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les chouettes poèmes

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Y'a un topic sur les créations poétiques des psychows, mais pas sur les poèmes qui sont juste chouettes. Alors voilà !

Sylvia Plath, poétesse étasunienne suicidée vers 30 ans. J'ai écouté ce soir l'histoire de sa vie et ça m'a donné envie de connaître ses poèmes. Pour la découvrir vous aussi : https://www.franceculture.fr/emissi...-plath-1932-1963-la-vie-comme-un-mauvais-reve


JE SUIS VERTICALE (28 mars 1961)

Mais je voudrais être horizontale.
Je ne suis pas un arbre dont les racines en terre
Absorbent les minéraux et l’amour maternel
Pour qu’à chaque mars je brille de toutes mes feuilles,
Je ne suis pas non plus la beauté d’un massif
Suscitant des Oh et des Ah et grimée de couleurs vives,
Ignorant que bientôt je perdrai mes pétales.
Comparés à moi, un arbre est immortel
Et une fleur assez petite, mais plus saisissante,
Et il me manque la longévité de l’un, l’audace de l’autre.

Ce soir, dans la lumière infinitésimale des étoiles,
Les arbres et les fleurs ont répandu leur fraîche odeur.
Je marche parmi eux, mais aucun d’eux n’y prête attention.
Parfois je pense que lorsque je suis endormie
Je dois leur ressembler à la perfection —
Pensées devenues vagues..
Ce sera plus naturel pour moi, de reposer.
Alors le ciel et moi converseront à coeur ouvert,
Et je serai utile quand je reposerai définitivement:
Alors peut-être les arbres pourront-ils me toucher, et les fleurs m’accorder du temps.
 
Allen Ginsberg, 2nde partie du fameux Howl. D'abord en version originale, la trad plus bas. Beaucoup résument ce poème à une métaphore du capitalisme, mais ça va bien plus loin. Moloch est un démon archétypal, émergé de la friction sociale des psychologies.

   What sphinx of cement and aluminum bashed open their skulls and ate up their brains and imagination?

   Moloch! Solitude! Filth! Ugliness! Ashcans and unobtainable dollars! Children screaming under the stairways! Boys sobbing in armies! Old men weeping in the parks!

   Moloch! Moloch! Nightmare of Moloch! Moloch the loveless! Mental Moloch! Moloch the heavy judger of men!

   Moloch the incomprehensible prison! Moloch the crossbone soulless jailhouse and Congress of sorrows! Moloch whose buildings are judgment! Moloch the vast stone of war! Moloch the stunned governments!

   Moloch whose mind is pure machinery! Moloch whose blood is running money! Moloch whose fingers are ten armies! Moloch whose breast is a cannibal dynamo! Moloch whose ear is a smoking tomb!

   Moloch whose eyes are a thousand blind windows! Moloch whose skyscrapers stand in the long streets like endless Jehovahs! Moloch whose factories dream and croak in the fog! Moloch whose smoke-stacks and antennae crown the cities!

   Moloch whose love is endless oil and stone! Moloch whose soul is electricity and banks! Moloch whose poverty is the specter of genius! Moloch whose fate is a cloud of sexless hydrogen! Moloch whose name is the Mind!

   Moloch in whom I sit lonely! Moloch in whom I dream Angels! Crazy in Moloch! Cocksucker in Moloch! Lacklove and manless in Moloch!

   Moloch who entered my soul early! Moloch in whom I am a consciousness without a body! Moloch who frightened me out of my natural ecstasy! Moloch whom I abandon! Wake up in Moloch! Light streaming out of the sky!

   Moloch! Moloch! Robot apartments! invisible suburbs! skeleton treasuries! blind capitals! demonic industries! spectral nations! invincible madhouses! granite cocks! monstrous bombs!

   They broke their backs lifting Moloch to Heaven! Pavements, trees, radios, tons! lifting the city to Heaven which exists and is everywhere about us!

