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Il était plein de fois, il n’y a d’ailleurs pas si longtemps, tout existait, et son contraire aussi. Le pensable et l’impensable, le dicible et l’indicible, le matériel et l’immatériel, le perceptible et l’imperceptible : le Plérôme était tout et rien, entièrement, simultanément, partiellement, alternativement, séparément, de toute éternité et à l’instant-même.
Nous avons d’abord canalisé le tourbillon du temps en un flux linéaire et irréversible, tiré un trait sur les uchronies frisées qui ne tiennent qu’à un cheveu, élagué ses entrelacs à l’Arbre des improbabilités. Puis, parce que les choses auraient maintenant un avant et un après, nous avons aplati les dimensions, comprimé tout l’espace dans seulement trois petites directions et peut-être quelques cordelettes.
Le cadre était en place pour l’acte suivant : les choses ont alors reçu des noms. Au début, ils étaient nombreux, foisonnants, polysémiques et synonymes, vestiges d’une ère où n’importe quel mot avait tous les sens et où n’importe quoi avait tous les noms - où l’absence de poésie était une œuvre poétique en elle-même, tant elle frappait par son étrangeté ! Mais, peu à peu, tout doucement, les interconnexions s’érodèrent, et les mots ne purent se rencontrer qu’en nombres toujours plus restreints, de sorte qu’il est devenu rare de les entendre jouer entre eux et rire aux éclats de vers.
Ce fut ensuite au tour du Divin d’être estompé par petites touches. Un dégradé de plus en plus net entre le sacré et le profane, au premier abord en trompe-l’œil : tel lieu, tel jour, tel objet, telle personne, était saints, plus que les autres. D’aucuns l’accueillirent comme une Bonne Nouvelle, puisque cette concentration rendait le rituel plus éclatant (par contraste avec ce qui l’était moins ou pas). Les Dieux et les Déesses auraient désormais une liste, fournie mais finie, de noms, symboles, figures, histoires, parents, amants, enfants, liturgies ; leur nombre fut plafonné, on opéra des réductions d’effectifs, des fusions-acquisitions, des licenciements pour cause de réel et de sérieux. Ils étaient douze, puis trois, puis un… un seul, solitaire comme un ver qui ne rime à rien. D’omniprésent et d’omnipotent, il se reconvertit comme Grand Horloger un peu détraqué, puis comme Premier Moteur seulement, cala cahin-caha au contrôle technique et finit à la casse. Condamné sans joie à la peine capitale, tout Dieu à majuscule qu’il était, nul “pourquoi” ne le sauva - il s’acheva de guerre lasse, et la ciguë bue Nietzsche aussi mourut.
Applaudissant à la fin du prélude, les humains sont passés à l’acte deux du Grand Effacement, celui des langues et des récits, des plantes et des autres animaux, des races et des sexes. Le Même, temporairement vêtu du masque de l’Autre (il l’avait écorché avant de le dévorer), note dans son registre l’union que consent la stupidité naturelle avec l’intelligence artificielle.
Et pourtant… parfois, le souvenir peut survenir. L’Anamnèse est un exercice illégal qui n’a plus guère cours qu’en Terre-à-Pitres, là où des initiés commettent encore ce délit, ce crime sans victimes. Hérésiarques de cercles impies diamétralement opposés dans le périmètre de leurs fonctions, récidivistes de la main occulte, satyres à Baals réels, cénobites défroqués et saints à découvert, clochards célestes, grandes cohortes de borgnes se fiant à leur seconde vue plutôt qu’à leur double aveugle, mâles voyants, prophètes en leur pays, charpentiers cloués sur place et messies sans buts, seumeurs paraboliques, vétérans des guerres psychiques et cultistes de l'Huître Bleue, pélerins et vrais cons, parjures sur la vie de la Terre-Mère ou sur le Coran des mecs, hiérophantes quantiques, alchimistes insolvables aux formules alambiquées, hermétistes ouverts à la discussion, cabalistes en cavale, y côtoient des traducteurs trahis, des bandits râpeurs de rimes, des bardes de l’Art qui s’astiquent le texte et des polygraphes malpolis, pendant qu’un mythomane homérique bande les plaies de zététiciens scarifiés au rasoir d’Occam.
