Tirésias
Glandeuse Pinéale
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Je vais essayer de lister le maximum d’évènements , de discussions, de révélations à propos de cette expérience d’une nuit et d’une journée passées, d‘un trip de près de 20 heures pendant lequel il s‘est passé tant de choses dans nos esprits émerveillés et confus. Je rendrais compte de tout cela par paragraphes, pour une lecture moins fastidieuse.
Mise en place
Nous sommes enfin quatre chez A en comptant ses amis qui nous rejoignent. J’ai prévu pour tout le monde 26 mg de 2C-E, mais M doit se lever tôt pour conduire ses parents à l’aéroport. Je le préviens que les effets durent longtemps, mais il me dit qu’il a déjà fait quelque chose de similaire le lendemain d’une prise d’acide. Il est prévenu. Je lui fais une dose moindre, de 17 mg, mais qui apparemment l’a envoyé aussi loin que nous tous!
Il est assez tard lorsque nous prenons nos capsules. Nous regardons Discovery channel en attendant la montée: Morgan Freeman présente les épisodes successifs nous faisant part des découvertes scientifiques les plus folles, qui se rapprochent de la science fiction. On me demande de mettre ma musique (Shpongle) que seuls A et moi connaissons. Mais j’attends la montée pour mieux les faire partir sur la musique, pour qu’ils puissent vraiment apprécier cette musique inconnue qui va les transporter si loin!
La montée se fait légèrement sentir. C’est le moment! Je prépare ma playlist avec du Shpongle et deux musiques de Hallucinogen et une d’Entheogenic. C’est Divine Moments of Truth qui mène désormais ce petit monde. Lente à démarrer, elle emporte bien plus que ne pourrais le faire une musique minimale ou psy transe. La vue se brouille un peu. Lentement, les premières hallucinations viennent poindre dans l’incertitude de notre perception.
Moi, cet embryon
Je regarde ma main aux lignes incertaines et mouvantes. Je regarde ma paume entr’ouverte, les doigts recroquevillés, comme il peuvent l’être dans le repos, à n’importe quel âge de la vie. Son teint rose semble plus clair, et ses lignes moins marquées. Je m’aperçois alors dans ma contemplation que c’est des mains de bébé que j’observe! En regardant ma main changer j’ai l’impression qu’elle rajeunit: je me vois moi, bébé ou même embryon! Par cette seule main je remonte le cours de mon existence! Car on a tous été de petits embryons, des fœtus. Et quel chemin parcouru depuis! Je me sentais connecté avec la somme de ce que j’ai été, et avec la vie amorphe que j’ai mené au sein de ma mère, dans un semi mouvement de récession intra-utérine.
Cet inconnu qui me regarde
Dans la semi obscurité, avec pour seules lumières les lueurs de la télé qui se répandent dans l’air, les lignes et les couleurs se brouillent dans l’air. Je ne sais plus ce que je regardais. Je ne regardais pas la télé à cet instant. J’étais à moitié allongé sur le canapé, dans la longueur. Je faisais face à l’autre bout du canapé sans y prêter attention. Je regarde en bas, et sens comme une présence en face de moi. Je lève furtivement la tête une fois. Puis une autre. J’ai une hallucination, potentiellement la plus déroutante de toutes: un homme, surement en uniforme, avec un chapeau de détective ou d’espion des années 60, me regarde du coin de l’œil. Qui est-il, cet inconnu qui me regarde de l’autre bout du canapé? Avec son regard oblique sous son chapeau. Il fait un hochement de la tête, comme un défi lancé, aussi subtil qu’un clin d’œil. J’essaie encore de déterminer la signification de ce regard lancé comme depuis une autre dimension. Que me dit-il? Peut-être: « Alors, tu as eu ce que tu voulais? » ou bien « Cà y est, après tout ce chemin tu accèdes au Mystère » « On partage désormais les secrets de ces états seconds »…
Le potentiel de toute une vie dans la forme de la main
Je vois dans les lignes du dos de ma main toute ma vie défiler: à travers ses déformations, je me vois vieux mais sans peur, peut-être comme ce samouraï dans le film qui, sur son lit de mort, finit le haïku de sa vie par « elles sont toutes parfaites ». Moi aussi je mourrais un jour. Je le vois dans les déformations de ma mains, qui agissent comme un Momento Mori: « souviens toi que tu mourras ». Une maxime qui appelle à l’humilité devant la vanité de toute chose. Que j’ai été jusqu’à la graver sur mon doigt, à coté de « Carpe Diem ». Pour qu’elle soit moins austère. « Ceuille le jour » dit cette seconde maxime latine, car la vie est aussi éphémère qu’une fleur. Mais, comme je le disais à A, tout ce qui est se résume à un ploc dans l’eau. Merci Bashô et sa grenouille.
Naissance d’un shaman
Je suis parti régler la musique. Je ne sais plus ce que j’avais à faire avec çà. J’avais le pétard qu’on fait normalement tourner. Là, en retrait, et assis comme au dessus des autres, le pétard à la main, à regarder les autres allongés qui partaient sur cette musique nouvelle et inconnue, je me sentais l’âme d’un shaman. Je les avais emmené là où je voulais. J’allais les mener bien plus loin encore…
M. me le dit d’ailleurs, en se sentant partir sur cette musique qui l’emmenait si loin: « tu avais tout prévu! » Il me tenait responsable de tout, sa perche, ses transports, ses hallus, ses voyages sur la musique qui mène sur tous les continents, et dans des lieux au-delà de tout ce qui existe, dans des mondes aussi immatériels qu’une voix de diva, qui s’étend dans l’espace, crie les mystères de la vie, roule comme une vague et revient plus tard, surgissant d’un autre monde encore.
