Laura Revenudelaba
Elfe Mécanique
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Le monde allait de mal en pis. Mais de téméraires radicaux de gauche très dangereux s’obstinaient à changer le système de l’intérieur, par le biais de l’éducation populaire. Plus facile à dire qu’à faire, quand combattre l’empire financier de Bolloré avec des idées relevait du défi insurmontable.
oOo
- Oui Mr Bolloré, bien Mr Bolloré. Nous ferons comme vous nous voudrez Mr Bolloré. Au revoir Mr Bolloré. Jamy raccrocha, dents serrées et lèvres pincées.
- He ba alors Jamy, qu’est-ce qui se passe ? Bolloré t’as fichu les boules ? rigola la Petite Voix.
Ahah très drôle. Tu vas moins rire quand je vais t’apprendre ce que m’a dit le boss. Si on refait une émission comme la précédente, on est tous viré. Tu comprends ? Viré. Remplacé. Moi par Laurent Alexandre, Freud par Onfray et toi par Siri. Super marrant hein !?
- Ouai bon vu comme ça… Moi j’ai trouvé que c’était une super émission, on a apprit plein de choses intéressantes.
- Le boss n’est pas de cet avis. Il veut du consensuel, du prêt-à-penser. Des idées formatées qui puissent être analysées par les algorithmes une fois que les téléspectateurs les auront bien intériorisées. Il veut du résultat dans le portefeuille et dans les urnes !
- Mais ce n’est pas éthique d’évaluer l’intérêt du public en calculant le temps de cerveau disponible des gens pour y donner une valeur marchande dans une instrumentalisation politique…
- L’éthique de Bolloré c’est de faire du fric en reproduisant les bonnes vieilles valeurs réactionnaires d’antan, alors si t’as un truc à redire, t’appuies sur la touche rappel et tu vois avec lui. Non ? Ba alors on fait comme il dit. Si la biopolitique rationalise les désirs d’acheteurs compulsifs pour tirer profit de leurs pulsions consuméristes dans une économie libidinale, ba on va en parler. Et pas qu’un peu ! Jamy tapa du poing sur la table. Il est où Freud encore !?
- Il avait rendez-vous avec son neveu, Edward Bernays je crois. Ce dernier voulait justement demander à son tonton comment fonctionnent les désirs des individus, afin de les pousser à consommer des choses dont ils n’ont ni envie ni besoin. Pour mieux organiser l’économie. C’est en lien avec le capitalisme, quand l’offre dépasse la demande et que ça entraîne de grosses crises économiques, parce que les gens ne peuvent ou ne veulent pas acheter tout ce qui sort des usines. Sa solution toute trouvée serait de maintenir la production de biens marchands tout en permettant aux gens de consommer plus, quitte à prendre des crédits. Et pour les inciter à vivre haut dessus de leurs moyens, Bernays a eu l’idée de faire de la propagande de masse via des cabinets de conseils qui expliqueraient aux multinationales quoi dire et quoi mettre en place pour capter les désirs des citoyens, quitte à les transformer en consommateurs désubjectivés. Il appelle ça les « Relations Publiques ». Pas mal hein, ça sonne bien formulé comme ça…
- Putain mais c’est pas vrai, pile quand on a besoin de lui il n’est pas là. Pour en plus collaborer avec l’ennemi. Le traitre ! D’une colère combative, Jamy se déprima brusquement. Sans plus de force morale, son équilibre hormonal au plus bas, il se résigna à appeler Bolloré pour lui dire que Laurent Alexandre ferait très bien l’affaire, et puis qu’Onfray lui au moins serait toujours présent. « C’est un peu sa deuxième maison la télé. » Faisant défiler la liste des B dans ses contacts, Jamy éprouva un grand soulagement en voyant apparaître le nom de Bernard Stiegler. « Sauvé !
- Comme on dit, pas de problème que des solutions, clama la Petite Voix !
- Exact ! Direction Plaine Commune. Chauffe Marcel !
GENERIQUE - guitare ROCK’N’ROLL - trop cool.
PShiiiiiiiii - Le camion s’arrête à un rond point au milieu des champs, sur le plateau de Saclay…bien loin du 93.
- Mais où est-ce qu’on est ? demanda Jamy en ouvrant la porte du camion. A sa gauche une espèce de camp barricadé derrière des planches de bois sommairement assemblées, à sa droite des engins de chantiers de gros calibres, et en arrière fond un alignement d’énormes piliers en béton, prêt à supporter le futur métro aérien.
- Je croyais qu’il n’y avait qu’à Carnac qu’il y avait des menhirs, blagua la Petite Voix.
Jamy mit un violent coup de pieds dans le plot de chantier orange devant lui : « Ca recommence ! Je suis maudit ! Ce coup-ci c’est sur que Bolloré va nous bolosse ! L’image de Foucault traversant son esprit, Jamy se retint de mettre un coup de poing dans le camion. « Detente man. Detente. »
Bernard Stiegler surgit à l’angle du camion : « Hey salut Jamy, c’est moi qui est dit à Marcel de venir ici. Vient on va se poser à la ZAD juste à côté, il fait bon vivre là-bas. Ils ont un petit cubis de vin rouge, tu vas m’en dire des nouvelles.
