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PETITE APPROCHE CLINIQUE ET MÉTAPHYSIQUE DES EFFETS DES DROGUES HALLUCINOGÈNES
Les effets cliniques des substances psychoactives dites psychédéliques sont essentiellement psychiques, mais aussi physiques de part les excitations sensorielles et émotionnelles qu’elles produisent au niveau corporel. Par ailleurs la nature des effets dépend principalement de :
- La dose et le contexte de la prise
- La motivation du sujet à consommer la substance (les effets recherchés et attendus)
- Les expériences antérieures personnelles ou rapportées par l’entourage
- La sensibilité de l’usager (état affectif et perceptif général au moment de la prise)
- La personnalité de l’usager (ses caractéristiques psychologiques, physiologiques et neurobiologiques)
- Le milieu social et l’environnement de l’usager
L’ensemble de ces facteurs est évidemment en interrelation et influence le cours de l’expérience hallucinogène. Ils sont fréquemment regroupés sous l’expression « set and setting ».
PLUS A PROPOS DES EFFETS PHYSIQUES
Les effets somatiques sont essentiellement d’origine neurovégétative, c’est à dire relatifs au système nerveux autonome ou végétatif, qui assure la régulation des viscères, des glandes exocrines et endocrines, mais aussi la vaso-motricité (fonction régulatrice de la circulation du sang chez les vertébrés, s'effectuant par la variation du diamètre des petites artères). Sur le plan moteur il s’agit de l’innervement des fibres musculaires lisses. Sur le plan sensitif il s’agit de transmettre la sensibilité viscérale, qui s’exprime par le plaisir ou la douleur pour simplifier. Autrement dit, involontairement de l’avis du sujet, les effets physiologiques influencent ses humeurs, ses sensations, ses émotions et sentiments, ses réactions digestives et vasculaires, dont les manifestations visibles sont principalement :
- Mydriase
- Congestion faciale (manifestation d'une vasodilatation entrainant rougeur et bouffée de chaleur, ces réactions vasomotrices peuvent être suivies d'une pâleur réactionnelle)
- Modification des paramètres cardiovasculaires (principalement variation de la fréquence respiratoire, dilatation ou rétraction des veines et artères)
- Troubles digestifs (constipation, diarrhée, envie d’uriner pressante et constante même si rien ne vient, donc sollicitation des reins)
De ressentis « normaux » à des effets moins désirables, se retrouve la somatisation lorsque l’usager réagit physiquement à une perturbation de son équilibre psychique. Les hallucinogènes modifient donc l’homéostasie du consommateur, en des réactions physiologiques qui lui sont bonnes ou mauvaises.
Plus à propos de l’économie psychique interdépendante du corps propre à chaque individu, les effets ressentis dépendent de sa subjectivité, en interrelation avec son terrain psychobiologique d’origine génétique et psycho-développemental. Voyons maintenant ce qu’il en est de l’aspect neurologique des effets des hallucinogènes. L’action neurophysiologique des drogues psychédéliques induit des modifications spécifiques de certains réseaux neuronaux, par exemple en augmentant les connexions synaptiques.
Hypersensibilité et gestion de son anxiété et de ses peurs
Situé dans le tronc cérébral, le locus coeruleus est un noyau sous-cortical du cerveau. Constituant une structure noradrénergique et cholinergique, en plus d’avoir beaucoup de relations avec l'amygdale, c'est de cette région que partent la majorité des neurones utilisant la noradrénaline comme neurotransmetteur. Le locus coeruleus est ainsi impliqué dans les effets de peur et d’anxiété. Siège d’une convergence de fibres nerveuses venant de l’ensemble des viscères et des voies sensorielles, il fonctionne comme un détecteur de nouveauté, d’où le fait qu’il module la sensibilité aux informations entrantes ou ré-entrantes dans l’ensemble du système nerveux central, par l’intermédiaire de fibres nerveuses noradrénergiques. Aussi il travaille en association avec le système sensoriel, associatif et mnésique.
