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Biopolitique 3 - Pratiquer ou utiliser, il faut choisir.

Laura Revenudelaba

Elfe Mécanique
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12/7/22
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2023. La vie telle que les humains la connaissaient se mourrait toujours plus pressement, eux avec, mais ils continuaient comme si de rien n’était. De pulsions assouvies ici et maintenant, dans le parfait déni de momentanées jouissances infiniment répétées, éternelles étaient leurs illusions en un Progrès salvateur. Dans l’ère de la désinformation, quelle nouvelle idole réveillerait enfin les consciences ? Libérerait les peuples de l’ignoble tutelle morale imposée par Bolloré. Alias Big Brolloré, comme surnommé dans les rédactions de quelques médias réfractaires, courageux résistants dans cette guerre de l’information. Si la défaite semblait inéluctable face à l’empire Bolloré, c’était méconnaître la puissance du crayon Titi, réservé aux seuls initiés osant manier ce redoutable instrument de vérité (lien pour en acheter en fin de récit).

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Tandis que se poursuivait l’introspection de Jamy entre auto-culpabilisation et libération de quelques oppressifs carcans biopolitiques, la Petite Voix avait retrouvé Freud près de la ZAD. De l’autre côté de la palissade, face aux engins de chantiers déconstruisant la biodiversité, assis sur un transat à moitié déchiré, Freud mâchonnait un gros cigare puant : C’est en nous la Petite Voix, la pulsion de mort tend à retrouver un état inanimé. C’est pour ça que tout est niqué d’avance.
- Mais il y a aussi les pulsions de vie ! C’est pour ça qu’on lutte...qu'on y croit !
- Oui. Mais faut-il encore les privilégier...et dans une logique libérale ultra-concurrentielle, c’est mal barré. Tu sais, j’ai observé l’échec de la finance mener à une guerre mondiale en 1914, j’ai vu les fascistes et les nazis prendre le pouvoir grâce à l’union des capitalistes de tous les pays contre les anars en Espagne, le Front Populaire en France et les cocos à l’Est. Et je ne te parle pas des bains de sang, de toutes les larmes qui ont suivis...pour au final reproduire les erreurs du passé. Aujourd’hui l’exploitation mondialisée se poursuit, l’écart entre les plus riches et les plus pauvres a atteint le même niveau qu’avant la Première Guerre Mondiale, l’invasion de l’Ukraine par Poutine a relancé la vente et la production d’armes à l’international - et personne n’en parle ou presque - Northstream 1 et 2 ont été dynamité, les Américains et les Chinois s’autonomisent l’un de l’autre en se chamaillant de plus en plus. Dans cette lutte impérialiste, s’il n’y a plus de tierce puissance pour équilibrer le rapport de force entre les deux autres, ça va dégénérer comme lors de l’effondrement de l’Empire Ottoman face aux empires coloniaux.
- Moi je crois en l’humain, en l’amour et la paix. Il doit bien y avoir un moyen de renverser la tendance. On ne fait pas que tout détruire.
- Ah bon ?
- Mais...
- Vois donc la Petite Voix, vois ce que nous sommes en train de faire de nous-même, du monde dans lequel nous vivons. Qui est nous parce que nous sommes lui. Nous sommes en train de nous externaliser pour assurer notre survivance.
- Quoi ?
- C’est comme si inconsciemment nous nous savions condamnés par nous-mêmes, et que notre soif d’absolu nous poussaient à atteindre une forme d’idéale, de perfection figée, que seules des machines animées d’intelligences artificielles pourraient incarner.
- Mais on vit dans la réalité, pas dans un film de science fiction.
- Alors qu’est-ce donc qu’internet, à part un grand réseau où nous stockons tout le savoir de l’humanité, ce qui permet de concevoir des robots qui prennent des formes toujours plus humaines. Tu as vu où en sont les avancées de la science à ce propos ? Entre transhumanisme et robotique, ça porte toujours plus à réflexion quand on connaît nos propensions à foncer têtes baissées dans ce qu’il y a de meilleur, mais surtout dans le pire, alors qu’on avait de quoi produire le meilleur...si seulement nous n’étions pas guidés par nos passions, entre création et destruction. Création dans la destruction, dans une lutte impérieuse entre pulsions de vie et de mort.
- Mais jamais les robots n’aimeront, ou seront capables de créativité artistiques. Jamais ils ne seront doués d’intuition ou d’empathie, même s’ils peuvent calculer bien plus vite que nous.
- Tu parles d’affections, mais à quoi cela sert entre robots ? Peut-être que l’idée de fond n’est pas de produire des automates doués de sentiments, pour nous distraire dans notre solitude ou nous assister dans notre paresse, mais juste aptes à reproduire nos logiques internes de raisonnements froids et intéressés, à des fins de spéculations et d’asservissements dans une logique de marchandisation de services. Et ce toujours dans une optique de bénéfices, au détriment de nombreux perdants que les robots sauront tenir bien sages dans des camps, sans besoin que des humains leur indiquent sur qui tirer, puisqu’ils prendront des décisions en toute autonomie. Ce que l’on vise, ce vers quoi l’on tend avec frénésie, c’est l’autonomisation d’automates incarnant nos idéaux déchus, du fait de notre insuffisance en temps qu’humains inévitablement inter-dépendants. Les robots nous remplaceront en faisant parfaitement l’affaire pour assurer des échanges alors totalement contractualisés. Comme c’est le cas aujourd’hui dans la finance à haute fréquence, qui dépasse l’entendement humain. Le regard noir, Freud souffla un épais nuage de fumée cancérigène. Et je ne te raconte pas comment nous aimons nous comporter comme des machines désingularisées, décérébrées et obéissantes...violentes.
- Mais c’est horrible ce que tu dis. Tu pervertis tout en voyant le mal partout. T'es en descente, c'est ça ? C'est juste un petit manque de sérotonine, tu vas redevenir optimisme d'ici quelques jours.
- Ce que je te dit va bien au-delà de nos petites existences insignifiantes. Tout ça n’est rien d’autre qu’une logique narcissique poussée à son extrême. En sachant qu’ils auront de plus en plus de mal à assurer une progéniture qui perpétuera une partie d'eux-mêmes dans des transferts d’informations génétiques, les humains conçoivent des robots qui détiendront le patrimoine numérique de l’humanité en eux. Faut juste des clés USB aux tailles nécessaires, comme les datas centers qu’on relie entre eux autour du globe.
- ...
- Si tu ne me crois pas, va demander à Jamy, je lui en ai parlé, mais il m’a dit que jamais on ne dirait ça dans l’émission... Soit disant qu'il faut être bienveillant et positif... Mais si tu ne brandis que des illusions aux gens, ils obéissent aveuglément aux psychopouvoirs qui les confortent dans leur déni. Notre véritable force d’esprit individuelle et collective se mesure à notre capacité à admettre des vérités jusque là refoulées. En luttant contre toutes les formes d'oppression et de domination, mais faut-il encore les voir pour oser les combattre. Freud tira une bouffée sur son cigare, qui s’illumina d’un pessimisme incandescent.

