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Art visionnaire et visions

  • Auteur de la discussion Auteur de la discussion FunkyDuck
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FunkyDuck

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koukou

J'ai realisé l'an dernier dans le cadre d'un boulot scolaire (je suis en école d'art) un powerpoint assez long sur l'art visionnaire (art premiers, symbolisme, onirisme, surréalisme, psychédelisme...)

Je me dis que ça pourrait peut être en intéresser certains ici, donc je le poste!
Je préfère prévenir d'avance: je suis jeune, je ne connais pas encore grand chose et j'ai fait de mon mieux, donc je pourrais parfaitement comprendre que vous ne soyez pas d'accord avec moi (car je ne suis pas du tout mais alors pas du tout experte en la matière) et je vous invite à venir en discuter, ce qu'y me ferait super plaisir.
Donc vous verrez des interprétations parfois personnelles, même si j'ai cherché à avoir une bonne base d'objectivité. (techniquement, j'avais un travail personnel a rendre avec avec mais cetait nul)
J'ai modifié la forme de mon pdf pour le poster ici en entier, en effet pp m'a ruiné ma ma pagination. Désolée si c'est peu digeste. Même dans mon style écrit j'ai tendance à faire des patés et du blabla, et le fait que la moitié du boulot aie été faite sous stim n'arrange rien (caypabien, rdr toussa)


Bonne lecture et si vous avez des choses à corriger, rajouter, papoter... Postez!

ART VISIONNAIRE ET VISIONS
Citations


« En chacun de nous existe un autre être que nous ne connaissons pas. Il nous parle à travers le rêve et nous fait savoir qu'il nous voit bien différent de ce que nous croyons être. » Jung




« Je ne crois ni à ce que je touche, ni à ce que je vois.
Je ne crois qu'à ce que je ne vois pas et à ce que je sens. » (G. MOREAU)




“Le domaine visionnaire réunit le spectre entier des espaces imaginaires – de l’enfer au paradis, des formes infinies aux néants amorphes. Le psychologue James Hillman l’appelle le domaine de l’imaginaire. William Blake l’appelle l’imagination divine. Les aborigènes l’appellent le temps des rêves; les Sufis alam al-mithal. Pour Platon, c’est le domaine des archétypes idéaux. Les Tibétains l’appellent sambhogakaya – la dimension de richesse intérieure. Les théosophistes traitent de plans de conscience astraux, mentaux, nirvaniques. Jung le définissait par l’inconscient collectif symbolique. Quel que soit le nom qu’on lui donne, le domaine visionnaire est l’espace que nous visitons lors des rêves et des états de conscience modifiés.” Alex Grey

Un néologisme à définir

Art visionnaire: ce terme est récent, et regroupe pourtant de nombreux genres d’arts. Comment le définir? Intéressons nous déjà à la notion de vision.


Les visions sont les produits de notre imagination visuelle, ce sont nos paysages internes. On peut les diviser en deux parties: certaines correspondent à nos souvenirs, à des choses que nous avons déjà vues.

Les autres, aux quelles nous nous intéresserons ici, sont celles produites par l’imagination pure, et sont propres à chaque individu. Mais pourtant, elles sont teintées d’imaginaire collectif. Nos paysages intérieurs ont donc ces deux visages: l’un est nourri de millénaires d’imaginaires collectifs inspirés de mythologies et d’histoires: impressionné en nous, presque gravé dans notre ADN. L’autre nous est personnel et est nourri de nos expériences, de nos réflexions et notre façon d’appréhender l’univers qui nous entoure. Et l’art visionnaire s’inspire de ces paysages, au carrefour entre l’individu et le domaine visionnaire.


Définition:
L’art Visionnaire est un art qui cherche à transcender le monde physique et à representer une plus grande palette d’état de consciences: expériences spirituelles, extatiques ou mystiques, ou qui se base sur les expériences sus cités – le tout vu à travers le prisme de la conscience subjective de chaque individu.

L’art visionnaire est donc un art s’efforçant de donner de l’importance aux réalités non physiques. Il cherche à transcender une version classique de la réalité et à ouvrir l’art à des états de conscience élargis, modifiés, uniques. Il cherche un contact direct avec une réalité supérieure: il a une fonction mystique.


Il regroupe de nombreux courants, tels que:


-Le symbolisme représente une idée que l’on se fait des choses, soit la compréhension des faits et non leur réalité physique. Il s’inspire de symboles communs à tous les êtres humains, mais à également des significations personnelles à chaque artiste. Le peintre, écrivain, etc… nous dévoile sa façon d’interpréter le monde par la pensée.


-Le surréalisme, qui cherche à exprimer de façon fidèle le fonctionnement complexe de la pensée, c’est-à-dire qui s’attache à montrer les choses telles qu’on les comprend, car c’est finalement ainsi qu’elles sont réellement. C’est un art dicté par la pensée, et donc nourri des visions.


-L’art psychédélique. De psyché=esprit et delein= dévoiler. Cet art s’applique à réveler l’inconscient, notamment par l’exploration des états de conscience modifiés induits par des expériences puissantes: privations sensorielles, méditation, psychotropes... Il est le plus représentatif de l’art visionnaire, car les visions provoquées par ce genre d’expérience sont puissantes et concrètes dans l’abstraction, tout comme les rêves, et souvent orientées vers la transcendance.


-On pourrait egalement parler d’onirisme, de fantastique…


Problématiques


Il convient de reconnaitre que l’art est dans la tête et pas dans les mains. Dans cette optique la, tout art serait visionnaire. Mais ici nous allons nous intéresser à des formes d’arts dont l’aspect visionnaire est marqué entre autres par:
-des motifs abstraits
-des créatures hybrides, imaginaires
-une construction du tableau servant plus une idée qu’une verité physique
-une recherche de liant avec une réalité supérieure: Divin, domaine visionnaire ou imaginaire de l’artiste.