ENTRE CORPS ET ESPRIT, LES HALLUCINATIONS INTERNES ET EXTERNES, LE PHÉNOMÈNE DE SYNESTHÉSIE
Le cerveau humain est composé de structures neurales indépendantes qui séparent différentes fonctions cérébrales spécifiques, comme la vision, l'ouïe ou le mouvement. Les actions des hallucinogènes connectent plus ou moins ces structures neurales en favorisant de nouveaux réseaux, d’où un cerveau plus intégré, plus unifié, faisant éprouver une plus grande empathie et comme une expansion de l’esprit sous influence. En plus de créer des effets visuels communément appelés hallucinations, ce phénomène biologique pourrait aussi expliquer les cas de synesthésies (mélange de perceptions qui conduit par exemple à entendre ou goûter des couleurs, mais encore voir des sons).
Origine des hallucinations et différents types de visuels
Les hallucinations adviennent lorsque l’usager éprouve des perceptions ou des sensations sans qu'aucun objet extérieur les fasse naître. Les images animées yeux ouverts peuvent être de type végétal ou animal, ou bien anthropomorphique. Vivantes, elles sont désincarnées en représentant des choses non humaines, ou personnifiées quand on s’y identifie dans une figuration imitant un visage par exemple. Dans les deux cas la dimension symbolique est très présente, de manière abstraite ou figurative selon ce que l'usager se représente dans son imaginaire. Les structures fractales répètent des motifs à l’infini, et ce de façon très marquée les yeux fermés. Les objets et motifs qui animent le champ visuel sont déformés, amplifiés, réduis, serpentent, fondent, coulent, pétillent, changent de couleur dans une accentuation des contrastes entre zones d’ombre et zones plus éclairées. Les hallucinations produisent assez facilement des sortes de glyphes, sous forme d’ inscriptions ou de traits gravés en creux, par exemple dans un ornement architectural. Les reliefs ressortent d’autant plus et ce jusqu’à de possibles inversion de perspectives. La réalité apparait sur un unique plan (telle la surface plane d’un tableau), ou au contraire se construit en des plans superposés, comme si chaque pan de réalité apparent était un calque qui nous soit donné de voir en le distinguant des autres. Son champ visuel est tel un film projeté dans son esprit, aplani ou avec une impression de type réalité virtuelle, qui gagnerait en profondeur plus on porte son attention aux détails de la composition en face de soi, en soi.
Défaut de perception sensorielle et hallucination
Face à un apport massif de stimulus l’esprit se protège en se dissociant, pour limiter l’accès à la conscience aux sensations et émotions trop intenses. Ainsi lorsque la perception sensorielle est insuffisante ou supprimée dans un état de quasi anesthésie, peuvent s’engendrer des hallucinations. C’est l’excès de sensibilité qui amène à se désensibiliser. Toutes stimulations troublant la conscience font obstacles à l’intégration des informations perçues. Par exemple sur le plan auditif l’usager peut écouter très fort de la musique sans que cela ne le dérange, et sur le plan visuel à défaut de pouvoir stabiliser sa vision, l’usager évolue dans une réalité se mouvant aussi rapidement que son esprit est entrainé (par des excitations pulsionnelles projetant sa libido sur des objets extérieurs ou intérieurs, et dans des dynamiques narcissiques (sur son moi) ou objectales (sur des objets)). Il peut arriver que ça soit l’objet source d’informations qui crée la déformation, comme dans le cas des mirages. Il s’agit alors d’une illusion sensorielle. Les troubles mineurs de l’appareil sensoriels n’engendrent que des sensations simples comme des lueurs, flammèches ou acouphènes. Les hallucinations engendrées par les drogues psychédéliques sont beaucoup plus sophistiquées en présentant un panel de visuels très nuancés et diversifiés.