« J’en peux plus de la sagesse de ces philosophes pas sages… » pensa Jamy en souriant à Stiegler : « Très bonne idée Bernard, tu me laisses juste envoyer un petit sms au monteur pour lui dire qu’il va devoir flouter des dizaines de visages. Il adore les heures sup’ non payées.
- Allez vient, on va parler capitalisme pulsionnel et psychopouvoir.
Après avoir brièvement salués les zadistes, sans transition Jamy et Bernard s‘installèrent devant une palissade où était inscrit « Le désir doit rester infini ».
- Bernard Stiegler, lors de la précédente émission, Michel Foucault nous a expliqué que les deux logiques du biopouvoir comprenaient d’une part, une discipline institutionnelle visant à régir les corps individuels, et d’autre part, la régulation globale de la population par l’Etat. Au point de recoupement de ces modalités micro et macroscopiques de contrôle biopolitique, on trouve la sexualité. Pourriez-vous nous dire de quoi il retourne, de manière consensu, enfin claire, euh, simplement…
- La sexualité est un des plus puissant moteur qui existe. Elle infuse toutes les strates de la société dans une diffusion hormonale permanente, du plus bas niveau social aux plus hautes sphères du pouvoir. La recherche de plaisir liée à la sexualité nous anime, nous excite, dans deux directions. Vers soi dans la satisfaction de nos besoins individuels et vers l’autre pour assurer la reproduction de l’espèce. L’excitation libidinale est donc bidirectionnelle, selon sur quoi elle s’investit, à savoir soi-même ou autrui. Ou n’importe quel objet désiré.
- On aurait apprécié avoir l’avis de Freud sur la notion de libido, mais il est occupé à faire copain-copain avec le Capital, pourriez-nous en dir
Sans même que Jamy ait le temps de finir, d’un air grave Stiegler affirma : « La libido c’est l’énergie du désir. C’est la force qui pousse en nous, qui tend en avant en bandant les corps dans une tension intéressée. A l’origine du désir, de la force libidinale, se trouve la pulsion. Précisons la différence entre désir et pulsion, qui sont deux choses bien distinctes. Bernard inspira. La pulsion est une force bio-psychique inconsciente qui créée dans l’organisme un état de tension. Cette tension interne oriente la vie fantasmatique de la personne, c’est-à-dire que sa tension va déterminer sa relation vers certains objets plutôt que d’autres, et ce au point de susciter en elle des envies, des besoins dont la satisfaction sera nécessaire pour que la tension tombe. D’où le fait que si la pulsion n’est pas satisfaite, quand la tension est à son comble, ça entraîne des passages à l’acte, souvent impulsifs et regrettés.
- Je crois qu’on voit tous.
- Au contraire, le désir est conscient. Maîtrisable. La personne connaît, reconnaît son envie, ce sur quoi s’investit son intérêt. Elle sait via quelle tendance s’exprime sa libido. Intuitivement elle sait comment opère en elle son énergie physique et psychique, vers quels buts. En ça le désir est une force motivante, qui tend à l’action consciente, réfléchie, d’où le fait que le désir doive rester infini. Bernard pointa du doigt la citation, que Jamy relu différemment derrière ses lunettes rondes, en prenant son menton entre pouce et index. Tant que le désir est infini, avec énergie la personne aura envie de faire des choses, en sublimant ses pulsions sexuelles dans des activités tout autre. Comme quand on est passionné. Mais si le désir se retrouve conscrit, finit comme lors d’un acte d’achat par exemple, il n’est plus une force infinie, mais un manque horrible. Et c’est l’insatisfaction. Accompagnée d’un vide intérieur, qui demande à être immédiatement combler. A force de frustration de ce genre, entretenues et répétées dès le plus jeune âge, les désirs se perdent dans une domination des pulsions, et c’est la porte ouverte à l’addiction. En consommant toute sorte d’objet pour substituer à ses manques. Pour essayer de retrouver l’idée de satisfaction dans un équilibre pulsionnel précaire, toujours prêt à vaciller du fait de ne plus savoir se satisfaire de ce qu’on a. Ainsi, plus il y a d’addicts, plus le capitalisme pulsionnel se nourrit de la détresse existentielle de consommateurs infiniment insatisfaits. Parce qu’une des injonctions morales induites par la biopolitique dans les imaginaires des gens, est de kiffer ici et maintenant. C’est impératif ! Quitte à devoir débourser quelques sous pour acheter un plaisir éphémère, quand on ne sait plus se satisfaire sans s’administrer une dose d’achat. De dopamine.
Dosé, Jamy saisit son verre et bu une bonne gorgée, tout en écoutant l’intarissable flux philosophique gagner en profondeur et hauteur de vue.