Feu d’artifice d’étoiles. Nuit blanche et multicolore
M, je crois, reviens de dehors, et nous dit de le suivre, qu’il y a un spectacle à ne pas manquer à l’extérieur. Nous sommes en pleine nuit. Dès que je sors et lève les yeux au ciel, je m’écrie: « waowww! Y a un feu d’artifice ou quoi? ». Je le croyais vraiment, l’espace d’une seconde. Non, ce ne sont que les étoiles. Elles scintillent plus que jamais, blanches, jaunes, rouges et vertes. Leurs lueurs s’épandent dans le ciel, rencontrent de leurs jets de lumière le scintillement de d’autres étoiles et construisent sans cesse des ramifications sans cesse changeantes. Elles irradient dans ce feu d’artifice d’astres la musique des sphères. Le plus beau spectacle que la vie m’ait donné à voir!
Suite de la soirée. Notre feu dans la brume.
Nous ne le savons pas, mais nous ne sommes qu’au début du trip. Il ne s’est écoulé que quelques heures. Nous prenons nos affaires pour partir en lisière de forêt, faire un grand feu de cartons. Le feu démarre. Même la musique est là, terriblement efficace. Nous observons les champs, les premières lueurs du jour qui s’étalent dans ce paysage de brume. Dos au feu devant ce spectacle, les cendres qui retombent un peu partout devant nous s’ajoutent à l’émerveillement général. Dans la cime des arbres, des mondes s’agitent. Je vois dans les branches tendues vers le ciel des mosaïques dont les motifs se multiplient dans les détails de plus en plus petits comme des fractales. Ou je vois des lions, de grands lions majestueux. Nous voyons tous quelque chose dans toutes ces branches qui offrent leurs détails à notre imagination.
A un moment, le feu consumé faute de bois autrement dense que ces cartons empilés, j’exclame mon étonnement: c’est déjà fini! C’était trop court. G me dit alors: « Ce que tu viens de dire, tu peux le rattacher à tout dans ta vie! ». C’est fou, comme un petit évènement peut prendre des proportions existentielles.
Pendant que j’observe voir si une biche pourrait surgir des blés sauvages ou bien un lapin (j’ai vu des lièvres, mais la biche ne viendra jamais), A lui regarde le ciel. Le jour est là, à peine. A regarde les avions passer. Dans ses interrogations je me rends compte qu’il perd tout contact avec la logique: il me demande pourquoi l’avion qu’il a vu est passé trois fois au même endroit dans le ciel. Je lui révèle cette vérité qui le ramènera à nous: ce sont trois avions qui sont passés successivement après leurs décollages respectifs. Il me dit merci de l’avoir ramené. Il faudra le reconnecter comme cela quelques fois encore.
Nous observons un certain temps la brume se défaire petit à petit. Désormais clairsemée, elle couronne les cimes des arbres. A et G s’interrogent et pensent que d’autres personnes font un feu. Pour moi il n’en est rien. Il a fallu s’arracher à ce spectacle d’une matinée naissant dans la plaine.
Nous rentrons. Il faut traverser un immense jardin. De nouveaux arbres s’offrent à notre perception, ainsi que de nouvelles hallucinations. Dans d’autres arbres encore je vois soudain apparaître les créatures du Seigneur des anneaux: ces grands arbres millénaires pleins de vie, avec une forme humaine reconnaissable.
Les contes du shaman
Rentrés, nous reprenons nos discussions. Il y a eu tant de réflexions, d’histoires, de voyages de la pensée que j’en ai oublié la plupart. Lorsque je raconte mes histoires (des faits étonnants, des découvertes scientifiques, mes aventures durant mon tour de l’Europe dont je ne conterais que les 3 premiers jours, etc…) il y a toujours un moment où, M surtout, se demande si je blague. Et il rit de l’emprise que mes histoires ont sur lui. Après le 2C-E et Shpongle, elles constitueront la troisième drogue de la soirée.
Nous parlons des drogues, D’Albert Hoffman, l’inventeur du LSD qui a toujours cru en sa découverte et qui en prit pour la dernière fois à l’âge de 97 ans! D’Alexander Shulgin qui a créé le 2C-E, ainsi que 600 produits hallucinogènes ou autres, qu’il a lui-même testé plusieurs fois chacun. Je raconte l’histoire de Castenada qui le premier partit à la rencontre d’un shaman et de tous ses produits hallucinogènes sacrés pour lui, de l’étonnante personnification du peyotl qui prend corps devant lui, et des connexions qui s’établissent entre tous les shamans réunis et lui-même, qui, sentant tous la même chose, se mettent à chanter de plus belle sans se concerter. De l’ayahuasca et son usage shamanique. L’extrême connaissance de la nature par les gens des forêts amazoniennes: comment ont-ils su que cette racine combinée à ces feuilles là permettaient de communiquer avec les forces de la nature. Et la mandragore et belladone des sorcières, et le mal des ardents qui meurent dans d’atroces délires après avoir été empoisonnés à l’ergot de seigle.