Hallucinations internes (intéroceptives) et externes (extéroceptives)
- Les hallucinations intéroceptives portent sur des sensations internes au corps humain, musculaires, articulaires ou viscérales. Le sujet peut avoir l’impression de s’élever/plonger en lui-même, d’être paralysé, de fondre, de peser une tonne ou un gramme, de sortir de son corps, de mourir.
- Les hallucinations extéroceptives sont liées aux modes de sensibilité extérieurs (les cinq sens). Les hallucinations visuelles vont des formes simples et abstraites aux plus complexes. Les hallucinations auditives, olfactives, gustatives et tactiles sont plus rares, et prennent différentes formes (impression que son téléphone vibre dans sa poche, d’avoir un corps étranger se baladant sous sa peau, d’entendre des appels, des rires, des cris ou des pleurs, de sentir l’aura des objets dans une synesthésie, etc).
Si certaines visions peuvent être extrêmement réalistes et impressionnantes, voire déstabilisantes, tant que l’usager reconnaît l’extériorité de leur nature, il ne s’en effraie pas plus que ça en s’en divertissant le plus souvent. Les visuels faisant partis du domaine de l’imaginaire en association avec des dimensions symboliques, autant l’usager en est fortement marqué, autant il n’en garde que peu de souvenir concret faute de pouvoir expliquer l’inexplicable. Les dynamiques dissociatives prévenant d’éventuels désordres mentaux, relègue les souvenirs de ses hallucinations à une mémoire inconsciente à laquelle l’esprit a peu accès. Il y a là une forme nécessaire d’oubli pour anticiper de possibles traumatismes du fait de pénétrer consciemment les strates subconscientes de son esprit.
LES EFFETS PSYCHIQUES - BOULEVERSEMENT DE SON RAPPORT A L’ESPACE ET AU TEMPS
Rapport au temps et à l’espace chamboulé
Les effets psychiques proviennent de subtiles modifications thymiques et sensorielles, tout en influençant ses humeurs et affects dans des allers retours constants entre corps et esprit d’informations perçues, senties, ressenties et intellectualisées. Ses sensations exacerbées excitent son système émotionnel en lien avec ses mémoires, volontés, valeurs, tendances et instincts, qui lui-même exalte ses sentiments produisant des pensées et idées débridées, dans des constructions mentales spécifiques. L’intuition se fait plus présente et amène à prendre du recul dans des vues d’esprit gagnant en profondeur de champ, en perspectives. L’espace mental situé entre ses yeux, l’arrière de son crâne et son cou semble s’ouvrir, s’étendre dans des dimensions infinies, et dans un élargissement de son champ intellectuel sa raison parait s’élever vers un état de conscience supérieure. Cela se passe le plus souvent lors d’une forte exaltation accompagnée de bouffées euphoriques, mais cela peut aussi entrainer un malaise psychique de type dysphorique ou dépressif, chargé d’importantes angoisses susceptibles d’être paroxystiques (degré intense voire extrême de souffrance psychique). Dans les deux cas l’écoulement du temps se dilate et une impression d’éternité transcende l’usager, en bien comme en mal selon que les effets lui sont agréables ou désagréables.
De l’altération des sens au trouble de ses cognitions (processus d'acquisition de connaissance)
Les effets psychosensoriels déstabilisant les cognitions sont caractéristiques de l’intoxication aux hallucinogènes. S’ils concernent tous les modes sensoriels, ils altèrent notamment les modes perceptifs dont use principalement l’usager, donc plutôt la vision et l’audition. Les troubles du fonctionnement cognitif se manifestent par des perturbations de l’attention et de la concentration, qui sont fréquemment consécutifs aux troubles psychosensoriels et thymiques. En plus des altérations de l’humeur, certains troubles mnésiques semblent proéminents, que ça soit par l’oubli d’expériences passées ou momentanées, ou au contraire par des remémorations pouvant entrainer des réminiscences biographiques d’une grande intensité affective. D’où de possibles reviviscences de contenus inconscients, comme l’émergence de souvenirs oubliés, d’angoisses refoulées, ou l’expression consciente de sentiments habituellement latents. La perception du temps vécu est profondément altérée. Aussi le cours et les contenus de ses pensées sont quasi systématiquement perturbés. La raison diverge ou divague, se précise ou se perd dans des nuances de points de vue complexes pas, peu ou trop réfléchis. L’afflux de symboles et l’excitation de son imagination provoquent des associations d’idées subtiles ou loufoques, donnant des états mentaux lucides ou confus selon son état de dissociation. Toutes ces modifications du fonctionnement psychique peuvent mener à de multiples troubles du comportement, symptomatiques d’un chamboulement intérieur lorsque son ego est déstabilisé et que son estime de soi est survalorisée ou dévalorisée (voir mécanique de la culpabilité).