Les œuvres présentées ont été choisies pour exprimer la variété de l’art visionnaire. Je les présente de façon chronologique, mais le thème n’a pas réellement connu d’évolution, plutôt un renouvellement permanent. En effet l’art visionnaire n’est pas un style mais plutôt une façon de faire.


En appliquant un nouveau regard sur des œuvres inscrites dans des mouvements définis temporellement, il convient de changer d’optique. Tout en m’étant nourri d’analyses existant déjà, j’ai cherché à éclairer ces œuvres sous le thème de la vision.
J’ai placé quelques analyses personnelles, car il me semble que pour certaines œuvres il est nécessaire de se faire un avis pour rendre honneur à l’artiste.

VISIONS ET ARTS PREMIERS

Les arts premiers sont chargés de symbolique et ont une utilité sacrée. Démons et esprits y apparaissent, eux-mêmes issus des imaginaires chamanistes. Les chamans vivent en médiation entre le monde physique et le monde des esprits, et cherchent à exprimer leurs visions hallucinées.


Voir la pièce jointe 15400Masque malagan, Nouvelle Irlande
Ces masques servent à des cérémonies. Ils représentent les esprits peuplant les imaginaires tribaux. Le sculpteur peint en suivant son esprit, des arabesques tourmentées faisant écho à la complexité de leurs visions. De nombreuses sociétes primitives faisaient souvent l’expérience d’états de conscience modifiés: ayahuasca en amérique du sud, peyotl en amérique du nord, iboga en afrique…
Ces sociétés vivaient en permanence dans la transcendance, s’appliquant à relier le monde des esprits ( de l’Esprit?) et le notre.

Voir la pièce jointe 15401 peinture aborigène

La caractéristique de l’art aborigène est d’être entièrement inspiré par les visions rêvées. Pour ce peuple, les esprits s’adressent aux vivants par le biais des rêves. Leur art est donc un pont entre les deux mondes, il s’inscrit dans une volonté de communication avec le domaine visionnaire.

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Renaissance et Tentations de Saint-Antoine Saint Antoine le Grand était un ermite, s’étant retiré dans le désert et y ayant subi d’innombrable tentations. Ici nous nous intéressons à la representation de ce thème à la Renaissance, qui sera réellement un défouloir pour les artistes de ce temps, qui pourront y representer librement des démons, créatures et objets sortis de leur imagination. Ce sont de grandes sources de fantasie, et une grande inspiration pour les unviers fantastique. Pieter Brughel l’ancien, Callot, Met de Bles, Van de Borcht et tant d’autres, et enfin Bosch, maître absolu des folies visuelles. Mais le thème continuera d’inspirer: Cézanne, puis Dali…
Nous allons observer comment ce thème est finalement une excuse à ces artistes pour représenter des scènes visionnaires. Très souvent, le saint est minuscule, à peine visible, débordé de toutes part par des visions cauchemardesques, envahissantes, issues de l’imaginaire chrétien du mal, tout comme d’imaginaires médiévaux, primitifs et bien sur de celui propre à l’artiste.
Pourrait-on reconnaitre la condition de l’artiste de la Renaissance dans Saint-Antoine? Entouré de visions, le saint cherche à s’en défendre grâce à la foi. L’artiste, habité par ses visions dont il ne peut s’en défaire, peint des scènes religieuses, comme pour y échapper. Le thème serait alors une « défaite » de l’artiste, qui cède aux pulsions qui l’entrainent à représenter les créatures de son esprit. Mais c’est plutôt une victoire. Une victoire de l’imagination sur la représentation.

tentationdesaintantoinecentreg.jpg

Bosch, la tentation de saint antoine, panneau central, 1501

La représentation de la violence et du mal chez Bosch se fait par des contrastes forts, des scènes d’incendies et de destruction.
Mais ici, ce qui attire le plus l’œil, c’est le foisonnement de créatures hybrides complètement folles, poissons volants, montures porcines…
Des succubes tentent Saint-Antoine, prostré au pied d’une tour détruite. Le saint, encore une fois, est perdu au milieu de ce déferlement d’horreurs.
Bosch a inspiré fortement tous les artistes peignant des monstres, avec son style fou, entre le grotesque et l’effrayant, en passant par l’amusant.
Bosch est peut être un des premiers artistes visionnaires , le premier à avoir peint des créatures de son esprit aussi fidèlement.
Il est inutile de chercher toujours des symboles dans les figures monstrueuses de Bosch: elles sont certes sensées representer les légions des enfers, mais dans leur forme elles ne sont que le témoin de l’imagination derangée de l’artiste.

callot-tentation-2.jpg

jacques callot, la tentation de st antoine 1634
Le saint, en bas à droite, est débordé de créatures grotesques. Le démon principal, armé d’un foudre et d’un serpent (enroulé autour de son bras, représentation de satan), a le faciès d’un dragon oriental. Il semble donc un mélange de mythes divers, une créature composite et terrifiante, témoignant de l’imaginaire vaste et bien nourri de l’artiste.
Des hybrides mi animaux mi hommes voir même mi objets peuplent la scène. De nombreuses obscenités s’y déroulent: créatures en défequant d’autres par exemple.
Le tout est une scène d’apocalypse mais évitant tout fatalisme. Il y’a plus de folie que de violence dans cette gravure.
Dans les bords de la scène, on aperçoit des falaises qui peuvent facilement évoquer les rideaux d’un théâtre. Or, des créatures sont en dehors de la scène. Nous sommes spectateurs et acteurs de ce cauchemar, de la même façon que Callot subit ses visions, et les représente. L’homme rêve et l’artiste montre la vision.


William Blake, premier vrai visionnaire?