Je parle de ces expériences sur les araignées auxquelles on a donné de la caféine, du LSD, de la cocaïne, etc, et qui donnent des toiles très différentes des toiles normales. On rit, on doute de la véracité de ce que je dis, puis on cède en riant, en se demandant jusqu’où j’allais les mener comme çà, avec mes histoires. Je parle de cette personne qui est synesthète, c’est-à-dire qu’elle mélange ses sensations séparées (une expérience telle que voir de la musique et ses différentes couleurs) et qui voit automatiquement une forme pour chaque nombre. Je parle des hallucinations de la fièvre, et du fait que la fièvre est l’origine probable de certains cerveaux spectaculaires comme les synesthètes dont je viens de parler. Je parle de ces illuminés qui se trépanent volontairement et qui disent qu’ils peuvent ainsi mieux réfléchir. Et toujours cette même réaction, surtout de la part de M. Mes histoires font partir loin, parfois dans d’autres mondes, ou loin dans les pensées.
Je suis le conteur, l’aède et le shaman de céans.
Je suis Prométhée qui apporte le feu de la connaissance et des révélations aux hommes. Je suis le devin aveugle qui ouvre les portes de la perceptions.
D’autres discussions (vivre jusqu’à 800 ans, le capitalisme et la faim dans le monde, les OGM)
Séparément, avant de se voir, on avait vu le même reportage sur une nouvelle théorie née sur le vieillissement: il viendrait des déchets produits par toute activité de notre métabolisme, et qui s’accumuleraient jusqu’à la mort. Selon les scientifiques, il suffirait peut-être de trouver la bactérie qui, dans notre corps, nettoieraient et mangeraient l’ensemble de ces cellules. On aurait alors une espérance de vie extraordinaire, mais aussi une jeunesse sinon éternelle, du moins très longue.
Je dis alors aux autres: oui, mais les pauvres dans tout çà? Quoi qu’on imagine à propos du futur, il faut prendre en considération les données socio-économiques. Si les riches peuvent bien vivre jusqu’à 800 ans, celui qui trime dans une mine en Inde n’atteindra pas pour autant ses 60 ans!
On parlait aussi du système capitaliste, ses gaspillages, la spéculation sur le prix du blé qui fait crever de faim des populations entières.
Et les OGM! Rendant la production de pauvres agriculteurs dépendante de Monsanto et autres laboratoires auxquels ils devront payer pour faire pousser des cultures qui ne sont finalement pas rentables, qui ne se renouvellent pas d’elles mêmes, sans l’intervention toujours nécessaire des mêmes laboratoires. Une région de l’Inde a déjà servi de laboratoire géant, provoquant des suicides collectifs chez les agriculteurs ruinés.
On a eu de la chance de ne pas naître lapins!
Et je parle de la vie en général. Tous ces animaux qui ont probablement une petite conscience d’eux-mêmes (selon les espèces). Toutes ces bêtes qui, comme nous, naissent sans le vouloir, sont « jetés au monde » comme le dit Sartre, et se développent malgré tout, font face à des défis, puis affrontent seuls la mort. Une existence à part entière, surement en partie consciente d’elle-même, ce qui me fait dire à M: « heureusement qu’on n’est pas des lapins! ». Après tout, quand un lapin naît, une conscience est ainsi jetée au monde, comme nous. Qu’est notre être individuel après tout? C’est une expérience que vivent des milliards d’individu, qu’ont vécus bien encore plus de monde décédé maintenant, et que vivent en partie les animaux. Le lapin n’est pas homme, pas plus que nous ne sommes lapin. Mais lui aussi vit, comme nous. Dans un sens, alors, nous aurions pu être lapins plutôt qu’hommes. On l’a échappé belle!
Ce bateau qu’est la pièce. L’empathie exacerbée
Nous montons dans un des étages pour observer à nouveau le paysage. Il fait jour désormais. Nous regardons les champs, les lièvres. Surtout le chien. Ah! Le chien d’A! Toujours à l’affut. A en est fou. Il est complètement fasciné. Dans ses poils, dont il croit sentir l’unité de chacun d’eux dans la masse, il retrouve contact avec la réalité. Et alors, prisonnier de cette fascination, il résiste à mes histoires: je lui demande ce qu’il pense de telle chose: il me dit, en fixant son chien qui n’est qu’à quelques centimètres de lui, dont il caresse indolemment les poils fins et noirs, « c’est tout ce que tu veux » Ne cherchant pas même à réfléchir, ne voulant plus partir, voulant rester dans la réalité qu’il cramponne du bout de ses doigts qui caressent son chien.
Lorsque nous nous éloignons de la fenêtre, en fixant celle-ci depuis l’intérieur de la pièce, nous sommes comme dans un bateau. Le paysage bouge à la fenêtre qui fait office de hublot.
A l’a ressenti de manière si intense: plus profond que les hallucinations que l’on peut avoir en regardant les arbres, il sentait du bout des doigts des « connexions » s’établir avec ses amis. L’un était mal au point, lui sentait son mal être en lui, le parcourir. Aussi, sortant des affres de leur esprit, il se réveille exactement en même temps qu’un de ses amis ici présent (M ou G). Il a vécu une expérience d’empathie exacerbée, que j’essaie de relater au mieux sans l’avoir vécu.