   Visions! omens! hallucinations! miracles! ecstasies! gone down the American river!

   Dreams! adorations! illuminations! religions! the whole boatload of sensitive bullshit!

   Breakthroughs! over the river! flips and crucifixions! gone down the flood! Highs! Epiphanies! Despairs! Ten years’ animal screams and suicides! Minds! New loves! Mad generation! down on the rocks of Time!

   Real holy laughter in the river! They saw it all! the wild eyes! the holy yells! They bade farewell! They jumped off the roof! to solitude! waving! carrying flowers! Down to the river! into the street!



Version française (première traduction trouvée sur la toile)

Quel sphinx de ciment et d’aluminium a défoncé leurs crânes et dévoré leurs cervelles et leur imagination ?

    Moloch ! Solitude ! Saleté ! Laideur! Poubelles et dollars impossibles à obtenir!
    Enfants hurlant sous les escaliers ! Garçons sanglotant sous les drapeaux !
    Vieillard pleurant dans les parcs !
    Moloch ! Moloch ! Cauchemar de Moloch ! Moloch le sans-amour ! Moloch mental ! Moloch le lourd juge des hommes!
     Moloch en prison incompréhensible ! Moloch les os croisés de la geôle sans âme et du Congrès des afflictions ! Moloch dont les buildings sont jugements !
    Moloch la vaste roche de la guerre ! Moloch les gouvernements hébétés !
     Moloch dont la pensée est mécanique pure ! Moloch dont le sang est de l’argent qui coule ! Moloch dont les doigts sont dix armées ! Moloch dont la poitrine est une dynamo cannibale ! Moloch dont l’oreille est une tombe fumante !
     Moloch dont les yeux sont mille fenêtres aveugles ! Moloch dont les gratte-ciel se dressent dans les longues rues comme des Jéhovahs infinis ! Moloch dont les usines rêvent et croassent dans la brume ! Moloch dont les cheminées et les antennes couronnent les villes !
     Moloch dont l’amour est pétrole et pierre sans fin ! Moloch dont l’âme est électricité et banques ! Moloch dont la pauvreté est le spectre du génie ! Moloch dont le destin est un nuage d’hydrogène asexué ! Moloch dont le nom est Pensée !
     Moloch en qui je m’assois et me sens seul ! Moloch où je rêve d’Anges ! Fou dans Moloch ! Suceur de bite en Moloch ! Sans amour et sans homme dans Moloch !
     Moloch qui me pénétra tôt ! Moloch en qui je suis une conscience sans corps !
    Moloch qui me fit fuir de peur hors de mon extase naturelle ! Moloch que j’abandonne ! Réveil dans Moloch ! lumière coulant du ciel !
     Moloch ! Moloch ! Appartements robots ! banlieues invisibles ! trésors squelettiques ! capitales aveugles ! industries démoniaques ! nations spectres ! asiles invincibles ! queues de granit ! bombes monstres !
     Ils se sont pliés en quatre pour soulever Moloch au Ciel ! Pavés, arbres, radios, tonnes ! soulevant la ville au Ciel qui existe et nous entoure partout !
     Visons ! augures ! hallucinations ! miracles ! extases ! disparus dans le cours du fleuve américain !
     Rêves ! adorations ! illuminations ! religions ! tout le tremblement de conneries sensibles !
Percées ! par-dessus le fleuve ! démences et crucifixions ! disparus dans la crue !
    Envolées ! Epiphanies ! Détresses ! Décades des cris animaux et de suicides !
    Mentalités ! Amours neuves ! Génération folle ! en bas sur les rochers du Temps !
Vrai rire sacré dans le fleuve ! ils ont vu cela ! les yeux fous ! les hurlements sacrés !
   Ils ont dit adieu ! ils ont sauté du toit ! vers la solitude ! gesticulant ! portant des
    fleurs ! En bas dans le fleuve ! dans la rue !
 