C’est un marché gris où on en voit de toutes les couleurs, pour achats perchés uniquement : cacheurs d’ours et montreurs de Juifs, bateleurs à contre-courant, comtes vêtus de pourpre et saltimbanques à crédit, changeurs de monnaie cryptiques, changeuses d’air, changeurs de forme, changeuses de sexe qui ne font pas genre, changeurs d’ères et changeuses de monde. En pleine crise d’insomnie, des marchands de sables mouvants avares de sources y vendent leur camelote, trimballée tout le long des routes du Soi non par des mules mais à dos de guedromadaires (ils peuvent boire dix jours sans marcher) : lits devins, jolies camées, cartes qui sont le territoire, troubles manteaux et capes de visibilisation des minorités, décoctions de psychosoma à l’extrait de racine de Placebo quipu, cailloux qui craquent et pierres sophistales qui transmutent l’or en plomb, faux-cils de kétosaures enquêtant aux aurores d’Ozora, dissociés selon la loi 1901 !
Des amazones, à la forêt touffue mais pas vierge, s’y échangent des volées de traits d’esprit hors de portée de l’arc républicain ; les diseuses de mauvaise aventure (ces vieilles filles royalistes sans prétendant !) rapiècent les habits neufs des gymnosophes, aidées de mineurs sans âge et autres cosmogônes. Les Byzantins cherchent querelle à des anges asexués, des Thraces de passage fuient les saigneurs scythes, des érudites mongoles envoient des missives aux Illyriens lettrés, des groupes de Huns arborent la tête de Turcs ayant tourné kazakhs…
Parias par-ci, Pârsis par-là, sikhs en transit vers la gloire du monde : tous prennent un apéro divinatoire où la pythie vient en mangeant, dans l’attente du plat de résistance qui pourtant dessert la cause (avis sans conséquences de l’inspecteur des travaux infinis, car les elfes de la machine refusent de porter le chapeau).
C’est ici que survient la Chute : heureux qui comme personne a fait un beau report de tripes !
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C'est la faute à Biquette qui m'a rappelé malgré moi que j'avais écrit ce truc en postant ça :
Nous avons d’abord canalisé le tourbillon du temps en un flux linéaire et irréversible, tiré un trait sur les uchronies frisées qui ne tiennent qu’à un cheveu, élagué ses entrelacs à l’Arbre des improbabilités. Puis, parce que les choses auraient maintenant un avant et un après, nous avons aplati les dimensions, comprimé tout l’espace dans seulement trois petites directions et peut-être quelques cordelettes.
Le cadre était en place pour l’acte suivant : les choses ont alors reçu des noms. Au début, ils étaient nombreux, foisonnants, polysémiques et synonymes, vestiges d’une ère où n’importe quel mot avait tous les sens et où n’importe quoi avait tous les noms - où l’absence de poésie était une œuvre poétique en elle-même, tant elle frappait par son étrangeté ! Mais, peu à peu, tout doucement, les interconnexions s’érodèrent, et les mots ne purent se rencontrer qu’en nombres toujours plus restreints, de sorte qu’il est devenu rare de les entendre jouer entre eux et rire aux éclats de vers.
Ce fut ensuite au tour du Divin d’être estompé par petites touches. Un dégradé de plus en plus net entre le sacré et le profane, au premier abord en trompe-l’œil : tel lieu, tel jour, tel objet, telle personne, était saints, plus que les autres. D’aucuns l’accueillirent comme une Bonne Nouvelle, puisque cette concentration rendait le rituel plus éclatant (par contraste avec ce qui l’était moins ou pas). Les Dieux et les Déesses auraient désormais une liste, fournie mais finie, de noms, symboles, figures, histoires, parents, amants, enfants, liturgies ; leur nombre fut plafonné, on opéra des réductions d’effectifs, des fusions-acquisitions, des licenciements pour cause de réel et de sérieux. Ils étaient douze, puis trois, puis un… un seul, solitaire comme un ver qui ne rime à rien. D’omniprésent et d’omnipotent, il se reconvertit comme Grand Horloger un peu détraqué, puis comme Premier Moteur seulement, cala cahin-caha au contrôle technique et finit à la casse. Condamné sans joie à la peine capitale, tout Dieu à majuscule qu’il était, nul “pourquoi” ne le sauva - il s’acheva de guerre lasse, et la ciguë bue Nietzsche aussi mourut.
Applaudissant à la fin du prélude, les humains sont passés à l’acte deux du Grand Effacement, celui des langues et des récits, des plantes et des autres animaux, des races et des sexes. Le Même, temporairement vêtu du masque de l’Autre (il l’avait écorché avant de le dévorer), note dans son registre l’union que consent la stupidité naturelle avec l’intelligence artificielle.
