mentale, ne peut émerger que chez un organisme possédant un esprit ; et pour qu’un esprit puisse exister, l’organisme doit posséder un système nerveux capable de cartographier les structures et les évènements. En d’autres termes, selon moi, les formes de vie ne possédant pas de système nerveux ou d’esprit présentaient (et présentent) des processus émotionnels élaborés, des programmes d’actions défensifs et adaptatifs - mais pas de sentiments. » - Antonio Damasio
Il peut donc y avoir chez un organisme la capacité à engendrer des processus émotionnels inconsciemment, au niveau somatique, sans qu’il y ait accès psychiquement au travers de sentiment reflétant ces états émotionnels corporels. Avoir conscience de ses propres états somatiques nécessite de s’auto-percevoir au travers de sentiments de soi, processus propre à la subjectivité.
ESPRIT ET SUBJECTIVITÉ - S’AUTO-PERCEVOIR AU TRAVERS DE SENTIMENTS DE SOI
« La simple présence d’images organisées s’écoulant dans un courant mental produit un esprit, mais, à défaut de processus supplémentaire, l’esprit reste non conscient. Ce qui lui manque, c’est un soi. Pour que le cerveau devienne conscient, il doit acquérir une propriété nouvelle : la subjectivité. Et ce qui la définit, c’est le sentiment qui marque les images dont nous faisons l’expérience subjective. » - Antonio Damasio
« Un organisme doté d’un esprit peut ne pas être conscient des images qui le forment. Sans subjectivité, l’organisme n’est pas en mesure d’inspecter les images au moyen de son propre esprit. » - Antonio Damasio
On comprend ainsi que la notion de subjectivité est relative à la perception de soi-même, qui s’établit à différents niveaux :
- Intéroceptif (ou viscéroception), perception de l’état de ses organes et du degré de contraction/relâchement des muscles lisses.
- Nociceptif, perception des signaux à la base des sentiments de douleur.
- Proprioceptif, perception des positions, attitudes et mouvements du corps et des membres (muscles striés et articulations) dans l’espace et le temps.
- Extéroceptif, perception via les cinq sens, par contact direct tels le toucher (tact passif ou actif, les sensations thermiques, les points de douleur ou récepteurs algiques) et les sensations chimiques (le goût, l’odorat). Ou par contact à distance, tels l’ouïe et la vue.
DOUBLE NEURAL DU CORPS
Si le cerveau cartographie incessamment le corps interagissant avec l’environnement, Antonio Damasio précise que les cartes nouvellement créées se remodèlent à partir des précédentes, dans une reconfiguration permanente de nos représentations. Ce serait comme une actualisation permanente de soi, qui permettrait de savoir en temps réel ce qu’il en est de l’état de notre organisme, en fonction de ce que l’on fait, d’où l’on se trouve, dans l’infinité possible des situations que l’on peut rencontrer. D’où le fait que le film de notre réalité consciente reste stable quand l’on tourne la tête, ou lorsqu’on ferme les yeux et qu’on en a en tête une image de son environnement proche.
Il y a donc une constante cartographie de nos propres cartographies, qui actualise notre connaissance de nous-même dans l’immédiat, toujours au travers de cette notion de subjectivité qui assure le fait de se sentir soi-même. Cette représentation de soi dans l’instantanéité du présent s’explique par le concept de double neural, quand nous nous reproduisons en permanence dans une imitation de soi (nos cartes neurales reflétant nos états corporels et psychiques en permanence, dans un incessant aller-retour en corps et esprit, afin de savoir en permanence dans quel état est l’organisme) :
« Dans le cerveau élaboré des créatures complexes, les réseaux de neurones en viennent à imiter la structure des parties du corps auquel ils appartiennent. Ils représentent l’état du corps ; littéralement parlant, ils cartographient le corps pour lequel ils œuvrent et constituent une sorte de représentant, de double neural de celui-ci. Et, fait important, ils restent liés au corps qu’ils imitent tout au long de la vie. Comme nous le verrons, imiter le corps et rester relié à lui est très utile à la fonction de gestion. » - Antonio Damasio
« Les cartes ne sont pas statiques comme celles de la cartographie classique. Elles sont changeantes ; elles fluctuent d’un moment à un autre, pour refléter les modifications qui se produisent dans les neurones les alimentant, ce qui en retour reflète celles qui surviennent à l’intérieur de notre corps et dans le monde environnant. Les changements affectant les cartes cérébrales traduisent aussi le fait que nous sommes nous-mêmes constamment en mouvement. » - Antonio Damasio
« La configuration du corps dans l’espace change continuellement et, en fonction de cela, la carte de celui-ci représentée dans le cerveau également. Afin de contrôler le mouvement avec précision, le corps doit instantanément adresser au cerveau des informations sur l’état de contraction des muscles du squelette. » - Antonio Damasio
BOUCLE DE RESONANCE - STRUCTURE NEURALE DE L’ÉGOCENTRISME DANS L’AUTO-PERCEPTION DE SOI-MÊME
En parallèle de la constitution du double neural (représentation immédiate projetée de soi en soi dans ses structures neurales), la subjectivité s’établit via la notion de boucle de résonance. Les structures cérébrales (cartes neurales), inextricablement attachées au corps, bombardent tout le temps le cerveau de leurs signaux et le sont en retour par lui, ce qui crée une boucle de résonance. Cet incessant aller-retour entre corps et cerveau ne s’arrête qu’avec une maladie neurodégénérative ou la mort.
