S
Styloplume
Guest
Mon bon pote Noé est parti prendre l'air au camping. Moi, j'en ai marre de traîner en ville, alors j'ai décidé de le rejoindre pour le week-end, c'est que ça s'annonce fort. Le camping est à quelques 15 km d'ici, sur la côte. Un peu d'air frais me fera du bien.
J'arrive à 14 heures, on se fait conduire, en fait il était rentré chez lui pour la nuit, à cause du temps déprimant. Mais là, à nous deux, on va rester, même si le temps reste aussi fade. C'est gris, et il pleut, même. On se cale dans la tente trois places, entre son matelas, ses affaires, mon gros sac et la guitare, on est un peu serré, mais j'ai de quoi me caler bien. Ah, on est bien. Noé est déja en train de cogiter à voix haute qu'il doit me faire un bon set&setting pour me faire fumer. Moi ça me fait marrer, c'est que je sors de mon super trip à blanc MD-like sans MD de la veille, je me marre d'à quel point j'ai pu être angoissé à l'idée de fumer avec Noé, par le passé. Lui, il s'en souvient, il connaît mes apréhensions habituelles, et moi je me marre, c'est que j'ai changé entre temps, je suis moins angoissé par la drogue, j'ai réussi à améliorer mon set & setting. Je me sens en confiance.
On fume alors. On a de la beuh de compétition, un bon joint se fait, on tire dessus, je fume précautionneusement. Ça passe. Ça pique un peu, mais ça passe très bien. Je pense vomir, organise un sac de secours au cas ou je dois dégobiller. C'est un peu juste comme contexte, dans la tente sous la pluie, je peux pas sortir si facilement que je veux. Mais ça passe. Je m'allonge, cherche la main de Noé, il me tient la main. Je lui explique que j'ai besoin de quelqu'un pour me tenir la main. Ce truc marche très bien, en effet, rapidement mes angoisses disparaissent: je suis avec un ami, en sécurité. Cool.
Là-haut ça commence à tourner à toutes vitesses. J'ai l'habitude de fermer les yeux, sous THC, pour me faire un plan de secours, laisser les choses se mettre en ordre, lutter contre le bad. En admettant qu'un plan de secours (stratégie contre le bad) dure d'abord 1 an, (genre retraite méditative), et qu'on retourne vivre avec les gens pendant cinq ans... dans ce cas, le prochain plan de secours, le prochain ermitage ne devra durer que quelques semaines (parce qu'on s'est amélioré). Et c'est reparti pour vivre une vie normale quelques mois. Et ensuite, il faudra quelques jours d'isolement seulement (un jeûne, un voyage), et on pourra reprendre une vie ordinaire le cœur léger. Et à la fin, on a un plan de secours de 10 secondes toutes les heures, où il suffit de fermer les yeux, de relativiser. Et à terme, on a dix milliards de mini-plans de secours automatiques en une seconde! Et au bout du compte, on vis dans l'illumination en permanence. Voilà le genre de pensée qui apparaît sous THC: la pensée récursive, fractal, qui part vers l'infini. C'est magnifique et terrifiant aussi.
Je prends la guitare, joue, et ah putain c'est magique, les notes se suivent, j'ai qu'à les suivre.... et zut, elles vont trop vite, j'arrive pas à toutes les faires. Du coup ça reste moyen ce que je fais. Il faut que je lâche ce médiator et que je joue avec tous mes doigts, si je veux obéir mieux avec la musique. Que je me serve de toutes mes possibilités. Il y a un fort goût d'inachevé, de choses à construire. Il faut que j'apprenne la guitare.
Noé, lui, me laisse triper à mon rythme, il est là, toujours calme et tranquille. Pour lui la beuh c'est plus le petit plaisir quotidien. Je me rends compte que je lui fait confiance. Moi qui me prends le chou sur comment passer mon prochain trip au LSD, pourquoi je ne ferai tout simplement pas confiance à Noé? Ah, oui! Je lui dit: "Noé, je te fais confiance pour me sitter au LSD
- Quoi? Te tenir la main pendant 10 heures! Ah, la rigolade!"
Noé est un gars simple que j'aime beaucoup, il a fait de l'HP déjà et maintenant il fait sa vie en ordre, il a construit beaucoup de choses, plus que moi, et il a les pieds sur terre.