« Mais qu’est-ce que tu veux qu’on lutte avec des idées comme ça, ragea la Petite Voix en regagnant le camp, c’est juste bon pour exciter les survivalistes technophobes ce genre de propos. Si Freud continue à bouder et vieillir ainsi, il va finir par tenir des discours réacs de vieux cons de droite. Faut que je le sorte de sa déprime pour qu’il réinvestisse son énergie dans la cause, mais comment faire ? Il a l’air bien attaqué...
- La Petit Voix !!! T’es où !? s’écriait Jamy dans le lointain.
- Et maintenant va falloir que je rassure stress man... Un jour je monterai mon émission, avec que des femmes, enfin avec des gens compétents qui ne se comportent pas comme des enfants. Marre des petits tyrans. Sans problème d’ego mal placé, on perdra moins de temps. Du moins on essaiera... « Coucou Jamy, je suis là.
- Ah la Petite Voix, mais où étais-tu dont passée ? s’époumona Jamy. Faut terminer l’émission ! Et niquer Bolloré. On a plus le choix !
- Graaave Jamy. Grave. Au fait, j’ai retrouvé Freud, mais il est en pleine méditation transcendantale. Il a besoin d’un peu de temps pour mieux nous revenir. Sinon t’es au courant que Franck Lepage est en train de se garer devant la ZAD ?
- Quoi !? Franck Lepage est là et personne ne m’a informé !? Mais mais mais faut tout revoir les plans, attend on en était où déjà ?
- Mais Jamy, y a jamais eu de plan...
- Hein !?
- Mais si t’inquiète ahah, tu devais demander à Stiegler comment s’orchestre le psychopouvoir, après avoir exposé les bases de l’économie libidinale dans le capitalisme pulsionnel.
- Oui voila, j’en étais là ! Vite, faut pas rater l’arrivée de Lepage ! Virevoltant, dans sa précipitation Jamy se prit les pieds dans un amoncellement de matériaux divers. Tentant de se rattraper, son pieds heurta un pot en verre contenant des clous de toutes tailles, qui volèrent autour de sa chute, bruyante.
« Quel tocard, s’amusa intérieurement la Petite Voix, mais il est marrant ce con. S’il savait que c’est moi qui est invitée Lepage...

