Procyon
Glandeuse Pinéale
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Un TR assez bordélique, ça faisait plusieurs mois que je n'avais pas pris de NBOMe, et je ne me rappelais pas suffisamment des effets pour les anticiper (enfin, ça, je m'en suis rendu compte après...). Le timing sera certainement un peu hasardeux, je renoncerai peut-être même à timer précisément par endroits, car pour une fois et dans cette expérience, je me rends compte que les évènements priment sur le minutage. Pas une mauvaise expérience cependant, mais je me permets quand même de rappeler quelques informations essentielles :
- Ce TR ne doit pas être pris comme une sécurité, ne vous dites pas "Bon, ils ont fait ça et tout s'est bien passé, ça veut dire que je peux le faire aussi !" parce que ce serait une grosse erreur. Il s'agit d'un compte-rendu d'une expérience unique, pas d'un rapport général des effets du 25C-NBOMe.
- Le 25C-NBOMe est une substance dangereuse, qui a déjà fait plusieurs morts par overdose, même à des doses récréatives (de l'ordre de celles de ce TR) et même chez des personnes en ayant déjà consommé plusieurs fois, alors qu'il n'existe sur le marché que depuis quelques années... Avec cette substance, plus qu'avec de nombreux autres psychédéliques, l'excès et même la simple consommation peuvent être MORTELS.
- Je rappelle enfin qu'aucune étude fiable à propos des effets à long terme entraînés par la consommation de 25C-NBOMe n'existe à ce jour. Stay safe.
Contexte
J'étais avec un bon pote, Sylvain (qui est déjà apparu dans l'un de mes TR), et nous allions ensemble au concert de Kreator (au Transbordeur de Lyon). Concert et trip prévus de longue date, il faut savoir que j'étais dans une période assez particulière au moment de ce trip : c'était mon premier jour de non-sobriété depuis deux bonnes semaines. Jusqu'au jour de ce concert, pas de prods (évidemment), pas de weed, pas d'alcool, et une consommation de tabac réduite au minimum syndical ; un jeûne psychoactif en bonne et due forme, dont la conclusion fut cette mémorable soirée.
- Sylvain mesure environ 1m75 et pèse 55kg ; il a pris un buvard de 25i-NBOMe dosé à 1000µg, suivi plus tard d'un redrop de 300µg.
- Personnellement, je fais sensiblement la même taille que lui pour 50kg ; j'ai pris un buvard de 25C-NBOMe dosé à 600µg, et ai également redroppé 300µg.
Les prénoms ont bien évidemment été modifiés.
L'aller - Introduction
T-1h15 : Il est 18h et des poussières, le concert commence à 19 heures, et nous sommes encore posés dans ma chambre, Sylvain, ma copine et moi. Depuis une ou deux heures, nous n'avons pas bougé de là, traînant sur Internet, discutant, rigolant, fumant un ou deux joints - mes premiers depuis plus de deux semaines, qui m'avaient donc déjà mis high de manière non négligeable. Nous commençons à rassembler nos affaires, je me lève... J'ai la tête qui tourne pendant quelques secondes, puis tout revient à la normale, nous vérifions les horaires de bus et nous rendons à l'arrêt.
T-1h : Je suis dans le bus, en tête à tête avec Sylvain - ma copine n'allant pas au concert, elle nous a abandonnés après quelques arrêts. Rien de particulier à noter ; je suis un peu crevé, et ce que j'ai fumé n'arrange rien, et même si la fatigue est passée bien vite elle a sans doute eu une influence sur une partie de mon trip.
T-40mn : Nous devons prendre une correspondance, mais le bus doit arriver dans une dizaine de minutes. Nous allons être en retard, mais bon... après tout, le premier groupe n'est pas terrible, et ça nous laisse le temps de partager un nouveau joint. Il fait froid, très froid, et malgré les nombreuses couches qui me couvrent je ne suis pas loin de grelotter.
T-20mn : Enfin dans la queue pour entrer au concert ! Malgré l'heure tardive (le premier groupe devrait avoir déjà commencé...), il y a un paquet de monde devant la salle, et nous mettons une dizaine de minutes à rentrer. Nous retrouverons quelques potes à l'intérieur, parmi lesquels Thierry et Ivan, qui resteront avec nous une partie de la soirée et réapparaîtront plusieurs fois dans la suite du TR.
La montée - Impossible Brutality
T-10mn : Nous achetons une bouteille d'eau et récupérons des bouchons d'oreille que nous mettons immédiatement, puis allons nous placer dans la salle. Il faut savoir que le Transbordeur comprend une fosse et des gradins (sans sièges), nous allons nous placer dans la partie gradins pour éviter de nous retrouver dans les pogos énervés qui risquent de très vite démarrer.
T+0mn : Je sors les deux buvards et en donne un à Sylvain. Le goût est vraiment désagréable, je place le buvard contre ma gencive pour ne plus y penser et me concentre sur une seule idée : ne pas avaler ma salive. Le contexte aide beaucoup, et il ne m'est finalement pas trop difficile de faire abstraction de la saveur métallique et agressive du 25C. Le premier groupe n'est vraiment pas terrible, mais ils ne jouent qu'une petite demi-heure...
T+10mn : Je suis toujours en train de grelotter, alors que j'ai toujours mon pull et que la salle commence à bien se remplir. Je me sens déjà partir alors que j'ai droppé il y a une dizaine de minutes, je ne comprends pas pourquoi tout va si vite. Je sens mon champ de vision s'élargir, je respire profondément, intensément, et je sens chaque molécule d'air que j'inhale parcourir comme une trombe le chemin qui mène à mes poumons. Une bouffée d'euphorie me submerge, je fais un grand sourire à Sylvain, qui me fait :
- Déjà ?
Je lui réponds par un sourire encore plus marqué.
T+15mn : Malgré l'euphorie que je ressens et les visuels qui commencent à se manifester, je me sens faiblir, mes jambes deviennent fragiles et peinent à me porter. Je me sens trembler, le froid revient à la charge, ma fatigue également, je lutte pour ne pas m'asseoir et continue à secouer la tête comme si de rien n'était. Le groupe n'est pas meilleur qu'au début de son set, mais me concentrer sur la musique m'aide à résister aux sensations négatives qui me prennent d'assaut.
T+30mn : Le premier concert prend fin ; pendant l'entracte, nous décidons d'aller nous poser dehors au fond du coin fumeur. Je trouve qu'il y fait froid, encore plus qu'à l'intérieur, mais on peut s'asseoir et discuter tranquillement. Enfin, tranquillement...
Je crois que Sylvain et moi avons tout de suite été cramés par Thierry, Ivan et toute la clique, bien avant que nous les ayons informé de notre situation neuronale. Le temps passé à regarder nos mains, à plonger nos yeux dans le vague ou à nous perdre dans nos paroles a dû largement compter dans l'équation.
Je commence à me sentir distant, presque irréel, je regarde mes mains former des traînées de lumière dans les airs et mon cerveau extraire de petits bouts de la réalité pour les garder dans ma mémoire. J'ai l'impression de comprendre le processus de mémorisation... mais ce n'est qu'une impression, car je ne suis absolument plus conscient de ce qui m'entoure. Je vois Sylvain se lever, discuter avec des gens que je ne connais pas et qui ne m'ont pas l'air sympathique, je suis incapable de comprendre ce qu'ils lui racontent et je tremble de plus belle, je vacille même, ai-je perdu le contact avec la réalité ? Serais-je en train de...
J'ai quelques souvenirs de la suite des évènements. Nous sommes restés au coin fumeur pendant presque tout le deuxième concert, fumant encore un peu et discutant beaucoup. Je n'ai qu'à peine parlé, me contenant de suivre à distance des évènements auxquels je ne comprenais plus grand chose, me plongeant chaque seconde un peu plus dans une montée exponentielle. Je me rappelle avoir dépanné des filtres à plusieurs personnes, avoir failli égarer mon paquet de tabac. Je me rappelle m'être levé, je me rappelle m'être rassis, je me rappelle m'être encore levé. Je me rappelle avoir eu peur, peur des gens, peur de moi-même, peur de la nuit, peur de la pluie. Je me rappelle qu'Ivan m'observait avec la tête de celui qui sait, qui sait mais qui se tait. Je me rappelle m'être rendu compte que j'allais tout oublier.
Je réalise en écrivant ce TR que notre séjour dehors n'a duré qu'une trentaine de minutes, alors que dans mon souvenir nous y étions restés des heures, dans un froid polaire qui m'engourdissait plus qu'il n'eût dû le faire.
Le plateau, première partie - Lost
T+50mn : Je reprends conscience et mémoire au milieu d'un maëlstrom de sensations contradictoires. J'ai froid, j'ai chaud, j'ai soif et envie de vomir, faim et mes veines me font souffrir, mais je suis à la fois absolument comblé par les sensations qui m'assaillent. Je ne demande qu'un peu plus d'énergie, allez, corps, n'es-tu pas capable de maintenir ces jambes droites plutôt que de les faire trembler ?
Je comprends pourquoi ma conscience fonctionne à nouveau, elle a subi un stimulus particulièrement puissant : Sylvain est en train de partir du coin fumeur, sans faire attention à moi - du moins en ai-je l'impression. Attends, il se retourne vers moi ? Il me fait un signe ? Faut-il que je le suive ? Je réfléchis pendant des secondes qui me paraissent être des heures avant de lui emboîter le pas, et je reprends conscience de la foule qui m'entoure et de nos potes qui marchent dans la même direction que nous. Comment ai-je pu croire que j'allais me faire abandonner ici comme un malpropre ? Je l'ignore, mais au moins cela a réveillé ma conscience. Ou n'était-ce qu'une fausse alerte ?
Je me rappelle d'un passage aux toilettes. Mais quand cela s'est-il produit ? Je crois que c'était à ce moment-là, mais comment les autres évènements se sont-ils enchaînés autour de celui-ci ?
T+1h00 (?) : J'ai eu une petite absence de conscience, l'espace de quelques instants. J'ai avancé de manière si automatique que mon cerveau n'a pas pris la peine d'enregistrer les évènements qui m'entouraient, je me retrouve encore une fois parachuté dans un endroit inconnu... mais ça ne fait que quelques secondes que j'avais cessé de suivre, j'en suis certain ! Je vois un couloir, un grand couloir, nous sommes en train d'avancer dedans... est-ce la porte de l'enfer ? Attends, ce couloir mène vers une salle, je connais cette salle, à quel endroit sommes-nous ? Il y a un concert ? Qu'est-ce que je fabrique ici ? Qui sont les personnes qui m'entourent ? Je reconnais Thierry et Sylvain, mais à part ça... Et puis comment sais-je qu'ils s'appellent Thierry et Sylvain ? Et plus important, qui suis-je ? Quelle est la personne qui, à ce point précis de l'espace et du temps, est en train de se poser ces questions qui la font tant réfléchir ?
Je me rends compte que cette absence de conscience m'a totalement vidé la mémoire, j'ai l'impression d'être un esprit nouveau-né se matérialisant dans le corps d'un être humain pour la première fois de son existence. Je suis un nouvel esprit, alors je cherche dans la mémoire de ce corps s'il subsiste des traces de son histoire, de son passé... Mais je n'ai pas le temps de m'y attarder, car je vois Sylvain avancer au milieu de la foule, je risque de le perdre, et sans savoir pourquoi je suis absolument certain que je ne dois pas le perdre. Assailli par une tonne de questions résultant toutes de ma totale incompréhension, je m'observe marcher comme un pantin sur les traces de Sylvain, m'accrochant aux barrières pour ne pas laisser la gravité l'emporter.
Nous nous installons au même endroit que tout à l'heure, je pose mon sac et m'asseois au sol, incapable de lutter à la fois contre mon cerveau et contre mon corps, qui s'y prennent de concert pour me jeter à terre. Est-ce la fin du concert de Hell ? Le début de celui d'Arch Enemy ?