« Le capitalisme pulsionnel instrumentalise nos systèmes de récompense à des fins de gouvernances biopolitiques. Donc si l’on n’apprend pas à différer nos pulsions, à s’empêcher en combattant nos impulsivités, notre volonté s’effrite, se déconstruit dans une perte de subjectivité. C’est très grave. La désubjectivation désingularise l’individu dans une désinviduation individualisante. Ce qui nuit au tissu social, à la création de liens grâce à nos désirs individuels et collectifs, perdus dans un nihilisme sans saveur ni valeur. Et sans désir pour s’élever au-dessus de soi, s’ouvrir aux autres et à la nature, impossible de se libérer en donnant du sens aux choses, à nos vies, et au final les pulsions comblent tous nos vides intérieurs, et on fait n’importe quoi, n’importe quand, n’importe comment. La domination de la pulsion c’est l’aliénation dans l’incompréhension. On se retrouve à obéir à des logiques qui, si on en avait conscience, ne nous donneraient pas envie d’agir ainsi. Parce que là où le désir construit, tend à préserver les objets sur lesquels il s’investit, parce qu’il les aime, qu’il a envie de pouvoir en jouir intensément et durablement dans un accroissement de sa puissance, de sa joie, à l’opposée la pulsion détruit tout. Elle consomme intégralement ce sur quoi elle s’investit, dans un plaisir toujours plus éphémère. Appauvri. Quand le désire économise, profite sans dépense inconsidérée, la pulsion dévore tout sans rien laisser. Elle prend et jette dans une folle logique consumériste, devenue indispensable pour se sentir bien. Pour abaisser l’insoutenable tension, qui sinon nous mine le moral, du fait de ne plus savoir désirer en prenant le temps d’aimer. Durablement. Infiniment.
Jamy sentit son esprit tourner dans sa tête, sans savoir si c’était l’effet du mauvais vin ou l’envers du décors proposé par la vertigineuse pensée de Stiegler : « Si je comprends bien, le capitalisme pulsionnel a mit nos désirs dans des cases finies, et en perdant en infinité, à défaut de spiritualité pour nous sublimer, comme si l’on avait ouvert la boite de Pandore, nos pulsions ont prit le dessus, avec leurs volontés exacerbées de possessions et de consommations immédiates, inconscientes, pour pallier aux frustrations générées par ces mêmes pulsions…
Stiegler montra brièvement ses dents, tranchantes : « C’est ce qu’on appelle l’économie libidinale, quand il s’agit de capter les désirs en réorientant leurs investissements vers des actes d’achats compulsifs. Pulsionnels. Faire tourner en rond la libido des consommateurs les rend addicts à des choses dont ils sont dépendants. Dont les marchés les rendent dépendants afin d’assurer une demande satisfaisant l’offre, dans une production croissante de biens.
- Quelle différence entre addiction et dépendance ?
- L’addiction c’est la compulsion de répétition, un mécanisme dynamique très pernicieux quand l’on ne sait plus s’arrêter. Quand notre volonté a démissionné au profit des pulsions impulsives, dans une économie libidinale ingérable. La dépendance c’est lorsqu’on a absolument besoin de quelque chose pour vivre. Nous sommes dépendant à l’eau, à la nourriture, à l’amour, etc, c’est la pyramide de Maslow. Mais dans notre confort croissant, le capitalisme pulsionnel a su renverser les intérêts premiers des gens, en détournant leurs désirs. Vivre entouré de proches qu’on apprécie n’est plus une valeur cardinale, face à un individualisme de plus en plus impérieux dans des logiques égoïstes et égocentriques. Narcissiques. Si le désir tend vers l’autre, la pulsion ramène toujours à soi. Au point de détester l’autre s’il empiète sur notre propre empire en limitant notre satisfaction immédiate, en contredisant notre tout puissance individuelle. Ces dynamiques narcissiques individualisantes ne sont pas nouvelles, mais célébrées, banalisées dans la société de consommation, où le moi est prôné, maximisé.
- On comprend mieux comment une économie relationnelle pulsionnelle et narcissique est à-même de détruire les liens sociaux, alors que le désir sans volonté de possession nouerait des relations en favorisant la réciprocité dans l’altérité.
- C’est cela. Dans le meilleur des mondes du capitalisme pulsionnel, la société du spectacle propose un divertissement permanent, qui façonne des mentalités sur-égotisées, prêtes à payer leur adhésion à la tendance du moment pour se sentir exister. Exemple du sexisme dans la télé-réalité, qui élabore de nouveaux codes sociaux ultra-stéréotypés, toujours dans l’expansion de nouveaux marchés spéculant sur la mauvaise estime de soi des spectateurs, mais également des participants prêts à se faire humilier en public. En croyant se démarquer pour se singulariser, exister enfin, les participants se désingularisent en reproduisant la bêtise de leurs prédécesseurs, avant d’être mit à la poubelle du système qui les a dévoré.
- Quelle finalité à tout ça ?
