Merci pour vos réponses.
Pour contextualiser, en début d’année, j’ai été diagnostiqué pour une pancréatite chronique héréditaire. Je trainais des symptômes depuis une dizaine d’années sans que l’on parvienne à poser un diagnostic, puis deux crises m’ont valu deux hospitalisations en urgence et le diagnostic a été posé par test ADN (j’ai un allèle défectueux présent chez une partie de la population et qui, dans un % infime de cas, peut causer des pancréatites). Personne avant moi, et d’aussi loin que la mémoire familiale remonte, n’a connaissance de parents qui auraient souffert de cette pathologie ou même eu des problèmes de pancréas.
Rapidement, j’ai commencé à me demander ce qui pouvait expliquer que la maladie se déclare chez moi, qui plus est aussi tard dans ma vie.
Je suis par ailleurs sous antidépresseurs depuis de nombreuses années, en doses « de confort », pour m’aider à supporter une tendance à la dépression et une anxiété omniprésente.
Bref, j’ai entendu parler de la psilocybine récemment, vu quelques documentaires, lu quelques articles sur le sujet. J’avais déjà envisagé l’ayahuasca comme une piste d’exploration intéressante, sans trouver le courage ou la ressource nécessaire pour en faire le projet d’un voyage en Amérique du Sud.
Je dois préciser que je suis très cartésien, que je n’ai jamais eu aucun attrait pour les drogues et que les expériences qui m’ont été relatées jusque-là de trip sous psychédéliques et autres transes chamaniques m’avaient semblé pour le moins « folkloriques ».
Je pratique pourtant la méditation depuis plusieurs années, m’intéresse particulièrement au bouddhisme, mais les questions d’ego, d’interdépendance des phénomènes, de vacuité, si elles me passionnent d’un point de vue théorique, restaient à mes yeux des concepts abstraits que je ne parvenais pas à saisir véritablement, enfermé que j’étais dans mes perceptions.
Je précise que je n’attends pas de solution miracle ni de guérison, mais la psilo m’a semblé être un moyen d’atteindre plus rapidement le cœur du problème, l’origine émotionnelle, s’il y en avait une, de la maladie.
Voici ce que j’ai noté (pour moi-même) le lendemain de ma première prise:
Hier, à 12h37, prise de 15 g de truffes Valhalla. Je me suis installé au jardin et n’ai d’abord rien senti. J’ai pensé que cela n’aurait aucun effet. Puis j’ai commencé à bailler et me suis installé dans le canapé. Un fou rire nerveux a commencé à me prendre par intermittences, accompagné de larmes. Je suis monté m’allonger dans la chambre et S. (Mon compagnon) a mis une playlist de cloches tibétaines. Je me suis enfoncé dans une semi-inconscience, les sons se sont décuplés.
Une présence m’est apparue, quelque chose d’une grande beauté, faite d’ondes énergétiques, qui serait à l’origine de toute chose. Ce n’était ni animal ni végétal mais doté d’une vie propre et d’une intelligence souveraine. Cela se déployait et dansait sans cesse, se décuplait, lançait des sortes de tentacules, comme une algue proliférante ou une anémone de mer.
Il m’était possible de communiquer avec elle, c’était une présence bienveillante, qui m’accueillait de façon évidente. Par instant une partie de mon esprit essayait de rationnaliser ce que je voyais, mais la présence me faisait aussitôt comprendre que c’était inutile, qu’il y avait une logique à tout cela qui échappait au langage.
Je lui ai demandé de me montrer la réalité des choses et j’ai vu un grand paysage, une montagne, mais tout n’était qu’ondes, appartenant à une unique matrice, en perpétuelle transformation. Il n’existait aucun antagonisme, ni bien, ni mal, ni vie, ni mort.
J’ai compris que c’était de cela dont il était question dans les textes bouddhistes qui évoquent l’éveil, le Nirvâna, l’interdépendance des phénomènes et leur vacuité. Le sutra du cœur, qui m’a toujours fasciné et que je porte en médaillon, mais dont le sens me semblait obscur, m’est apparu avec une clarté évidente :
« Ainsi, dans le vide, il n’y a ni forme,
Ni sensation, pensée ou choix,
Ni non plus de conscience.