Je sors machinalement mon portable de ma poche, tiens c'est vrai ça, j'ai un téléphone portable, et mon corps se rappelle de mon schéma de déverrouillage ! Je consulte mes SMS, j'ai ceux de deux potes que je devais retrouver au concert, mais je ne suis absolument pas en état... je n'essaie même pas de leur répondre. Mais au fait, comment puis-je me rappeler de l'existence de ces deux potes alors que mon esprit est nouveau-né, réincarné, remis à zéro, effacé ? Mes souvenirs remontent peu à peu à la surface, je crois bien que Sylvain est assis à côté de moi, mais je me rappelle de ce que j'ai vécu avec lui, de la suite d'évènements logiques qui ont fait que je peux à présent le considérer comme un ami, puis je tourne mon regard vers la foule - du moins le peu que j'en aperçois. Je me rends compte qu'il n'y a pas de musique. J'ai envie de musique. Quand la musique commencera-t-elle ? J'ai besoin de musique.
T+1h15 : Le set d'Arch Enemy commence, et je vous conseille de regarder cette vidéo (ou au moins une partie) pour vous imprégner de l'ambiance de ce concert, et essayer de voir mon récit de celui-ci non pas seulement comme une anecdote de trip, mais comme un récit ancré dans cette réalité particulière.
Dès les premières notes, la musique du groupe - qui, en temps normal, ne me transcende pas plus que ça - me prend aux tripes. Je tente de me relever, reste debout quelques instants, mais me rasseois très rapidement. Je me rappelle l'inquiétude de Sylvain, qui n'a pas dû comprendre comment je pouvais rester assis à un concert aussi magnifique, et je me rappelle de ma semi-parano. Je me rappelle avoir dit "j'ai pas envie de vous emmerder, surtout, je comprendrais que...". Je ne me rappelle pas de la fin de cette phrase. Je me rappelle qu'auparavant, pendant ma "perte de conscience", j'étais surtout dans un bad interne refoulé et assez marqué. Auto-flagellation d'avoir pris ce buvard, peur panique devant la montée brutale peut-être ? Je ne le saurai jamais, mais c'est seulement à cet instant que je réalise, en m'entendant parler, que je suis l'incarnation du cliché du bad. Je me force à retrouver le sourire, j'écoute la musique et je m'envole au-dessus de la salle de concert, je sens une chaleur intense m'envahir... Je me conceptualise comme un phénix, renaissant de ses cendres après s'être complètement consumé, et le bad laisse aussitôt sa place à une euphorie incontrôlable.
Mais l'euphorie ne se manifeste pas comme tout à l'heure. Je ne ressens pas le besoin de me lever, de sauter, de secouer la tête, pour vivre la musique. Je vibre à son rythme et respire ses mélodies, je suis totalement en transe, incapable de détacher mon attention de la musique à un point tel qu'il m'est difficile de bouger la jambe, ou de me rendre compte que je suis en train de voir le monde qui m'entoure et que j'ai les yeux ouverts. Les CEV sont magnifiques, mais sont-ce des CEV ou des OEV qui m'emportent dans cette étrange univers de flammes et de rochers en fusion ? Je ne le saurai sans doute jamais.
Les mêmes questions que tout à l'heure m'assaillent à nouveau, mais je décide de simplement les écarter. Je suis trippé, après tout. Je me rappellerai de tout ça demain matin, pour l'instant j'ai juste besoin de profiter. Tout en restant assis, je n'aurais de toute façon pas la force d'être debout.
Nous sommes toujours au beau milieu du concert d'Arch Enemy quand Sylvain se penche vers moi et me demande si je vais bien. Ma réponse est incroyablement confuse, je ne comprends pas réellement pourquoi je suis assis, je suis juste capable de dire que j'ai rarement été aussi bien et que je suis en transe devant cette musique. Pas trop mal : en tout cas, Sylvain, faute de réaliser ce qui se passait dans ma boîte crânienne, a compris que tout allait bien. Il me fait quand même promettre de me lever pour le dernier concert de la soirée.
Je perçois étrangement la musique, ce soir. Je serais incapable d'attribuer un style à ce que j'écoute, je ne sais qu'il s'agit d'Arch Enemy que parce que l'information avait eu le temps de rentrer avant le concert. Je ne perçois plus de musique, plus de notes, plus d'accords : je ne perçois que de l'énergie, de l'énergie pure qui va jusqu'à se matérialiser dans mon champ de vision. J'entends la musique comme le flux incessant des vagues sur une plage ; d'abord elle est à un niveau modéré, puis une vague de musique se superpose à la première et renforce son intensité, avant que cette vague de musique ne reflue vers le large. L'énergie avance, s'écrase contre la plage de ma conscience, repart, je la compare vraiment à des vagues sur un rivage car c'est l'impression que l'entendre me donne. Enfin, l'entendre... c'est à la fois bien plus et bien moins que ça.
T+2h15 : C'est la fin du set d'Arch Enemy. Je n'ai plus que partiellement conscience de mon environnement, le temps passé à m'imprégner de la musique et de son énergie a dû jouer dans mon éloignement du réel. Mes souvenirs de la demi-heure qui s'est écoulée de la fin de ce concert au début de celui de Kreator sont limités, pour ne pas dire inexistants. À l'exception des dernières minutes...
Le plateau, deuxième partie - Violent Revolution
Il va falloir que je vous fasse un petit topo sur ma manière de penser avant de raconter le concert de Kreator, afin que vous ne soyez pas trop perdus.
La plupart des gens ont une petite voix dans leur tête, quand ils lisent ou qu'ils réfléchissent ; c'est en me rendant compte - il y a quelques mois - que je n'en avais jamais eu, que j'ai compris qu'un truc clochait. Je suis incapable d'imaginer le moindre son dans ma tête. Mais ça ne concerne d'ailleurs pas que les sons ; il m'est également impossible de visualiser une image, ou même le visage d'un être cher, ce qui peut parfois être un peu gênant... comme quand on oublie la couleur des yeux ou des cheveux de membres de sa famille juste parce qu'on ne les regarde plus depuis dix secondes. Enfin, pour moi, jusqu'il y a peu, c'était quelque chose de parfaitement normal, donc je ne me posais pas de questions à ce sujet...
Mon mode d'imagination ne repose pas sur l'un ou l'autre des cinq sens que l'on connaît. Je ne vois pas ce que j'imagine, pas plus que je ne l'entends, pas plus que je n'utilise ou simule le moindre de mes sens pour les besoins de ma réflexion. Ma pensée est arborescente et se base sur des "concepts", je "ressens" l'existence de petits "grains" de pensée contenant chacun une idée, et ces grains se relient les uns aux autres par le biais de connexions imaginaires. Je sais que l'exemple n'est pas très bien choisi et qu'utiliser de la fantasy pour expliquer le réel va vous donner l'impression que je me moque de vous, mais c'est encore la meilleure explication que j'aie jamais trouvé pour faire comprendre le fonctionnement de ma pensée : y'a-t-il des gens ici qui sont assez jeunes pour avoir lu la série Ewilan de Pierre Bottero quand ils étaient gosses ?
Parce que je perçois ma pensée de la même manière que l'héroïne de ce bouquin perçoit l'Imagination. Une dimension parallèle, immatérielle, impossible à expliquer avec les sens du quotidien, remplie de concepts, d'idées potentielles, et dotée d'une caractéristique très importante : plus la pensée avance, plus le nombre d'idées disponibles croît. D'où la pensée "arborescente". Je peux me conditionner pour produire quelque chose de linéaire (comme l'explication que je suis en train de vous écrire, en fait) mais il est pour moi infiniment plus agréable et simple de prendre un papier et de noter en vrac des idées, toutes reliées les unes aux autres. J'ai souvent un paquet de trucs dans la tête en même temps, ce qui peut rendre ma pensée un peu bordélique, mais ça ne me dérange pas outre mesure. Au moins, je suis pas perturbé par autre chose que des pensées : quand je ferme les yeux, il fait noir. Quand la pièce où je me trouve est silencieuse, je n'entends rien. À moins que je sois sous psychédéliques, mais c'est encore une autre histoire...
Voilà pour la petite explication sur mon mode de pensée.
T+2h40 : Des visuels commencent à se superposer à la réalité. Enfin, sont-ils vraiment des visuels, se superposent-ils vraiment à la réalité ? Pas vraiment. Ce ne sont en fait que des concepts, les "grains" de pensée dont je parlais tout à l'heure, qui tentent de se matérialiser dans le monde réel. Mais ils ne sont pas dans la même dimension que la réalité ; je perçois donc en parallèle l'existence de la réalité avec sa foule et sa scène vide, et celle de ces concepts. Je vois des fractions s'étendre à l'infini, s'inversant en permanence et s'imbriquant les unes dans les autres, des équations tentent de se matérialiser dans ma perception de la réalité.
À certains moments je les vois comme si elles étaient réelles, à d'autres je les perçois juste comme je perçois habituellement mes pensées, leur statut dans mon cerveau oscille mais elles restent dans une dimension parallèle, incapables de se mélanger avec la réalité visible. Mais pourquoi mon cerveau me balance-t-il des équations incompréhensibles à la tronche ? Surtout que je n'arrive pas à les comprendre, tout va trop vite et se mélange beaucoup trop pour que je puisse espérer en tirer quoi que ce soit. Je décide donc de réfléchir à l'origine de ces équations et de leur présence dans ma tête. Non mais!
T+2h45 : Ca y est, les lumières s'éteignent et les haut-parleurs commencent à frémir. Je suis encore assis ; Sylvain se penche vers moi et m'aide à me relever. Et là... je suis émerveillé, presque choqué, j'ai l'impression de découvrir la salle de concert pour la première fois. En même temps, j'étais resté assis si longtemps... Une courte vidéo est projetée, je ne reconnais pas Kreator, est-ce vraiment à ce concert que nous sommes venus avec Sylvain ? Tout ceci me semble incroyablement perché et je me demande si je ne suis pas simplement en train de rêver. Mais en quelques secondes je me convaincs de la réalité.
T+2h50 : Une nouvelle vague d'euphorie m'emporte, ma conscience prend le large tandis que mon corps reste immobile, observant les musiciens rentrer un à un sur scène, je tente de ne pas me concentrer sur les équations mais c'est peine perdue. Je ferme les yeux.
Où suis-je ? Je flotte dans un tourbillon de pensées, bercé par Violent Revolution (la première chanson jouée par le groupe, voir la vidéo ci-dessus pour s'imprégner de l'ambiance), je ne vois rien de ce qui m'entoure, peut-être ai-je encore les yeux fermés ? De petites images apparaissent peu à peu sur le noir qui constituait l'ensemble de ma vision, je vois des visages, des symboles, enfermés dans de petites boîtes carrées. On dirait des icônes Windows, à peu de choses près, mais elles me sont personnelles, je connais ces images, d'où viennent-elles ? Que sont-elles ? Je n'arrive même pas à me concentrer dessus, elles s'imposent à moi quelques instants avant de disparaître dans le néant, pourtant je les conceptualise, sans même pouvoir les regarder.
Je reprends conscience de tout ce qui m'entoure, les "icônes" restent dans un coin de ma conscience mais elles ne m'empêchent plus de suivre les évènements. Le groupe n'a pas attendu que je me réveille pour mettre le feu à la salle, et au vu de l'intensité de la bagarre qui se déroule dans la fosse, je nous bénis de nous être installés dans les gradins. Je tente de me concentrer à nouveau sur la musique, que j'entends à nouveau comme une succession de vagues, le son augmente et diminue en permanence, les instruments se dissocient, tout le côté musical est embrouillé, semble n'avoir ni queue ni tête... mais j'écoute mieux et j'arrive à nouveau à saisir l'énergie de la musique, mille fois plus intense que celle du groupe précédent. Les guitares s'affolent, les solos diaboliques du groupe me font frissonner d'aise, et ce frisson me permet de me rendre compte que je n'ai plus froid.