Tout excité après avoir couru, d’un pas lent et maitrisé Jamy arriva au niveau des cabanons, où régnait une belle agitation. Lepage balançait quelques blagues, que seuls quelques uns comprenaient, mais tout le monde riait.
- Ah Franck Lepage, heureux de vous rencontrer, venez nous sommes là-bas avec Bernard Stiegler. C’est l’émission de la dernière chance, vous comprenez, on ne peut pas se rater ce coup là, l’avenir du monde de l’information en dépend !
- Rien que ça, ricana Lepage. Alors hâtons-nous de sauver le monde de l’information !
Assis face à la palissade entre Stiegler et Lepage, Jamy se sentit aussi petit que tout puissant. Un frisson parcourut son échine, rapidement évacué en constatant un nouveau tag sur les planches de bois cloutées. Il n’était plus écrit « Le désir doit rester infini » mais « Le psychopouvoir nous divise ». Stiegler coupa court à sa surprise :
- Le psychopouvoir est un terme qui complète celui de biopouvoir. Si depuis des siècles le biopouvoir visait à contrôler la reproduction des populations comme machine de production, depuis le début du 20ème siècle, le psychopouvoir tend à contrôler et fabriquer des motivations, orienter les désirs vers des actes d'achats immédiats, afin de transformer les masses en machines à consommer impulsivement. Entre biologie et politique, l’époque du psychopouvoir est une époque de captation industrielle de l’attention. L'attention qui est le principal mécanisme psychique via lequel s’investissent pulsions et désirs, à travers notre regard. La publicité attire l’œil, capte l'attention, suscite le désir, et reste profondément ancrée dans nos traces mnésiques inconscientes. C’est très important de garder en tête que la bio-psycho-politique cherche à inciter les consommateurs en suscitant leur adhésion, autrement dit en orientant leur attention, donc leur comportement. Si jusque là seuls les États visaient à contrôler corps et esprits, désormais les multinationales redéfinissent les cartes et les territoires afin d’orienter la vie des citoyens, hypnotisés à des fins strictement consuméristes.
- Moi je suis tout-à-fait d’accord avec Bernard. Depuis l’après guerre notamment, en accord avec les politiques, les multinationales ont globalement restructuré les territoires de façon biopolitique. Les paysages ont été redessinés afin que circulent plus facilement et rapidement les marchandises, avec la construction d'autoroutes, d'aéroports, d'hyper-marchés et autres centres commerciaux où passer ses week-end, etc. Si cela avait déjà commencé avec les voies ferrées fin 19ème, ça c’est « démocratisé » - excusez-moi l’expression, ironisa Lepage - dans un modèle purement individualiste, où chacun pourrait se déplacer avec sa propre voiture, pour mieux produire et/ou consommer à tels ou tels endroits. Dans un ordonnancement libéral social-démocrate, l’idée n’était plus d'exiger des individus des signes extérieurs de soumission, mais que chacun soit libre de consommer comme bon lui semble. Tant qu’il consomme sans faire de vague, quitte à s’endetter en prenant des crédits.
Jamy se frotta les mains en imaginant les scores d’audience exploser à la sortie de l’émission : Si je comprends bien, l’association bio-psycho-pouvoir, incorporé dans d’habiles rhétoriques idéologiques prônant la technologie à tout prix, via l’idéalisation d’un Progrès qui sauverait l’humanité, a rendu les individus dociles et flexibles, interchangeables et rentables, telles des machines à consommer, parfaitement adaptées aux logiques de marché des capitalismes financier, industriel et pulsionnel. Pour que toujours s’accroisse l’économie.
- Je dirais même plus que notre véritable problème, c’est la marchandisation des savoirs-faire dans la société de services, surenchérit Stiegler en saisissant l’ambiance d’une main aux doigts ouverts, tendus vers son auditoire. Plus se développe la société de services dans un ultra-consummérisme normalisé, plus les logiques de rentabilité que nous intériorisons - pour soit disant gagner du temps et de l'argent - nous habituent à entretenir un rapport instrumental aux choses. Et contractuels avec les gens. Mais je laisserai Franck développer ce point là. Lepage opina de la tête. Plus à propos de ce rapport instrumental aux choses, il nous faut différencier pratique et utilisation, qui sont deux formes d’expériences bien distinctes.
Jusque là absorbé par la prestance de Stiegler et Lepage, Jamy se rendit compte que derrière lui tous les zadistes s’étaient réunis. Si appliquer inconsciemment les règles du psychopouvoir divisait, le critiquer en conscience unissait. Ce qui fit sourire intérieurement Bernard :
- Pratiquer une activité nous transforme. En pratiquant, nous faisons l’acquisition d’un savoir faire expérimental et ou théorique, que nous intériorisons. Que nous gardons en nous. Dans la pratique active, le savoir-faire devient nôtre, au fil d’un lent processus d’apprentissage. Pour au final pouvoir reproduire ce que l’on a apprit, n’importe où et n’importe quand, autant de temps qu’on voudra, avec autonomie. Du fait de savoir-faire, l’on est en capacité d’opérer. Au contraire, Bernard se racla la gorge, lorsque nous utilisons quelque chose, nous sommes passifs, sans rien tirer de l’expérience, à part peut-être avoir apprit à suivre un mode d’emploi. Quand nous faisons appel à un service, nous monnayons l’utilisation de moyens mis en œuvre pour nous rendre service, mais ces savoir-faire nous restent aussi inaccessibles, extérieurs à nous, qu'on les utilise brièvement. Nous ne nous approprions pas les connaissances permettant de les reproduire. Nous en restons dépendants, sans aucune autonomie, à part le fait de consommer un service via une plateforme d’échange. Ce qui réduit grandement nos libertés de choix et de pratiques. Aussi, lorsque nous utilisons quelque chose, une fois terminé on rend cette chose, et ils ne nous restent plus rien qu’un souvenir. Autrement dit, utiliser une chose, un service, ne laisse rien en nous comme nous ne laissons rien en elle, alors que dans la pratique nous intériorisons des compétences qui nous permettent de transformer nous-mêmes et notre environnement.
La Petite Voix intervint : « Dans tout rapport instrumental, il n’y a pas d’échange réciproque dans une transmission d’apprentissage partagée, seulement des rapports pécuniaires individualisés aux choses. Aux services dont nous devenons toujours plus dépendants dans une perte générale de savoir-faire. La victoire du capitalisme pulsionnel est d’avoir égocentré les individus dans un égoïsme individualiste, qui atomise les masses ainsi désingularisées dans un ultra-consumérisme normalisé, où tout le monde consomme les mêmes choses de la même manière. Si nous utilisons tous les mêmes services pour pallier à nos vulnérabilités, à notre paresse, à nos manques existentiels ou pratiques, comment regagner en subjectivité, retrouver de notre autonomie individuelle et collective dans des pratiques singularisantes, individuantes ?