Toujours capter le temps de cerveau disponible en suscitant de l’adhésion. L’important étant que l’attention des consommateurs ne se portent que sur ce qui les ramènent à eux-mêmes, sans jamais sortir des cadres imposés et définis par les producteurs. Mépriser dans des projections extérieures ce que l’on méprise en soi assure de tourner longtemps en rond, sans aucune émancipation. D’autant plus quand la technologie nous notifie constamment qu’il se passe quelque chose. Si la pulsion se gargarise dans l’immédiateté des impressions du moi primaire, il faut du temps au désir pour se galvaniser, devenir opérant au-delà de soi, afin de jouir dans un temps long. Mais quand on est prit entre sa propre envie et l’attente d’autrui qui impose une réponse immédiate, c’est difficile de résister à l’appel pulsionnel d’une notification. Au risque de rater une partie du spectacle… Dans l’ère du commentaire, les algorithmes sélectionnent les contenus suscitant le plus de réactions impulsives. Le reste est voué à disparaître dans les tréfonds d’internet. Ainsi quiconque tente d’exister sans faire le jeu des marchés, restera invisibilisé. Et continueront de s’imposer les pulsions destructrices, aliénantes, au détriment des désirs émancipateurs.
C’est là qu’intervint la Petite Voix :
- Dans la société du spectacle numérique, en tant qu’utilisateurs de plateformes soit disant gratuites, les spectateurs producteurs de data données sont eux-mêmes des produits, des travailleurs marchandisés, créateurs du profit généré par leur propre bêtise impulsive, mais dont il ne percevront rien d’autre qu’un renforcement de leur aliénation.
Prenant sa tête dans ses mains, Jamy se demanda quels mots clé il rentrerait demain dans le moteur de recherche de Pôle Emploi. Finissant son verre cul sec, il eut envie de swiper sa vie, se retrouver dans un autre Jamy, a une autre époque, dans un autre monde. Mais il ne pouvait que scroller sa réalité, en regardant le présent se dérouler devant lui, impassible et impuissant face aux évènements. « Y me faut un autre verre…
Jamy se leva en titubant, non d’ivresse mais de tristesse.
Pourquoi lui avait-on confié la réalisation de ces émissions sur la biopolitique ? Était-ce une énième tactique de la direction pour le licencier ? Lui donner une mission impossible qu’il était sur de foirer, afin de l’évincer. Toutes ces années passées sur le service public…en valait-ce la peine ?
- Hey mais c’est Jamy. Trop cool. Je regardais C’est Pas Sorcier tous les soirs après l’école quand j’étais petite. J’ai appris trop de choses grâce à toi. A vous, avec Freud et la Petite Voix.
Encore à moitié empêtré dans son désarroi, Jamy tcheka mécaniquement la zadiste qui lui souriait, suivie par quelques camarades qui l’encensèrent à leur tour. « Enchanté, ça me touche ce que vous me dites les jeunes. C’est pas toujours facile, mais on s’accroche… Il regarda le groupe sous un nouveau jour, plus éclairé, lumineux. « Au fait vous êtes qui en vrai, enfin vous faites quoi ici précisément ? Jamy constata être rentré dans la ZAD en ne pensant qu’à son émission, aux gros yeux de Bolloré le sermonnant en son for intérieur. Guidé par ses pulsions l’auto-centrant dans des intérêts ne dépassant pas le sien, il était encore temps de s’ouvrir et enfin créer du lien, authentique et non pas artificiel.
Les zadistes expliquèrent à Jamy qu’ils défendaient les terres agricoles du plateau de Saclay, contre la construction de la ligne 18 du Grand Paris Express :
- Ah oui c’est bien différent de ce qu’on entends dans les grands médias ce que vous me dites là.
- Ahah nous ne sommes pas des écoterroristes, au contraire nous luttons pour préserver le vivant ! On protège les terres agricoles contre l’expansion écocidaires des industriels. Comme à Sainte-Soline, nous ne sommes pas seuls ensemble, mais tous et toutes ensemble, c’est une question de survie. La survie de tout le monde, pas que la notre.
- Je vois ça. Ça fait plaisir à voir !
Tandis qu’un zadiste resservit un verre de courage à Jamy, de bonne humeur il lu une poésie sur la façade d’un cabanon :
JOIE MILITANTE
Au sortir du nihil
De valeurs retrouvées
Goûts et couleurs partagés
Dans la joie d’un idylle
A perpétuer
Si le désir est l’essence de l’homme, toujours il doit perdurer pour sauver ce qu’il y a de meilleur en nous, se dit Jamy en repensant à une phrase de Spinoza, lue il y a des années.
« C’est dingue la mémoire quand même… »
Dans l’éprouvé léger d’un joyeux sentiment, après une énième gorgée ravivant son gosier, Jamy effectua quelques voluptueux pas de danse, se disant que le « Rock’n’roll c’est vraiment la belle vie », avant de subitement retrouver ses raisons, yeux écarquillés : « On a une putain d’émission à terminer ! Au boulot !
oOo
Qu’en serait-il de l’avenir de l’émission ? La culture populaire allait-elle reconquérir les parts de marchés nécessaires à la diffusion d’un essentiel savoir transgénérationnel, ou la télé-réalité allait-elle tout niquer ? Freud interviendrait-il enfin pour aider Jamy et la Petite Voix à résister au terrible Bolloré ?