William Blake ( 1757- 1827 ) était un artiste britanique. Poète graveur et peintre, sa vision de spiritualité est choquante alors: il s’attaque aux dogmes et à la religion, car il croit en un principite de Divinité qu’il juge au dessus de ces traditions.
Dès son jeune âge il est sujet à des visions divines: il aperçoit des créatures angéliques, voir même Dieu lui-même.
Ses amis décedés viennent l’inspirer dans ses visions, des personnages mythologiques. Il dit même parfois écrire sous leur dictée.
Cela sera considéré par ses proches comme de la folie, mais une folie positive. Sur son lit de mort, sa logeuse dira de lui “J’ai assisté à la mort non pas d’un homme, mais d’un ange béni”
Nous allons ici nous intéresser à une séries d’oeuvres proprement visionnaires, les “Figures Visionnaires”. Accompagné de son ami John Varley, il va dessiner et peindre une multitudes de figures deformées par sa folie, par son imaginaire incroyable. Ce qui ressemble à des caricatures sont la dépiction de personnages historiques qu’il fait après “invocation” de ces esprits par son ami.
On décrira qu’il semblait dessiner des personnages présents, qu’il voyait réellement. Il relevait le visage de son oeuvre, observait le vide, et reprenait son dessin.
Ces dessins étaient souvent plus réalistes que les travaux “normaux” de Blake, montrant le sérieux de ces visions.




Il est l’auteur de la citation “Si les portes de la perception étaient purgées, chaque chose apparaitrait à l’homme telle qu’elle est: infinie”
Soit si l’on pouvait voir avec des yeux non teintés par des siècles de culture qui nous ont forcés à voir les choses à travers le spectre d’imaginaires communs, alors nous pourrions voir les choses telles qu’elles sont vraiment. Et nous pourrions alors y assigner à chacune les sens que nous souhaitons. (nous verrons comment il applique ce concept avec le Fantôme de la Puce)


Blake s’applique à ré-interpreter tout: il livre des figures historiques et mythologiques passées à travers son esprit: il donne une identité graphique neuve à de nombreux personnages, se crée ses propres symboliques.


Cette prise de liberté quand aux archétypes va énormément inspirer les artistes de la beat generation et du mouvement de contreculture des années 60, et son influence s’étend encore aujourd’hui. Il inspirera même le milieu musical, car il écrivit des paroles qui furent reprises par des musiciens de tout horizons, notamment folk ( genre musical empli de respect pour la nature en tant que divinité).


Un album entier de Tangerine Dream (krautrock), Tyger, reprend ses écrits ( nous nous interesserons plus tard à ce groupe ).


Cette citation sera reprise par Aldous Huxley pour nommer son livre Les portes de la perception ou il expérimente avec sa conscience pour apercevoir des paysages visionnaires purs.


Livre qui inspirera à sa suite Jim Morrison dans le choix du nom de son groupe The Doors: “Il y a le connu. Il y a l'inconnu. Et entre les deux, il y a la porte, et c'est ça que je veux être ». Une porte entre monde réel et monde visionnaire.


L’imaginaire fantastique est empreint du sien.







Voir la pièce jointe 15403
 
Voir la pièce jointe 15405

Le fantôme ( ou plutôt esprit) de la puce est une tempera représentant un personnage effrayant sur un fond d’espace, entouré de tentures.
30 ans plus tôt Blake eut une vision cauchemardesque, d’une créature « écailleuse, mouchetée, vraiment terrible ». Cette vision semble l’avoir hanté, car on retrouve ces attributs dans ce monstre.
La puce est une créature proliférant dans la saleté et se nourissant de sang. Blake a des visions de son âme, une créature musculeuse, deformée, inspirant le dégoût et la maladie.


Le décor dans le quel la créature se meut est étrange. Cette fenêtre théâtrale donnant sur l’espace pose de nombreuses questions. Que fait cette créature si basse et écoeurante dans un décor si noble?


Une figure devant inspirer le rejet est ici mise en valeur, de façon à ce qu’on soit forcée d’observer cette créature. Son existence semble réelle, tant elle est mise en valeur.
On peut comprendre cela à la lumière de la folie de Blake. Pour lui, cette créature est réelle, physique. Or, John Varley, son collègue, était astronome. Tout cele serait-il un décor inspiré par la présence de son ami?


Il est dur d’analyser ce dessin. Car il est le fruit d’une vision qui n’a pas de sens commun. Ici, pas de mystique ou d’imaginaire collectif. Juste l’esprit torturé de l’artiste, qui a réussi à donner une apparence à une créature banale, en s’inspirant de ce qu’elle lui inspirait.


Blake représente ici l’image mentale très personnelle qu’il a de la puce, plutôt que sa verité physique. C’est une démarche quasi surréaliste.

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Voir la pièce jointe 15406

Gustave Moreau (1826 – 1898 ) est un des chefs de files du symbolisme. Son œuvre est teintée de mysticisme.
Dans cette toile, il représente le mythe de Jupiter et Sénélé. Le thème de cette femme brulée par le divin est ici une métaphore, que nous explique Moreau:
"Alors, sous cette incantation et cet exorcisme sacré, tout se transforme, s'épure, s'idéalise : l'immortalité commence, le divin se répand en tout et tous les êtres, ébauches encore informes, se dégagent de leur limon terrestre et aspirent à la vraie lumière […] C'est une ascension vers les sphères supérieures, une montée des êtres épurés, purifiés par le divin,- la mort terrestre et l'apothéose dans l'immortalité. Le grand mystère accompli, toute la nature est imprégnée d'idéal et de divin, tout se transforme. C'est un hymne à la divinité"