On sors de la tente pour se poser à l'abri, au bâtiment des sanitaires, où on a plus d'air frais. On emmène la guitare, on se pose bien. Hop, c'est parti pour la guitare, c'est pas parfait mais c'est bien. Et Noé chante, il slame, il rape, et on progresse, on se rapproche, je comprends sa douleur. Le THC pousse monstrueusement, j'ai du mal à suivre. Ce gars, là, Noé, tu le connais pas, en fait Stylo. Regarde-le en face. La dernière fois que tu as tripé avec lui, tu as refusé de le regarder en entier, mais là, fais-le.
D'accord, d'accord, j'obéis à l'amour de Dieu (pas d'autre mots) et je regarde Noé comme il est. Ah, la vache, depuis que je le connais je me suis menti à moi-même en mettant certains de ses traits de côté, et maintenant je me les prends en pleine gueule: Noé est un gars simple. Il dit tout ce qu'il pense, et ça va pas plus loin. Noé est loin de mes réflexions perchées, il ne va pas aussi loin, ou alors pas aussi vite. Ah, les boules, Noé est juste moins intelligent que moi. WTF Stylo qu'est-ce que tu penses? Ben, oui, quelque part, c'est l'amour de Dieu qui me dit: regarde Noé et aime-le comme il est. Et il est comme ça, aussi. Et je l'aime comme ça.
Je m'efforce de lui dire le mieux possible. Quand je lui dis que je l'aime, il se marre, évidemment (un hippie avec sa guitare qui vous dit "je t'aime" les yeux dans le vague, allez, quoi). Quand je lui dit "je crois que je suis plus intelligent que toi", il se marre un peu moins. Ah, merde, bon, c'est dit. J'essaie de dire les choses le plus doucement possible, en me remettant en question mille fois par secondes, et je retombe quand même sur les mêmes conclusions: "Noé on me dit de t'aimer comme tu es, c'est pour ça que je fais tout ça." Quelque part, j'obéis à Dieu en faisant ça, peut-être que je l'aide, même, ce gars. Ce qui est sûr c'est qu'il ne se vexe pas, il se marre, et il me confie que je suis le seul avec qui il peut avoir ce genre de conversation, et que je suis le seul qui peut lui dire ça sans le vexer.
Plus tard, il part faire des courses, je reste seul. Je médite, d'abord dans le bâtiment, puis sous la tente.
Boah, voir Noé comme il est me force à me voir comme je suis! Je suis confronté à l'illumination forcée, comme si je me faisait tirer vers la Source, mais j'en suis loin, aussi. Allez, voilà ce que j'ai noté sur le cahier entre deux méditations:
"C'est moi, c'est ma vie, je la vois comme elle est. Heureusement que j'ai Dieu comme but.
Mais si je n'ai QUE Dieu comme but? Là je m'attaque à quelque chose qui est Dieu mais que je ne connaît pas, que je n'ai pas pu éprouver entièrement.
Sont-ce des illusions que je nourris? Ma vie est moins facile qu'elle n'en a l'air. Dieu est loin, si j'ai ça comme but il va falloir me donner du mal. Stylo sobre qui me relis, tu as du boulot, et je parle au nom de Dieu auquel tu crois.
Je vais écouter Dieu et te parler de toi, Styloplume: Tu es très attaché au matériel et tu en souffres. Ce qui te casse c'est de refuser le message de Dieu qui t'aime et veux le meilleur pour toi, que tu vives sans peur, dans un élan permanent."
Fin de transmission, Noé m'a sorti de la méditation.
Ah les boules, j'étais au bord de la compréhension de toutes choses, et je suis sûr que je n'avais rien à faire là. Dieu c'est trop fort pour moi, beaucoup trop fort. Je n'ai effectivement pas la moindre idée de ce que c'est, et je sais que si je veux y aller, il va falloir changer ma vie. Quitter mes peurs, foncer droit dans le mur. Courir vers la mort avec le sourire. Hop-là ça va très très très loin ce genre de réflexions qui n'en sont pas. C'est une compréhension qui s'offre à moi, et j'ai beaucoup de boulot à faire si je veux rentrer dedans. Et je n'ai aucun doute qu'il s'agit d'éveil dont on parle, de nirvana, d'amour infini, d'instant présent dans sa plus pure forme. Je note encore: J'ai bien l'impression qu'il va falloir admettre au quotidien que je n'ai pas vraiment idée de ce qu'est Dieu. Mais ça existe, ça c'est sûr.