Face au capitalisme pulsionnel, de quelles forces allaient-il falloir être pour réapprendre à chérir nos désirs, dans une transindividuation vectrice de motivation et de participation à l’élaboration collective d’une culture commune fédératrice, émancipatrice et libératrice ?
oOo
- Oui Mr Bolloré, bien Mr Bolloré. Nous ferons comme vous nous voudrez Mr Bolloré. Au revoir Mr Bolloré. Jamy raccrocha, dents serrées et lèvres pincées.
- He ba alors Jamy, qu’est-ce qui se passe ? Bolloré t’as fichu les boules ? rigola la Petite Voix.
Ahah très drôle. Tu vas moins rire quand je vais t’apprendre ce que m’a dit le boss. Si on refait une émission comme la précédente, on est tous viré. Tu comprends ? Viré. Remplacé. Moi par Laurent Alexandre, Freud par Onfray et toi par Siri. Super marrant hein !?
- Ouai bon vu comme ça… Moi j’ai trouvé que c’était une super émission, on a apprit plein de choses intéressantes.
- Le boss n’est pas de cet avis. Il veut du consensuel, du prêt-à-penser. Des idées formatées qui puissent être analysées par les algorithmes une fois que les téléspectateurs les auront bien intériorisées. Il veut du résultat dans le portefeuille et dans les urnes !
- Mais ce n’est pas éthique d’évaluer l’intérêt du public en calculant le temps de cerveau disponible des gens pour y donner une valeur marchande dans une instrumentalisation politique…
- L’éthique de Bolloré c’est de faire du fric en reproduisant les bonnes vieilles valeurs réactionnaires d’antan, alors si t’as un truc à redire, t’appuies sur la touche rappel et tu vois avec lui. Non ? Ba alors on fait comme il dit. Si la biopolitique rationalise les désirs d’acheteurs compulsifs pour tirer profit de leurs pulsions consuméristes dans une économie libidinale, ba on va en parler. Et pas qu’un peu ! Jamy tapa du poing sur la table. Il est où Freud encore !?
- Il avait rendez-vous avec son neveu, Edward Bernays je crois. Ce dernier voulait justement demander à son tonton comment fonctionnent les désirs des individus, afin de les pousser à consommer des choses dont ils n’ont ni envie ni besoin. Pour mieux organiser l’économie. C’est en lien avec le capitalisme, quand l’offre dépasse la demande et que ça entraîne de grosses crises économiques, parce que les gens ne peuvent ou ne veulent pas acheter tout ce qui sort des usines. Sa solution toute trouvée serait de maintenir la production de biens marchands tout en permettant aux gens de consommer plus, quitte à prendre des crédits. Et pour les inciter à vivre haut dessus de leurs moyens, Bernays a eu l’idée de faire de la propagande de masse via des cabinets de conseils qui expliqueraient aux multinationales quoi dire et quoi mettre en place pour capter les désirs des citoyens, quitte à les transformer en consommateurs désubjectivés. Il appelle ça les « Relations Publiques ». Pas mal hein, ça sonne bien formulé comme ça…
- Putain mais c’est pas vrai, pile quand on a besoin de lui il n’est pas là. Pour en plus collaborer avec l’ennemi. Le traitre ! D’une colère combative, Jamy se déprima brusquement. Sans plus de force morale, son équilibre hormonal au plus bas, il se résigna à appeler Bolloré pour lui dire que Laurent Alexandre ferait très bien l’affaire, et puis qu’Onfray lui au moins serait toujours présent. « C’est un peu sa deuxième maison la télé. » Faisant défiler la liste des B dans ses contacts, Jamy éprouva un grand soulagement en voyant apparaître le nom de Bernard Stiegler. « Sauvé !
- Comme on dit, pas de problème que des solutions, clama la Petite Voix !
- Exact ! Direction Plaine Commune. Chauffe Marcel !
GENERIQUE - guitare ROCK’N’ROLL - trop cool.
PShiiiiiiiii - Le camion s’arrête à un rond point au milieu des champs, sur le plateau de Saclay…bien loin du 93.
- Mais où est-ce qu’on est ? demanda Jamy en ouvrant la porte du camion. A sa gauche une espèce de camp barricadé derrière des planches de bois sommairement assemblées, à sa droite des engins de chantiers de gros calibres, et en arrière fond un alignement d’énormes piliers en béton, prêt à supporter le futur métro aérien.
- Je croyais qu’il n’y avait qu’à Carnac qu’il y avait des menhirs, blagua la Petite Voix.
Jamy mit un violent coup de pieds dans le plot de chantier orange devant lui : « Ca recommence ! Je suis maudit ! Ce coup-ci c’est sur que Bolloré va nous bolosse ! L’image de Foucault traversant son esprit, Jamy se retint de mettre un coup de poing dans le camion. « Detente man. Detente. »
Bernard Stiegler surgit à l’angle du camion : « Hey salut Jamy, c’est moi qui est dit à Marcel de venir ici. Vient on va se poser à la ZAD juste à côté, il fait bon vivre là-bas. Ils ont un petit cubis de vin rouge, tu vas m’en dire des nouvelles.