La construction du tableau rappelle celle d’un temple, mais sans perspectives. On est pris dans un mouvement de montée, d’ascension au ciel et à sa pureté, en partant de bas fonds noirs et saturés de personnages, jusqu’à à un ciel dégagé. Ce sont des architectures de l’esprit, une chapelle dans la psyché de Moreau, qu’il dresse à la divinité lumineuse sur son trône, régnant sur tout ce qu’il surplombe.
Jupiter, au visage de Christ et à l’apparence de prince oriental, semble être une figure au carrefour de toutes les mythologies: il est la quintessence de la Divinité.
On retrouve ce foisonnement de symboles provenues de toutes les civilisation dans la toile. Des figures ancestrales de Nuit noire représentée en femme nous rappelle à la figure préhistorique de déesse mère, la mort armée trouve origine dans toutes les mythologies du monde, des créatures ailées angéliques, des démons cornus, des divinités mineures greco-romaines…
Chaque élément de la toile est un symbole, et le tout produit un effet de fouillis visuel très recherché. On comprend que la scène n’est pas physique mais mentale, produite par l’imagination visuelle de Moreau. Chaque élement à son importance, son sens, et le tout forme un regroupement esthétiquement plaisant. Le tableau devient une passerelle entre le mental et le physique, entre le domaine visionnaire et le domaine physique. Il est une célébration spirituelle, telle une cérémonie que le peintre inscrit dans ce temple.
Comme il l’indique, c’est un parfait « hymne à la divinité ». Une œuvre spirituellement chargée, qui retrace un cheminement personnel de l’artiste vers une transcendance aux visages multiples.

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Rimbaud, poète visionnaire

« Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens »
On retrouve dans cette citation de Rimbaud (1854-1891) les mêmes idées que Blake: ne plus se fier à notre perception si l’on souhaite être voyant. Or, pour Rimbaud, le poète se doit d’être voyant; on peut étendre cela à tous artiste.


La fin de cette citation « Il est chargé de l'humanité, des animaux même; il devra faire sentir, palper, écouter ses inventions; si ce qu'il rapporte de là-bas a forme, il donne forme; si c'est informe, il donne de l'informe. »
Ce que l’artiste trouve dans ses visions, il doit le restituer tel que c’est, quitte à ce que ce soit étrange, dérangeant. Une nouvelle fois, c’est le surréalisme qui se dessine avant l’heure.


Rimbaud, assoiffé d’adrénaline et d’expériences puissantes jusqu’à en arrêter sa production artistique, s’efforcera à exprimer ses visions pures qu’il trouvera dans la nature, l’art, la beauté du monde en permanent contraste avec la laideur de son temps et les abus divers, vie de Vilain Bonhomme arrosée d’absinthe.

Nocturne vulgaire (1873-1875), Illuminations


Un souffle ouvre des brèches opéradiques dans les cloisons, — brouille le pivotement des toits rongés, — disperse les limites des foyers, —éclipse les croisées. — Le long de la vigne, m'étant appuyé du pied à une gargouille, — je suis descendu dans ce carrosse dont l'époque est assez indiquée par les glaces convexes, les panneaux bombés et les sophas contournés —Corbillard de mon sommeil, isolé, maison de berger de ma niaiserie, le véhicule vire sur le gazon de la grande route effacée ; et dans un défaut en haut de la glace de droite tournoient les blêmes figures lunaires, feuilles, seins ; — Un vert et un bleu très foncés envahissent l'image. Dételage aux environs d'une tache de gravier.
— Ici, va-t-on siffler pour l'orage, et les Sodomes, — et les Solymes, — et les bêtes féroces et les armées,
— (Postillon et bêtes de songe reprendront-ils sous les plus suffocantes futaies, pour m'enfoncer jusqu'aux yeux dans la source de soie).
— Et nous envoyer, fouettés à travers les eaux clapotantes et les boissons répandues, rouler sur l'aboi des dogues...
— Un souffle disperse les limites du foyer.


Dans ce poème en prose, Rimbaud utilise une syntaxe assez étrange: des scènes se succèdent les unes aux autres très rapidement. Les ambiances se succèdent.
Un batiment aux toits rongés gagné par la vigne, au pied d’une gargouille: Rimbaud serait il au pied d’une église gagnée par la végétation folle? (la nature l’emportant sur la religion, on retrouve le Rimbaud anticlérical)
Puis un carosse façon XVIII s’engage dans une route de campagne en friches, et dans les miroirs du carosse se réflètent une figure féminine « lunaires, feuilles, seins » une sorte de nature personnifiée dans laquelle va se perdre le sommeil de Rimbaud (corbillard de mon sommeil).
Soudain, l’image se teinte de vert et de bleu. Le carosse s’arrête. Des bêtes l’attaquent, des pêcheurs bibliques. Le carosse s’abîme.
Cela se finit par un souffle qui agite un foyer.
Que s’est il passé ici? Le poème commence par un souffle qui lance l’action, et se termine abruptement par un souffle qui cherche apparemment à éteindre un feu.


Les changements brutaux d’environnement, l’action qui semble manquer de sens sembleraient indiquer que cette scène n’est pas réelle. Vision de Rimbaud endormi, ou rêverie diurne?
Il y’a surement autant d’interprétations que de lecteurs.
Il me semble que de chercher à imaginer la scène, s’en faire une représentation est nécessaire devant ce genre de poème. Chercher à adapter cette prose saccadée en images mentales nous permet de comprendre cette rêverie, et de reconstituer à notre manière les évenements visionnaires.


Rimbaud nous livre sa vision telle qu’elle est, pliant la prose à ses besoins.
Il casse les codes d’écriture pour exprimer la réalité qu’il perçoit. Nul besoin d’exprimer de sens et de clore les actions, ni de les expliquer. La vision provient de l’inconscient et doit s’exprimer telle qu’elle est: folle, incompréhensible. « si c'est informe, il donne de l'informe. ». Rimbaud annonce le surréalisme.


SURREALISME: EXPRIMER LA VISION EN SON LANGAGE

« automatisme psychique pur, par lequel on se propose d'exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l'absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale». –André Breton


Le surréalisme cherche à comprendre le fonctionnement de notre pensée pure, libérée des carcans moraux, et à l’exprimer sans modification.