Ravi par cette découverte, j'enlève mon pull et l'attache autour de ma taille. Je meurs de chaud à présent, la sueur que mon corps ignorait depuis des heures se manifeste brutalement, d'un seul coup. Malgré la chaleur presqu'étouffante, je me sens d'un seul coup rempli d'une énergie incommensurable, je secoue la tête comme un forcené... il me faut un peu de self-control pour ne pas aller me jeter dans la fosse.
T+3h30 : Mes pensées et ma concentration sont séparées en deux parties bien distinctes. Dans la première, la partie basse, je perçois la réalité et écoute la musique, profite des vagues sonores sans m'interroger sur leur nature, et profite simplement de l'instant. Dans la seconde, la partie haute, je ne perçois qu'à grand peine la réalité visible : seule la musique peut se faire entendre dans cette sphère de pensée, et si je m'y intéresse ce n'est que pour tenter d'analyser les instruments et de comprendre de quelle vague fait partie chacun des musiciens. Tout cela semble bien compliqué, mais je me concentre sur ces deux aspects en parallèle, sans être trop déstabilisé. Après tout, j'ai tout mon temps. Je ne fais plus attention à l'heure.
C'est là que les équations reviennent. Elles prennent le pas sur tous mes autres processus mentaux, interrompant ma réflexion, coupant mes pensées. Je me concentre alors sur deux choses très précises, que je souhaite conserver tout au long de mon trip pour pouvoir y réfléchir après coup : Équations, et Déformation de la musique. Les deux choses qui devaient me paraître les plus essentielles à ce moment-là.
Je prends du temps pour réfléchir à cette histoire d'équations. Je me concentre sur leur aspect équitable : toute action sur l'un des côtés de l'équation entraîne une réaction identique du côté opposé. Mais tiens, est-ce que je ne viens pas de paraphraser la troisième loi de Newton ? Le principe des actions réciproques ? Le simple fait d'émettre cette idée me fait comprendre pourquoi ces équations interviennent dans mes pensées depuis tout à l'heure : hier soir, alors que j'étais fatigué et que j'aurais mieux fait de me reposer pour la journée d'aujourd'hui, j'ai passé des heures à parler avec un pote d'astronomie, de métaphysique, de particules... et surtout, surtout, il a passé du temps à m'expliquer son idée de l'équilibre. Je le cite : "que ce soit à un niveau physique comme métaphysique, tout système tend à un équilibre et toute réaction en son sein est due à une perturbation de celui-ci" (pas besoin d'être d'accord en tous points avec lui, c'était juste pour contextualiser que je ressortais cette phrase).
Maintenant que j'ai compris l'origine de ces équations, j'ai l'impression d'avoir enfin réussi à réconcilier ces deux visions, pensée conceptuelle et perception de la réalité, qui s'opposaient depuis le début du trip. Au lieu d'avoir deux perceptions séparées, les équations dans un coin et le réel dans un autre, les concepts se superposent au concert... et je peux percevoir chacun des objets de la salle comme un ensemble de nombres, comme les variables d'un nombre incommensurable d'équations qui remplissent mon champ de vision sans pour autant m'empêcher de voir tout ce qui m'entoure. Le monde est équilibre. Le monde n'est qu'équilibre. Une affirmation qui s'impose à moi même si je ne parviens pas à en saisir tous les détails.
T+4h00 : C'est le moment du rappel de Kreator... qui attaquent avec une reprise d'Iron Maiden. Il ne me faut que quelques fractions de seconde pour reconnaître le morceau, je sors de ma longue phase de réflexion pour me laisser emporter par la musique. Scandant sans rechigner ce morceau au goût d'inattendu (Kreator qui reprend Iron Maiden, c'est quand même une bonne surprise), j'oublie totalement les équations, seules subsistent les icônes qui traînent dans un coin de mes pensées, attendant le bon moment pour entrer dans mon champ de vision.
(Oui, mes pensées étaient pleines de bordel pendant ce trip. Des équations, des vagues, des icônes, tout ça encombrait un peu ma réflexion.)
Le retour - Reconquering The Throne
T+4h15 : Ca y est, c'est la fin du concert. Mes pensées sont moins confuses que tout à l'heure, même si elles sont toujours très encombrées je suis capable d'avoir un minimum conscience de la réalité. Je sais que j'ai la tête d'un trippé et que n'importe qui me regardant dans les yeux peut être au courant de ma situation neuronale en quelques fractions de secondes, mais au moins je suis capable de réfléchir à des choses concrètes, comme la soif qui commence à me ronger la gorge ou les bus que nous devons prendre pour repartir. Première étape : aller acheter de l'eau.
- Bon, attends-moi à la sortie, me fait Sylvain. Je vais juste acheter une bouteille d'eau et je te rejoins dehors.
Je suis un peu effrayé, et mon regard lui fait comprendre.
- Je sais pas si c'est une bonne idée qu'on se sépare, Sylvain. Ca va être impossible de se retrouver après, et puis y'en a pour 30 secondes d'acheter une bouteille...
Il acquiesce. Nous passons rapidement au bar, réussissons à récupérer un bouchon pour notre bouteille, et fonçons vers l'entrée du Transbordeur.
T+4h20 : Nous sommes à l'entrée de la salle, je remets ma veste mais je n'ai toujours pas froid. J'ai simplement conscience du fait que même s'il faisait -20° dehors, je n'aurais pas froid. Nous prévoyions de nous diriger calmement vers la sortie, quand nous retombons par hasard sur Thierry et Ivan, qui ont l'air pressés. "Le bus est en train d'arriver !", nous crient-ils, et comme nous devions prendre le même nous décidons de nous ruer à leur suite.
Mais une fois arrivés à l'arrêt de bus, nous nous rendons compte que le bus n'est pas du tout en approche. Ou plutôt, s'il est indiqué en approche sur l'écran des horaires, la réalité est toute autre, et nous ne le voyons nulle part... Fatigués par cette course, nous posons nos sacs et sortons nos paquets de tabac. Sylvain se roule une clope tout à fait honorable, mais je ne parviens pas à me concentrer et manque de tout faire tomber. Je demande de l'aide à Ivan, qui la termine en vingt secondes devant mes yeux ébahis.
Sylvain envoie un message à un de ses anciens professeurs, qui se trouvait également au concert. Il lui propose de venir discuter cinq minutes, puis part en courant. Toujours un peu déconnecté, je ne comprends pas pourquoi il s'éloigne et le suis au même rythme ; le bus arrive derrière nous, nous rebroussons chemin en pestant et finissons par monter dans le bus. Ma clope est toujours allumée, mais c'est le dernier de mes soucis...
T+4h30 : Thierry me regarde, avec un sourire mi-amusé mi-bourré. Enfin, il regarde plutôt ma clope allumée, sur laquelle je tire de temps à autre :
- Avec toi mec, c'est Violent Revolution jusqu'au bout hein !
Je cherche une réponse, n'en trouve pas, me perds dans mes mots et finis simplement par rire. Sylvain, qui s'inquiète toujours un peu vu le début de soirée chaotique que je lui ai offert, me demande si je vais vraiment savoir nous ramener à la maison. Je le rassure, mais il n'a toujours pas l'air rassuré : bah, de toute façon, il verra bien quand nous serons chez moi !
T+4h40 : Nous arrivons à notre arrêt. Thierry et Ivan descendent ici aussi, ils doivent prendre un des derniers métros, et nous avions pour projet de leur emboîter le pas et de marcher un peu pour finir le trajet. Seulement, le métro doit passer dans deux minutes, et nous descendons à peine du bus. Je crie à Sylvain que nous devons nous dépêcher, nous partons au pas de course en direction du métro... pour nous apercevoir que Thierry et Ivan marchent tranquillement, loin derrière nous, et que nous ferions mieux de les attendre plutôt que de nous ruer comme des ânes. Nous attendons donc un petit moment, nous nous dirigeons vers le métro, mais au moment de traverser la rue j'aperçois un bus qui passe dans l'autre sens.
- Sylvain ! crié-je à l'intéressé. Si on prend ce bus, on peut être devant chez moi dans une demi-heure sans prendre de correspondance !
Il se retourne d'un coup. Nous saluons rapidement Thierry et Ivan, et commençons à courir jusqu'à l'arrêt du bus en question...
T+4h45 : En arrivant à l'arrêt de bus, nous réalisons qu'il est censé passer dans dix minutes. Saletés de terminus... Nous nous asseyons donc contre un mur, l'air d'être dans la déchéance, mais le sourire jusqu'aux oreilles. Nous discutons un peu de notre ressenti du concert, et je me rends compte que j'ai loupé un paquet de ce qui s'est passé sur scène... sans doute à des moments où j'étais perdu dans un monde intérieur, entre réel et concepts, et où la musique n'avait pour but que de bercer mes ressentis.
De mon côté, je tente d'expliquer à Sylvain ce que j'ai vécu au cours de ce concert, mais m'exprimer est assez compliqué et les phrases qui sortent de ma bouche sont tout sauf claires. Je me contente donc du plus simple : j'étais en transe sur Arch Enemy, j'étais en kiff sur Kreator, j'ai loupé une bonne partie de ce qui s'est passé sur scène mais ça ne m'a pas empêché d'adorer. Voilà pour le résumé court de toute la partie du TR que vous venez de lire ; je suis d'accord avec vous, c'est un peu minimaliste, mais sur le moment je ne pouvais pas vraiment faire mieux.
T+5h00 : Nous pouvons enfin monter dans le bus et nous poser sur des sièges. Mais nous sommes loin d'être seuls, et la plupart des gens ne viennent pas du concert ; j'essaie donc de rester calme et de ne pas paraître trop éloigné de la réalité devant les quelques personnes qui nous font face... Le trajet est long, très long, mais nous échangeons à propos du concert et de tout ce qui m'avait échappé. Sur la fin du trajet, nous pouvons nous asseoir à l'arrière du bus et éviter ainsi les regards de la plupart des passagers ; que du bonheur.
J'ai vraiment l'impression d'être en descente, je ne perçois plus grand chose de visuel, les équations ont partiellement disparu, et même si les icônes sont encore présentes dans un coin de ma tête elles prennent de moins en moins de place dans mes pensées.
Le redrop - Second Awakening
T+5h20 : Enfin à la maison ! Nous n'avions pas mangé grand chose avant de partir au concert, et la faim nous tiraille tous les deux. Nous posons rapidement nos affaires dans la salle à manger, et décidons de nous préparer des pâtes pour nous remplir un peu l'estomac. Je sors le paquet de pâtes de son tiroir, une casserole, Sylvain la remplit d'eau et je tente d'allumer le feu...
Aucun son ne se fait entendre, aucune flamme ne sort de la gazinière. Il n'y a plus de gaz... et bien sûr, il fallait que ça nous arrive maintenant, alors que nous mourons de faim et que nous ne sommes absolument pas en état de changer la bombonne. Heureusement, mon frigo est rempli, et nous trouvons rapidement notre bonheur. Je sors du pâté et du pain histoire de me faire quelques tartines ; de son côté, Sylvain, qui est vegan, se trouve du caviar d'aubergine. Satisfaits d'avoir pallié au problème de la cuisson, nous allons nous asseoir à table et commençons à manger... et à discuter.