Voyage poétique en compagnie de Saint-John Perse. Tous Pychonautes!
M et G sont en haut et veulent essayer de dormir (malgré les tumultes de la drogue et la profondeur des lieux qu’ils y découvrent). M, qui devait conduire ses parents à l’aéroport Charles De Gaulle a du abandonner et s’avouer vaincu devant la puissance de notre poudre d’enchantement. Associée à la poudre dissociative qu’est la MXE (en petite dose, et sans vrais effets pour moi). Je réussis à convaincre A de ne pas faire comme eux, et de me rejoindre en bas, avec mes histoires, la télé, et la poésie.
Lui n’est pas un grand habitué de la poésie. Mais nous découvrons tous deux le transport incroyable que provoque en nous Saint-John Perse. Je lis Eloges à haute voix, comme j’ai l’habitude de déclamer de la poésie. Mais ce ne sont pas des poèmes épars que je lis, mais toute une œuvre qui semble être une seule et même phrase ininterrompue, qui nous amène doucement dans des mondes de délices et d’images ensoleillées. Toute l’œuvre semble ainsi parcourue du même souffle poétique, celui du poète qui nous mène dans sa barque, à travers ses mondes, dans un flot continu d‘enchantement.
Je demande à A s’il sait ce que veut dire « Argonautes ». Des aventuriers sur le navire Argos. On retrouve la racine dans « nautique ». « Comprends-tu maintenant ce que psychonaut veut dire? Nous sommes des explorateurs de la psyché humaine ». « Waow » dit-il. Par mes histoires, mes discours, mes cheminements de pensées, je l’emmène, l’emporte avec moi dans ces découvertes et cet infini du dedans. Je suis le shaman. Je suis un magicien. Je suis l’aède qui détient le récit des mythes fondateurs. Prométhée, cet indomptable contributeur de la curiosité humaine et de l’élévation de la conscience.
Aimez-vous assez la vie pour considérer comme une bénédiction le fait qu’elle puisse se répéter à l’infini, sans espoir de Paradis supraterrestre?
J’initie A à la philosophie de l’Eternel Retour de Nietzsche. Imagine un seul instant qu’un ange ou un démon surgisse et te révèle cette vérité profonde, à savoir que « Cette vie, telle que tu la vis à présent, telle que tu l’as vécue, il te faudra la vivre et la revivre encore une fois, et d’innombrables fois, et rien n’y sera changé! »
La question est: comment réagirais-tu face à une telle révélation? « Maudirais-tu le démons qui te parle ainsi ? » Ou aimes-tu suffisamment la vie pour considérer cela comme une bénédiction?…
Derniers éclats
Il fait jour à présent. Il fait même un soleil de plomb. On est en pleine après midi, et on n’a pas dormi, A et moi. Nous voyons la lune. Comme toujours, cela me donne une histoire à raconter. D’abord à A seul. Plus tard aux deux autres qui dorment (ou du moins essayent). Je lui parle des surréalistes, de leur volonté de créer une « surréalité » en croisant deux aspects distincts de la réalité qui n’ont rien à voir ensemble. C’est ainsi qu’André Breton a donné vie à cette image surréaliste: le « lever de Terre », à partir de la notion « lever du soleil ». Après tout, ce n’est qu’un génial changement de perspective: en se positionnant sur la lune, on devrait pouvoir observer un lever de Terre, tout comme on observe un lever du soleil depuis la Terre. Je lui demande s’il me suit. Je peux continuer. Breton était loin de s’imaginer qu’un jour, les premiers astronautes à poser le pied sur la Lune, verraient, surgissant des paysages désolés de cet astre sans vie, la Terre se lever, bleue, fragile, et féconde, et qu’ils en pleureraient d’émerveillement!
On essaya ensuite de s’imaginer ce que ce serait, d’aller dans l’espace. Tout et possible lorsque l’imagination déborde sur le monde, avec ou sans les enchantements de la drogue!
J’eu une dernière vraie hallucination, seul dehors, lorsque j’entendis, surgissant des enceintes une voix me demandant: « il te reste de la kétamine? ». Je sursautai et lui répondis. Mais La voix se mis à chanter alors dans une langue africaine que je ne connaissais pas. Cela faisait plus de 16 heures qu’on avait pris nos capsules, et le trip dura environ 20 heures.
Conclusion
J’ai ainsi vécu le trip le plus intéressant de tous pour l’instant. Tout s’est bien passé pour tous même si M et G étaient un peu choqués par la puissance du truc. Moi j’aurais bien voulu avoir des hallucinations plus puissantes encore, mais c’était déjà pas mal! J’ai aussi beaucoup parlé à A de ma vie, et l’introspection ne m’a pas ôté l’idée que je suis plus que jamais en paix avec moi-même et que je me connais mieux que jamais, après mes épreuves, et mes prises de conscience successives sur mon passé.
Le trip a été très intéressant, mais je regrette d’avoir perdu toutes les histoires que je racontais, et tous les cheminements complexes de pensée auxquels je parvenais, avec lesquels j’emmenais mes acolytes dans les abimes de raisonnements très variés et très intéressants.
Le trip m’a aussi rendu très prolifique, comme vous le voyez (quel long TR! J’espère que j’aurais des lecteurs! ^^) et je me suis remis à écrire dans les jours qui ont suivis les pages parmi les plus belles que j’ai écrites. Ceci dû à la lecture de Saint-John Perse, mais également, bien sûr, à la prise de drogue. Une drogue tellement intéressante que je voudrais la re-tester dans les mêmes conditions, un carnet et une plume à la main.