Le surréalisme estime pouvoir expliquer notre pensée de façon concrète: le mouvement s’intéresse à la psychanalyse, cherche à exprimer l’inconscient, mais sans le décoder: juste en le présentant comme tel. Ils croient en l’existence en une autre realité, dans leurs cranes, ayant des règles communes à chaque homme. Ils attribuent à cette realité plus d’importance qu’au monde physique, dont ils cherchent à détruire les bias qui pourraient influencer notre perception du monde. Ils sont a la recherche du lien en monde physique et monde imaginaire.
Les surréalistes sont intéressés par l’état de rêve ou de consciences élargies, ils expérimentent avec l’écriture et le dessin automatique.
Ce mouvement se veut une révolution culturelle, il se politise, souhaite changer positivement la vie humaine.


Voir la pièce jointe 15407 tentation de saint atoine, max ernst, 1945

De retour au thème de la tentation de Saint Antoine. Ernst (1891-1976) présente le Saint défait, ayant perdu face aux démons qui sont en train de l’étouffer. Ici le Saint est la figure principale: il n’est plus perdu au milieu d’une armée de démons, mais en gros plan, assailli de toute part.
Pourtant, le paysage idyllique derrière lui semble pouvoir signer sa rédemption, de la panique en premier plan au calme du lac aux tons pastel.
Or ce lac est surplombé par d’autres figures tentatrices: une immense femme sculpture, ancrée dans la falaise, une femme nue en Christ crucifiée…
Un certain érotisme se dégage de cette peinture, notamment avec les monstres grimpant sur le corps quasi féminin du Saint.


De nombreuses créatures font écho à celles de Bosch: ce sont des hybrides similaires, entre animaux objets et formes abstraites. Les paysages contrastés, entre surcharge de démons et ciel degagé, qui annonce le sauvetage du saint.


L’opposition entre leurs visages grotesques aux sourires cruels et le saint en souffrance est marquante.

Voir la pièce jointe 15408~dali, tentation de saint antoine, 1946

Abandonnant la surenchère de figures grotesques propres aux tentations de saint Antoine, Dali (1904-1989) use de symbolisme dans une toile chargée spirituellement.
Le Saint, au premier plan, se protège par la foi de figures gigantesques qui le chargent: un cheval victorieux, mais déformé comme les éléphants à suite.
Les pattes s’étendent, créant des créatures impossibles, arachnéennes, qui portent sur le dos différents symboles: la femme pour la luxure, les batiments pour la richesse…


On ne sait pas si le ciel bleu se découvre ou s’embrume: le saint vient t-il de terrasser le cheval, aux pattes retournées? Ou va-t-il être écrasé par la masse de péchés que représentent ces créatures symboliques.
D’ailleurs le choix de l’éléphant est étrange: cet animal représente souvent la sagesse.
Les déformations que Dali leur imposent sont peut être une façon d’exprimer une sagesse dégénérée, des commandements qui n’ont de sage que l’apparence mais qui sont en fait piégeur… piégeurs comme des araignées, dont ils partagent les pattes.
Cela pourrait être en écho au fait que les surréalistes considèrent que la morale et la raison brime la vraie foi, celle en un lien entre l’homme et le divin.
L’artiste, tel le saint, userait alors de sa foi( la croix ) pour détruire ces créatures représentant les archétypes dépassés, et littéralement porteurs de pêchés.

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Henri Michaud: expérimenter la folie et son langage

Cet artiste franco-belge (1899-1984) va à partir de 1954 expérimenter avec sa conscience, en conjuguant l’écriture et le dessin, inspiré par une démarche artistique où il a besoin de ces deux médias.
Il s’intéressera à la mescaline ainsi qu’à d’autres drogues car elles semblent selon lui être un bon moyen d’expérimenter brièvement la folie. Il réalise ses expériences avec une rigueur quasi scientifique, mais les expriment par les arts car c’est leur langage le plus naturel.


Michaud cherche par le texte à retranscrire l’émotion pure, sans l’analyser. Il explique les changements d’états de conscience qu’il traverse, la façon dont son cerveau abandonne toute notion de concret. Son cheminement mental fonctionne par ressenti, par symboles immédiats.
Il explique que les images abstraites qu’il observe en son sein en pensant à des concepts ou objets lui semblent plus réelles que leurs représentations graphiques.
On peut résumer cela ainsi: Michaud à travers ce genre d’expériences ressent le concept de surréalisme, plutot que de l’observer.


Comment expliquer cela? Cela reviendrait à expliquer une couleur à quelqu’un: il n’existe pas de termes. Et si l’on cherche ensuite à expliquer le ressenti de cette couleur: on n’a encore moins de termes, car on ne peut pas l’experimenter.
Michaud s’en charge, et cherche à nous l’expliquer pas une série de dessins mescaliniens.

Voir la pièce jointe 15409
 
Voir la pièce jointe 15410


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Voir la pièce jointe 15411dali peche aux thons 1967

Voir la pièce jointe 15412dali toréador hallucinogène 1970



Dali peignait grâce à la méthode paranoïaque-critique qu’il avait développé, et qui constituait à toujours analyser les associations et interprétations délirantes provenant de son esprit.
Cela lui permettait de gérer sa « folie » en l’intellectualisant, et donc d’en user à des fins créatives.

Dans ces deux toiles, Dali apporte une esthétique nouvelle inspirée de son temps. Le chatoiement des couleurs et les motifs hypnotiques sont des réactions à l’art optique et au psychédélisme. Dans la pèche au thon, la scène est confuse tant elle est surchargé de personnages en action diverses, certaines se superposant, de la même façon que dans notre esprit tout se passesur le même plan, en même temps. De plus les personnages eux-mêmes sont déformés par des motifs, des rayures, du sang… La violence de la scène se comprend dans cette accumulation de détails macabres: l’œil se perd dans la toile, car ou qu’il se pose il en est chassé par des textures et rendus extrêment puissants et marquants.
Exprimer la violence par une scène surchargée et aux actions se superposant: un procédé utilisé par Picasso 30 ans plus tôt dans Guernica.