T+5h30 : L'horloge de la salle à manger affiche minuit 45. Sylvain me félicite de nous avoir ramenés à bon port aussi rapidement et sans encombre, je lui réponds que je me débrouille toujours pour rentrer chez moi sain et sauf. Être assis dans ma salle à manger au calme me permet de me concentrer à nouveau sur les visuels ; la tête de Sylvain se met à couler légèrement, je me rappelle rapidement que c'est quelque chose d'habituel sous phényléthylamines - en ce qui me concerne, en tout cas, mais je crois n'être pas le seul à ressentir ça.
Je ne me rappelle plus de tous les détails de notre conversation, elle fut trop nourrie et longue pour cela, mais nous essayions de nous expliquer mutuellement les effets que nous ressentions et les réflexions dans lesquelles le produit nous avait orientés. Nous passons du coq à l'âne, de mes explications bordéliques sur l'équilibre de l'univers à ses pensées sur le veganisme, l'amour et d'autres sujets qui me sont un peu sortis de la tête depuis lors (désolé si tu me lis, gros :/).
J'essaie d'expliquer, tout en étant encore complètement trippé, mes réflexions incomplètes pleines d'équations et de variables à un artiste bien éloigné de toutes ces considérations mathématiques (Sylvain est en licence de lettres modernes), un ensemble de phrases déjà incompréhensibles à la base que son état ne l'aide pas à assimiler. Cependant, il insiste, il veut me voir parler, alors j'explique en tentant de m'embrouiller le moins possible.
À un moment, nous en venons à parler de nos copines respectives. J'essaie de lui exprimer tout le bonheur que je ressens de mon côté, je crois que j'y arrive mieux que quand j'essayais de parler des lois fondamentales de notre univers. Il me dit que nous sommes beaux, je lui réponds que j'espère que sa relation durera, que la simple idée d'être séparé de cette fille que j'aime plus que tout au monde me file des frissons, et que ça m'a un peu troublé de l'avoir entendu évoquer avec autant de facilité, quelques minutes auparavant, l'idée de ne plus être avec sa copine.
Il me répond très simplement que ce n'est pas parce qu'il l'évoque qu'il le désire. Cette idée me paraît belle, je me trouve stupide d'avoir fait cette remarque. Je lui répète tout mes voeux de bonheur, l'expression paraît simpliste mais l'intention était pure.
Après ces quelques minutes de discussions de coeur, un petit silence s'installe. Vite brisé par Sylvain :
- Putain mec, regarde, elles bougent !
Je tourne la tête derrière moi, cherchant du regard quel objet il peut bien indiquer, quand il reprend la parole.
- Mais non, les fleurs là, sur la table ! Regarde-moi ça !
Alors que je croyais que le trip était en perte de vitesse depuis un certain temps déjà, le simple fait de contempler en silence un bouquet dans un vase le fait repartir de plus belle. Je me perds dans leurs méandres colorés, nous les observons pendant quelques minutes, jusqu'au moment où Sylvain me regarde avec un grand sourire et me dit : "Et si on redroppait ?".
Incapable de refuser et trop heureux de prolonger l'expérience, je sors de ma poche un pochon contenant un autre buvard de 25C. Je le coupe en deux, 300 microgrammes chacun, nous le plaçons dans notre bouche en échangeant un regard complice.
T+6h30 : Nous avons encore nos demi-buvards sous nos langues, mais décidons de nous rapatrier dans la chambre. Prendre toutes les affaires, de quoi manger et de quoi fumer en un seul voyage est assez ardu, cependant nous nous en sortons sans trop de problèmes et nous retrouvons rapidement assis dans ma chambre ; Sylvain sur mon lit, moi sur mon fauteuil, l'ordinateur allumé à côté de nous - il nous servira un peu plus tard.
Tandis que je me replonge dans mes réflexions, Sylvain entreprend de rouler un joint, une opération qui a l'air assez compliquée au vu de son état...
T+6h40 : ...malgré tout, le cône qui résulte de l'opération est magnifique, je ne peux que le remercier de cette intervention quasi-divine. Nous discutons encore un peu, je grignote des tartines de pâté avec un plaisir non dissimulé, et je comprends enfin et subitement l'origine d'une des icônes qui traîne dans un coin de ma tête depuis des heures. La tête de Sylvain, orientée d'une certaine façon et sous un éclairage jaunâtre, réduite à l'état de miniature, dans une petite boîte, quelque part aux confins de ma conscience... la première des icônes que je retrouve, c'était celle-là.
Plus je le regarde, et plus j'hallucine. Son visage est une fractale qui s'étend de l'infiment petit à l'infiniment grand, de petits Sylvain se retrouvent à l'intérieur des grands Sylvain, les courbes de sa face se plient et se tordent pour respecter mon interprétation déformée, je me perds dans sa contemplation jusqu'au moment où il me passe le pétard.
T+6h50 : Sylvain me demande de mettre de la musique. Je me tourne vers l'ordinateur, vais sur Youtube et y mets un morceau qui ne fera pas long feu : Forging Towards the Sunset d'Anaal Nathrakh. Au bout d'une minute, il me demande de mettre quelque chose de plus calme, et malgré mon désir de secouer la tête je ne peux que lui donner raison. Je porte donc mon choix sur un morceau un peu plus adapté à la situation :
La faible qualité de la vidéo fait remonter mes visuels, les petites sautes d'image sont pour mon cerveau autant de prétextes à imaginer de folles scènes.
T+6h55 : Sylvain me demande de trouver une vidéo d'Hendrix à Woodstock, je m'exécute donc et finis par mettre ce morceau :
Nous n'en croyons pas nos yeux. Nous avions sans doute une vision de Woodstock extrêmement idéalisée, mais nous n'imaginions pas que ç'aie pu être aussi sale, "comme un festival normal". Dès l'instant où je réalisai ce fait, je me trouvai stupide de n'y avoir jamais réfléchi avant... mais même les choses les plus stupides ont besoin d'être comprises. En tout cas, voir cette accumulation de boue et de saleté accompagnée par une telle musique me plongea dans un état mental bizarre, qui ne perdura heureusement que quelques minutes après la fin de la chanson. Nous attendîmes quelques instants dans le silence avant d'enchaîner sur un album de Belzebong.
T+7h10 : Sylvain s'allonge sur mon lit. De mon côté, je ne sais pas ce qui me prend, mais je fais un tour sur ma boîte mail et tombe par hasard sur un mail de ma prof d'algorithmique... discipline que j'affectionne d'ordinaire, mais que je suis absolument incapable de comprendre à cet instant précis. J'ouvre le powerpoint joint ; des algorithmes que je trouverais en temps normal d'une simplicité affolante mais qui me sont pour l'instant absolument inaccessibles.
Cette prise de conscience de mon incapacité à réfléchir me pousse à remettre en question les réflexions presqu'acquises que j'ai eues pendant le déroulement du trip ; l'équilibre de l'univers, en particulier. Depuis mon redrop, les équations sont revenues à la charge et sont à nouveau séparées du réel. Je décide de ne pas y faire attention ; je sais d'où elles viennent, je sais quel évènement pré-trip les a fait apparaître à l'intérieur de celui-ci, mais je me force à ne pas y réfléchir maintenant de peine d'atterrir à des conclusions stupides.
Je montre tout de même le powerpoint à Sylvain, qui me dit que je suis fou de faire ça en temps normal. Je lui souris et ferme mon mail.
T+7h25 : Nous enchaînons avec deux morceaux "cultes", que nous écouterons presque sans parler, exprimant parfois notre amour de la musique que nous écoutons ; rien de plus. Sylvain commence par lancer Planet Caravan, j'enchaînerai avec Comfortably Numb.
http://www.youtube.com/watch?v=y7EpSirtf_E
T+7h35 : Sylvain part aux toilettes, et j'ai toujours envie de bouger la tête, de danser, de brûler ce qui reste à mon corps d'énergie. Profitant de son absence momentanée, je lance un morceau de Igorrr, souriant de ma bêtise... et imaginant sa réaction quand il reviendrait.
http://www.youtube.com/watch?v=gWca1X7nFGo
Deux minutes plus tard, il pousse la porte de ma chambre. Il entend la musique, me fait un sourire mi-figue mi-raisin.
- Sérieusement ?
- T'as pas envie maintenant, c'est ça ?
- Attends, laisse un peu.
Nous écouterons le morceau presque entièrement, au final. Un petit moment inattendu dans cette soirée, que je trouvais très calme depuis quelques heures.
T+7h40 : Tout à coup, Sylvain me tapote l'épaule et me fait : "Putain Procyon, ton pâté là... il bouge !". Je décide de vite le terminer, ça a l'air de le mettre assez mal à l'aise. Savourant une de mes dernières tartines, je lance Money for Nothing des Dire Straits.
Il ne nous faut pas longtemps pour nous rendre compte du côté kitsch de ce morceau, et pas dans le bon sens. Le son est creux, tout est trop plat et artificiel, et pourtant j'adore Dire Straits en temps normal. Nous ne finissons pas le morceau.
La fin du trip - Under The Guillotine
T+7h45 : Sylvain me fait : "Ca te dit qu'on roule un joint, qu'on se mette de la psytrance et qu'on se pose dans ton plumard ?". Certainement une des phrases les plus tentantes de toute la soirée, j'arrête mon choix sur un album de Vibrasphere que je lance comme fond sonore.
http://www.youtube.com/watch?v=gNe3JhbCPyY
Du propre aveu de Sylvain, je lui ai fait faire une belle découverte en mettant ce groupe à cet instant.
T+7h50 : Je viens de comprendre la signification d'une seconde icône : il s'agit simplement du filtre visuel d'un de mes yeux ! Je veux immédiatement faire part de cette "découverte" à Sylvain, alors je lui fais :
- Mec, t'as remarqué qu'on voit en permanence notre nez et notre lèvre supérieure ?
Il commence par me regarder avec un air surpris, puis se concentre quelques instants sur ce qu'il voit... et son visage se transforme.
- Putain, mais c'est génial !
Je lui rends son sourire.
T+8h00 : La fatigue commence vraiment à me rattraper. Je me mets à rassembler les couettes et les oreillers histoire de me faire une place sur le matelas. Je m'assoupirai assez rapidement, malgré mon redrop et malgré les CEV qui continuaient à se manifester à un rythme soutenu : quand on est crevé, on est crevé ! De plus, le fait d'être allongé et de n'avoir rien à faire me permet de me concentrer sur les effets secondaires ; mal de ventre, légère nausée, mal de crâne, autant de choses qui rendent moins attractive la possibilité de lutter contre le sommeil. Je resterai un certain temps dans un demi-sommeil, luttant pour ne pas laisser Sylvain seul éveillé.
Je ne me rappelle plus de manière cohérente de la suite des évènements. Je me rappelle que nous avons un peu parlé, que je me suis assoupi plusieurs fois, et que le dernier morceau que nous avons écouté tous les deux était de Burzum. Je me rappelle que les équations étaient toujours présentes, à chacun de mes réveils, tout comme le mal de crâne qui ne faisait en fait qu'empirer.
T+11h30 : Sylvain me réveille. Il m'a laissé me reposer car j'avais l'air épuisé, mais il est tard et il faut qu'il parte de chez moi... Je l'accompagne jusqu'à la porte, lui proposant de prendre un petit quelque chose à grignoter ; il décline. Je remonte dans ma chambre, surnage quelques instants en profitant des dernières petites déformations de mon champ de vision, et finis par m'endormir du sommeil du juste.
T+17h30 : Il est presque 13h quand j'émerge enfin. Je me rappelle de rêves bizarres, déformés et extrêmement colorés, de passages d'une réalité à l'autre par des sortes de tunnels... Mais à ce moment précis, j'avais déjà presque tout oublié. Je n'ai plus d'effets visuels, la lumière me semble un peu irréelle, peut-être trop intense ? Je me rends compte en m'observant dans le miroir que mes pupilles sont toujours légèrement dilatées, mais en tout cas la musique a retrouvé son naturel. Le mal de tête a disparu, mais les douleurs au ventre persistent. Elles passeront finalement dans le courant de l'après-midi.