« Les régions cérébrales impliquées dans la production de cartes corporelles et sous-jacentes aux sentiments forment une boucle de résonance avec la source même des signaux qu’elles cartographient. Dans le tronc cérébral supérieur, la machinerie chargée de la cartographie corporelle interagit directement avec la source même des cartes qu’elle forme, ce qui crée un lien étroit, une quasi-fusion entre le corps et le cerveau. » - Antonio Damasio
« Le corps et le cerveau sont continuellement engagés dans une danse interactive. Les pensées à l’œuvre dans le cerveau peuvent induire des états émotionnels dans le corps, tandis que ce dernier peut changer le paysage cérébral et donc le substrat des pensées. Les états du cerveau, qui correspondent à certains états mentaux, font apparaître certains états corporels ; ceux-ci sont à leur tour cartographiés dans le cerveau et incorporés dans les états mentaux présents. » - Antonio Damasio
EN CONCLUSION
Toutes leurs existences, les organismes aux systèmes nerveux complexes et développés se cartographient eux-mêmes, dans une cartographie de leurs cartographies. Ce processus dynamique de permanente auto-observation en s’auto-percevant alimente la subjectivité. La subjectivité est la propriété de l’esprit conscient qui permet aux être complexes de se sentir eux-mêmes, tout en étant spectateurs d’eux-mêmes. Ce dédoublement réflexif fondamental, du biologique au psychique, est le fondement structurel de l’égocentrisme le plus fondamental et naturel, faculté qu’à un organisme à être son propre référentiel.
L’esprit émerge du corps en s’auto-percevant dans une cartographie de soi permanente. Au point de jonction entre corps et esprit advient la subjectivité, centre nécessaire à toute conscience de soi pour, toujours, se rapporter à elle-même. Nous comprenons ainsi comment se structure l’égocentrisme le plus fondamental à partir de la notion de subjectivité, en tant que tout individu est sa propre référence, du fait d’être lui-même son propre référentiel. Voyons en quoi consiste cette cartographie et comment l’égocentrisme se structure dans l'auto-perception de soi.
SYSTÈMES NERVEUX ET CARTOGRAPHIE
« Le cerveau humain cartographie tous les objets situés à l’extérieur de lui, toutes les actions, dans le temps et dans l’espace, relativement les uns aux autres et eu égard au vaisseau amiral qu’est l’organisme, unique propriétaire de notre corps, de notre cerveau et de notre esprit. Le cerveau humain est un cartographe né, et cette cartographie débute par celle du corps dans lequel il est installé. » - Antonio Damasio
Le corps n’est jamais passif.
En permanence le cerveau passe en revue l’organisme tout entier, localement et directement - par les terminaisons nerveuses (nerfs périphériques sensoriels et moteurs + transmission neurale via des signaux électrochimiques) - mais aussi globalement et chimiquement - par la circulation sanguine (transmission hormonale via des signaux chimiques, hormones, neurotransmetteurs et modulateurs).