Bon, Noé est revenu, on va quittter un peu les réflexions perchées pour faire du matériel. Arranger la tente, éponger l'eau de pluie, s'organiser niveau bouffe, etc. Très bien. Une mini-révélation encore: Je préfère faire le con sans drogue qu'avec la drogue.
Ouaip, si c'est pour faire le con, pas besoin de drogue. On s'amuse très bien sans. La drogue tout de suite c'est Dieu, l'illumination, la mort/renaissance, ça me fout le vertige, pour être honnête, faire le con avec ça c'est chaud. Ou alors, je rentre dans le système de Noé, qui est imparable: l'humour. Noé fait des réfléxions super marrantes à propos de ce qu'on vit, et chaque fois on se rends compte que la vie est absurde, qu'il y a un bug dans la matrice, et ça nous sauve, parce que c'est super marrant. L'humour c'est la joie de l'ignorance. Et ça me fait peur de rentrer dedans, d'admettre de limiter l'horizon de ma conscience là où je perds pied, et de me lâcher dans le rire. Je pars à la mer pour redescendre.
Une fois à la plage, je suis toujours fort perché. J'ai des mélodies qui me viennent, je veux rentrer dedans, faire mon acid danse sur la plage. Mais il y a des gens. J'aime faire mon acid danse quand je suis sobre, mais quand je suis défoncé, j'ai peur de passer pour un drogué. Et voilà, encore des blocages, Stylo. Je me pose pour méditer, faire le vide. Ça marche à peu près, mais quand même, y'a du boulot.
Rentré au camping, je retrouve Noé, et il me dit "regarde, y'a des Allemands qui viennent d'arriver, viens, on va leur dire bonjour". On va leur dire bonjour, on parle allemand, anglais pour Noé, et on se fait inviter pour l'apéro. On est resté des heures entières avec eux, et la bière allemande m'a fait du bien. Je suis passé du vertige de la beuh au comfort de la bière, et ça a fait du bien de rencontrer des gens ouverts, avec qui on a ouvertement pu parler. Le genre de gens qui ont vécu des épreuves dans la vie, et qui se sont construit en réaction. On parle d'alcoolisme, d'automutilation même, sans se sentir gêné, et on embraye sur la guérison, les bonnes décisions à prendre, la joie, l'amour... Une bonne grosse soirée où on a fait contre mauvais temps bonne fortune.
Le lendemain, petit déj avec les Allemands (mmh le boursin-Streichkäse avec le Salami boche sur du pain français), et on repart vers midi à cause du temps pourri, qui aussitôt s'éclairci. Bon, tant pis. Allez, c'était un super camping, merci Noé!
Bon souvenir. J'ai entrevu l'éveil, et tout le chemin qui m'en sépare. Première fois que ça m'arrive (donc j'ai fait des progrès niveau développement et set&setting), et en même temps, ça me fout le vertige. Pendant le trip je me suis dit que je fais le con avec les trucs du genre LSD, que j'en ai pas besoin, que Dieu c'est trop fort pour moi. Et en même temps, ah, c'était du cannabis n'est-ce pas? Avec le LSD je me mélangerai sûrement avec Dieu (dissolution de l'égo, tout ça) et je prendrai cher niveau remise en question, aussi, mais je pense pas faire des conneries. En fait, je pense aborder la perche avec les bons termes, si je me relis. J'ai juste un bon chemin à parcourir, je m'en rends de plus en plus compte, mais si je soigne les set&settings il ne m'arrivera rien que je n'ai pas cherché au plus profond de moi.
Quand à avoir Noé comme sitter... je me tâte maintenant que je suis retombé. J'ai des trucs à construire avec ce gars, encore. Il va falloir reparler, s'admettre des trucs, etc. Mais on est sur un bon chemin ensemble, je trouve.
EDIT le surlendemain: Aujourd'hui lundi, deux jours après, j'ai revu Noé. Je faisais pas le malin avant de le voir, c'est que ça me semblait louche cette affaire, et c'est quand même moi qui lui ai sorti "je crois que je suis plus intelligent que toi" sous THC... pfff bon je vais tenter de rattraper le coup.