Conclusion
Et voilà. Mon plus long TR à ce jour, dépassant de quelques lignes ma première expérience au LSD. Certainement un des trips les plus intenses que j'aie jamais eu à vivre, qui me laisse quand même un goût de tromperie assez prononcé. Il est arrivé que des "révélations" eues sous trip s'avèrent être de fausses alertes, des coups d'épée dans l'eau, mais lorsque j'ai repensé à mes réflexions pendant ce trip... dès le lendemain, je me suis dit que c'était absurde, que j'avais simplement brodé des idées sur du vide.
Et puis j'ai réfléchi un peu plus. Je me suis dit que le simple fait d'avoir pris conscience de la facilité pour une substance de tromper le cerveau, les sens, la mémoire, l'identité... valaient bien plus que de pseudo-révélations sur la marche de l'univers, même si les deux sujets me passionnent de manière équivalente. Cette expérience ne m'a en tout cas pas été inutile, et j'espère que j'ai su vous communiquer ses aspects tant positifs que négatifs.
J'espère également que vous avez autant apprécié de le lire que moi de l'écrire... et pour finir, je félicite ceux qui auront lu le texte d'un bout à l'autre, parce que ça commence à faire un petit pavé !
- Ce TR ne doit pas être pris comme une sécurité, ne vous dites pas "Bon, ils ont fait ça et tout s'est bien passé, ça veut dire que je peux le faire aussi !" parce que ce serait une grosse erreur. Il s'agit d'un compte-rendu d'une expérience unique, pas d'un rapport général des effets du 25C-NBOMe.
- Le 25C-NBOMe est une substance dangereuse, qui a déjà fait plusieurs morts par overdose, même à des doses récréatives (de l'ordre de celles de ce TR) et même chez des personnes en ayant déjà consommé plusieurs fois, alors qu'il n'existe sur le marché que depuis quelques années... Avec cette substance, plus qu'avec de nombreux autres psychédéliques, l'excès et même la simple consommation peuvent être MORTELS.
- Je rappelle enfin qu'aucune étude fiable à propos des effets à long terme entraînés par la consommation de 25C-NBOMe n'existe à ce jour. Stay safe.
Contexte
J'étais avec un bon pote, Sylvain (qui est déjà apparu dans l'un de mes TR), et nous allions ensemble au concert de Kreator (au Transbordeur de Lyon). Concert et trip prévus de longue date, il faut savoir que j'étais dans une période assez particulière au moment de ce trip : c'était mon premier jour de non-sobriété depuis deux bonnes semaines. Jusqu'au jour de ce concert, pas de prods (évidemment), pas de weed, pas d'alcool, et une consommation de tabac réduite au minimum syndical ; un jeûne psychoactif en bonne et due forme, dont la conclusion fut cette mémorable soirée.
- Sylvain mesure environ 1m75 et pèse 55kg ; il a pris un buvard de 25i-NBOMe dosé à 1000µg, suivi plus tard d'un redrop de 300µg.
- Personnellement, je fais sensiblement la même taille que lui pour 50kg ; j'ai pris un buvard de 25C-NBOMe dosé à 600µg, et ai également redroppé 300µg.
Les prénoms ont bien évidemment été modifiés.
L'aller - Introduction
T-1h15 : Il est 18h et des poussières, le concert commence à 19 heures, et nous sommes encore posés dans ma chambre, Sylvain, ma copine et moi. Depuis une ou deux heures, nous n'avons pas bougé de là, traînant sur Internet, discutant, rigolant, fumant un ou deux joints - mes premiers depuis plus de deux semaines, qui m'avaient donc déjà mis high de manière non négligeable. Nous commençons à rassembler nos affaires, je me lève... J'ai la tête qui tourne pendant quelques secondes, puis tout revient à la normale, nous vérifions les horaires de bus et nous rendons à l'arrêt.
T-1h : Je suis dans le bus, en tête à tête avec Sylvain - ma copine n'allant pas au concert, elle nous a abandonnés après quelques arrêts. Rien de particulier à noter ; je suis un peu crevé, et ce que j'ai fumé n'arrange rien, et même si la fatigue est passée bien vite elle a sans doute eu une influence sur une partie de mon trip.
T-40mn : Nous devons prendre une correspondance, mais le bus doit arriver dans une dizaine de minutes. Nous allons être en retard, mais bon... après tout, le premier groupe n'est pas terrible, et ça nous laisse le temps de partager un nouveau joint. Il fait froid, très froid, et malgré les nombreuses couches qui me couvrent je ne suis pas loin de grelotter.
T-20mn : Enfin dans la queue pour entrer au concert ! Malgré l'heure tardive (le premier groupe devrait avoir déjà commencé...), il y a un paquet de monde devant la salle, et nous mettons une dizaine de minutes à rentrer. Nous retrouverons quelques potes à l'intérieur, parmi lesquels Thierry et Ivan, qui resteront avec nous une partie de la soirée et réapparaîtront plusieurs fois dans la suite du TR.
La montée - Impossible Brutality
T-10mn : Nous achetons une bouteille d'eau et récupérons des bouchons d'oreille que nous mettons immédiatement, puis allons nous placer dans la salle. Il faut savoir que le Transbordeur comprend une fosse et des gradins (sans sièges), nous allons nous placer dans la partie gradins pour éviter de nous retrouver dans les pogos énervés qui risquent de très vite démarrer.
T+0mn : Je sors les deux buvards et en donne un à Sylvain. Le goût est vraiment désagréable, je place le buvard contre ma gencive pour ne plus y penser et me concentre sur une seule idée : ne pas avaler ma salive. Le contexte aide beaucoup, et il ne m'est finalement pas trop difficile de faire abstraction de la saveur métallique et agressive du 25C. Le premier groupe n'est vraiment pas terrible, mais ils ne jouent qu'une petite demi-heure...
T+10mn : Je suis toujours en train de grelotter, alors que j'ai toujours mon pull et que la salle commence à bien se remplir. Je me sens déjà partir alors que j'ai droppé il y a une dizaine de minutes, je ne comprends pas pourquoi tout va si vite. Je sens mon champ de vision s'élargir, je respire profondément, intensément, et je sens chaque molécule d'air que j'inhale parcourir comme une trombe le chemin qui mène à mes poumons. Une bouffée d'euphorie me submerge, je fais un grand sourire à Sylvain, qui me fait :
- Déjà ?
Je lui réponds par un sourire encore plus marqué.
T+15mn : Malgré l'euphorie que je ressens et les visuels qui commencent à se manifester, je me sens faiblir, mes jambes deviennent fragiles et peinent à me porter. Je me sens trembler, le froid revient à la charge, ma fatigue également, je lutte pour ne pas m'asseoir et continue à secouer la tête comme si de rien n'était. Le groupe n'est pas meilleur qu'au début de son set, mais me concentrer sur la musique m'aide à résister aux sensations négatives qui me prennent d'assaut.
T+30mn : Le premier concert prend fin ; pendant l'entracte, nous décidons d'aller nous poser dehors au fond du coin fumeur. Je trouve qu'il y fait froid, encore plus qu'à l'intérieur, mais on peut s'asseoir et discuter tranquillement. Enfin, tranquillement...
Je crois que Sylvain et moi avons tout de suite été cramés par Thierry, Ivan et toute la clique, bien avant que nous les ayons informé de notre situation neuronale. Le temps passé à regarder nos mains, à plonger nos yeux dans le vague ou à nous perdre dans nos paroles a dû largement compter dans l'équation.
Je commence à me sentir distant, presque irréel, je regarde mes mains former des traînées de lumière dans les airs et mon cerveau extraire de petits bouts de la réalité pour les garder dans ma mémoire. J'ai l'impression de comprendre le processus de mémorisation... mais ce n'est qu'une impression, car je ne suis absolument plus conscient de ce qui m'entoure. Je vois Sylvain se lever, discuter avec des gens que je ne connais pas et qui ne m'ont pas l'air sympathique, je suis incapable de comprendre ce qu'ils lui racontent et je tremble de plus belle, je vacille même, ai-je perdu le contact avec la réalité ? Serais-je en train de...
J'ai quelques souvenirs de la suite des évènements. Nous sommes restés au coin fumeur pendant presque tout le deuxième concert, fumant encore un peu et discutant beaucoup. Je n'ai qu'à peine parlé, me contenant de suivre à distance des évènements auxquels je ne comprenais plus grand chose, me plongeant chaque seconde un peu plus dans une montée exponentielle. Je me rappelle avoir dépanné des filtres à plusieurs personnes, avoir failli égarer mon paquet de tabac. Je me rappelle m'être levé, je me rappelle m'être rassis, je me rappelle m'être encore levé. Je me rappelle avoir eu peur, peur des gens, peur de moi-même, peur de la nuit, peur de la pluie. Je me rappelle qu'Ivan m'observait avec la tête de celui qui sait, qui sait mais qui se tait. Je me rappelle m'être rendu compte que j'allais tout oublier.
Je réalise en écrivant ce TR que notre séjour dehors n'a duré qu'une trentaine de minutes, alors que dans mon souvenir nous y étions restés des heures, dans un froid polaire qui m'engourdissait plus qu'il n'eût dû le faire.
Le plateau, première partie - Lost
T+50mn : Je reprends conscience et mémoire au milieu d'un maëlstrom de sensations contradictoires. J'ai froid, j'ai chaud, j'ai soif et envie de vomir, faim et mes veines me font souffrir, mais je suis à la fois absolument comblé par les sensations qui m'assaillent. Je ne demande qu'un peu plus d'énergie, allez, corps, n'es-tu pas capable de maintenir ces jambes droites plutôt que de les faire trembler ?
Je comprends pourquoi ma conscience fonctionne à nouveau, elle a subi un stimulus particulièrement puissant : Sylvain est en train de partir du coin fumeur, sans faire attention à moi - du moins en ai-je l'impression. Attends, il se retourne vers moi ? Il me fait un signe ? Faut-il que je le suive ? Je réfléchis pendant des secondes qui me paraissent être des heures avant de lui emboîter le pas, et je reprends conscience de la foule qui m'entoure et de nos potes qui marchent dans la même direction que nous. Comment ai-je pu croire que j'allais me faire abandonner ici comme un malpropre ? Je l'ignore, mais au moins cela a réveillé ma conscience. Ou n'était-ce qu'une fausse alerte ?
Je me rappelle d'un passage aux toilettes. Mais quand cela s'est-il produit ? Je crois que c'était à ce moment-là, mais comment les autres évènements se sont-ils enchaînés autour de celui-ci ?
T+1h00 (?) : J'ai eu une petite absence de conscience, l'espace de quelques instants. J'ai avancé de manière si automatique que mon cerveau n'a pas pris la peine d'enregistrer les évènements qui m'entouraient, je me retrouve encore une fois parachuté dans un endroit inconnu... mais ça ne fait que quelques secondes que j'avais cessé de suivre, j'en suis certain ! Je vois un couloir, un grand couloir, nous sommes en train d'avancer dedans... est-ce la porte de l'enfer ? Attends, ce couloir mène vers une salle, je connais cette salle, à quel endroit sommes-nous ? Il y a un concert ? Qu'est-ce que je fabrique ici ? Qui sont les personnes qui m'entourent ? Je reconnais Thierry et Sylvain, mais à part ça... Et puis comment sais-je qu'ils s'appellent Thierry et Sylvain ? Et plus important, qui suis-je ? Quelle est la personne qui, à ce point précis de l'espace et du temps, est en train de se poser ces questions qui la font tant réfléchir ?