« Le cerveau reçoit des messages de tout le corps, mais aussi, à certains niveaux, de quelques-unes de ses propres régions, lesquelles reçoivent des messages du corps. L’unité organique constituée par le partenariat corps-cerveau interagit en tant que tout avec l’environnement, l’interaction n’étant le fait ni du corps seul, ni du cerveau seul. » - Antonio Damasio
L’organisme humain est ainsi constitué d’un corps et d’un esprit, dont le cerveau est l’élément clé unifiant ces deux facettes d’une même médaille, toujours en rapport avec l’environnement. La faculté d’être conscient est propre à tout organisme possédant un système nerveux assez développé pour produire des sentiments de soi, reflets psychiques de ses propres états corporels immédiats. Nos sentiments de soi dépendent de cartes neurales très complexes, issues d’une incessante cartographie.
CONSTRUCTION DES CARTES (ENCARTAGE)
Seuls des systèmes nerveux complexes ont les capacités de cartographier l’environnement en générant des images, qui pourront ensuite former un esprit. Ces cartes sont relatives à des structures neuronales qui connectent des ensembles de neurones au travers de circuits spécifiques, dans le corps et dans le cerveau (le cerveau étant le lieu où toutes les connexions se réunissent).
« Ces cartes se construisent lorsque nous interagissons de l’extérieur du cerveau vers l’intérieur avec des objets, par exemple une personne, une machine, un lieu. On n’insistera jamais assez sur ce mot interaction. Il nous rappelle que la production de cartes, qui est essentielle pour améliorer nos actions, a souvent d’abord lieu au départ de l’action. L’action et les cartes, les mouvements et l’esprit participent d’un cycle sans fin, idée qu’a bien saisie Rodolfo Llinas quand il attribue la naissance de l’esprit au contrôle par le cerveau du mouvement organisé. » - Antonio Damasio
Où les cartes sont-elles conçues ?
« Les structures de cartographie sont situées dans le système nerveux central, du moins si l’on précise clairement que nombre de structures intermédiaires dans le système nerveux périphérique préparent et préassemblent des informations pour les cartes neurales centrales. » - Antonio Damasio
L’hippocampe est une structure cérébrale qui permet un taux élevé d’intégration des images par le code. Il assure également de convertir les codages temporaires en codages permanents (mémorisation via habituation), ce qui assure l’acquisition d’informations sous forme d’automatisme, essentiels à notre adaptation. Notre esprit est donc constitué d’une myriade d’images contenant des informations, qui défilent au fur et à mesure que s’élabore notre film cérébral en direct dans notre mental.
« Quand le cerveau produit des cartes, il s’informe. Les informations contenues dans ces cartes peuvent servir, sans passer par la conscience, à guider efficacement le comportement moteur, ce qui est des plus désirables si on considère que la survie dépend du fait de bien agir. Mais lorsque le cerveau fabrique des cartes, celles-ci créent aussi des images, lesquelles représentent ce qu’il y a de plus courant dans notre esprit. Enfin la conscience nous permet de percevoir les cartes sous forme d’images, de les manipuler et de leur appliquer des raisonnements. » - Antonio Damasio
CONSTRUCTION D’UN CADRE DE REFERENCE, BASE NEURALE DE LA STRUCTURE EGOCENTREE FONDAMENTALE
Le cerveau spectateur du corps.
« Puisque le cerveau est le public obligé du corps, la perception des émotions l’emporte sur les autres processus perceptifs. Et puisqu’elle se développe en premier, elle constitue un cadre de référence pour ce qui se développe ensuite, et par là elle intervient dans tout ce qui se passe dans le cerveau, et notamment dans le domaine des processus cognitifs. Son influence est immense. » - Antonio Damasio
En soulignant l’importance de la perception des émotions vis-à-vis de la construction de l’esprit conscient de lui-même, on retiendra que cette perception de nos émotions, ainsi que de nos sensations, est à l’origine de toutes nos interprétations et autres constructions de notre réalité. A l'origine de tout sentiment, de toute pensée, se trouve l'émotion. D'abord le corps éprouve, puis l'esprit ressent ce que le corps a senti, en y apposant une image mentale et éventuellement un mot ou un concept. On passe du senti (physique) au ressenti (psychique) lorsque l'on construit nos représentations de la réalité. On précisera néanmoins qu’il y a une communication permanente entre corps et esprit, dans des aller-retours somato-psychiques opérant au niveau du cerveau :
« Le corps façonne les contenus de l’esprit plus que l’esprit ne façonne ceux du corps, même si, dans une large mesure, les processus mentaux se reflètent dans le corps. » - Antonio Damasio
NATURE ET ORIGINES DE L’ESPRIT
Pas de corps, pas d’esprit.
