4. Perspectives : outil thérapeutique de demain ?
Comme nous l’avons vu auparavant, les indiens mazatèques utilisent Salvia divinorum
pour ses nombreux effets curatifs. La découverte de la salvinorine A et de son
interaction avec les récepteurs kappa opioïdes a ouvert une nouvelle voie dans la
recherche scientifique : les potentiels effets thérapeutiques de la salvinorine A.
Ce chapitre présente les différents effets thérapeutiques et secondaires induits par cette
molécule et ses analogues. A noter qu’aucun de ces effets (à par l’effet antidépresseur)
n’a été étudié sur l’homme. Les expériences qui ont permis de montrer le potentiel
thérapeutique de la salvinorine A et de ses dérivés ont été menées soit in vitro, soit sur
des animaux (souris, rats, singes rhésus).
4.1 Effets antidépresseurs
L’effet antidépresseur de Salvia divinorum a été cité pour la première fois en 2001
[65]. Une jeune femme de 27 ans, qui souffrait de dépression depuis son plus jeune âge,
ne trouvait pas de traitement qui lui convenait. Pour évaluer l’intensité des symptômes
dépressifs de cette personne, son thérapeute a utilisé l’échelle d’évaluation de Hamilton
[66] : un questionnaire à choix multiple utilisé pour mesurer l’importance d’une
dépression. Cette femme a expliqué à son thérapeute avoir ressenti des améliorations
après la consommation de feuilles de Salvia divinorum. Une réévaluation de son score
de Hamilton a permis de prouver ses dires, sans cependant prouver scientifiquement
l’authenticité de ce phénomène.
De plus, des recherches menées sur des souris par M. Ukai et son équipe en 2002 ont
montré que les agonistes des récepteurs opioïdes kappa pouvaient avoir des effets
bénéfiques contre la dépression et l’impuissance acquise [51] et pouvaient réduire le
niveau de dopamine dans le cerveau.
4.2 Effets antibactériens
L’utilisation de Salvia divinorum par les indiens mazatèques a permis d’aiguiller les
scientifiques sur d’autres utilisations de Salvia divinorum. En 1998, deux biologistes
ont tenté de démontrer l’activité antibactérienne de Salvia divinorum [67].
Cette activité a été étudiée sur 18 colonies bactériennes grâce à la méthode de diffusion
par disque. Par comparaison avec les échantillons témoins, les 2 biologistes ont pu
déterminer si la présence du mélange extrait par l’acétone affectait ou non le
développement des bactéries.
Les résultats de l’expérience indiquent que cette solution inhibe la croissance de la
plupart des bactéries de forme bacille (voir figue ci-dessous).
Figure 23 - Effets de la salvinorine A sur des bactéries de forme bacille [67]
Dans la même expérience, les scientifiques remarquent que les composantshydrosolubles de Salvia divinorum (rappelons que la salvinorine A n’est pashydrosoluble) n’inhibent pas la croissance des bactéries. De plus, ils constatent que lasalvinorine A n’affecte pas le développement des coccus (bactéries de forme cocci).
Cette expérience réalisée in vitro démontre les effets antibactériens de la salvinorine A.
Cependant, il n’est pas garanti que les résultats in vivo de cette même expérience soit
identiques.
4.3 Effet antispasmodique
De nombreuses études scientifiques ont été menées pour évaluer l’effet antispasmodique
de la salvinorine A.
En 2008, Capasso et al. [68] ont montré que la salvinorine A permet de normaliser la
motilité intestinale chez les souris dans un état physiopathologique. Plus intéressant
encore, cette étude montre que la salvinorine A n’entraine pas d’effets secondaires chez
les souris saines, à l’inverse de certains opioïdes souvent cause de constipation. Cette
molécule pourrait ainsi être utilisée pour le traitement de la diarrhée.
Ce constat a été confirmé en 2009 par Fichna et al. [69], qui expliquent que la
salvinorine A ralentit le péristaltisme naturel (étude réalisée sur des souris).
A noter que l’effet antispasmodique de la salvinorine A n’est pas seulement lié à
l’interaction de cette molécule avec les KOR. Les récepteurs cannabinoïdes CB1
pourraient également être impliqués.
En 2011, une étude a montré que cet effet était également lié à une interaction de la
salvinorine A avec l’oxyde nitrique synthétase [70].
En 2008, Butelman et al. ont montré que l’herkinorine possédait des effets équivalents à
celui du lopéramide chez les singes rhésus [71].
4.4 Effet antalgique
En 2005, McCurdy et al. [48] ont démontré que la salvinorine A possédait un effet
antalgique de faible durée (étude réalisée sur des souris).
De la même manière, le 2-methoxymethyl-salvinorine B possède également un effet
antalgique [44] (étude réalisée sur des rats).
4.5 Effet sédatif
En 2009, Butelman et al. [72] ont montré que la salvinorine A pouvait avoir un effet
sédatif chez les singes rhésus par interaction avec les KOR. Après une injection I.V., les
effets sédatifs apparaissent rapidement (5 minutes) et disparaissent tout aussi
rapidement (diminution de l’effet après 30 minutes et disparition au bout d’une heure).
La salvinorine A n’étant pas hydrosoluble, elle a été dissoute dans une solution
d’éthanol, de Tween 80 et d’eau distillée.
4.6 Sevrage à la cocaïne
Il a été montré que l’utilisation prolongée de drogues comme la cocaïne entraînait une
augmentation du nombre de récepteurs (les KOR). Une sensation de manque et de
dysphorie est alors perçue lorsque ces récepteurs ne sont plus activés. Des antagonistes
pour ces récepteurs, comme pourraient l’être des analogues de la salvinorine A,
permettraient de diminuer cette sensation de manque et éviter les abus liés à cette
drogue [30] (étude réalisée sur des singes rhésus)
4.7 Effet vasodilatateur cérébral
En 2011, Su et son équipe ont montré que la salvinorine A dilatait les artères cérébrales
par activations des récepteurs kappa-opioïdes, des canaux adénosine triphosphate et de
l’oxyde nitrique synthétase [73].
4.8 Effet anti-inflammatoire
En 2011, Aviello et son équipe ont montré que la salvinorine A possédait des effets
anti-inflammatoire modérés in-vivo, par activation des KOR et des récepteurs
cannabinoïdes CB1 [74].
4.9 Autres effets
En 2008, des chercheurs [75] ont montré qu’à faible dose, la salvinorine A pouvait avoir
un effet récompense (caractérisés par une préférence de placement chez des rats). C’est
le premier potentiel d’abus décelé chez cette molécule. A noter qu’à forte dose, la
salvinorine A entraîne plutôt une aversion. Cet effet récompense proviendrait d’une
interaction entre la salvinorine A, les récepteurs KOR et le système endocannabinoïde.
La salvinorine A ne possède aucun effet diurétique, sans doute à cause de sa faible
durée d’action. En revanche, un effet diurétique a été détecté chez son analogue 2-
méthoxymethyl-salvinorine B [76].
De part l’ensemble de ces informations, il faut se demander si la recherche doit
continuer dans cette voie. Certains de ces effets méritent-ils une étude plus approfondie
par les scientifiques ? Les perspectives analgésiques que laisse envisager la salvinorine
A doivent également être prises en compte