Mise en place
Nous sommes enfin quatre chez A en comptant ses amis qui nous rejoignent. J’ai prévu pour tout le monde 26 mg de 2C-E, mais M doit se lever tôt pour conduire ses parents à l’aéroport. Je le préviens que les effets durent longtemps, mais il me dit qu’il a déjà fait quelque chose de similaire le lendemain d’une prise d’acide. Il est prévenu. Je lui fais une dose moindre, de 17 mg, mais qui apparemment l’a envoyé aussi loin que nous tous!
Il est assez tard lorsque nous prenons nos capsules. Nous regardons Discovery channel en attendant la montée: Morgan Freeman présente les épisodes successifs nous faisant part des découvertes scientifiques les plus folles, qui se rapprochent de la science fiction. On me demande de mettre ma musique (Shpongle) que seuls A et moi connaissons. Mais j’attends la montée pour mieux les faire partir sur la musique, pour qu’ils puissent vraiment apprécier cette musique inconnue qui va les transporter si loin!
La montée se fait légèrement sentir. C’est le moment! Je prépare ma playlist avec du Shpongle et deux musiques de Hallucinogen et une d’Entheogenic. C’est Divine Moments of Truth qui mène désormais ce petit monde. Lente à démarrer, elle emporte bien plus que ne pourrais le faire une musique minimale ou psy transe. La vue se brouille un peu. Lentement, les premières hallucinations viennent poindre dans l’incertitude de notre perception.
Moi, cet embryon
Je regarde ma main aux lignes incertaines et mouvantes. Je regarde ma paume entr’ouverte, les doigts recroquevillés, comme il peuvent l’être dans le repos, à n’importe quel âge de la vie. Son teint rose semble plus clair, et ses lignes moins marquées. Je m’aperçois alors dans ma contemplation que c’est des mains de bébé que j’observe! En regardant ma main changer j’ai l’impression qu’elle rajeunit: je me vois moi, bébé ou même embryon! Par cette seule main je remonte le cours de mon existence! Car on a tous été de petits embryons, des fœtus. Et quel chemin parcouru depuis! Je me sentais connecté avec la somme de ce que j’ai été, et avec la vie amorphe que j’ai mené au sein de ma mère, dans un semi mouvement de récession intra-utérine.
Cet inconnu qui me regarde
Dans la semi obscurité, avec pour seules lumières les lueurs de la télé qui se répandent dans l’air, les lignes et les couleurs se brouillent dans l’air. Je ne sais plus ce que je regardais. Je ne regardais pas la télé à cet instant. J’étais à moitié allongé sur le canapé, dans la longueur. Je faisais face à l’autre bout du canapé sans y prêter attention. Je regarde en bas, et sens comme une présence en face de moi. Je lève furtivement la tête une fois. Puis une autre. J’ai une hallucination, potentiellement la plus déroutante de toutes: un homme, surement en uniforme, avec un chapeau de détective ou d’espion des années 60, me regarde du coin de l’œil. Qui est-il, cet inconnu qui me regarde de l’autre bout du canapé? Avec son regard oblique sous son chapeau. Il fait un hochement de la tête, comme un défi lancé, aussi subtil qu’un clin d’œil. J’essaie encore de déterminer la signification de ce regard lancé comme depuis une autre dimension. Que me dit-il? Peut-être: « Alors, tu as eu ce que tu voulais? » ou bien « Cà y est, après tout ce chemin tu accèdes au Mystère » « On partage désormais les secrets de ces états seconds »…
Le potentiel de toute une vie dans la forme de la main
Je vois dans les lignes du dos de ma main toute ma vie défiler: à travers ses déformations, je me vois vieux mais sans peur, peut-être comme ce samouraï dans le film qui, sur son lit de mort, finit le haïku de sa vie par « elles sont toutes parfaites ». Moi aussi je mourrais un jour. Je le vois dans les déformations de ma mains, qui agissent comme un Momento Mori: « souviens toi que tu mourras ». Une maxime qui appelle à l’humilité devant la vanité de toute chose. Que j’ai été jusqu’à la graver sur mon doigt, à coté de « Carpe Diem ». Pour qu’elle soit moins austère. « Ceuille le jour » dit cette seconde maxime latine, car la vie est aussi éphémère qu’une fleur. Mais, comme je le disais à A, tout ce qui est se résume à un ploc dans l’eau. Merci Bashô et sa grenouille.
Naissance d’un shaman
Je suis parti régler la musique. Je ne sais plus ce que j’avais à faire avec çà. J’avais le pétard qu’on fait normalement tourner. Là, en retrait, et assis comme au dessus des autres, le pétard à la main, à regarder les autres allongés qui partaient sur cette musique nouvelle et inconnue, je me sentais l’âme d’un shaman. Je les avais emmené là où je voulais. J’allais les mener bien plus loin encore…
M. me le dit d’ailleurs, en se sentant partir sur cette musique qui l’emmenait si loin: « tu avais tout prévu! » Il me tenait responsable de tout, sa perche, ses transports, ses hallus, ses voyages sur la musique qui mène sur tous les continents, et dans des lieux au-delà de tout ce qui existe, dans des mondes aussi immatériels qu’une voix de diva, qui s’étend dans l’espace, crie les mystères de la vie, roule comme une vague et revient plus tard, surgissant d’un autre monde encore.