L’esprit est le produit d’interactions entre corps et cerveau : il ne s’agit pas d’un phénomène purement cérébral. L’esprit, composé d’images, est formé à la fois dans le cortex cérébral et le tronc cérébral. Les phénomènes mentaux ne peuvent se concevoir sans une certaine référence au corps. On commence à comprendre en quoi l’esprit est inter-dépendant du corps, en étant (auto)centré sur ce dernier.
L’unité de base de l’esprit est l’image :
« L’esprit est une combinaison subtile et flottante d’images présentes et d’images remémorées, dans des proportions qui changent sans arrêt. » - Antonio Damasio
Sans système nerveux capable de cartographier les structures et les évènements, ni sentiment ni esprit.
A partir de l’activité de certaines cellules neuronales et gliales, l’esprit apparaît lorsque l’activité de petits circuits neuronaux s’organise pour former de grands réseaux entre matière grise et matière blanche, entre zones corticales et sous-corticales, ce qui produit des systèmes et des structures temporaires, permettant de cartographier l’organisme dans son environnement. Cette incessante activité de cartographie dynamique a une conséquence spectaculaire : l’esprit doué de sentiment de soi.
« On peut raisonnablement avancer que la douleur, qui est une expérience mentale, ne peut émerger que chez un organisme possédant un esprit ; et pour qu’un esprit puisse exister, l’organisme doit posséder un système nerveux capable de cartographier les structures et les évènements. En d’autres termes, selon moi, les formes de vie ne possédant pas de système nerveux ou d’esprit présentaient (et présentent) des processus émotionnels élaborés, des programmes d’actions défensifs et adaptatifs - mais pas de sentiments. » - Antonio Damasio
Il peut donc y avoir chez un organisme la capacité à engendrer des processus émotionnels inconsciemment, au niveau somatique, sans qu’il y ait accès psychiquement au travers de sentiment reflétant ces états émotionnels corporels. Avoir conscience de ses propres états somatiques nécessite de s’auto-percevoir au travers de sentiments de soi, processus propre à la subjectivité.
ESPRIT ET SUBJECTIVITÉ - S’AUTO-PERCEVOIR AU TRAVERS DE SENTIMENTS DE SOI
« La simple présence d’images organisées s’écoulant dans un courant mental produit un esprit, mais, à défaut de processus supplémentaire, l’esprit reste non conscient. Ce qui lui manque, c’est un soi. Pour que le cerveau devienne conscient, il doit acquérir une propriété nouvelle : la subjectivité. Et ce qui la définit, c’est le sentiment qui marque les images dont nous faisons l’expérience subjective. » - Antonio Damasio
« Un organisme doté d’un esprit peut ne pas être conscient des images qui le forment. Sans subjectivité, l’organisme n’est pas en mesure d’inspecter les images au moyen de son propre esprit. » - Antonio Damasio
On comprend ainsi que la notion de subjectivité est relative à la perception de soi-même, qui s’établit à différents niveaux :
- Intéroceptif (ou viscéroception), perception de l’état de ses organes et du degré de contraction/relâchement des muscles lisses.
- Nociceptif, perception des signaux à la base des sentiments de douleur.
- Proprioceptif, perception des positions, attitudes et mouvements du corps et des membres (muscles striés et articulations) dans l’espace et le temps.
- Extéroceptif, perception via les cinq sens, par contact direct tels le toucher (tact passif ou actif, les sensations thermiques, les points de douleur ou récepteurs algiques) et les sensations chimiques (le goût, l’odorat). Ou par contact à distance, tels l’ouïe et la vue.
DOUBLE NEURAL DU CORPS
Si le cerveau cartographie incessamment le corps interagissant avec l’environnement, Antonio Damasio précise que les cartes nouvellement créées se remodèlent à partir des précédentes, dans une reconfiguration permanente de nos représentations. Ce serait comme une actualisation permanente de soi, qui permettrait de savoir en temps réel ce qu’il en est de l’état de notre organisme, en fonction de ce que l’on fait, d’où l’on se trouve, dans l’infinité possible des situations que l’on peut rencontrer. D’où le fait que le film de notre réalité consciente reste stable quand l’on tourne la tête, ou lorsqu’on ferme les yeux et qu’on en a en tête une image de son environnement proche.