Je me rends compte que cette absence de conscience m'a totalement vidé la mémoire, j'ai l'impression d'être un esprit nouveau-né se matérialisant dans le corps d'un être humain pour la première fois de son existence. Je suis un nouvel esprit, alors je cherche dans la mémoire de ce corps s'il subsiste des traces de son histoire, de son passé... Mais je n'ai pas le temps de m'y attarder, car je vois Sylvain avancer au milieu de la foule, je risque de le perdre, et sans savoir pourquoi je suis absolument certain que je ne dois pas le perdre. Assailli par une tonne de questions résultant toutes de ma totale incompréhension, je m'observe marcher comme un pantin sur les traces de Sylvain, m'accrochant aux barrières pour ne pas laisser la gravité l'emporter.
Nous nous installons au même endroit que tout à l'heure, je pose mon sac et m'asseois au sol, incapable de lutter à la fois contre mon cerveau et contre mon corps, qui s'y prennent de concert pour me jeter à terre. Est-ce la fin du concert de Hell ? Le début de celui d'Arch Enemy ?
Je sors machinalement mon portable de ma poche, tiens c'est vrai ça, j'ai un téléphone portable, et mon corps se rappelle de mon schéma de déverrouillage ! Je consulte mes SMS, j'ai ceux de deux potes que je devais retrouver au concert, mais je ne suis absolument pas en état... je n'essaie même pas de leur répondre. Mais au fait, comment puis-je me rappeler de l'existence de ces deux potes alors que mon esprit est nouveau-né, réincarné, remis à zéro, effacé ? Mes souvenirs remontent peu à peu à la surface, je crois bien que Sylvain est assis à côté de moi, mais je me rappelle de ce que j'ai vécu avec lui, de la suite d'évènements logiques qui ont fait que je peux à présent le considérer comme un ami, puis je tourne mon regard vers la foule - du moins le peu que j'en aperçois. Je me rends compte qu'il n'y a pas de musique. J'ai envie de musique. Quand la musique commencera-t-elle ? J'ai besoin de musique.
T+1h15 : Le set d'Arch Enemy commence, et je vous conseille de regarder cette vidéo (ou au moins une partie) pour vous imprégner de l'ambiance de ce concert, et essayer de voir mon récit de celui-ci non pas seulement comme une anecdote de trip, mais comme un récit ancré dans cette réalité particulière.
Mais l'euphorie ne se manifeste pas comme tout à l'heure. Je ne ressens pas le besoin de me lever, de sauter, de secouer la tête, pour vivre la musique. Je vibre à son rythme et respire ses mélodies, je suis totalement en transe, incapable de détacher mon attention de la musique à un point tel qu'il m'est difficile de bouger la jambe, ou de me rendre compte que je suis en train de voir le monde qui m'entoure et que j'ai les yeux ouverts. Les CEV sont magnifiques, mais sont-ce des CEV ou des OEV qui m'emportent dans cette étrange univers de flammes et de rochers en fusion ? Je ne le saurai sans doute jamais.
Les mêmes questions que tout à l'heure m'assaillent à nouveau, mais je décide de simplement les écarter. Je suis trippé, après tout. Je me rappellerai de tout ça demain matin, pour l'instant j'ai juste besoin de profiter. Tout en restant assis, je n'aurais de toute façon pas la force d'être debout.
Nous sommes toujours au beau milieu du concert d'Arch Enemy quand Sylvain se penche vers moi et me demande si je vais bien. Ma réponse est incroyablement confuse, je ne comprends pas réellement pourquoi je suis assis, je suis juste capable de dire que j'ai rarement été aussi bien et que je suis en transe devant cette musique. Pas trop mal : en tout cas, Sylvain, faute de réaliser ce qui se passait dans ma boîte crânienne, a compris que tout allait bien. Il me fait quand même promettre de me lever pour le dernier concert de la soirée.
Je perçois étrangement la musique, ce soir. Je serais incapable d'attribuer un style à ce que j'écoute, je ne sais qu'il s'agit d'Arch Enemy que parce que l'information avait eu le temps de rentrer avant le concert. Je ne perçois plus de musique, plus de notes, plus d'accords : je ne perçois que de l'énergie, de l'énergie pure qui va jusqu'à se matérialiser dans mon champ de vision. J'entends la musique comme le flux incessant des vagues sur une plage ; d'abord elle est à un niveau modéré, puis une vague de musique se superpose à la première et renforce son intensité, avant que cette vague de musique ne reflue vers le large. L'énergie avance, s'écrase contre la plage de ma conscience, repart, je la compare vraiment à des vagues sur un rivage car c'est l'impression que l'entendre me donne. Enfin, l'entendre... c'est à la fois bien plus et bien moins que ça.
T+2h15 : C'est la fin du set d'Arch Enemy. Je n'ai plus que partiellement conscience de mon environnement, le temps passé à m'imprégner de la musique et de son énergie a dû jouer dans mon éloignement du réel. Mes souvenirs de la demi-heure qui s'est écoulée de la fin de ce concert au début de celui de Kreator sont limités, pour ne pas dire inexistants. À l'exception des dernières minutes...
Le plateau, deuxième partie - Violent Revolution
Il va falloir que je vous fasse un petit topo sur ma manière de penser avant de raconter le concert de Kreator, afin que vous ne soyez pas trop perdus.
La plupart des gens ont une petite voix dans leur tête, quand ils lisent ou qu'ils réfléchissent ; c'est en me rendant compte - il y a quelques mois - que je n'en avais jamais eu, que j'ai compris qu'un truc clochait. Je suis incapable d'imaginer le moindre son dans ma tête. Mais ça ne concerne d'ailleurs pas que les sons ; il m'est également impossible de visualiser une image, ou même le visage d'un être cher, ce qui peut parfois être un peu gênant... comme quand on oublie la couleur des yeux ou des cheveux de membres de sa famille juste parce qu'on ne les regarde plus depuis dix secondes. Enfin, pour moi, jusqu'il y a peu, c'était quelque chose de parfaitement normal, donc je ne me posais pas de questions à ce sujet...
Mon mode d'imagination ne repose pas sur l'un ou l'autre des cinq sens que l'on connaît. Je ne vois pas ce que j'imagine, pas plus que je ne l'entends, pas plus que je n'utilise ou simule le moindre de mes sens pour les besoins de ma réflexion. Ma pensée est arborescente et se base sur des "concepts", je "ressens" l'existence de petits "grains" de pensée contenant chacun une idée, et ces grains se relient les uns aux autres par le biais de connexions imaginaires. Je sais que l'exemple n'est pas très bien choisi et qu'utiliser de la fantasy pour expliquer le réel va vous donner l'impression que je me moque de vous, mais c'est encore la meilleure explication que j'aie jamais trouvé pour faire comprendre le fonctionnement de ma pensée : y'a-t-il des gens ici qui sont assez jeunes pour avoir lu la série Ewilan de Pierre Bottero quand ils étaient gosses ?
Parce que je perçois ma pensée de la même manière que l'héroïne de ce bouquin perçoit l'Imagination. Une dimension parallèle, immatérielle, impossible à expliquer avec les sens du quotidien, remplie de concepts, d'idées potentielles, et dotée d'une caractéristique très importante : plus la pensée avance, plus le nombre d'idées disponibles croît. D'où la pensée "arborescente". Je peux me conditionner pour produire quelque chose de linéaire (comme l'explication que je suis en train de vous écrire, en fait) mais il est pour moi infiniment plus agréable et simple de prendre un papier et de noter en vrac des idées, toutes reliées les unes aux autres. J'ai souvent un paquet de trucs dans la tête en même temps, ce qui peut rendre ma pensée un peu bordélique, mais ça ne me dérange pas outre mesure. Au moins, je suis pas perturbé par autre chose que des pensées : quand je ferme les yeux, il fait noir. Quand la pièce où je me trouve est silencieuse, je n'entends rien. À moins que je sois sous psychédéliques, mais c'est encore une autre histoire...
Voilà pour la petite explication sur mon mode de pensée.
T+2h40 : Des visuels commencent à se superposer à la réalité. Enfin, sont-ils vraiment des visuels, se superposent-ils vraiment à la réalité ? Pas vraiment. Ce ne sont en fait que des concepts, les "grains" de pensée dont je parlais tout à l'heure, qui tentent de se matérialiser dans le monde réel. Mais ils ne sont pas dans la même dimension que la réalité ; je perçois donc en parallèle l'existence de la réalité avec sa foule et sa scène vide, et celle de ces concepts. Je vois des fractions s'étendre à l'infini, s'inversant en permanence et s'imbriquant les unes dans les autres, des équations tentent de se matérialiser dans ma perception de la réalité.
À certains moments je les vois comme si elles étaient réelles, à d'autres je les perçois juste comme je perçois habituellement mes pensées, leur statut dans mon cerveau oscille mais elles restent dans une dimension parallèle, incapables de se mélanger avec la réalité visible. Mais pourquoi mon cerveau me balance-t-il des équations incompréhensibles à la tronche ? Surtout que je n'arrive pas à les comprendre, tout va trop vite et se mélange beaucoup trop pour que je puisse espérer en tirer quoi que ce soit. Je décide donc de réfléchir à l'origine de ces équations et de leur présence dans ma tête. Non mais!
T+2h45 : Ca y est, les lumières s'éteignent et les haut-parleurs commencent à frémir. Je suis encore assis ; Sylvain se penche vers moi et m'aide à me relever. Et là... je suis émerveillé, presque choqué, j'ai l'impression de découvrir la salle de concert pour la première fois. En même temps, j'étais resté assis si longtemps... Une courte vidéo est projetée, je ne reconnais pas Kreator, est-ce vraiment à ce concert que nous sommes venus avec Sylvain ? Tout ceci me semble incroyablement perché et je me demande si je ne suis pas simplement en train de rêver. Mais en quelques secondes je me convaincs de la réalité.
T+2h50 : Une nouvelle vague d'euphorie m'emporte, ma conscience prend le large tandis que mon corps reste immobile, observant les musiciens rentrer un à un sur scène, je tente de ne pas me concentrer sur les équations mais c'est peine perdue. Je ferme les yeux.
Où suis-je ? Je flotte dans un tourbillon de pensées, bercé par Violent Revolution (la première chanson jouée par le groupe, voir la vidéo ci-dessus pour s'imprégner de l'ambiance), je ne vois rien de ce qui m'entoure, peut-être ai-je encore les yeux fermés ? De petites images apparaissent peu à peu sur le noir qui constituait l'ensemble de ma vision, je vois des visages, des symboles, enfermés dans de petites boîtes carrées. On dirait des icônes Windows, à peu de choses près, mais elles me sont personnelles, je connais ces images, d'où viennent-elles ? Que sont-elles ? Je n'arrive même pas à me concentrer dessus, elles s'imposent à moi quelques instants avant de disparaître dans le néant, pourtant je les conceptualise, sans même pouvoir les regarder.
Je reprends conscience de tout ce qui m'entoure, les "icônes" restent dans un coin de ma conscience mais elles ne m'empêchent plus de suivre les évènements. Le groupe n'a pas attendu que je me réveille pour mettre le feu à la salle, et au vu de l'intensité de la bagarre qui se déroule dans la fosse, je nous bénis de nous être installés dans les gradins. Je tente de me concentrer à nouveau sur la musique, que j'entends à nouveau comme une succession de vagues, le son augmente et diminue en permanence, les instruments se dissocient, tout le côté musical est embrouillé, semble n'avoir ni queue ni tête... mais j'écoute mieux et j'arrive à nouveau à saisir l'énergie de la musique, mille fois plus intense que celle du groupe précédent. Les guitares s'affolent, les solos diaboliques du groupe me font frissonner d'aise, et ce frisson me permet de me rendre compte que je n'ai plus froid.