Dans le Toréador hallucinogène, Dali utilise des procédés d’illusion d’optique. J’ai eu l’occasion d’observer cette toile en vrai. Elle est gigantesque (4*3 mètres), ce qui oblige à prendre beaucoup de recul. Certaines personnes prennent plus de temps que d’autres à apercevoir le toréador, le taureau et le chien. Il faut en fait vraiment laisser l’œil se balader librement, et à l’instant où on cesse de les chercher elles apparaissent. La répétition de motifs commes les Vénus et les mouches encouragent le lecteur à laisser son œil suivre leur trace hypnotique, ce qui aide à la visualisation de l’ensemble.


Ces deux tableaux ont une même finalité: on les observe longuement pour tenter de les comprendre, ou du moins de voir tout ce que l’artiste y a representé. Pourtant elles n’agissent pas de la même façon: la première excite l’œil sur les détails dans une explosion de couleurs, l’autre invite à un regard lent et calme. C’est quelque chose que l’on retrouve dans l’art psychédelique, qui a ces deux façons de dévoiler l’esprit.



PSYCHEDELISME: ENTRE UNE ESTHETIQUE TRAVAILLEE ET UNE ABSTRACTION A L'IMAGE DE L'ESPRIT A partir du milieu des années 6O, avec le mouvement de contreculture hippie, apparait un style
coloré, exubérant et présent aussi bien dans la musique que dans l’art: le psychédelisme. Il cherche à retranscrire les effets d’experiences telles que les hallucinations, la synesthésie, la méditation, l’hypnose et les psychotropes, notamment le LSD. Les visuels sont formés de fractales, d’objets se fondant les uns aux autres, de couleurs très vives. L’œuvre est teintée de symbolisme et mysticisme: le mouvement est très spiritualisé. Dans leur composition, on retrouve les mises en scène complexes de l’art nouveau (type Mucha), des personnages souvent inspirés de mythologies indiennes, de grands paysages fous en héritage direct du surréalisme et jusqu’à des scènes entièrement abstraites comme vues avec Michaud.
Ces esthétiques vont marquer leur époque, sur tous les plans, et on les retrouve encore de nos jours.
L’art psychédelique représente bien l’art visionnaire, car les œuvres sont toujours des visions emplies de mystère et de mystique, qu’ils cherchent à représenter malgré leur caractère fugitif, et complexes à expliquer. Les symboles proviennent d’expériences que nous avons du mal à approcher, de bouleversements profonds dans leur psyché. Il en résulte ces visions inclassables, nourries de siècles de recherche artistique de la représentation de l’esprit. Ces visions peuvent également induire un état de transe, ou en approfondir un: l’adjectif « trippant ».
Je vais présenter quelques œuvres en essayant de saisir brièvement leurs inspirations.

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Visions noires et fantastique Certains artistes, après la vague optimiste du psychédélisme, vont avoir des visions d’apocalypse qui vont grandement inspirer le fantastique glauque. Ici peu de symboles mais des ambiances qui font passer un message, à travers des paysages et des personnages appartenant à leur esprit. Les créatures torturées, malformées, expriment une douleur qui se passe de symboles.


Beksinski développe un univers très glauque mais rempli d’émotion. On ressent réellement quelque chose en regardant ses toiles, comme des derniers sursauts de vivant dans un monde de mort. Les ambiances brumeuses et paysages infinis rendent très bien des visions d’apocalypse. Rapidement on se rend compte que les figures de monstres qu’il présente sont parfaitement humaines, qu’on se voit en elles comme dans un miroir et on se prend à empathiser avec elles. L’artiste nous fait compatir avec des créatures malsaines et décharnées.
Il crée un lien entre notre vie à nous et cet univers détruit à travers l’émotion et la justesse de sa vision emplie d’une beauté surréelle.
Giger peint des créatures biomécaniques, insérées (piégées?) dans la machine, une vision très pessimiste de notre condition. Déformés, torturés souvent, parfois entièrement monstrueux (il réalisera les effets spéciaux de Alien), ses créatures répugnent. Son art est un témoignage d’une psyché malade, perverse en tous points: le dégout nous empare, mais aussi une fascination devant ces visages calmes face aux horreurs qu’ils subissent.


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Beksinski a en vision des figures décharnées, squelettiques et pourtant, il arrive avec ces monstres à exprimer un amour tendre, une étreinte émouvante.
Il transcende la représentation physique, montrant qu’avec habilité dans le choix de la scène, tout peut inspirer un concept. Si des cadavres peuvent exprimer de l’amour, tout le pourrait.
Cet artiste est très troublant pour cela, au point qu’on finit par se demander si au lieu d’un univers apocalyptique, ses toiles ne dépeignent-elle pas un message d’espoir sincère et plein de foi envers l’homme.
 
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Torture, sexualité malsaine, mort et dépravation peuplent l’œuvre de Giger. L’horreur est saisissante, la proximité avec la machine crée un climat écoeurant: les figures semblent prises au piège, condamnées à être dévorées par ces mécaniques.
Les visions de l’artiste sont glauques, et il les retranscrit avec une multitude de détails qui rendent cette scène imaginaire terriblement réelle. Giger crée des scènes ou le concept de violence s’exprime de toutes les manières. Par l’art, il déchaine les pires cruautés de la psyché humaine, qui ne pourraient pas s’exprimer sans. Le spectateur peut alors trouver écho – ou non – à ses propres perversions.

SOUNDSCAPES

Ce mot valise, composé de son et de paysage, est utilisé pour décrire des œuvres musicales qui évoque un paysage, une ambiance. Soit des musiques qui font naitre en notre esprit des visions.
Grace aux paroles, cela peut être grandement facilité: des paroles violentes nous énerveront, des paroles calmes nous apaiseront, des paroles touchantes… nous toucheront. Mais cela semble normal: intéressons nous plutôt à la façon dont notre cerveau transforme le son seul en image, et donc ensuite en interprétation. Les visions musicales passe par une perception moins surchargée d’archétypes que la vue: l’ouie.