Feu d’artifice d’étoiles. Nuit blanche et multicolore
M, je crois, reviens de dehors, et nous dit de le suivre, qu’il y a un spectacle à ne pas manquer à l’extérieur. Nous sommes en pleine nuit. Dès que je sors et lève les yeux au ciel, je m’écrie: « waowww! Y a un feu d’artifice ou quoi? ». Je le croyais vraiment, l’espace d’une seconde. Non, ce ne sont que les étoiles. Elles scintillent plus que jamais, blanches, jaunes, rouges et vertes. Leurs lueurs s’épandent dans le ciel, rencontrent de leurs jets de lumière le scintillement de d’autres étoiles et construisent sans cesse des ramifications sans cesse changeantes. Elles irradient dans ce feu d’artifice d’astres la musique des sphères. Le plus beau spectacle que la vie m’ait donné à voir!
Suite de la soirée. Notre feu dans la brume.
Nous ne le savons pas, mais nous ne sommes qu’au début du trip. Il ne s’est écoulé que quelques heures. Nous prenons nos affaires pour partir en lisière de forêt, faire un grand feu de cartons. Le feu démarre. Même la musique est là, terriblement efficace. Nous observons les champs, les premières lueurs du jour qui s’étalent dans ce paysage de brume. Dos au feu devant ce spectacle, les cendres qui retombent un peu partout devant nous s’ajoutent à l’émerveillement général. Dans la cime des arbres, des mondes s’agitent. Je vois dans les branches tendues vers le ciel des mosaïques dont les motifs se multiplient dans les détails de plus en plus petits comme des fractales. Ou je vois des lions, de grands lions majestueux. Nous voyons tous quelque chose dans toutes ces branches qui offrent leurs détails à notre imagination.
A un moment, le feu consumé faute de bois autrement dense que ces cartons empilés, j’exclame mon étonnement: c’est déjà fini! C’était trop court. G me dit alors: « Ce que tu viens de dire, tu peux le rattacher à tout dans ta vie! ». C’est fou, comme un petit évènement peut prendre des proportions existentielles.
Pendant que j’observe voir si une biche pourrait surgir des blés sauvages ou bien un lapin (j’ai vu des lièvres, mais la biche ne viendra jamais), A lui regarde le ciel. Le jour est là, à peine. A regarde les avions passer. Dans ses interrogations je me rends compte qu’il perd tout contact avec la logique: il me demande pourquoi l’avion qu’il a vu est passé trois fois au même endroit dans le ciel. Je lui révèle cette vérité qui le ramènera à nous: ce sont trois avions qui sont passés successivement après leurs décollages respectifs. Il me dit merci de l’avoir ramené. Il faudra le reconnecter comme cela quelques fois encore.
Nous observons un certain temps la brume se défaire petit à petit. Désormais clairsemée, elle couronne les cimes des arbres. A et G s’interrogent et pensent que d’autres personnes font un feu. Pour moi il n’en est rien. Il a fallu s’arracher à ce spectacle d’une matinée naissant dans la plaine.
Nous rentrons. Il faut traverser un immense jardin. De nouveaux arbres s’offrent à notre perception, ainsi que de nouvelles hallucinations. Dans d’autres arbres encore je vois soudain apparaître les créatures du Seigneur des anneaux: ces grands arbres millénaires pleins de vie, avec une forme humaine reconnaissable.
Les contes du shaman
Rentrés, nous reprenons nos discussions. Il y a eu tant de réflexions, d’histoires, de voyages de la pensée que j’en ai oublié la plupart. Lorsque je raconte mes histoires (des faits étonnants, des découvertes scientifiques, mes aventures durant mon tour de l’Europe dont je ne conterais que les 3 premiers jours, etc…) il y a toujours un moment où, M surtout, se demande si je blague. Et il rit de l’emprise que mes histoires ont sur lui. Après le 2C-E et Shpongle, elles constitueront la troisième drogue de la soirée.
Nous parlons des drogues, D’Albert Hoffman, l’inventeur du LSD qui a toujours cru en sa découverte et qui en prit pour la dernière fois à l’âge de 97 ans! D’Alexander Shulgin qui a créé le 2C-E, ainsi que 600 produits hallucinogènes ou autres, qu’il a lui-même testé plusieurs fois chacun. Je raconte l’histoire de Castenada qui le premier partit à la rencontre d’un shaman et de tous ses produits hallucinogènes sacrés pour lui, de l’étonnante personnification du peyotl qui prend corps devant lui, et des connexions qui s’établissent entre tous les shamans réunis et lui-même, qui, sentant tous la même chose, se mettent à chanter de plus belle sans se concerter. De l’ayahuasca et son usage shamanique. L’extrême connaissance de la nature par les gens des forêts amazoniennes: comment ont-ils su que cette racine combinée à ces feuilles là permettaient de communiquer avec les forces de la nature. Et la mandragore et belladone des sorcières, et le mal des ardents qui meurent dans d’atroces délires après avoir été empoisonnés à l’ergot de seigle.