Ravi par cette découverte, j'enlève mon pull et l'attache autour de ma taille. Je meurs de chaud à présent, la sueur que mon corps ignorait depuis des heures se manifeste brutalement, d'un seul coup. Malgré la chaleur presqu'étouffante, je me sens d'un seul coup rempli d'une énergie incommensurable, je secoue la tête comme un forcené... il me faut un peu de self-control pour ne pas aller me jeter dans la fosse.
T+3h30 : Mes pensées et ma concentration sont séparées en deux parties bien distinctes. Dans la première, la partie basse, je perçois la réalité et écoute la musique, profite des vagues sonores sans m'interroger sur leur nature, et profite simplement de l'instant. Dans la seconde, la partie haute, je ne perçois qu'à grand peine la réalité visible : seule la musique peut se faire entendre dans cette sphère de pensée, et si je m'y intéresse ce n'est que pour tenter d'analyser les instruments et de comprendre de quelle vague fait partie chacun des musiciens. Tout cela semble bien compliqué, mais je me concentre sur ces deux aspects en parallèle, sans être trop déstabilisé. Après tout, j'ai tout mon temps. Je ne fais plus attention à l'heure.
C'est là que les équations reviennent. Elles prennent le pas sur tous mes autres processus mentaux, interrompant ma réflexion, coupant mes pensées. Je me concentre alors sur deux choses très précises, que je souhaite conserver tout au long de mon trip pour pouvoir y réfléchir après coup : Équations, et Déformation de la musique. Les deux choses qui devaient me paraître les plus essentielles à ce moment-là.
Je prends du temps pour réfléchir à cette histoire d'équations. Je me concentre sur leur aspect équitable : toute action sur l'un des côtés de l'équation entraîne une réaction identique du côté opposé. Mais tiens, est-ce que je ne viens pas de paraphraser la troisième loi de Newton ? Le principe des actions réciproques ? Le simple fait d'émettre cette idée me fait comprendre pourquoi ces équations interviennent dans mes pensées depuis tout à l'heure : hier soir, alors que j'étais fatigué et que j'aurais mieux fait de me reposer pour la journée d'aujourd'hui, j'ai passé des heures à parler avec un pote d'astronomie, de métaphysique, de particules... et surtout, surtout, il a passé du temps à m'expliquer son idée de l'équilibre. Je le cite : "que ce soit à un niveau physique comme métaphysique, tout système tend à un équilibre et toute réaction en son sein est due à une perturbation de celui-ci" (pas besoin d'être d'accord en tous points avec lui, c'était juste pour contextualiser que je ressortais cette phrase).
Maintenant que j'ai compris l'origine de ces équations, j'ai l'impression d'avoir enfin réussi à réconcilier ces deux visions, pensée conceptuelle et perception de la réalité, qui s'opposaient depuis le début du trip. Au lieu d'avoir deux perceptions séparées, les équations dans un coin et le réel dans un autre, les concepts se superposent au concert... et je peux percevoir chacun des objets de la salle comme un ensemble de nombres, comme les variables d'un nombre incommensurable d'équations qui remplissent mon champ de vision sans pour autant m'empêcher de voir tout ce qui m'entoure. Le monde est équilibre. Le monde n'est qu'équilibre. Une affirmation qui s'impose à moi même si je ne parviens pas à en saisir tous les détails.
T+4h00 : C'est le moment du rappel de Kreator... qui attaquent avec une reprise d'Iron Maiden. Il ne me faut que quelques fractions de seconde pour reconnaître le morceau, je sors de ma longue phase de réflexion pour me laisser emporter par la musique. Scandant sans rechigner ce morceau au goût d'inattendu (Kreator qui reprend Iron Maiden, c'est quand même une bonne surprise), j'oublie totalement les équations, seules subsistent les icônes qui traînent dans un coin de mes pensées, attendant le bon moment pour entrer dans mon champ de vision.
(Oui, mes pensées étaient pleines de bordel pendant ce trip. Des équations, des vagues, des icônes, tout ça encombrait un peu ma réflexion.)
Le retour - Reconquering The Throne
T+4h15 : Ca y est, c'est la fin du concert. Mes pensées sont moins confuses que tout à l'heure, même si elles sont toujours très encombrées je suis capable d'avoir un minimum conscience de la réalité. Je sais que j'ai la tête d'un trippé et que n'importe qui me regardant dans les yeux peut être au courant de ma situation neuronale en quelques fractions de secondes, mais au moins je suis capable de réfléchir à des choses concrètes, comme la soif qui commence à me ronger la gorge ou les bus que nous devons prendre pour repartir. Première étape : aller acheter de l'eau.
- Bon, attends-moi à la sortie, me fait Sylvain. Je vais juste acheter une bouteille d'eau et je te rejoins dehors.
Je suis un peu effrayé, et mon regard lui fait comprendre.
- Je sais pas si c'est une bonne idée qu'on se sépare, Sylvain. Ca va être impossible de se retrouver après, et puis y'en a pour 30 secondes d'acheter une bouteille...
Il acquiesce. Nous passons rapidement au bar, réussissons à récupérer un bouchon pour notre bouteille, et fonçons vers l'entrée du Transbordeur.
T+4h20 : Nous sommes à l'entrée de la salle, je remets ma veste mais je n'ai toujours pas froid. J'ai simplement conscience du fait que même s'il faisait -20° dehors, je n'aurais pas froid. Nous prévoyions de nous diriger calmement vers la sortie, quand nous retombons par hasard sur Thierry et Ivan, qui ont l'air pressés. "Le bus est en train d'arriver !", nous crient-ils, et comme nous devions prendre le même nous décidons de nous ruer à leur suite.
Mais une fois arrivés à l'arrêt de bus, nous nous rendons compte que le bus n'est pas du tout en approche. Ou plutôt, s'il est indiqué en approche sur l'écran des horaires, la réalité est toute autre, et nous ne le voyons nulle part... Fatigués par cette course, nous posons nos sacs et sortons nos paquets de tabac. Sylvain se roule une clope tout à fait honorable, mais je ne parviens pas à me concentrer et manque de tout faire tomber. Je demande de l'aide à Ivan, qui la termine en vingt secondes devant mes yeux ébahis.
Sylvain envoie un message à un de ses anciens professeurs, qui se trouvait également au concert. Il lui propose de venir discuter cinq minutes, puis part en courant. Toujours un peu déconnecté, je ne comprends pas pourquoi il s'éloigne et le suis au même rythme ; le bus arrive derrière nous, nous rebroussons chemin en pestant et finissons par monter dans le bus. Ma clope est toujours allumée, mais c'est le dernier de mes soucis...
T+4h30 : Thierry me regarde, avec un sourire mi-amusé mi-bourré. Enfin, il regarde plutôt ma clope allumée, sur laquelle je tire de temps à autre :
- Avec toi mec, c'est Violent Revolution jusqu'au bout hein !
Je cherche une réponse, n'en trouve pas, me perds dans mes mots et finis simplement par rire. Sylvain, qui s'inquiète toujours un peu vu le début de soirée chaotique que je lui ai offert, me demande si je vais vraiment savoir nous ramener à la maison. Je le rassure, mais il n'a toujours pas l'air rassuré : bah, de toute façon, il verra bien quand nous serons chez moi !
T+4h40 : Nous arrivons à notre arrêt. Thierry et Ivan descendent ici aussi, ils doivent prendre un des derniers métros, et nous avions pour projet de leur emboîter le pas et de marcher un peu pour finir le trajet. Seulement, le métro doit passer dans deux minutes, et nous descendons à peine du bus. Je crie à Sylvain que nous devons nous dépêcher, nous partons au pas de course en direction du métro... pour nous apercevoir que Thierry et Ivan marchent tranquillement, loin derrière nous, et que nous ferions mieux de les attendre plutôt que de nous ruer comme des ânes. Nous attendons donc un petit moment, nous nous dirigeons vers le métro, mais au moment de traverser la rue j'aperçois un bus qui passe dans l'autre sens.
- Sylvain ! crié-je à l'intéressé. Si on prend ce bus, on peut être devant chez moi dans une demi-heure sans prendre de correspondance !
Il se retourne d'un coup. Nous saluons rapidement Thierry et Ivan, et commençons à courir jusqu'à l'arrêt du bus en question...
T+4h45 : En arrivant à l'arrêt de bus, nous réalisons qu'il est censé passer dans dix minutes. Saletés de terminus... Nous nous asseyons donc contre un mur, l'air d'être dans la déchéance, mais le sourire jusqu'aux oreilles. Nous discutons un peu de notre ressenti du concert, et je me rends compte que j'ai loupé un paquet de ce qui s'est passé sur scène... sans doute à des moments où j'étais perdu dans un monde intérieur, entre réel et concepts, et où la musique n'avait pour but que de bercer mes ressentis.
De mon côté, je tente d'expliquer à Sylvain ce que j'ai vécu au cours de ce concert, mais m'exprimer est assez compliqué et les phrases qui sortent de ma bouche sont tout sauf claires. Je me contente donc du plus simple : j'étais en transe sur Arch Enemy, j'étais en kiff sur Kreator, j'ai loupé une bonne partie de ce qui s'est passé sur scène mais ça ne m'a pas empêché d'adorer. Voilà pour le résumé court de toute la partie du TR que vous venez de lire ; je suis d'accord avec vous, c'est un peu minimaliste, mais sur le moment je ne pouvais pas vraiment faire mieux.
T+5h00 : Nous pouvons enfin monter dans le bus et nous poser sur des sièges. Mais nous sommes loin d'être seuls, et la plupart des gens ne viennent pas du concert ; j'essaie donc de rester calme et de ne pas paraître trop éloigné de la réalité devant les quelques personnes qui nous font face... Le trajet est long, très long, mais nous échangeons à propos du concert et de tout ce qui m'avait échappé. Sur la fin du trajet, nous pouvons nous asseoir à l'arrière du bus et éviter ainsi les regards de la plupart des passagers ; que du bonheur.
J'ai vraiment l'impression d'être en descente, je ne perçois plus grand chose de visuel, les équations ont partiellement disparu, et même si les icônes sont encore présentes dans un coin de ma tête elles prennent de moins en moins de place dans mes pensées.
Le redrop - Second Awakening
T+5h20 : Enfin à la maison ! Nous n'avions pas mangé grand chose avant de partir au concert, et la faim nous tiraille tous les deux. Nous posons rapidement nos affaires dans la salle à manger, et décidons de nous préparer des pâtes pour nous remplir un peu l'estomac. Je sors le paquet de pâtes de son tiroir, une casserole, Sylvain la remplit d'eau et je tente d'allumer le feu...
Aucun son ne se fait entendre, aucune flamme ne sort de la gazinière. Il n'y a plus de gaz... et bien sûr, il fallait que ça nous arrive maintenant, alors que nous mourons de faim et que nous ne sommes absolument pas en état de changer la bombonne. Heureusement, mon frigo est rempli, et nous trouvons rapidement notre bonheur. Je sors du pâté et du pain histoire de me faire quelques tartines ; de son côté, Sylvain, qui est vegan, se trouve du caviar d'aubergine. Satisfaits d'avoir pallié au problème de la cuisson, nous allons nous asseoir à table et commençons à manger... et à discuter.
T+5h30 : L'horloge de la salle à manger affiche minuit 45. Sylvain me félicite de nous avoir ramenés à bon port aussi rapidement et sans encombre, je lui réponds que je me débrouille toujours pour rentrer chez moi sain et sauf. Être assis dans ma salle à manger au calme me permet de me concentrer à nouveau sur les visuels ; la tête de Sylvain se met à couler légèrement, je me rappelle rapidement que c'est quelque chose d'habituel sous phényléthylamines - en ce qui me concerne, en tout cas, mais je crois n'être pas le seul à ressentir ça.