Posé dans un cimetière gavé de végétations, au soleil, on a en fait pu discuter très calmement de plein de trucs, dont le trip bien sûr, et j'ai enfin compris ce qui s'est passé:
* Dans le bâtiment des sanitaires, sous la pluie, Noé se plaignait de la météo. Du genre "La pluie, je veux bien, mais y'a des limites à la connerie!" et c'était assez marrant en fait.
* Moi-même j'en avais marre de la pluie, aussi, mais j'ai REFOULÉ ce ressenti négatif parce que j'aime pas me plaindre.
* Ce ressenti négatif a été PROJETÉ sur Noé
* Noé, à mes yeux, est donc devenu la part de moi que je refoule, que je refuse.
* Associé au THC et à la pluie, j'ai commencé à flipper et à avoir peur de lui, donc à mettre de la distance, donc à chercher des explications à la distance
* Et j'ai chopé les premières explications pseudo-rationnelles venues: Noé est un ex-psychotique sous médoc, Noé est attardé, beurk je vous laisse imaginer le bad
* J'ai voulu lui en faire part, mais au lieu de remonter toute la chaîne de causalité ici décrite, j'ai cherché à exprimer une explication pseudo-rationnelle, en cherchant la moins pire: "je crois que je suis plus intelligent que toi"
* Vous avez vu un peu les pièges du mental, dites donc.
J'ai pu décortiquer tout ça avec Noé, très patient, ah, c'est pas pour rien qu'on est potes, il est pas du genre à se vexer ou à me juger. On est tous les deux très auto-critiques et ouverts d'esprit. Là, on a passé un cap avec ce camping à deux, qui a été un franc succès malgré la pluie. J'ai redécouvert mon pote, à la lumière du soleil, et il m'est apparu clairement qu'il est loin d'être moins intelligent que moi. Il est juste plus vieux, se pose moins de questions que moi, a déjà ses propres réponses, est moins tourmenté que moi. En fait, on est méga complémentaire, parce qu'il m'apporte une certaine stabilité, et moi j'apporte des modèles psychologiques et spirituels, et ensemble on finit TOUJOURS par se retrouver.
J'arrive à 14 heures, on se fait conduire, en fait il était rentré chez lui pour la nuit, à cause du temps déprimant. Mais là, à nous deux, on va rester, même si le temps reste aussi fade. C'est gris, et il pleut, même. On se cale dans la tente trois places, entre son matelas, ses affaires, mon gros sac et la guitare, on est un peu serré, mais j'ai de quoi me caler bien. Ah, on est bien. Noé est déja en train de cogiter à voix haute qu'il doit me faire un bon set&setting pour me faire fumer. Moi ça me fait marrer, c'est que je sors de mon super trip à blanc MD-like sans MD de la veille, je me marre d'à quel point j'ai pu être angoissé à l'idée de fumer avec Noé, par le passé. Lui, il s'en souvient, il connaît mes apréhensions habituelles, et moi je me marre, c'est que j'ai changé entre temps, je suis moins angoissé par la drogue, j'ai réussi à améliorer mon set & setting. Je me sens en confiance.
On fume alors. On a de la beuh de compétition, un bon joint se fait, on tire dessus, je fume précautionneusement. Ça passe. Ça pique un peu, mais ça passe très bien. Je pense vomir, organise un sac de secours au cas ou je dois dégobiller. C'est un peu juste comme contexte, dans la tente sous la pluie, je peux pas sortir si facilement que je veux. Mais ça passe. Je m'allonge, cherche la main de Noé, il me tient la main. Je lui explique que j'ai besoin de quelqu'un pour me tenir la main. Ce truc marche très bien, en effet, rapidement mes angoisses disparaissent: je suis avec un ami, en sécurité. Cool.