Les psychédéliques et leurs actions spécifiques sur les processus perceptifs, cognitifs et thymiques, donnent à entrevoir certaines caractéristiques cliniques s’apparentant à celles observées dans les troubles schizophréniques et bipolaires. La conscience traversant alors des hauts et des bas, des zones de flou identitaire, dans des boucles d’esprit rétroactives et/ou rétrospectives. Au travers du trip l’usager expérimente les dimensions psychotiques, névrotiques et limites de son être en perdant ses habituels repères physiques et psychiques. Par delà bien et mal les hallucinogènes font sauter ses cadres éthiques et moraux communs, en faisant entrevoir comment sont agencés les volontés inconscientes des fils du vivant gouvernant ses désirs et actions, au delà de la surface des choses, du grand miroir des apparences égotiques (dépassement de l'illusion du libre arbitre).
Face à lui-même, c’est confronté à son double (son ombre) que l’usager observe plus ou moins rapidement osciller ses joies et emphases, ses frustrations et déceptions, au fil de ses pensées s’élaborant par vagues psychiques dans des ondulations humorales et autres remous sensoriels. Les tourbillons psychédéliques dans lesquels s’embarque le mental produisent des réflexions gravitant dans des spirales ascendantes ou descendantes, selon que l’alternance de ses humeurs fasse s’élever et s’étendre l’esprit dans des dynamiques d’extraversion, ou le replie sur lui-même dans des dynamiques d’introversion. En plus de ses dynamiques sensitive et intuitive, affective et rationnelle, cela s’opère également selon les variations des frontières de son moi, qui fluctuent d’après ses économies psychique et physique, autrement dit dans ses relations entre corps et esprit :
- Si le corps et l’esprit font un en se fondant dans l’environnement, la raison de l’usager en phase d’extase se ballade d’intuition en intuition dans une lucidité d’esprit plus ou moins illusoire. La sensation rassurante d’omnipotence permet d’ouvrir de nouvelles perspectives dans son esprit, individuant l’usager dans une ébauche mentale de création de soi via un discours narratif autobiographique, lui faisant s’imaginer, prévoir ou entreprendre spontanément des projets de vie (phase d’hypomanie).
- Autrement la dissociation opérante peut cliver le corps et l’esprit, faisant perdre sa confiance à l’usager qui se met alors à douter. Les vexations ressenties jusqu’à de possibles frustrations, lui font possiblement se rendre compte de son mal-être latent, une fois que ses souffrances inconscientes s’expriment en douleurs conscientes. L’esprit se montre critique, râle, grogne, boude, ou se déprime selon son agressivité ou son désarroi.
D’UNE PETITE A UNE HAUTE DOSE - Les caractéristiques symptomatologiques de l’intoxication peuvent être regroupées en quatre phases :
- L’hypersensibilité émotionnelle hyperesthésique est la première et la principale. La drogue rend plus sensible et réveille des zones corporelles, sensorielles et intellectuelles délaissées et ignorées en dépassant les barrières psychiques du refoulement naturel, qui en temps normal, censure les contenus somato-psychiques indésirables.