« J’en peux plus de la sagesse de ces philosophes pas sages… » pensa Jamy en souriant à Stiegler : « Très bonne idée Bernard, tu me laisses juste envoyer un petit sms au monteur pour lui dire qu’il va devoir flouter des dizaines de visages. Il adore les heures sup’ non payées.
- Allez vient, on va parler capitalisme pulsionnel et psychopouvoir.
Après avoir brièvement salués les zadistes, sans transition Jamy et Bernard s‘installèrent devant une palissade où était inscrit « Le désir doit rester infini ».
- Bernard Stiegler, lors de la précédente émission, Michel Foucault nous a expliqué que les deux logiques du biopouvoir comprenaient d’une part, une discipline institutionnelle visant à régir les corps individuels, et d’autre part, la régulation globale de la population par l’Etat. Au point de recoupement de ces modalités micro et macroscopiques de contrôle biopolitique, on trouve la sexualité. Pourriez-vous nous dire de quoi il retourne, de manière consensu, enfin claire, euh, simplement…
- La sexualité est un des plus puissant moteur qui existe. Elle infuse toutes les strates de la société dans une diffusion hormonale permanente, du plus bas niveau social aux plus hautes sphères du pouvoir. La recherche de plaisir liée à la sexualité nous anime, nous excite, dans deux directions. Vers soi dans la satisfaction de nos besoins individuels et vers l’autre pour assurer la reproduction de l’espèce. L’excitation libidinale est donc bidirectionnelle, selon sur quoi elle s’investit, à savoir soi-même ou autrui. Ou n’importe quel objet désiré.
- On aurait apprécié avoir l’avis de Freud sur la notion de libido, mais il est occupé à faire copain-copain avec le Capital, pourriez-nous en dir
Sans même que Jamy ait le temps de finir, d’un air grave Stiegler affirma : « La libido c’est l’énergie du désir. C’est la force qui pousse en nous, qui tend en avant en bandant les corps dans une tension intéressée. A l’origine du désir, de la force libidinale, se trouve la pulsion. Précisons la différence entre désir et pulsion, qui sont deux choses bien distinctes. Bernard inspira. La pulsion est une force bio-psychique inconsciente qui créée dans l’organisme un état de tension. Cette tension interne oriente la vie fantasmatique de la personne, c’est-à-dire que sa tension va déterminer sa relation vers certains objets plutôt que d’autres, et ce au point de susciter en elle des envies, des besoins dont la satisfaction sera nécessaire pour que la tension tombe. D’où le fait que si la pulsion n’est pas satisfaite, quand la tension est à son comble, ça entraîne des passages à l’acte, souvent impulsifs et regrettés.
- Je crois qu’on voit tous.
- Au contraire, le désir est conscient. Maîtrisable. La personne connaît, reconnaît son envie, ce sur quoi s’investit son intérêt. Elle sait via quelle tendance s’exprime sa libido. Intuitivement elle sait comment opère en elle son énergie physique et psychique, vers quels buts. En ça le désir est une force motivante, qui tend à l’action consciente, réfléchie, d’où le fait que le désir doive rester infini. Bernard pointa du doigt la citation, que Jamy relu différemment derrière ses lunettes rondes, en prenant son menton entre pouce et index. Tant que le désir est infini, avec énergie la personne aura envie de faire des choses, en sublimant ses pulsions sexuelles dans des activités tout autre. Comme quand on est passionné. Mais si le désir se retrouve conscrit, finit comme lors d’un acte d’achat par exemple, il n’est plus une force infinie, mais un manque horrible. Et c’est l’insatisfaction. Accompagnée d’un vide intérieur, qui demande à être immédiatement combler. A force de frustration de ce genre, entretenues et répétées dès le plus jeune âge, les désirs se perdent dans une domination des pulsions, et c’est la porte ouverte à l’addiction. En consommant toute sorte d’objet pour substituer à ses manques. Pour essayer de retrouver l’idée de satisfaction dans un équilibre pulsionnel précaire, toujours prêt à vaciller du fait de ne plus savoir se satisfaire de ce qu’on a. Ainsi, plus il y a d’addicts, plus le capitalisme pulsionnel se nourrit de la détresse existentielle de consommateurs infiniment insatisfaits. Parce qu’une des injonctions morales induites par la biopolitique dans les imaginaires des gens, est de kiffer ici et maintenant. C’est impératif ! Quitte à devoir débourser quelques sous pour acheter un plaisir éphémère, quand on ne sait plus se satisfaire sans s’administrer une dose d’achat. De dopamine.
Dosé, Jamy saisit son verre et bu une bonne gorgée, tout en écoutant l’intarissable flux philosophique gagner en profondeur et hauteur de vue.