- Ce qu’il se fait ici à la ZAD est une belle illustration de reprise en main de nos destins, Bernard serra ses poings plusieurs fois d’affilés, dans un processus de transindividuation en faveur du bien commun, grâce à l’acquisition de savoir-faire qui servent à la collectivité. Par exemple quand il s’agit de construire un cabanon ou des toilettes à partir de matériaux de récup’, cela demande créativité et transmission de savoir-faire de la part d’initiés, de connaisseurs qui apprennent à d’autres les moyens d’œuvrer par eux-mêmes, de pratiquer avec autonomie, sans dépendre d’une société de service qui pratiqueraient à notre place. En nous rendant passifs et incompétents. Quand dans la société de service tout est pré-préparé, pré-digéré, qu’il n’y a plus rien à incorporer pour se grandir, s’autonomiser dans des pratiques émancipatrices. Il faut en sortir pour ne serait-ce qu’une fois envisager les choses différemment. Sans jugement prendre du recul en entrevoyant d’autres possibles. Oser l'utopie. Mais concrètement, pas juste en idées, à travers un écran.
- Oui, être actif plutôt que passif, précisa Jamy. « D'ailleurs faudra que je pense à ramasser les clous que j'ai renversé tout à l'heure. » A ce propos, face à la prolétarisation d’un nombre de travailleurs toujours plus grand, qui se voient déposséder de leur savoir-faire en ne sachant parfois même plus pour quoi ou pour qui ils œuvrent, Franck Lepage, pourriez-vous nous éclairer sur cette notion de contractualisation relative à la société de services ?
- Non mais, d’un mouvement de tête Franck ôta ses longs cheveux de son front, comme le disait Bernard, l’automatisation des pratiques sous forme de services payants entraîne une gigantesque perte d’autonomie de faire et de penser, ce qui nous condamne à utiliser des applis, à suivre des notices, sans plus rien savoir faire de nos propres mains, ni même être en capacité de réfléchir en dehors des carcans moraux imposés par les canaux mainstreams. Moi ça me sidère tous ces gens critiques du système, mais qui vivent comme l’attend le système, en critiquant ceci sans voir cela. C'est facile de se moquer en projetant sur autrui ce qu'on ne veut pas identifier chez soi, par déni. Pour moi, au-delà de réapprendre à faire par soi-même, à être actifs dans nos pratiques plutôt que passifs en obéissant à des formes de divertissement qui renforcent notre aliénation, qui nous disent quoi penser, ou quoi faire à tel moment, parce que nos vies seraient minutées, cadencées par des technologies dont on a rien foutre, pour saisir tout ce merdier, il faut voir quand nos relations sont contractualisées, ou pas.
Bernard acquiesça, suivit par Jamy.
« Si tu ne raisonnes plus qu’en terme de contrat entre des personnes, tu ne peux plus penser la notion de biens communs. Et la société de services reposent sur un ensemble de relations contractualisées, de privatisation de biens communs, quand nos dynamiques sociales s’établissent au travers de rapports instrumentaux, marchands. T’as faim, tu commandes sur Uber Eat, tu veux baiser, tu swipes impulsivement sur Tinder, tu veux écouter de la musique, tu écoutes la publicité entre tes chansons préférées sur Spotify. De plus en plus la satisfaction de nos besoins et plaisirs en passent par des services, qui nous conditionnent en choisissant pour nous. Parce que les algorithmes derrière ces belles applis nous profilent pour nous inciter à toujours plus consommer, en dépendant des plateformes en question, qui ont toute notre adhésion, toute notre attention. En plus de nos données. Le génie dans tout ça, c’est que le consommateur utilisateur se dit libre de choisir ce qu’il veut, alors qu’il est choisit par une technologie qui va décider pour lui, lui proposer ce qu’il va kiffer, ou pas.
- On pourrait dire que nos rapports instrumentaux et contractualisés sont permit par une illusion de libre arbitre savamment entretenues par des idéologies libérales, où tout individu qui voudrait pourrait. Et que si l’on rate, c’est de notre faute, résuma la Petite Voix.
- Oui tout à fait, pour citer Clouscard qui dénonçait les idéologies néolibérales, il disait que si tout était permit, en réalité rien n’était possible. L’important étant que les gens, les consommateurs, croient qu’ils peuvent tout avoir, tout acheter, et monter en gamme en travaillant durement. Si on sait que c’est une arnaque totale, y a un paquet de gens qui sont toujours dans cette croyance...l'illusion de la méritocratie et de l’ascenseur social. Laisse-moi rire... Lepage agita ses mains comme un épouvantail. Mais tout ça s’inscrit dans des dimensions bien plus grandes. C’est un travail de sape idéologique insidieux qui opère encore et toujours, dans la bouche des politiciens, sur les plateaux télés, dans les amphis et dans les esprits des gens.
- Et dans leur corps, précisa Bernard, l’air sévère.
- Et dans leur corps, parce que la biopolitique structure et régule les corps sociaux, afin de progressivement reléguer la notion de biens communs dans la poubelle des imaginaires collectifs. Il faut apprendre aux gens à se passer des services publiques en imposant des rapports contractuels inter-individuels privatisés. C’est long et compliqué, surtout si l’on veut être réélu, mais les puissants y travaillent, et pas qu’un peu..! Ce que je veux dire par là, c’est qu’il faut bien comprendre qu’en un siècle on est passé d’une société où l’économie était imbriquée dans les relations sociales, à une société où se sont les relations sociales qui sont imbriquées dans l’économie. En passant de marchés isolés dans des économies locales, à une économie de marchés à une échelle mondiale, l’économie jusque-là au service des collectivités, des biens communs, s’est vue privatisée. Comment ? En passant de marchés régulés à un grand marché soit disant auto-régulateur, mais surtout dérégularisé, ce qui a permit toutes les pires privatisations de biens communs, dans une destruction des liens sociaux. Mais également des biens vitaux, monnayés, contractualisés, privatisés. Et si les libéraux argumentent pour faire croire que c’est l’ordre naturel des choses, le darwinisme social toussa toussa, la doxa ambiante à vomir, au contraire tout cela résulte de décisions politiques.
- Dans les rapports contractualisés, les échanges relationnels sont limités en réciprocité et en altérité, c’est le triomphe de l’individualisme dans un égoïsme égocentré où l’on cherche spontanément la meilleure promotion, à maximiser son profit personnel, en devançant les autres, dont l’on se méfie dans une perte de confiance croissante que les relations deviennent automatiques, artificielles, comme si nous étions des robots dénués de sentiments. Au-delà de la ZAD, je me demande ce qu’il y aurait à faire pour lutter contre l’instrumentalisation et la contractualisation de nos rapports sociaux et existentiels à des échelles individuelles et collectives ?
- Très bonne question la Petite Voix, tout cela permettra de voir fleurir l’espace commentaire d’idéales propositions, ne demandant qu’à être appliquées, pratiquées, en plus de multiplier les clés existentielles à nos trousseaux de vie ! Merci à vous Bernard Stiegler et Franck Lepage. Et à tous les zadistes ici présents !