Dans la lignée, parce que je crois que Ginsberg était un grand adepte de Whitman

Et toujours vivre,
Et toujours mourir

Et toujours vivre, et toujours mourir !
Mes enterrements sans fin au passé au présent,
Mes avancées sans cesse dans l'avenir, matériel, visible, égal à moi-même en arrogance,
Mon être de tant d'années aujourd'hui mort (sans lamentations, j’accepte),
Car je veux m'affranchir de tous mes cadavres, un bref regard au bas côté où je les ai jetés,
Et passer mon chemin (oui vivre, toujours vivre !), eux laissés dans mon dos
 
Louis Aragon, dans le cycle "L'amour qui n'est pas un mot".




Je traîne après moi trop d'échecs et de mécomptes
J'ai la méchanceté d'un homme qui se noie
Toute l'amertume de la mer me remonte
Il me faut me prouver toujours je ne sais quoi
Et tant pis qui j'écrase et tant pis qui je broie
Il me faut prendre ma revanche sur la honte

Ne puis je donner de la douleur Tourmenter
N'ai-je pas à mon tour le droit d'être féroce
N'ai-je pas à mon tour droit à la cruauté
Ah faire un mal pareil aux brisures de l'os
Ne puis je avoir sur autrui ce pouvoir atroce
N'ai-je pas assez souffert assez sangloté

Je suis le prisonnier des choses interdites
Le fait qu'elles le soient me jette à leurs marais
Toute ma liberté quand je vois ses limites
Tient à ce pas de plus qui la démontrerait
Et c'est comme à la guerre il faut que je sois prêt
D'aller où le défi de l'ennemi m'invite

Toute idée a besoin pour moi d'un contrepied
Je ne puis supporter les vérités admises
Je remets l'évidence elle-même en chantier
Je refuse midi quand il sonne à l'église
Et si j'entends en lui des paroles apprises
Je déchire mon coeur de mes mains sans pitié

Je ne sais plus dormir lorsque les autres dorment
Et tout ce que je pense est dans mon insomnie
Une ombre gigantesque au mur où se déforme
Le monde tel qu'il est que follement je nie
Mes rêves éveillés semblent des Saint Denis
Qui la tête à la main marchent contre la norme

Inexorablement je porte mon passé
Ce que je fus demeure à jamais mon partage
C'est comme si les mots pensés ou prononcés
Exerçaient pour toujours un pouvoir de chantage
Qui leur donne sur moi ce terrible avantage
Que je ne puisse pas de la main les chasser

Cette cage des mots il faudra que j'en sorte
Et j'ai le coeur en sang d'en chercher la sortie
Ce monde blanc et noir où donc en est la porte
Je brûle à ses barreaux mes doigts comme aux orties
Je bats avec mes poings ces murs qui m'ont menti
Des mots des mots autour de ma jeunesse morte
 
Elizabeth Bishop, “One Art” dans The Complete Poems 1926-1979





The art of losing isn’t hard to master;
so many things seem filled with the intent
to be lost that their loss is no disaster.

Lose something every day. Accept the fluster
of lost door keys, the hour badly spent.
The art of losing isn’t hard to master.

Then practice losing farther, losing faster:
places, and names, and where it was you meant
to travel. None of these will bring disaster.

I lost my mother’s watch. And look! my last, or
next-to-last, of three loved houses went.
The art of losing isn’t hard to master.

I lost two cities, lovely ones. And, vaster,
some realms I owned, two rivers, a continent.
I miss them, but it wasn’t a disaster.

—Even losing you (the joking voice, a gesture
I love) I shan’t have lied. It’s evident
the art of losing’s not too hard to master
though it may look like (Write it!) like disaster.
 