Je parle de ces expériences sur les araignées auxquelles on a donné de la caféine, du LSD, de la cocaïne, etc, et qui donnent des toiles très différentes des toiles normales. On rit, on doute de la véracité de ce que je dis, puis on cède en riant, en se demandant jusqu’où j’allais les mener comme çà, avec mes histoires. Je parle de cette personne qui est synesthète, c’est-à-dire qu’elle mélange ses sensations séparées (une expérience telle que voir de la musique et ses différentes couleurs) et qui voit automatiquement une forme pour chaque nombre. Je parle des hallucinations de la fièvre, et du fait que la fièvre est l’origine probable de certains cerveaux spectaculaires comme les synesthètes dont je viens de parler. Je parle de ces illuminés qui se trépanent volontairement et qui disent qu’ils peuvent ainsi mieux réfléchir. Et toujours cette même réaction, surtout de la part de M. Mes histoires font partir loin, parfois dans d’autres mondes, ou loin dans les pensées.
Je suis le conteur, l’aède et le shaman de céans.
Je suis Prométhée qui apporte le feu de la connaissance et des révélations aux hommes. Je suis le devin aveugle qui ouvre les portes de la perceptions.
D’autres discussions (vivre jusqu’à 800 ans, le capitalisme et la faim dans le monde, les OGM)
Séparément, avant de se voir, on avait vu le même reportage sur une nouvelle théorie née sur le vieillissement: il viendrait des déchets produits par toute activité de notre métabolisme, et qui s’accumuleraient jusqu’à la mort. Selon les scientifiques, il suffirait peut-être de trouver la bactérie qui, dans notre corps, nettoieraient et mangeraient l’ensemble de ces cellules. On aurait alors une espérance de vie extraordinaire, mais aussi une jeunesse sinon éternelle, du moins très longue.
Je dis alors aux autres: oui, mais les pauvres dans tout çà? Quoi qu’on imagine à propos du futur, il faut prendre en considération les données socio-économiques. Si les riches peuvent bien vivre jusqu’à 800 ans, celui qui trime dans une mine en Inde n’atteindra pas pour autant ses 60 ans!
On parlait aussi du système capitaliste, ses gaspillages, la spéculation sur le prix du blé qui fait crever de faim des populations entières.
Et les OGM! Rendant la production de pauvres agriculteurs dépendante de Monsanto et autres laboratoires auxquels ils devront payer pour faire pousser des cultures qui ne sont finalement pas rentables, qui ne se renouvellent pas d’elles mêmes, sans l’intervention toujours nécessaire des mêmes laboratoires. Une région de l’Inde a déjà servi de laboratoire géant, provoquant des suicides collectifs chez les agriculteurs ruinés.
On a eu de la chance de ne pas naître lapins!
Et je parle de la vie en général. Tous ces animaux qui ont probablement une petite conscience d’eux-mêmes (selon les espèces). Toutes ces bêtes qui, comme nous, naissent sans le vouloir, sont « jetés au monde » comme le dit Sartre, et se développent malgré tout, font face à des défis, puis affrontent seuls la mort. Une existence à part entière, surement en partie consciente d’elle-même, ce qui me fait dire à M: « heureusement qu’on n’est pas des lapins! ». Après tout, quand un lapin naît, une conscience est ainsi jetée au monde, comme nous. Qu’est notre être individuel après tout? C’est une expérience que vivent des milliards d’individu, qu’ont vécus bien encore plus de monde décédé maintenant, et que vivent en partie les animaux. Le lapin n’est pas homme, pas plus que nous ne sommes lapin. Mais lui aussi vit, comme nous. Dans un sens, alors, nous aurions pu être lapins plutôt qu’hommes. On l’a échappé belle!
Ce bateau qu’est la pièce. L’empathie exacerbée
Nous montons dans un des étages pour observer à nouveau le paysage. Il fait jour désormais. Nous regardons les champs, les lièvres. Surtout le chien. Ah! Le chien d’A! Toujours à l’affut. A en est fou. Il est complètement fasciné. Dans ses poils, dont il croit sentir l’unité de chacun d’eux dans la masse, il retrouve contact avec la réalité. Et alors, prisonnier de cette fascination, il résiste à mes histoires: je lui demande ce qu’il pense de telle chose: il me dit, en fixant son chien qui n’est qu’à quelques centimètres de lui, dont il caresse indolemment les poils fins et noirs, « c’est tout ce que tu veux » Ne cherchant pas même à réfléchir, ne voulant plus partir, voulant rester dans la réalité qu’il cramponne du bout de ses doigts qui caressent son chien.
Lorsque nous nous éloignons de la fenêtre, en fixant celle-ci depuis l’intérieur de la pièce, nous sommes comme dans un bateau. Le paysage bouge à la fenêtre qui fait office de hublot.
A l’a ressenti de manière si intense: plus profond que les hallucinations que l’on peut avoir en regardant les arbres, il sentait du bout des doigts des « connexions » s’établir avec ses amis. L’un était mal au point, lui sentait son mal être en lui, le parcourir. Aussi, sortant des affres de leur esprit, il se réveille exactement en même temps qu’un de ses amis ici présent (M ou G). Il a vécu une expérience d’empathie exacerbée, que j’essaie de relater au mieux sans l’avoir vécu.
Voyage poétique en compagnie de Saint-John Perse. Tous Pychonautes!