Je ne me rappelle plus de tous les détails de notre conversation, elle fut trop nourrie et longue pour cela, mais nous essayions de nous expliquer mutuellement les effets que nous ressentions et les réflexions dans lesquelles le produit nous avait orientés. Nous passons du coq à l'âne, de mes explications bordéliques sur l'équilibre de l'univers à ses pensées sur le veganisme, l'amour et d'autres sujets qui me sont un peu sortis de la tête depuis lors (désolé si tu me lis, gros :/).
J'essaie d'expliquer, tout en étant encore complètement trippé, mes réflexions incomplètes pleines d'équations et de variables à un artiste bien éloigné de toutes ces considérations mathématiques (Sylvain est en licence de lettres modernes), un ensemble de phrases déjà incompréhensibles à la base que son état ne l'aide pas à assimiler. Cependant, il insiste, il veut me voir parler, alors j'explique en tentant de m'embrouiller le moins possible.
À un moment, nous en venons à parler de nos copines respectives. J'essaie de lui exprimer tout le bonheur que je ressens de mon côté, je crois que j'y arrive mieux que quand j'essayais de parler des lois fondamentales de notre univers. Il me dit que nous sommes beaux, je lui réponds que j'espère que sa relation durera, que la simple idée d'être séparé de cette fille que j'aime plus que tout au monde me file des frissons, et que ça m'a un peu troublé de l'avoir entendu évoquer avec autant de facilité, quelques minutes auparavant, l'idée de ne plus être avec sa copine.
Il me répond très simplement que ce n'est pas parce qu'il l'évoque qu'il le désire. Cette idée me paraît belle, je me trouve stupide d'avoir fait cette remarque. Je lui répète tout mes voeux de bonheur, l'expression paraît simpliste mais l'intention était pure.
Après ces quelques minutes de discussions de coeur, un petit silence s'installe. Vite brisé par Sylvain :
- Putain mec, regarde, elles bougent !
Je tourne la tête derrière moi, cherchant du regard quel objet il peut bien indiquer, quand il reprend la parole.
- Mais non, les fleurs là, sur la table ! Regarde-moi ça !
Alors que je croyais que le trip était en perte de vitesse depuis un certain temps déjà, le simple fait de contempler en silence un bouquet dans un vase le fait repartir de plus belle. Je me perds dans leurs méandres colorés, nous les observons pendant quelques minutes, jusqu'au moment où Sylvain me regarde avec un grand sourire et me dit : "Et si on redroppait ?".
Incapable de refuser et trop heureux de prolonger l'expérience, je sors de ma poche un pochon contenant un autre buvard de 25C. Je le coupe en deux, 300 microgrammes chacun, nous le plaçons dans notre bouche en échangeant un regard complice.
T+6h30 : Nous avons encore nos demi-buvards sous nos langues, mais décidons de nous rapatrier dans la chambre. Prendre toutes les affaires, de quoi manger et de quoi fumer en un seul voyage est assez ardu, cependant nous nous en sortons sans trop de problèmes et nous retrouvons rapidement assis dans ma chambre ; Sylvain sur mon lit, moi sur mon fauteuil, l'ordinateur allumé à côté de nous - il nous servira un peu plus tard.
Tandis que je me replonge dans mes réflexions, Sylvain entreprend de rouler un joint, une opération qui a l'air assez compliquée au vu de son état...
T+6h40 : ...malgré tout, le cône qui résulte de l'opération est magnifique, je ne peux que le remercier de cette intervention quasi-divine. Nous discutons encore un peu, je grignote des tartines de pâté avec un plaisir non dissimulé, et je comprends enfin et subitement l'origine d'une des icônes qui traîne dans un coin de ma tête depuis des heures. La tête de Sylvain, orientée d'une certaine façon et sous un éclairage jaunâtre, réduite à l'état de miniature, dans une petite boîte, quelque part aux confins de ma conscience... la première des icônes que je retrouve, c'était celle-là.
Plus je le regarde, et plus j'hallucine. Son visage est une fractale qui s'étend de l'infiment petit à l'infiniment grand, de petits Sylvain se retrouvent à l'intérieur des grands Sylvain, les courbes de sa face se plient et se tordent pour respecter mon interprétation déformée, je me perds dans sa contemplation jusqu'au moment où il me passe le pétard.
T+6h50 : Sylvain me demande de mettre de la musique. Je me tourne vers l'ordinateur, vais sur Youtube et y mets un morceau qui ne fera pas long feu : Forging Towards the Sunset d'Anaal Nathrakh. Au bout d'une minute, il me demande de mettre quelque chose de plus calme, et malgré mon désir de secouer la tête je ne peux que lui donner raison. Je porte donc mon choix sur un morceau un peu plus adapté à la situation :
T+6h55 : Sylvain me demande de trouver une vidéo d'Hendrix à Woodstock, je m'exécute donc et finis par mettre ce morceau :
T+7h10 : Sylvain s'allonge sur mon lit. De mon côté, je ne sais pas ce qui me prend, mais je fais un tour sur ma boîte mail et tombe par hasard sur un mail de ma prof d'algorithmique... discipline que j'affectionne d'ordinaire, mais que je suis absolument incapable de comprendre à cet instant précis. J'ouvre le powerpoint joint ; des algorithmes que je trouverais en temps normal d'une simplicité affolante mais qui me sont pour l'instant absolument inaccessibles.
Cette prise de conscience de mon incapacité à réfléchir me pousse à remettre en question les réflexions presqu'acquises que j'ai eues pendant le déroulement du trip ; l'équilibre de l'univers, en particulier. Depuis mon redrop, les équations sont revenues à la charge et sont à nouveau séparées du réel. Je décide de ne pas y faire attention ; je sais d'où elles viennent, je sais quel évènement pré-trip les a fait apparaître à l'intérieur de celui-ci, mais je me force à ne pas y réfléchir maintenant de peine d'atterrir à des conclusions stupides.
Je montre tout de même le powerpoint à Sylvain, qui me dit que je suis fou de faire ça en temps normal. Je lui souris et ferme mon mail.
T+7h25 : Nous enchaînons avec deux morceaux "cultes", que nous écouterons presque sans parler, exprimant parfois notre amour de la musique que nous écoutons ; rien de plus. Sylvain commence par lancer Planet Caravan, j'enchaînerai avec Comfortably Numb.
T+7h35 : Sylvain part aux toilettes, et j'ai toujours envie de bouger la tête, de danser, de brûler ce qui reste à mon corps d'énergie. Profitant de son absence momentanée, je lance un morceau de Igorrr, souriant de ma bêtise... et imaginant sa réaction quand il reviendrait.
http://www.youtube.com/watch?v=gWca1X7nFGo
Deux minutes plus tard, il pousse la porte de ma chambre. Il entend la musique, me fait un sourire mi-figue mi-raisin.
- Sérieusement ?
- T'as pas envie maintenant, c'est ça ?
- Attends, laisse un peu.
Nous écouterons le morceau presque entièrement, au final. Un petit moment inattendu dans cette soirée, que je trouvais très calme depuis quelques heures.
T+7h40 : Tout à coup, Sylvain me tapote l'épaule et me fait : "Putain Procyon, ton pâté là... il bouge !". Je décide de vite le terminer, ça a l'air de le mettre assez mal à l'aise. Savourant une de mes dernières tartines, je lance Money for Nothing des Dire Straits.
Il ne nous faut pas longtemps pour nous rendre compte du côté kitsch de ce morceau, et pas dans le bon sens. Le son est creux, tout est trop plat et artificiel, et pourtant j'adore Dire Straits en temps normal. Nous ne finissons pas le morceau.
La fin du trip - Under The Guillotine
T+7h45 : Sylvain me fait : "Ca te dit qu'on roule un joint, qu'on se mette de la psytrance et qu'on se pose dans ton plumard ?". Certainement une des phrases les plus tentantes de toute la soirée, j'arrête mon choix sur un album de Vibrasphere que je lance comme fond sonore.
http://www.youtube.com/watch?v=gNe3JhbCPyY
Du propre aveu de Sylvain, je lui ai fait faire une belle découverte en mettant ce groupe à cet instant.
T+7h50 : Je viens de comprendre la signification d'une seconde icône : il s'agit simplement du filtre visuel d'un de mes yeux ! Je veux immédiatement faire part de cette "découverte" à Sylvain, alors je lui fais :
- Mec, t'as remarqué qu'on voit en permanence notre nez et notre lèvre supérieure ?
Il commence par me regarder avec un air surpris, puis se concentre quelques instants sur ce qu'il voit... et son visage se transforme.
- Putain, mais c'est génial !
Je lui rends son sourire.
T+8h00 : La fatigue commence vraiment à me rattraper. Je me mets à rassembler les couettes et les oreillers histoire de me faire une place sur le matelas. Je m'assoupirai assez rapidement, malgré mon redrop et malgré les CEV qui continuaient à se manifester à un rythme soutenu : quand on est crevé, on est crevé ! De plus, le fait d'être allongé et de n'avoir rien à faire me permet de me concentrer sur les effets secondaires ; mal de ventre, légère nausée, mal de crâne, autant de choses qui rendent moins attractive la possibilité de lutter contre le sommeil. Je resterai un certain temps dans un demi-sommeil, luttant pour ne pas laisser Sylvain seul éveillé.
Je ne me rappelle plus de manière cohérente de la suite des évènements. Je me rappelle que nous avons un peu parlé, que je me suis assoupi plusieurs fois, et que le dernier morceau que nous avons écouté tous les deux était de Burzum. Je me rappelle que les équations étaient toujours présentes, à chacun de mes réveils, tout comme le mal de crâne qui ne faisait en fait qu'empirer.
T+11h30 : Sylvain me réveille. Il m'a laissé me reposer car j'avais l'air épuisé, mais il est tard et il faut qu'il parte de chez moi... Je l'accompagne jusqu'à la porte, lui proposant de prendre un petit quelque chose à grignoter ; il décline. Je remonte dans ma chambre, surnage quelques instants en profitant des dernières petites déformations de mon champ de vision, et finis par m'endormir du sommeil du juste.
T+17h30 : Il est presque 13h quand j'émerge enfin. Je me rappelle de rêves bizarres, déformés et extrêmement colorés, de passages d'une réalité à l'autre par des sortes de tunnels... Mais à ce moment précis, j'avais déjà presque tout oublié. Je n'ai plus d'effets visuels, la lumière me semble un peu irréelle, peut-être trop intense ? Je me rends compte en m'observant dans le miroir que mes pupilles sont toujours légèrement dilatées, mais en tout cas la musique a retrouvé son naturel. Le mal de tête a disparu, mais les douleurs au ventre persistent. Elles passeront finalement dans le courant de l'après-midi.
Conclusion
Et voilà. Mon plus long TR à ce jour, dépassant de quelques lignes ma première expérience au LSD. Certainement un des trips les plus intenses que j'aie jamais eu à vivre, qui me laisse quand même un goût de tromperie assez prononcé. Il est arrivé que des "révélations" eues sous trip s'avèrent être de fausses alertes, des coups d'épée dans l'eau, mais lorsque j'ai repensé à mes réflexions pendant ce trip... dès le lendemain, je me suis dit que c'était absurde, que j'avais simplement brodé des idées sur du vide.
Et puis j'ai réfléchi un peu plus. Je me suis dit que le simple fait d'avoir pris conscience de la facilité pour une substance de tromper le cerveau, les sens, la mémoire, l'identité... valaient bien plus que de pseudo-révélations sur la marche de l'univers, même si les deux sujets me passionnent de manière équivalente. Cette expérience ne m'a en tout cas pas été inutile, et j'espère que j'ai su vous communiquer ses aspects tant positifs que négatifs.
J'espère également que vous avez autant apprécié de le lire que moi de l'écrire... et pour finir, je félicite ceux qui auront lu le texte d'un bout à l'autre, parce que ça commence à faire un petit pavé !