Et pourtant… parfois, le souvenir peut survenir. L’Anamnèse est un exercice illégal qui n’a plus guère cours qu’en Terre-à-Pitres, là où des initiés commettent encore ce délit, ce crime sans victimes. Hérésiarques de cercles impies diamétralement opposés dans le périmètre de leurs fonctions, récidivistes de la main occulte, satyres à Baals réels, cénobites défroqués et saints à découvert, clochards célestes, grandes cohortes de borgnes se fiant à leur seconde vue plutôt qu’à leur double aveugle, mâles voyants, prophètes en leur pays, charpentiers cloués sur place et messies sans buts, seumeurs paraboliques, vétérans des guerres psychiques et cultistes de l'Huître Bleue, pélerins et vrais cons, parjures sur la vie de la Terre-Mère ou sur le Coran des mecs, hiérophantes quantiques, alchimistes insolvables aux formules alambiquées, hermétistes ouverts à la discussion, cabalistes en cavale, y côtoient des traducteurs trahis, des bandits râpeurs de rimes, des bardes de l’Art qui s’astiquent le texte et des polygraphes malpolis, pendant qu’un mythomane homérique bande les plaies de zététiciens scarifiés au rasoir d’Occam.
C’est un marché gris où on en voit de toutes les couleurs, pour achats perchés uniquement : cacheurs d’ours et montreurs de Juifs, bateleurs à contre-courant, comtes vêtus de pourpre et saltimbanques à crédit, changeurs de monnaie cryptiques, changeuses d’air, changeurs de forme, changeuses de sexe qui ne font pas genre, changeurs d’ères et changeuses de monde. En pleine crise d’insomnie, des marchands de sables mouvants avares de sources y vendent leur camelote, trimballée tout le long des routes du Soi non par des mules mais à dos de guedromadaires (ils peuvent boire dix jours sans marcher) : lits devins, jolies camées, cartes qui sont le territoire, troubles manteaux et capes de visibilisation des minorités, décoctions de psychosoma à l’extrait de racine de Placebo quipu, cailloux qui craquent et pierres sophistales qui transmutent l’or en plomb, faux-cils de kétosaures enquêtant aux aurores d’Ozora, dissociés selon la loi 1901 !
Des amazones, à la forêt touffue mais pas vierge, s’y échangent des volées de traits d’esprit hors de portée de l’arc républicain ; les diseuses de mauvaise aventure (ces vieilles filles royalistes sans prétendant !) rapiècent les habits neufs des gymnosophes, aidées de mineurs sans âge et autres cosmogônes. Les Byzantins cherchent querelle à des anges asexués, des Thraces de passage fuient les saigneurs scythes, des érudites mongoles envoient des missives aux Illyriens lettrés, des groupes de Huns arborent la tête de Turcs ayant tourné kazakhs…
Parias par-ci, Pârsis par-là, sikhs en transit vers la gloire du monde : tous prennent un apéro divinatoire où la pythie vient en mangeant, dans l’attente du plat de résistance qui pourtant dessert la cause (avis sans conséquences de l’inspecteur des travaux infinis, car les elfes de la machine refusent de porter le chapeau).
C’est ici que survient la Chute : heureux qui comme personne a fait un beau report de tripes !
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C'est la faute à Biquette qui m'a rappelé malgré moi que j'avais écrit ce truc en postant ça :
- Le 6ème jour, Jah dit : que le cerveau produise des neurotransmetteurs selon leurs récepteurs ; tryptamines, phénéthylamines, selon leurs récepteurs. Et Jah vit que cela était bon.
- Jah dit encore : je vous donne toute plante qui porte une drogue sur la surface de la terre, et tout laboratoire dont l'alembic porte une drogue : telle sera votre nourriture.
- À tous les animaux de la terre, à tous les oiseaux du ciel, à tout ce qui va et vient sur la terre et qui a souffle de vie, je donne comme nourriture toute herbe verte. » Et ce fut ainsi.
- Le 7ème jour, Jah avait achevé l'oeuvre qu'il avait faite. Sur un coussin de pétards, il se reposa de toute l'oeuvre qu'il avait faite.
- Et Jah bénit le septième jour : il le sanctifia, puisque, ce jour là, il se reposa de tous les trips qu'il avait fait.
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