Certains genres de musique s’en font une spécialité: le space rock, et ses compositions longues, mélancoliques et étherées et légerement inquiétantes qui évoquent la désolation calme des étendues spatiales. Souvent dit « musique planante ».
Eternal Tapestry - Ancient Echoes




L’ambient qui cherche à nous plonger dans une ambiance particulière: exemple avec le psybient, musique au tempo bas cherchant à plonger l’auditeur dans une trance douce par l’utilisation d’instruments ethniques évoquant un imaginaire « tribal ».
Shpongle - Monster Hit

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Tangerine Dream – Three AM at the Border of the Marsh from Okefenokee, Stratosfear

A la première écoute, cette musique est inquiétante et développe des sonorités étranges. Il convient de s’intéresser à l’unique source d’informations que nous avons, son titre (car il n’y a pas de paroles), pour la comprendre.
Car ici l’œuvre ne cherche pas à susciter des visions comme précedemment, mais à transposer en musique un événement: le cheminement inverse en quelque sorte.

Que s’est il passé à 3 heures du matin au bord du marais d’Okefenokee? Le lieu est réputé pour avoir été le théatre d’observations de nombreux OVNI.
L’ambiance du marais est bien retranscrite: bruits aqueux étouffés par la tourbe et la vase, ambiance désolée, on entend à peine un harmonica- un des rares habitants? Quand soudainement l’harmonica se tait, la musique devient étrange, et grace à un jeu de stéréo on entend passer quelque chose dont la signature sonore n’a rien de terrestre… Le marais entend passer cet objet surnaturel, il se tait devant l’intrusion bruyante, puis le son disparait… Et l’ambiance sordide d’Okefenokee reprend, la tourbière semble être habituée à ces apparitions surnaturelles… Et ses habitants aussi, puisque l’harmonica revient également.
En connaissant l’histoire et en écoutant la musique, il est aisé de se faire une image mentale bien précise de ce qui s’est (prétendument) deroulé.

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J’ai fait l’expérience de faire écouter Atom Heart Mother à des amis et de leur demander de me décrire ce que cette musique leur faisait voir.
« une bataille, et je suis un des chevaliers, sur une monture bizarre, hybride entre animal et liquide, et quand on se frappe ca fait pas mal mais ca produit des déformations dans l’espace, tout se tord… » P
« un gardien autour de moi, qui m’entoure de sa présence, qui subit le monde extérieur mais m’en protège, et je ressens sa souffrance comme j’entendrais du son à travers un mur, atténué, anesthésié » A
« j’arrive pas à décrire ces paysages, mais ils sont relaxants et agréables, ils me mettent dans le même état qu’une boisson chaude devant le lever de soleil, au beau milieu de nulle part, ça réchauffe mon cœur, et pourtant ils sont vraiment bizarres, inexplicables avec des mots » H
Personnellement j’imagine toujours un personnage se faire happer dans une dimension étrange, et sa quête pour s’en sortir, souvent le temps s’accélère et des plantes jailissant de partout, grandissant et pourrissant en l’espace de secondes.


La richesse et la diversité de ces visions sont intriguantes. A partir d’une seule chanson, différentes visualisations existent, toutes fascinantes par la poésie nécessaire à les expliquer, le besoin de parler en métaphores: car il n’existe pas de mots pour les décrire. Il faut donc tordre notre langage, notre écriture, notre art, à leur forme.
Comment retranscrire ces visions? C’est bien toute la problématique que j’ai cherché à retranscrire au long de cet exposé: comment exprimer l’inexprimable, ancrer sur terre les domaines visionnaires.


Et bien tout d’abord, il faut chercher à les visualiser proprement, à les laisser se dérouler dans notre esprit jusqu’à ce qu’elles en deviennent réelles. Ne pas chercher à les brimer. Ne pas les salir de concepts préexistants.
Puis vient le moment de les coucher sur le papier: A ce moment la s’ajouteront forcément des symboliques qui nous sont propres, et qui nous serviront à exprimer l’inexprimable. Le concept de mort se transformera en un crane, en une faucheuse. Ou alors a un symbole propre à l’artiste.

CONCLUSION

Travailler sur l’art visionnaire fut compliqué dans l’optique ou ses bornes sont dures à définir. J’ai donc cherché au maximum à inclure des artistes se basant profondément sur leurs paysages mentaux, intéressés par leurs psyché et s’efforçant toujours de la coucher sur le papier, la toile ou la partition.


L’art qui cherche à retranscrire des états de conscience modifiés (ECM) me semble moins important que celui qui en est nourri.
Le terme d’ECM est génant aussi, puisqu’il semble souvent impliquer l’usage de drogues ou d’expériences mystiques un peu ésoteriques.
Alors que finalement, pourquoi parler d’une conscience modifiée? Elle évolue avec nous, notre plasticité cérébrale fait que nos rouages changent en permanence, au gré de nos actions et des événements nous entourant.
Si les expériences un peu « borderline » semblent intéressantes, elles sont néanmoins dangereuses pour nos psychés, et à trop jouer avec le feu on se brule inévitablement.


Je suis convaincue que les plus belles visions proviennent d’un esprit sobre, prêt à comprendre la nature profonde des choses qui l’entourent et à ne pas se laisser berner par ses apparences: c’est bien celui-ci qui sera le plus apte à créer un lien entre le domaine visionnaire et le domaine physique, en vivant à leurs frontières, sans trop s’engouffrer dans aucun.




Voilou, j'espères que ça vous a plus, si vous avez lu jusque la félicitations :D
Pour la fin, j'ai fait un peu de démago histoire de pas trop passer pour une tox, mouerf.
 
FunkyDuck a dit:
Les arts premiers sont chargés de symbolique et ont une utilité sacrée.
Je ne pense pas que ce soit vrai. Sous l'appellation "art premier", on regroupe en vrac le boulot des amérindiens, celui des populations africaines, celui des aborigènes d'Australie, et celui de plein de gens sur des petites îles, et il est à peu près sûr qu'une partie des productions n'aient pas d'utilité sacrée, soit faite pour son esthétique (tous les peuples n'ont pas de notion équivalente à celle d'art, n'avaient même pas le mot dans leur langue comme aux îles Trobriandes (seul existait le mot "artisanat"), mais certains si), ou soit plus simplement utilitaire. Il me semble que des poteries, des bols, etc., sont par exemples considérés comme faisant partie de l'art premier, et cela m'étonnerait que tous soient sacrés ou même chargés de symboles.