C’est un de mes poèmes préférés, pour sa sincérité deroutante, et je le trouve génial à déclamer, avec vigueur et colère, en reprenant à peine son souffle là où sont les virgules invisibles

Louis Aragon
Recueil : le roman inachevé
Cycle de poèmes : l’amour qui n’est pas un mot


O forcené qui chaque nuit attend l'aube et ce n'est que l'aube une aube de plus une pâleur qui s'installe et la fatigue et tout ce qu'on s'était imaginé de folies et de lumières s'évanouit dans ce sentiment de lassitude ô forcené qui se débat chaque nuit dans les lieux communs qu'il s'est construit les dilemmes abstraits les chants sourds qui peuplent l'âme de fantômes de fontaines

ô forcené qui partait pourtant à la recherche d'une autre vie ô Croisé d'un rêve moderne au bout duquel il y avait le contraire d'un sépulcre Lui pensait prendre la bure et le bourdon peut-être comme des ailes des magies mêlant l'eau du Jourdain les princesses lointaines forcené des songeries forcené qui ressemble à tous les Icare à tous les écarts du destin qui se croit fait pour soulever le voile de démence au-dessus on ne sait de quelle Amérique quelle terre ou quel phalanstère ô forcené qui ne se voit pas à l'heure des laitiers traînant par les rues misérable et défait malheureux misérable

O toi qui tends ta paume mendiant perpétuel à des gens qui n'en veulent pas tes semblables tes frères forcené forcené qui fait semblant de t'en tirer en ricanant en blasphémant tu garderas pour toi l'histoire de tes humbles démarches prêt à tout accepter tout donner tout détruire de toi s'il le faut tout détruire et qu'as-tu rencontré quelle dérisoire exigence. Alors tu fais celui qui s'en moque à mourir qui allait mourir la corde était prête et puis que voulez-vous ce sont ces parents de province qui sont venus et pourquoi fallait-il qu'ils vinssent qui restent là parlant parlant parlant si bien qu'on ne peut se prendre avant leur départ ne serait-ce que par politesse ô forcené qui me ressemble

Écoute une dernière fois écoute

Cette histoire que tu ne raconteras jamais jamais tu la connais de bout en bout tu la connais toute

Un jour peut-être un jour se lèvera pour la première fois et que ce soit sur la Terre Sainte ou le vrai paradis un jour si tu crois l'heure enfin sonnée où les autres hommes te regarderont comme un des leurs pour la dernière fois je te le dis ce ne sera qu'illusion que leurre rien n'est possible qu'un mensonge ils feront mine écoute-moi ce ne sera qu'une apparence ils ne t'aimeront jamais ils ne t'accepteront jamais comme un des leurs et tu vivras longuement parmi eux le sachant le cachant rien n'est changé tu es toujours un étranger comment veux-tu qu'il en soit autrement regarde-toi mais regarde-toi donc maudit si l'on t'accepte si l'on fait mine un jour de t'accepter sache-le bien que c'est pour quelques raison qui n'est pas de toi passagère et feinte on ne peut t'aimer tu le sais que des lèvres va va du moins conscient de n'être que le jouet d'un calcul accepte si tu veux le calcul des autres leur calcul juste ou faux dont dépend l'avenir mais sache pour la dernière fois forcené

Que tu ne seras jamais qu'une poussière dans l'oeil des hommes toi qui garde pour toi seul ton histoire de mendiant de loin du compte de tes jours tes offrandes rabrouées et maintenant jamais si l'on prenait ta main ce ne serait comme si la première fois on l'avait prise même si tu oublies si tu te laisses calmer si tu te laisses porter au large par la mer rappelle-toi qu'elle est perfide et que jamais tu n'en connaîtras le fond profond qu'elle est la mer même quand elle est douce et tranquille à l'infini la mer rien d'autre et que veux-tu que la mer soit d'autre que la mer

à l'heure des laitiers malheureux misérable

Non mais regardez-moi ce fou qui croit faire un grand cadeau de son coeur et de ses rêves ce dément qui propose de sacrifier ses doutes et ses chants tout ce qu'il lui reste d'un long désordre ancien de plier sa musique au cri qui la fait dissonante au vent qui la disperse à l'oubli de l'aube au jour qui vient