M et G sont en haut et veulent essayer de dormir (malgré les tumultes de la drogue et la profondeur des lieux qu’ils y découvrent). M, qui devait conduire ses parents à l’aéroport Charles De Gaulle a du abandonner et s’avouer vaincu devant la puissance de notre poudre d’enchantement. Associée à la poudre dissociative qu’est la MXE (en petite dose, et sans vrais effets pour moi). Je réussis à convaincre A de ne pas faire comme eux, et de me rejoindre en bas, avec mes histoires, la télé, et la poésie.
Lui n’est pas un grand habitué de la poésie. Mais nous découvrons tous deux le transport incroyable que provoque en nous Saint-John Perse. Je lis Eloges à haute voix, comme j’ai l’habitude de déclamer de la poésie. Mais ce ne sont pas des poèmes épars que je lis, mais toute une œuvre qui semble être une seule et même phrase ininterrompue, qui nous amène doucement dans des mondes de délices et d’images ensoleillées. Toute l’œuvre semble ainsi parcourue du même souffle poétique, celui du poète qui nous mène dans sa barque, à travers ses mondes, dans un flot continu d‘enchantement.
Je demande à A s’il sait ce que veut dire « Argonautes ». Des aventuriers sur le navire Argos. On retrouve la racine dans « nautique ». « Comprends-tu maintenant ce que psychonaut veut dire? Nous sommes des explorateurs de la psyché humaine ». « Waow » dit-il. Par mes histoires, mes discours, mes cheminements de pensées, je l’emmène, l’emporte avec moi dans ces découvertes et cet infini du dedans. Je suis le shaman. Je suis un magicien. Je suis l’aède qui détient le récit des mythes fondateurs. Prométhée, cet indomptable contributeur de la curiosité humaine et de l’élévation de la conscience.
Aimez-vous assez la vie pour considérer comme une bénédiction le fait qu’elle puisse se répéter à l’infini, sans espoir de Paradis supraterrestre?
J’initie A à la philosophie de l’Eternel Retour de Nietzsche. Imagine un seul instant qu’un ange ou un démon surgisse et te révèle cette vérité profonde, à savoir que « Cette vie, telle que tu la vis à présent, telle que tu l’as vécue, il te faudra la vivre et la revivre encore une fois, et d’innombrables fois, et rien n’y sera changé! »
La question est: comment réagirais-tu face à une telle révélation? « Maudirais-tu le démons qui te parle ainsi ? » Ou aimes-tu suffisamment la vie pour considérer cela comme une bénédiction?…
Derniers éclats
Il fait jour à présent. Il fait même un soleil de plomb. On est en pleine après midi, et on n’a pas dormi, A et moi. Nous voyons la lune. Comme toujours, cela me donne une histoire à raconter. D’abord à A seul. Plus tard aux deux autres qui dorment (ou du moins essayent). Je lui parle des surréalistes, de leur volonté de créer une « surréalité » en croisant deux aspects distincts de la réalité qui n’ont rien à voir ensemble. C’est ainsi qu’André Breton a donné vie à cette image surréaliste: le « lever de Terre », à partir de la notion « lever du soleil ». Après tout, ce n’est qu’un génial changement de perspective: en se positionnant sur la lune, on devrait pouvoir observer un lever de Terre, tout comme on observe un lever du soleil depuis la Terre. Je lui demande s’il me suit. Je peux continuer. Breton était loin de s’imaginer qu’un jour, les premiers astronautes à poser le pied sur la Lune, verraient, surgissant des paysages désolés de cet astre sans vie, la Terre se lever, bleue, fragile, et féconde, et qu’ils en pleureraient d’émerveillement!
On essaya ensuite de s’imaginer ce que ce serait, d’aller dans l’espace. Tout et possible lorsque l’imagination déborde sur le monde, avec ou sans les enchantements de la drogue!
J’eu une dernière vraie hallucination, seul dehors, lorsque j’entendis, surgissant des enceintes une voix me demandant: « il te reste de la kétamine? ». Je sursautai et lui répondis. Mais La voix se mis à chanter alors dans une langue africaine que je ne connaissais pas. Cela faisait plus de 16 heures qu’on avait pris nos capsules, et le trip dura environ 20 heures.
Conclusion
J’ai ainsi vécu le trip le plus intéressant de tous pour l’instant. Tout s’est bien passé pour tous même si M et G étaient un peu choqués par la puissance du truc. Moi j’aurais bien voulu avoir des hallucinations plus puissantes encore, mais c’était déjà pas mal! J’ai aussi beaucoup parlé à A de ma vie, et l’introspection ne m’a pas ôté l’idée que je suis plus que jamais en paix avec moi-même et que je me connais mieux que jamais, après mes épreuves, et mes prises de conscience successives sur mon passé.
Le trip a été très intéressant, mais je regrette d’avoir perdu toutes les histoires que je racontais, et tous les cheminements complexes de pensée auxquels je parvenais, avec lesquels j’emmenais mes acolytes dans les abimes de raisonnements très variés et très intéressants.
Le trip m’a aussi rendu très prolifique, comme vous le voyez (quel long TR! J’espère que j’aurais des lecteurs! ^^) et je me suis remis à écrire dans les jours qui ont suivis les pages parmi les plus belles que j’ai écrites. Ceci dû à la lecture de Saint-John Perse, mais également, bien sûr, à la prise de drogue. Une drogue tellement intéressante que je voudrais la re-tester dans les mêmes conditions, un carnet et une plume à la main.