Là-haut ça commence à tourner à toutes vitesses. J'ai l'habitude de fermer les yeux, sous THC, pour me faire un plan de secours, laisser les choses se mettre en ordre, lutter contre le bad. En admettant qu'un plan de secours (stratégie contre le bad) dure d'abord 1 an, (genre retraite méditative), et qu'on retourne vivre avec les gens pendant cinq ans... dans ce cas, le prochain plan de secours, le prochain ermitage ne devra durer que quelques semaines (parce qu'on s'est amélioré). Et c'est reparti pour vivre une vie normale quelques mois. Et ensuite, il faudra quelques jours d'isolement seulement (un jeûne, un voyage), et on pourra reprendre une vie ordinaire le cœur léger. Et à la fin, on a un plan de secours de 10 secondes toutes les heures, où il suffit de fermer les yeux, de relativiser. Et à terme, on a dix milliards de mini-plans de secours automatiques en une seconde! Et au bout du compte, on vis dans l'illumination en permanence. Voilà le genre de pensée qui apparaît sous THC: la pensée récursive, fractal, qui part vers l'infini. C'est magnifique et terrifiant aussi.
Je prends la guitare, joue, et ah putain c'est magique, les notes se suivent, j'ai qu'à les suivre.... et zut, elles vont trop vite, j'arrive pas à toutes les faires. Du coup ça reste moyen ce que je fais. Il faut que je lâche ce médiator et que je joue avec tous mes doigts, si je veux obéir mieux avec la musique. Que je me serve de toutes mes possibilités. Il y a un fort goût d'inachevé, de choses à construire. Il faut que j'apprenne la guitare.
Noé, lui, me laisse triper à mon rythme, il est là, toujours calme et tranquille. Pour lui la beuh c'est plus le petit plaisir quotidien. Je me rends compte que je lui fait confiance. Moi qui me prends le chou sur comment passer mon prochain trip au LSD, pourquoi je ne ferai tout simplement pas confiance à Noé? Ah, oui! Je lui dit: "Noé, je te fais confiance pour me sitter au LSD
- Quoi? Te tenir la main pendant 10 heures! Ah, la rigolade!"
Noé est un gars simple que j'aime beaucoup, il a fait de l'HP déjà et maintenant il fait sa vie en ordre, il a construit beaucoup de choses, plus que moi, et il a les pieds sur terre.
On sors de la tente pour se poser à l'abri, au bâtiment des sanitaires, où on a plus d'air frais. On emmène la guitare, on se pose bien. Hop, c'est parti pour la guitare, c'est pas parfait mais c'est bien. Et Noé chante, il slame, il rape, et on progresse, on se rapproche, je comprends sa douleur. Le THC pousse monstrueusement, j'ai du mal à suivre. Ce gars, là, Noé, tu le connais pas, en fait Stylo. Regarde-le en face. La dernière fois que tu as tripé avec lui, tu as refusé de le regarder en entier, mais là, fais-le.
D'accord, d'accord, j'obéis à l'amour de Dieu (pas d'autre mots) et je regarde Noé comme il est. Ah, la vache, depuis que je le connais je me suis menti à moi-même en mettant certains de ses traits de côté, et maintenant je me les prends en pleine gueule: Noé est un gars simple. Il dit tout ce qu'il pense, et ça va pas plus loin. Noé est loin de mes réflexions perchées, il ne va pas aussi loin, ou alors pas aussi vite. Ah, les boules, Noé est juste moins intelligent que moi. WTF Stylo qu'est-ce que tu penses? Ben, oui, quelque part, c'est l'amour de Dieu qui me dit: regarde Noé et aime-le comme il est. Et il est comme ça, aussi. Et je l'aime comme ça.
Je m'efforce de lui dire le mieux possible. Quand je lui dis que je l'aime, il se marre, évidemment (un hippie avec sa guitare qui vous dit "je t'aime" les yeux dans le vague, allez, quoi). Quand je lui dit "je crois que je suis plus intelligent que toi", il se marre un peu moins. Ah, merde, bon, c'est dit. J'essaie de dire les choses le plus doucement possible, en me remettant en question mille fois par secondes, et je retombe quand même sur les mêmes conclusions: "Noé on me dit de t'aimer comme tu es, c'est pour ça que je fais tout ça." Quelque part, j'obéis à Dieu en faisant ça, peut-être que je l'aide, même, ce gars. Ce qui est sûr c'est qu'il ne se vexe pas, il se marre, et il me confie que je suis le seul avec qui il peut avoir ce genre de conversation, et que je suis le seul qui peut lui dire ça sans le vexer.