A l'heure des laitiers toujours tu te réveilleras toi qu'on ne peut aimer ô toi qui me ressembles
 
Moi aussi je trouve ça si chantant ! Je ne te savais pas si sensible aux vertus du travail par contre.
 
ouaih mais les patrons étaient plus paternalistes et puis il n'y a pas que des usines il y a aussi des petites entreprises, des firmes... pas absolument genre syndicat

quoique à y repenser j'ai fait un stage dans une grosse boite de zone industrielle aussi... on est de suite placé devant un choix hein ça... quand on a su que je suis d'origine arménienne on m'a placé à côté d'un voisin de chaine... un turc qui m'a fait des embrouilles

moi c'est pas avec la lutte des classes et les syndics que je suis fourré... non, c'est autre chose. C'est pour cela que je ne semble pas net...
 
"Noble, grandiose, impeccable, chaque instant se forme, s’achève, s’effondre, se refait en un nouvel instant qui se fait, qui se forme, qui s’accomplit, qui s’effondre et se refait en un nouvel instant qui se fait, qui se forme, qui s’achève et se ploie et se relie au suivant qui s’annonce, qui se fait, qui se forme, qui s’achève et s’exténue dans le suivant, qui naît, qui se dresse, qui succombe et au suivant se raccorde, qui vient, qui s’érige, mûrit et au suivant se joint… qui se forme et ainsi sans fin, sans ralentissement, sans épuisement, sans accident, d’une perfection éperdue, et monumentalement."

H. Michaux, inspiré par la mescaline
 
Paix à celui qui hurle parce qu'il voit clair
Paix à nos esprits malades, à nos coeurs éclatés
Paix à nos membres fatigués, déchirés
Paix à nos générations dégénérées
Paix aux grandes confusions de la misère
Paix à celui qui cherche
En se frappant la tête contre des murs en béton
Paix au courroux de l'homme qui a faim
Paix à la haine, à la rage des opprimés
Paix à celui qui travaille de ses mains
Paix à cette nature
Qui nous a toujours donné le meilleur d'elle-même
Et dont chaque homme quel qu'il soit a besoin
Paix à nos ventres —
Grands réservoirs de poubelles académiques
Paix à vous mes amis, dont la tendresse m'est une nécessité
Paix et respect de la vie de chacun
Paix à la fascination du feu,
Paix au lever du jour à la tombée de la nuit
Paix à celui qui marche sur les routes
Jusqu'aux horizons sans fin
Paix au cheval de labour
Paix aux âmes mal-nées qui enfantent des cauchemars
Paix aux rivières, aux mers, aux océans
Qui accouchent de poissons luisants de gas-oil
Paix à toi ma mère,
Dont le sourire douloureux s'efface auprès de tes enfants
Paix enfin à celui qui n'est plus
Et qui toute sa vie a trimé attendant des jours meilleurs

Catherine Ribeiro
 
[...]
Tu es le vide et la cendre
Oiseau sans tête aux ailes battant la nuit
L'univers est fait de ton peu d'espoir
[...]

G. Bataille
 
Le secret de la vie est dans les tombes closes :
Ce qui n’est plus n’est tel que pour avoir été ;
Et le néant final des êtres et des choses
Est l’unique raison de leur réalité.

Ô vieille illusion, la première des causes !
Pourquoi nous éveiller de notre éternité,
Si, toi-même n’étant que leurre et vanité,
Le secret de la vie est dans les tombes closes ?

Hommes, bêtes et Dieux et monde illimité,
Tout cela jaillit, meurt de tes métamorphoses.
Dans les siècles, que tu fais naître et décomposes,
Ce qui n’est plus n’est tel que pour avoir été.

A travers tous les temps, splendides ou moroses,
L’esprit, rapide éclair, en leur vol emporté,
Conçoit fatalement sa propre inanité
Et le néant final des êtres et des choses.