Tandis qu’un merci collectif explosa d’une joie militante partagée, Jamy vit Freud parmi le groupe. Il avait assisté à la fin de l’interview sans même participer. Une sérieuse discussion aurait lieu entre eux, mais pour l’instant un banquet fut dressé autour d’un grand feu de camp, qui illuminerait les esprits de corps emplis d’une vitalité inébranlable, tant que le groupe serait porté par de puissantes et étayantes valeurs.

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Pour Jamy la succès semblait assuré, et l’émission sauvée, mais c’était bien mal connaître l’immense fourberie de Bolloré, dont le piège allait bientôt se refermer sur nos valeureux résistants. De son côté, la Petite Voix aurait-elle encore la patience de gérer les caractères de Freud et Jamy, dont les puérils egos risquaient de mener à quelques confrontations pouvant diviser l’équipe et nuire à l’émission. Ou au contraire en émergerait-il un format plus adapté pour enfin niquer l’empire Bolloré ? Dans cette inexorable course contre la montre, continuerait de s’opposer des valeurs au sein d’une lutte acharnée, si contraires que seul un camp pouvait subsister. L’emporter sur l’autre. Pour soutenir la lutte contre Big Brolloré, acheter un crayon Titi et commenter, argumenter, dans un temps long participer à l’éducation populaire, dernier rempart culturel des peuples face aux impérialismes totalitaires et leurs nauséabondes idéologies, merci :