Plus tard, il part faire des courses, je reste seul. Je médite, d'abord dans le bâtiment, puis sous la tente.
Boah, voir Noé comme il est me force à me voir comme je suis! Je suis confronté à l'illumination forcée, comme si je me faisait tirer vers la Source, mais j'en suis loin, aussi. Allez, voilà ce que j'ai noté sur le cahier entre deux méditations:
"C'est moi, c'est ma vie, je la vois comme elle est. Heureusement que j'ai Dieu comme but.
Mais si je n'ai QUE Dieu comme but? Là je m'attaque à quelque chose qui est Dieu mais que je ne connaît pas, que je n'ai pas pu éprouver entièrement.
Sont-ce des illusions que je nourris? Ma vie est moins facile qu'elle n'en a l'air. Dieu est loin, si j'ai ça comme but il va falloir me donner du mal. Stylo sobre qui me relis, tu as du boulot, et je parle au nom de Dieu auquel tu crois.
Je vais écouter Dieu et te parler de toi, Styloplume: Tu es très attaché au matériel et tu en souffres. Ce qui te casse c'est de refuser le message de Dieu qui t'aime et veux le meilleur pour toi, que tu vives sans peur, dans un élan permanent."
Fin de transmission, Noé m'a sorti de la méditation.
Ah les boules, j'étais au bord de la compréhension de toutes choses, et je suis sûr que je n'avais rien à faire là. Dieu c'est trop fort pour moi, beaucoup trop fort. Je n'ai effectivement pas la moindre idée de ce que c'est, et je sais que si je veux y aller, il va falloir changer ma vie. Quitter mes peurs, foncer droit dans le mur. Courir vers la mort avec le sourire. Hop-là ça va très très très loin ce genre de réflexions qui n'en sont pas. C'est une compréhension qui s'offre à moi, et j'ai beaucoup de boulot à faire si je veux rentrer dedans. Et je n'ai aucun doute qu'il s'agit d'éveil dont on parle, de nirvana, d'amour infini, d'instant présent dans sa plus pure forme. Je note encore: J'ai bien l'impression qu'il va falloir admettre au quotidien que je n'ai pas vraiment idée de ce qu'est Dieu. Mais ça existe, ça c'est sûr.
Bon, Noé est revenu, on va quittter un peu les réflexions perchées pour faire du matériel. Arranger la tente, éponger l'eau de pluie, s'organiser niveau bouffe, etc. Très bien. Une mini-révélation encore: Je préfère faire le con sans drogue qu'avec la drogue.
Ouaip, si c'est pour faire le con, pas besoin de drogue. On s'amuse très bien sans. La drogue tout de suite c'est Dieu, l'illumination, la mort/renaissance, ça me fout le vertige, pour être honnête, faire le con avec ça c'est chaud. Ou alors, je rentre dans le système de Noé, qui est imparable: l'humour. Noé fait des réfléxions super marrantes à propos de ce qu'on vit, et chaque fois on se rends compte que la vie est absurde, qu'il y a un bug dans la matrice, et ça nous sauve, parce que c'est super marrant. L'humour c'est la joie de l'ignorance. Et ça me fait peur de rentrer dedans, d'admettre de limiter l'horizon de ma conscience là où je perds pied, et de me lâcher dans le rire. Je pars à la mer pour redescendre.
Une fois à la plage, je suis toujours fort perché. J'ai des mélodies qui me viennent, je veux rentrer dedans, faire mon acid danse sur la plage. Mais il y a des gens. J'aime faire mon acid danse quand je suis sobre, mais quand je suis défoncé, j'ai peur de passer pour un drogué. Et voilà, encore des blocages, Stylo. Je me pose pour méditer, faire le vide. Ça marche à peu près, mais quand même, y'a du boulot.
Rentré au camping, je retrouve Noé, et il me dit "regarde, y'a des Allemands qui viennent d'arriver, viens, on va leur dire bonjour". On va leur dire bonjour, on parle allemand, anglais pour Noé, et on se fait inviter pour l'apéro. On est resté des heures entières avec eux, et la bière allemande m'a fait du bien. Je suis passé du vertige de la beuh au comfort de la bière, et ça a fait du bien de rencontrer des gens ouverts, avec qui on a ouvertement pu parler. Le genre de gens qui ont vécu des épreuves dans la vie, et qui se sont construit en réaction. On parle d'alcoolisme, d'automutilation même, sans se sentir gêné, et on embraye sur la guérison, les bonnes décisions à prendre, la joie, l'amour... Une bonne grosse soirée où on a fait contre mauvais temps bonne fortune.