Oui ! sans toi, qui n’es rien, rien n’aurait existé :
Amour, crimes, vertus, les poisons ni les roses.
Le rêve évanoui de tes oeuvres écloses
Est l’unique raison de leur réalité.

Ne reste pas inerte au seuil des portes closes,
Homme ! Sache mourir afin d’avoir été ;
Et, hors du tourbillon mystérieux des choses,
Cherche au fond de la tombe, en sa réalité,
Le secret de la vie.

Leconte de Lisle, Poèmes tragiques
 
Dernier cri

J’écris ce poème avec de la fumée
Avec du sable avec de l’ombre
Mes mains s’enfoncent dans la neige
Sans jamais rencontrer la terre
Mais tout à coup le vent disperse la poussière
La poussière du poème
Tout à coup un cheval couronne de sa mort
Le royaume ébloui que me prête l’hiver
Tout à coup un rose éclate les ténèbres
Tout à coup un poisson ruisselle sur la table
Tout à coup un oiseau traverse la fenêtre
Et la maison s’effondre en gerbe de cristal
Il reste le cri nu de la réalité
Le cri pulvérisé de l’œuf en train d’éclore
Le cri rouge du rat encerclé par le feu
La nudité de l’os quand retombe la cendre
L’évidence du roc de la dent arrachée
Ce qui vibre immobile et se tord de fureur
La clarté sans issue où gravite la mer
La terreur du granit que le gel assassine
Les objets à pétrir comme un pain de famine
Le présent à saisir dans son flagrant délit

(Christian Bachelin)
 
Ode à Priape

Tout se répare et se succède,
Par ce plaisir qu’on nomme abus :
L’homme, l’oiseau, le quadrupède,
Sans ce plaisir, ne seraient plus.
Ainsi l’on fout par tout le monde
Le foutre est la source féconde
Qui rend l’univers éternel ;
Et ce beau tout, que l’on admire,
Ce vaste univers, à vrai dire,
N’est qu’un noble et vaste bordel.


(Alexis Piron, 1689–1773)

(texte intégral ici : https://fr.m.wikisource.org/wiki/Poésies_badines_et_facétieuses/Ode_à_Priape)
 
Ah j'aime beaucoup ce rythme 4+3+3 (et j'aime beaucoup le verbe "foutre", aujourd'hui tellement polysémique que l'usage a effacé son sens initial)
 
Moi c'est surtout la structure de rimes en croisées-plates-embrassées que j'aime bien, avec cet aspect totalisant. Et puis dans le fond y'a ce côté biologico-tryptaminique que je trouve marrant pour un poème du XVIIIe.
 
Mon cœur battait battait très fort à sa parole
Quand je dansais dans le fenouil en écoutant
Et je brodais des lys sur une banderole
Destinée à flotter au bout de son bâton

Et pour qui voulez-vous qu’à présent je la brode
Son bâton refleurit sur les bords du Jourdain
Et tous les lys quand vos soldats ô roi Hérode
L’emmenèrent se sont flétris dans mon jardin

[...]
Sire marchez devant trabants marchez derrière
Nous creuserons un trou et l’y enterrerons
Nous planterons des fleurs et danserons en rond
Jusqu’à l’heure où j’aurai perdu ma jarretière
Le roi sa tabatière
L’infante son rosaire
Le curé son bréviaire


"quand je dansais dans le fenouil en écoutant" je trouve ça si mignon
 
Je posai ma lèvre ardente
sur la lèvre du pichet,
Implorant de sa science
le secret d’éternité.
En me rendant ce baiser,
il me dit en confidence :
Bois ; ce monde que tu hantes,
tu n'y reviendras jamais.
De temps à autre se lève
un qui clame : Me voici !
Il déploie monts et merveilles :
le grand homme que voici !
Et quand il a réussi
sa petite affaire, un jour
La Mort surgit à son tour
qui murmure : Me voici !



Ma mère qui m'offre un recueil de quatrains de Omar Khayyâm : ça parle que de la mort et de la gnôle. Elle me connait bien :D
 
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