- La seconde peut être qualifiée d’oniroïde, liée à l’importante imagerie mentale et au relâchement des associations (de cognitions, d’idées). En proie à son imagination, l’usager confond rêve et réalité en s’égarant dans son imaginaire, en plus de se faire submerger par les multiples facettes symboliques des objets investis (c’est à dire des choses qu’il observe ou auxquelles il pense).
- La troisième est plus ou moins commune. Les caractéristiques symptomatologiques sont respectivement qualifiées de psychodysleptiques (qui perturbe l'activité mentale normale) compte tenu de l’altération importante des capacités de synthèse psychique, ainsi que de l’altération profonde de la conscience de soi et du monde sensible. Dans une perte de congruence et une discordance, l’usager perd ses moyens en ayant du mal à coordonner son corps et son esprit.
- La quatrième est très rare. Les perturbations dissociatives peuvent se résumer à un apparent syndrome autistique quasi catatonique (paralysie lors de la transe). Ce serait la dissociation cortico/sous corticale qui expliquerait la symptomatologie de dépersonnalisation et de déréalisation ainsi que les modifications cognitives, mnésiques et affectives.
LES VISUELS DANS LE FILM MENTAL A PARTIR DES TRAVAUX D’Henri Michaux- DÉFILÉ VISIONNAIRE ET DÉFILÉ SENSATIONNAIRE DES IMAGES
L’esprit qui évolue dans des dynamiques kaléidoscopique, élabore des images mentales via des automatismes se présentant sous la forme d’une démultiplication des images en lien avec l’exacerbation de ses sensations. Les images défilent très rapidement au point d’être insaisissables, tant ses sensations déferlent dans un langage intraduisible par l’esprit. Si ses ressentis paraissent palpables en étant au premier plan de la conscience, il est impossible de s’arrêter à une impression, à une sensation qui déjà est remplacée par une autre dans une perpétuelle succession d’images senties, vues et pensées. L’éprouvant éprouvé du trip est caractérisé par un défilé ininterrompu de milliers d’images fugaces et fugitives, sans arrêt possible bien que la mémoire puisse garder quelques souvenirs précis du film projeté en soi (une ou deux images encore accessibles à la conscience). L’usager retient plus souvent l’intensité du mouvement de projection des images dans son film intérieur, plutôt que les images perçues en tant que telles et leurs associations.
Plus à propos du déroulé des images
Les multiples images pullulent de manière plus ou moins ordonnées, et discerner une image d’une autre reviendrait à distinguer une sensation d’une autre, ce qui est impossible tant l’esprit carbure en présentant à l’usager les multiples facettes d’une même chose, comme s’il regardait plusieurs films en même temps. La dissociation permet à la conscience de s’y retrouver tant qu’elle est à même de donner du sens à ce qu’elle perçoit. Néanmoins un tel accès au cors sensible est très éprouvant, il faut être accrocher dans sa tête pour endurer les déferlantes sensorielles. Dans le cas où l’émotion submerge la raison, l’usager est dépassé par une foule d’images insensées, l’amenant à éprouver des sentiments d’étrangeté, d’impressions de déjà-vu virant à l’absurde, et ce jusqu’à des états de dépersonnalisation et/ou de déréalisation. Comme lors d’une phase psychotique, l’esprit évacue dans un mouvement d’expulsion un contenu ne pouvant plus rester inconscient, les barrières psychiques n’opérant plus leur travail de censure au niveau pré-conscient. Si s’arrêter sur une image mentale est impossible, l’usager peut décrire ses ressentis d’après son vécu corporel, lorsqu’il vit intensément ce qu’il voit, comme si son imaginaire était la réalité. Dans sa conscience le défilé visionnaire tend à doubler le défilé sensationnaire, et submergé par ses sensations l’usager part en transe dans une possible confusion entre rêveries et réalité.
HALLUCINATION ET VERBALISATION - DE L’IMAGINAIRE AU SYMBOLIQUE - LIENS ENTRE IMAGES ET MOTS - A défaut de ne pas saisir les images perçues, peut-on y trouver du sens ?