Le lendemain, petit déj avec les Allemands (mmh le boursin-Streichkäse avec le Salami boche sur du pain français), et on repart vers midi à cause du temps pourri, qui aussitôt s'éclairci. Bon, tant pis. Allez, c'était un super camping, merci Noé!
Bon souvenir. J'ai entrevu l'éveil, et tout le chemin qui m'en sépare. Première fois que ça m'arrive (donc j'ai fait des progrès niveau développement et set&setting), et en même temps, ça me fout le vertige. Pendant le trip je me suis dit que je fais le con avec les trucs du genre LSD, que j'en ai pas besoin, que Dieu c'est trop fort pour moi. Et en même temps, ah, c'était du cannabis n'est-ce pas? Avec le LSD je me mélangerai sûrement avec Dieu (dissolution de l'égo, tout ça) et je prendrai cher niveau remise en question, aussi, mais je pense pas faire des conneries. En fait, je pense aborder la perche avec les bons termes, si je me relis. J'ai juste un bon chemin à parcourir, je m'en rends de plus en plus compte, mais si je soigne les set&settings il ne m'arrivera rien que je n'ai pas cherché au plus profond de moi.
Quand à avoir Noé comme sitter... je me tâte maintenant que je suis retombé. J'ai des trucs à construire avec ce gars, encore. Il va falloir reparler, s'admettre des trucs, etc. Mais on est sur un bon chemin ensemble, je trouve.
EDIT le surlendemain: Aujourd'hui lundi, deux jours après, j'ai revu Noé. Je faisais pas le malin avant de le voir, c'est que ça me semblait louche cette affaire, et c'est quand même moi qui lui ai sorti "je crois que je suis plus intelligent que toi" sous THC... pfff bon je vais tenter de rattraper le coup.
Posé dans un cimetière gavé de végétations, au soleil, on a en fait pu discuter très calmement de plein de trucs, dont le trip bien sûr, et j'ai enfin compris ce qui s'est passé:
* Dans le bâtiment des sanitaires, sous la pluie, Noé se plaignait de la météo. Du genre "La pluie, je veux bien, mais y'a des limites à la connerie!" et c'était assez marrant en fait.
* Moi-même j'en avais marre de la pluie, aussi, mais j'ai REFOULÉ ce ressenti négatif parce que j'aime pas me plaindre.
* Ce ressenti négatif a été PROJETÉ sur Noé
* Noé, à mes yeux, est donc devenu la part de moi que je refoule, que je refuse.
* Associé au THC et à la pluie, j'ai commencé à flipper et à avoir peur de lui, donc à mettre de la distance, donc à chercher des explications à la distance
* Et j'ai chopé les premières explications pseudo-rationnelles venues: Noé est un ex-psychotique sous médoc, Noé est attardé, beurk je vous laisse imaginer le bad
* J'ai voulu lui en faire part, mais au lieu de remonter toute la chaîne de causalité ici décrite, j'ai cherché à exprimer une explication pseudo-rationnelle, en cherchant la moins pire: "je crois que je suis plus intelligent que toi"
* Vous avez vu un peu les pièges du mental, dites donc.
J'ai pu décortiquer tout ça avec Noé, très patient, ah, c'est pas pour rien qu'on est potes, il est pas du genre à se vexer ou à me juger. On est tous les deux très auto-critiques et ouverts d'esprit. Là, on a passé un cap avec ce camping à deux, qui a été un franc succès malgré la pluie. J'ai redécouvert mon pote, à la lumière du soleil, et il m'est apparu clairement qu'il est loin d'être moins intelligent que moi. Il est juste plus vieux, se pose moins de questions que moi, a déjà ses propres réponses, est moins tourmenté que moi. En fait, on est méga complémentaire, parce qu'il m'apporte une certaine stabilité, et moi j'apporte des modèles psychologiques et spirituels, et ensemble on finit TOUJOURS par se retrouver.