 
"Jusque là absorbé par la prestance de Stiegler et Lepage, Jamy se rendit compte que derrière lui tous les zadistes s’étaient réunis. Si appliquer inconsciemment les règles du psychopouvoir divisait, le critiquer en conscience unissait."

Genius. En vrai j'ai bien aimé c'était intéressant en plus. Mais il est où Fred ? Ou alors c'est juste un pseudo de Freud ???

Sinon aucune mention du fait qu'il faut "gagner sa vie", mériter le droit d'être vivant quand t'as jamais demandé à être là finalement. En vrai ça m'a toujours trigger. Et ça aurait sa place ici je crois, d'autant plus que c'est une rhétorique qui fait un lien directe entre un libéralisme à l'ancienne et l'actuel : comment tu v1s pouvoir consommer si t'as pas un salaire ?
 
comment tu v1s pouvoir consommer si t'as pas un salaire ?

Tu peux toujours monter des escroqueries à quatre mains
 
EEEEEHeh a dit:
Genius. En vrai j'ai bien aimé c'était intéressant en plus. Mais il est où Fred ? Ou alors c'est juste un pseudo de Freud ???

Sinon aucune mention du fait qu'il faut "gagner sa vie", mériter le droit d'être vivant quand t'as jamais demandé à être là finalement. En vrai ça m'a toujours trigger. Et ça aurait sa place ici je crois, d'autant plus que c'est une rhétorique qui fait un lien directe entre un libéralisme à l'ancienne et l'actuel : comment tu v1s pouvoir consommer si t'as pas un salaire ?

Yes Fred est remplacé par Freud. J'avais utilisé ce délire dans un article sur le clivage à l'époque.

Sinon le sujet c'est la différence entre pratiquer et utiliser dans la société de service, le tout prit dans une question biopolitique vis-à-vis de ce qu'est le psychopouvoir. Donc parler d'impératif à gagner sa vie ou de méritocratie aurait allongé le texte, même si y a des liens à faire oui !
 
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