« Le capitalisme pulsionnel instrumentalise nos systèmes de récompense à des fins de gouvernances biopolitiques. Donc si l’on n’apprend pas à différer nos pulsions, à s’empêcher en combattant nos impulsivités, notre volonté s’effrite, se déconstruit dans une perte de subjectivité. C’est très grave. La désubjectivation désingularise l’individu dans une désinviduation individualisante. Ce qui nuit au tissu social, à la création de liens grâce à nos désirs individuels et collectifs, perdus dans un nihilisme sans saveur ni valeur. Et sans désir pour s’élever au-dessus de soi, s’ouvrir aux autres et à la nature, impossible de se libérer en donnant du sens aux choses, à nos vies, et au final les pulsions comblent tous nos vides intérieurs, et on fait n’importe quoi, n’importe quand, n’importe comment. La domination de la pulsion c’est l’aliénation dans l’incompréhension. On se retrouve à obéir à des logiques qui, si on en avait conscience, ne nous donneraient pas envie d’agir ainsi. Parce que là où le désir construit, tend à préserver les objets sur lesquels il s’investit, parce qu’il les aime, qu’il a envie de pouvoir en jouir intensément et durablement dans un accroissement de sa puissance, de sa joie, à l’opposée la pulsion détruit tout. Elle consomme intégralement ce sur quoi elle s’investit, dans un plaisir toujours plus éphémère. Appauvri. Quand le désire économise, profite sans dépense inconsidérée, la pulsion dévore tout sans rien laisser. Elle prend et jette dans une folle logique consumériste, devenue indispensable pour se sentir bien. Pour abaisser l’insoutenable tension, qui sinon nous mine le moral, du fait de ne plus savoir désirer en prenant le temps d’aimer. Durablement. Infiniment.
Jamy sentit son esprit tourner dans sa tête, sans savoir si c’était l’effet du mauvais vin ou l’envers du décors proposé par la vertigineuse pensée de Stiegler : « Si je comprends bien, le capitalisme pulsionnel a mit nos désirs dans des cases finies, et en perdant en infinité, à défaut de spiritualité pour nous sublimer, comme si l’on avait ouvert la boite de Pandore, nos pulsions ont prit le dessus, avec leurs volontés exacerbées de possessions et de consommations immédiates, inconscientes, pour pallier aux frustrations générées par ces mêmes pulsions…
Stiegler montra brièvement ses dents, tranchantes : « C’est ce qu’on appelle l’économie libidinale, quand il s’agit de capter les désirs en réorientant leurs investissements vers des actes d’achats compulsifs. Pulsionnels. Faire tourner en rond la libido des consommateurs les rend addicts à des choses dont ils sont dépendants. Dont les marchés les rendent dépendants afin d’assurer une demande satisfaisant l’offre, dans une production croissante de biens.
- Quelle différence entre addiction et dépendance ?
- L’addiction c’est la compulsion de répétition, un mécanisme dynamique très pernicieux quand l’on ne sait plus s’arrêter. Quand notre volonté a démissionné au profit des pulsions impulsives, dans une économie libidinale ingérable. La dépendance c’est lorsqu’on a absolument besoin de quelque chose pour vivre. Nous sommes dépendant à l’eau, à la nourriture, à l’amour, etc, c’est la pyramide de Maslow. Mais dans notre confort croissant, le capitalisme pulsionnel a su renverser les intérêts premiers des gens, en détournant leurs désirs. Vivre entouré de proches qu’on apprécie n’est plus une valeur cardinale, face à un individualisme de plus en plus impérieux dans des logiques égoïstes et égocentriques. Narcissiques. Si le désir tend vers l’autre, la pulsion ramène toujours à soi. Au point de détester l’autre s’il empiète sur notre propre empire en limitant notre satisfaction immédiate, en contredisant notre tout puissance individuelle. Ces dynamiques narcissiques individualisantes ne sont pas nouvelles, mais célébrées, banalisées dans la société de consommation, où le moi est prôné, maximisé.
- On comprend mieux comment une économie relationnelle pulsionnelle et narcissique est à-même de détruire les liens sociaux, alors que le désir sans volonté de possession nouerait des relations en favorisant la réciprocité dans l’altérité.
- C’est cela. Dans le meilleur des mondes du capitalisme pulsionnel, la société du spectacle propose un divertissement permanent, qui façonne des mentalités sur-égotisées, prêtes à payer leur adhésion à la tendance du moment pour se sentir exister. Exemple du sexisme dans la télé-réalité, qui élabore de nouveaux codes sociaux ultra-stéréotypés, toujours dans l’expansion de nouveaux marchés spéculant sur la mauvaise estime de soi des spectateurs, mais également des participants prêts à se faire humilier en public. En croyant se démarquer pour se singulariser, exister enfin, les participants se désingularisent en reproduisant la bêtise de leurs prédécesseurs, avant d’être mit à la poubelle du système qui les a dévoré.
- Quelle finalité à tout ça ?