Il y a donc une constante cartographie de nos propres cartographies, qui actualise notre connaissance de nous-même dans l’immédiat, toujours au travers de cette notion de subjectivité qui assure le fait de se sentir soi-même. Cette représentation de soi dans l’instantanéité du présent s’explique par le concept de double neural, quand nous nous reproduisons en permanence dans une imitation de soi (nos cartes neurales reflétant nos états corporels et psychiques en permanence, dans un incessant aller-retour en corps et esprit, afin de savoir en permanence dans quel état est l’organisme) :
« Dans le cerveau élaboré des créatures complexes, les réseaux de neurones en viennent à imiter la structure des parties du corps auquel ils appartiennent. Ils représentent l’état du corps ; littéralement parlant, ils cartographient le corps pour lequel ils œuvrent et constituent une sorte de représentant, de double neural de celui-ci. Et, fait important, ils restent liés au corps qu’ils imitent tout au long de la vie. Comme nous le verrons, imiter le corps et rester relié à lui est très utile à la fonction de gestion. » - Antonio Damasio
« Les cartes ne sont pas statiques comme celles de la cartographie classique. Elles sont changeantes ; elles fluctuent d’un moment à un autre, pour refléter les modifications qui se produisent dans les neurones les alimentant, ce qui en retour reflète celles qui surviennent à l’intérieur de notre corps et dans le monde environnant. Les changements affectant les cartes cérébrales traduisent aussi le fait que nous sommes nous-mêmes constamment en mouvement. » - Antonio Damasio
« La configuration du corps dans l’espace change continuellement et, en fonction de cela, la carte de celui-ci représentée dans le cerveau également. Afin de contrôler le mouvement avec précision, le corps doit instantanément adresser au cerveau des informations sur l’état de contraction des muscles du squelette. » - Antonio Damasio
BOUCLE DE RESONANCE - STRUCTURE NEURALE DE L’ÉGOCENTRISME DANS L’AUTO-PERCEPTION DE SOI-MÊME
En parallèle de la constitution du double neural (représentation immédiate projetée de soi en soi dans ses structures neurales), la subjectivité s’établit via la notion de boucle de résonance. Les structures cérébrales (cartes neurales), inextricablement attachées au corps, bombardent tout le temps le cerveau de leurs signaux et le sont en retour par lui, ce qui crée une boucle de résonance. Cet incessant aller-retour entre corps et cerveau ne s’arrête qu’avec une maladie neurodégénérative ou la mort.
« Les régions cérébrales impliquées dans la production de cartes corporelles et sous-jacentes aux sentiments forment une boucle de résonance avec la source même des signaux qu’elles cartographient. Dans le tronc cérébral supérieur, la machinerie chargée de la cartographie corporelle interagit directement avec la source même des cartes qu’elle forme, ce qui crée un lien étroit, une quasi-fusion entre le corps et le cerveau. » - Antonio Damasio
« Le corps et le cerveau sont continuellement engagés dans une danse interactive. Les pensées à l’œuvre dans le cerveau peuvent induire des états émotionnels dans le corps, tandis que ce dernier peut changer le paysage cérébral et donc le substrat des pensées. Les états du cerveau, qui correspondent à certains états mentaux, font apparaître certains états corporels ; ceux-ci sont à leur tour cartographiés dans le cerveau et incorporés dans les états mentaux présents. » - Antonio Damasio
EN CONCLUSION
Toutes leurs existences, les organismes aux systèmes nerveux complexes et développés se cartographient eux-mêmes, dans une cartographie de leurs cartographies. Ce processus dynamique de permanente auto-observation en s’auto-percevant alimente la subjectivité. La subjectivité est la propriété de l’esprit conscient qui permet aux être complexes de se sentir eux-mêmes, tout en étant spectateurs d’eux-mêmes. Ce dédoublement réflexif fondamental, du biologique au psychique, est le fondement structurel de l’égocentrisme le plus fondamental et naturel, faculté qu’à un organisme à être son propre référentiel.