Et puis surtout ! Présentation chronologique ? Le terme "premier" est très maladroit parce qu'il laisse entendre cela. Mais dans ce cas, on met quoi à part les productions de bifaces des hommes de Néanderthal ou de Cro-magnon ? Parce que l'art africain qui a influencé Picasso, c'était des productions qui lui étaient contemporaines (donc largement après la Renaissance). Et encore aujourd'hui, il y a des productions qui entrent dans cette case. (;

FunkyDuck a dit:
Démons et esprits y apparaissent, eux-mêmes issus des imaginaires chamanistes. Les chamans vivent en médiation entre le monde physique et le monde des esprits, et cherchent à exprimer leurs visions hallucinées.
Il n'y a pas de chamans à proprement parler partout sur Terre. Déjà, il n'y en avait pas en Amérique du Sud avant qu'on exporte le concept...

FunkiDuck a dit:
Ils représentent les esprits peuplant les imaginaires tribaux.
Parler de tribus c'est comme parler peuples primitifs, c'est chargé de tout un imaginaire qui ne se fonde pas sur la réalité vécue de ses peuples : ils sont comme ça depuis toujours et le seraient restés à jamais si on était pas venus ; ils sont une image archaïque de notre propre société, à un stade de développement inférieur ; ils sont simples, économiquement, politiquement, dans leurs relations familiales ou leurs relations au monde ; etc.. Par contre, parler d'art premier, oui ça a un sens, parce que c'est ce que font les institutions qui s'occupent de la monétisation de l'Art... mais pas un sens qui fait écho de façon toujours pertinente avec la réalité...

FunkyDuck a dit:
De nombreuses sociétes primitives faisaient souvent l’expérience d’états de conscience modifiés: ayahuasca en amérique du sud, peyotl en amérique du nord, iboga en afrique…
L'ayahuasca était pris par peu de populations sud-américaines, et à l'intérieur de ces populations, certains étaient habilités ou pas à prendre. De nombreuses sociétés il y a peu, dont la nôtre, faisaient expérience légalement d'états de conscience modifiés, et les gens qui se torchent la gueule avant d'écrire (ou qui font des cérémonies censées leur révéler des choses au champagne), ils doivent être encore nombreux. J'comprends ce que tu veux dire, mais dans la formulation, on a l'impression que c'est une caractéristique, alors que c'est plus généralisé que ça (tu le sais parce que t'en parles plus bas). (Oui je suis relou. x))

Comme t'as parlé de Michaux, t'aurais aussi pu évoquer l'art brut, catégorie dans laquelle on enferme : l'art des enfants, des prisonniers, des internés. Niveau état de conscience modifié, l'art fait directement par ceux que la société classe comme étant des fous aurait pu se poser là. Maintenant que j'ai bien pété les couilles (Comment ça mes remarques n'ont rien à voir avec le thème de l'exposé qui est en soit assez intéressant et qui a même la délicatesse d'intégrer de la poésie, de la musique, etc., en soulignant bien que ce sont aussi des arts qui produisent des images (et ça ça densifie le propos) ?) pour des corrections qui paraîtront minimes, et pas très argumentées, j'ajouterai juste que j'adore les tableaux de Bosch :heart:, et te remercier pour m'avoir fait découvrir Beksinski :heart:.
 
@Acromyrex

Déja merci de m'avoir lu :D

Ce que tu dis pour la chronologie c'est vrai, vu que ces peuples n'ont pas laissé de traces durables, on ne peut pas savoir l'évolution de l'art, mais on retrouve des similarités entre par ex la dame de brassempouy (-21000) et des masques plus comptemporains... Tout epuré, stylisé... C'est vraiment beau, mon dieu j'adore ces arts, je suis boulimique de musées d'arts primitifs, le quai Branly m'a soufflé, et le Tropenmuseum a Amsterdam aussi.

Après oui, je comprend que je me base sur pas mal de clichés de peuples utopiques qui mangent des trips pour rentrer en communication avec l'au dela, mais c'est une image assez romancée finalement, et c'est cette fiction qui inspira les artistes plus actuels, et non pas la realité des faits... Donc d'un point de vue artistique ca peut passer, mais d'un point de vue réellement historique il y'a des lacunes/erreurs.

Ce que tu dis quand à la consommation de psychotropes c'est parfaitement vrai, je n'ai pas étendu le sujet dans mon exposé car ce n'était pas le sujet principal et que c'est un peu limite aussi, sociétalement.

Pour les chamans, si, ils existaient vraiment, en Siberie. Chaman c'est d'ailleurs un mot de leur langue, donc l'étymologie a derivé de partout, ce qui fait qu'on retrouve cette racine un peu partout. La pensée chamanique a essaimé depuis la siberie; donc si on peut dire que l'afrique est le berceau de l'humanité, la russie est le berceau de la transcendance.

Sinon pour Beksinski, j'suis heureuse d'avoir pu te le faire découvrir, j'adore vraiment cet artiste, c'est très beau ce qu'il fait, et y'a une énorme charge symbolique dessus, mais traité avec tellement d'originalité, c'est magique!

Merci de ta contribution :grin:
 
Merci pour ce boulot de fond qui fait du lien conceptuel entre des artistes et traditions très distantes. Ton expérience de la perche transpire de ce boulot, pour le mieux. En effet, la lecture que tu fais des oeuvres et faite de vécu, ça change du blabla masturbatoire courant chez les artistes et les intellos connaisseurs. J'ai pas tout lu à fond mais je partage l'écrasante majorité de tes vues.
Note spéciale sur le dessin aborigène qui m'a bien fait triper :nod:
 
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