Ni œil, oreille, nez, langue, corps, esprit;
Ni couleur, son, odeur, saveur, toucher,
Ni rien que l’esprit puisse saisir,
Ni même acte de sentir.
Ni ignorance, ni fin de celle-ci,
Ni rien de ce qui vient de l’ignorance,
Ni déclin, ni mort,
Ni fin de ceux-ci.
Il n’y a pas non plus de douleur, ni de cause de douleur, Ni cessation de la douleur, ni noble chemin
Menant hors de la douleur;
Ni même sagesse à atteindre !
L’atteinte aussi est vacuité. »
Rien d’autre n’existe qu’une harmonie profonde, d’où naissent des formes qui disparaissent et ressurgissent indéfiniment, et tout ce que nous percevons n’est qu’une création de l’esprit. Je pleurais d’émotion devant tant de beauté, d’harmonie, d’évidence. Je comprenais dans le même temps qu’il me serait impossible d’emporter tout cela dans mon état conscient et que le langage serait impuissant à le restituer.
Ce qui m’est aussi apparu, c’est que ce message ne provenait pas de l’intérieur de moi, de ce que mon esprit pourrait concevoir sous l’effet de la substance, mais d’une entité extérieure à moi qui provenait du champignon. Je voyais clairement cette matière, cette « plante », comme un immense réseau (un peu semblable aux images des galaxies ou à celles des myceliums vues au microscope), formant des voûtes immenses, prenant par instant des formes de fleurs, de pistils, de corolles.
J’ai demandé à la plante si elle pouvait me soigner de ma pancréatite. Je ne me souviens pas avoir obtenu de réponse mais elle m’a montré que je portais en moi des « poches » de tristesse, d’une tristesse très ancienne, peut-être même plus ancienne que moi. Par moment j’ai vu un courant de lumière qui cherchait à emporter cette tristesse. C’était comme si des abcès se crevaient et se déversaient.
Je me souviens avoir dit à haute voix qu’il était impossible de porter en soi tant de peine. Je pleurais à chaudes larmes, je sentais les digues qui contenaient cette tristesse céder une à une, et la « plante » m’en libérer sciemment, volontairement.
Par instants, S., dont je ressentais la présence, essayait de me rassurer. J’entendais ce qu’il me disait, mais je savais qu’il ne servait à rien de parler, de tenter de verbaliser quoi que ce soit, que tout cela était un chemin qu’il me fallait suivre en lâchant prise.
Tout ce temps, N (mon chat nu) a été extrêmement présent, lové contre moi, me léchant le visage, me réconfortant.
C’était, de mon point de vue, comme un lien avec le monde réel, un compagnon de voyage. Je pouvais communiquer avec lui sans aucun mal, et d’une façon radicalement différente de ce qu’est d’ordinaire notre lien humain/animal. Il n’existait plus de frontière entre nous.
Ensuite, j’ai traversé une phase plus hilarante, où mon attention s’est focalisée sur lui. Je le voyais comme un être incroyable, pour lequel je débordais d’amour. La texture de sa peau, ses plis, ses coussinets, sa queue. Je savais que c’était un chat mais il me semblait être au croisement d’autre chose, comme une anémone de mer, ce qui me faisait hurler de rire.
Après cette longue euphorie, un moment plus extatique est revenu. J’ai senti le besoin de me masser le ventre, le plexus solaire, l’estomac. Il me semblait que mes doigts pouvaient pénétrer mon corps. Puis, les ondes se sont rétractées, comme une marée qui se retire. À 17 heures, j’ai senti que c’était terminé.
Voilà, ce n’est qu’un compte rendu tapé à la va-vite sur mon téléphone. Je suis content de le partager avec vous. En le relisant je me dis que c’est fou d’avoir vécu ça et d’en garder si peu, du moins de façon consciente, à seulement quelques jours de distance !