Toujours capter le temps de cerveau disponible en suscitant de l’adhésion. L’important étant que l’attention des consommateurs ne se portent que sur ce qui les ramènent à eux-mêmes, sans jamais sortir des cadres imposés et définis par les producteurs. Mépriser dans des projections extérieures ce que l’on méprise en soi assure de tourner longtemps en rond, sans aucune émancipation. D’autant plus quand la technologie nous notifie constamment qu’il se passe quelque chose. Si la pulsion se gargarise dans l’immédiateté des impressions du moi primaire, il faut du temps au désir pour se galvaniser, devenir opérant au-delà de soi, afin de jouir dans un temps long. Mais quand on est prit entre sa propre envie et l’attente d’autrui qui impose une réponse immédiate, c’est difficile de résister à l’appel pulsionnel d’une notification. Au risque de rater une partie du spectacle… Dans l’ère du commentaire, les algorithmes sélectionnent les contenus suscitant le plus de réactions impulsives. Le reste est voué à disparaître dans les tréfonds d’internet. Ainsi quiconque tente d’exister sans faire le jeu des marchés, restera invisibilisé. Et continueront de s’imposer les pulsions destructrices, aliénantes, au détriment des désirs émancipateurs.
C’est là qu’intervint la Petite Voix :
- Dans la société du spectacle numérique, en tant qu’utilisateurs de plateformes soit disant gratuites, les spectateurs producteurs de data données sont eux-mêmes des produits, des travailleurs marchandisés, créateurs du profit généré par leur propre bêtise impulsive, mais dont il ne percevront rien d’autre qu’un renforcement de leur aliénation.
Prenant sa tête dans ses mains, Jamy se demanda quels mots clé il rentrerait demain dans le moteur de recherche de Pôle Emploi. Finissant son verre cul sec, il eut envie de swiper sa vie, se retrouver dans un autre Jamy, a une autre époque, dans un autre monde. Mais il ne pouvait que scroller sa réalité, en regardant le présent se dérouler devant lui, impassible et impuissant face aux évènements. « Y me faut un autre verre…
Jamy se leva en titubant, non d’ivresse mais de tristesse.
Pourquoi lui avait-on confié la réalisation de ces émissions sur la biopolitique ? Était-ce une énième tactique de la direction pour le licencier ? Lui donner une mission impossible qu’il était sur de foirer, afin de l’évincer. Toutes ces années passées sur le service public…en valait-ce la peine ?
- Hey mais c’est Jamy. Trop cool. Je regardais C’est Pas Sorcier tous les soirs après l’école quand j’étais petite. J’ai appris trop de choses grâce à toi. A vous, avec Freud et la Petite Voix.
Encore à moitié empêtré dans son désarroi, Jamy tcheka mécaniquement la zadiste qui lui souriait, suivie par quelques camarades qui l’encensèrent à leur tour. « Enchanté, ça me touche ce que vous me dites les jeunes. C’est pas toujours facile, mais on s’accroche… Il regarda le groupe sous un nouveau jour, plus éclairé, lumineux. « Au fait vous êtes qui en vrai, enfin vous faites quoi ici précisément ? Jamy constata être rentré dans la ZAD en ne pensant qu’à son émission, aux gros yeux de Bolloré le sermonnant en son for intérieur. Guidé par ses pulsions l’auto-centrant dans des intérêts ne dépassant pas le sien, il était encore temps de s’ouvrir et enfin créer du lien, authentique et non pas artificiel.
Les zadistes expliquèrent à Jamy qu’ils défendaient les terres agricoles du plateau de Saclay, contre la construction de la ligne 18 du Grand Paris Express :
- Ah oui c’est bien différent de ce qu’on entends dans les grands médias ce que vous me dites là.
- Ahah nous ne sommes pas des écoterroristes, au contraire nous luttons pour préserver le vivant ! On protège les terres agricoles contre l’expansion écocidaires des industriels. Comme à Sainte-Soline, nous ne sommes pas seuls ensemble, mais tous et toutes ensemble, c’est une question de survie. La survie de tout le monde, pas que la notre.
- Je vois ça. Ça fait plaisir à voir !
Tandis qu’un zadiste resservit un verre de courage à Jamy, de bonne humeur il lu une poésie sur la façade d’un cabanon :
JOIE MILITANTE
Au sortir du nihil
De valeurs retrouvées
Goûts et couleurs partagés
Dans la joie d’un idylle
A perpétuer
Si le désir est l’essence de l’homme, toujours il doit perdurer pour sauver ce qu’il y a de meilleur en nous, se dit Jamy en repensant à une phrase de Spinoza, lue il y a des années.
« C’est dingue la mémoire quand même… »
Dans l’éprouvé léger d’un joyeux sentiment, après une énième gorgée ravivant son gosier, Jamy effectua quelques voluptueux pas de danse, se disant que le « Rock’n’roll c’est vraiment la belle vie », avant de subitement retrouver ses raisons, yeux écarquillés : « On a une putain d’émission à terminer ! Au boulot !
oOo
Qu’en serait-il de l’avenir de l’émission ? La culture populaire allait-elle reconquérir les parts de marchés nécessaires à la diffusion d’un essentiel savoir transgénérationnel, ou la télé-réalité allait-elle tout niquer ? Freud interviendrait-il enfin pour aider Jamy et la Petite Voix à résister au terrible Bolloré ?
Face au capitalisme pulsionnel, de quelles forces allaient-il falloir être pour réapprendre à chérir nos désirs, dans une transindividuation vectrice de motivation et de participation à l’élaboration collective d’une culture commune fédératrice, émancipatrice et libératrice ?