Le kaléidoscope des images mentales issues des drogues hallucinogènes fait écho à une sorte de dédoublement à l’infini des mots. En présentant en même temps à la conscience différents points de vues sur un même objet, la démultiplication des sens des mots définissant les images mentales tend à limiter leur signification. Les images et les mots associés défilent si rapidement que l’esprit n’a pas toujours le temps d’y donner un sens concret. L’image associée à une sensation d’une part et à un mot d’autre part parait matérielle, mais par ailleurs semble insensée, d’où des impressions d’étrangeté ou d’absurdité lors du trip. Chaque mot amène à penser à des dizaines d’autres mots, entrainant des centaines de pensées que seule l’intuition peut reconstituer dans une vision globale du phénomène mentale, tel un rhizome dont on percevrait l’ensemble du réseau mais sans pouvoir rentrer dans les détails. Dans toutes les ramifications entre ses branches de pensées et ses multiples racines d’idées, les mots se dédoublent infiniment comme les images, dont les sens restent insaisissables par l’usager regardant un film en accéléré. A petite dose le sens reste perceptible, mais plus on augmente la dose plus l’esprit s’emballe et se détache du corps halluciné dans une perte de repères sensorimoteurs et identitaires, dans une perte de sens en général.
Drift symbolique de l’esprit défoncé
Il y a donc dans cette dérive hallucinée de la pensée en mots et images une perte de sens du langage devenu infini. La dimension symbolique du langage s’ouvre à un infini des possibles, dans un drift associatif où son imagination permet la visualisation par flash intuitif de milliers d’analogies, de synonymes, d’interrelations entre les mots dont l’usager ne retient que peu de chose en comparaison de l’incroyable quantité de contenu produit par le corps et l’esprit défoncés. Chaque mot et chaque image se dérivent à l’infini, dans des horizons aux multiples facettes renvoyant toutes les unes aux autres dans des boucles mentales plus ou moins élaborées, tantôt primaires, tantôt secondaires. Paradoxalement si l’esprit n’a pas le temps de donner du sens à ce qu’il perçoit, un unique mot peut être si chargé symboliquement, qu’à lui seul il peut représenter tout une chaine de pensée, en tant qu’il reflète une infinité d’autres mots et pensées.
En pleine dépersonnalisation, lorsque le corps est désincarné les mots deviennent des contenus sans contenant et perdent en sens, il n’y a plus de frontières entre l’intérieur et l’extérieur. C’est la déréalisation dans la dissolution du moi via une perte symbolique du sens des réalités, mais aussi un désinvestissement libidinal des frontières du moi qui se replient aux endroits psychiques perdant en narcissisme. Les zones mentales désinvesties ne sont plus affectées par des émotions et sentiments et deviennent floues, inconsistantes et vides de sens. L’esprit se meurt en lui-même dans une désaffection de soi.
Les processus de condensation et de déplacement sous influences psychédéliques sont si extrêmes que dans ses séries de signifiant et de signifié l’esprit n’y voit plus une seule signification sur laquelle établir momentanément une réalité stable. Dans un perpétuel glissement d’un sens à un autre, la multiplication des sens débouche sur une absence de sens rendant spectateur l’usager passif face à un film qu’il ne comprend pas faute de pouvoir l’appréhender en fixant quelques images ou scènes. Un autre paradoxe serait que les mots sont alors aussi vides de sens qu’ils sont pleins de significations, tellement chargés en sensations qu’ils en deviennent ineffables, inexprimables autrement qu’avec des métaphores ou des allégories. De l’extérieur l’usager phase, le regard perdu dans on ne sait quelle contrée imaginaire fantasmée. Plus d’informations dans l’article sur la transe.
« Les hallucinogènes ne recèlent pas un message naturel dont la notion même apparaît comme contradictoire : ce sont des déclencheurs et des amplificateurs d’un discours latent que chaque culture tient en réserve et dont les drogues permettent ou facilitent l’élaboration. » - Claude Lévi-Strauss