Tridimensionnel
Cheval théorique
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Un après-midi de printemps tardif… j’étais avec deux amis dans la petite maison de garde d’un bâtiment abandonné. Nous avions pour nous un immense terrain, couvert en grande partie de forêt, et parsemé d’anciennes habitations plus ou moins taguées. À mon avis, c’était l’endroit idéal pour renouer avec mon ami 1p-LSD, avec lequel j’étais un peu fâchée depuis mon dernier trip (à lire ici : http://www.psychonaut.fr/thread-31357.html ).
Pan, le maître de maison, avait poliment refusé mon invitation au voyage ; mais No, plus curieux, accepta de m’accompagner. C’était sa première fois, et moi je voulais reprendre doucement, aussi j’ai rassemblé mes petits morceaux de cartons - résidus d’anciens trips - pour en faire deux minuscules tas dont chacun, approximativement, totaliserait 50 microgrammes de substance psychoactive.
On a trouvé une parfaite petite clairière, où quelques rochers moussus figuraient une table et des bancs pour fées et lutins. Le soleil faisait briller la pierre, quelques oiseaux chantaient. Quel endroit idéal pour triper ! ai-je pensé en dropant, et j’ai souhaité de toutes mes forces que : 1) No apprécie l’expérience ; 2) la présence d’un Pan complètement sobre ne gâche pas l’affaire ; 3) mes angoisses me laissent en paix ; 4) ah oui tiens, ne pas m’être trompée dans les dosages.
On avait de l’aquarelle, un petit carnet, et à trois on s’est embarqués dans un concours de dessin agrémenté d’un peu d’alcool. J’ai vite reconnu le bodyhigh mais, à ma grande déception, No ne sentait rien. Deux heures plus tard, j’étais juste assez défoncée pour m’inquiéter de l’image que je renvoyais, tandis que Pan haussait les sourcils l’air de dire : c’était bien la peine d’en faire toute une histoire. Pas de visu, pas d’euphorie, juste le soleil qui m’éblouit et de la confusion mentale : en effet, je me sens un peu conne. Je réfléchis : mes cartons commencent à être vieux, peut-être qu’ils sont éventés. Ou alors, la goutte n’était pas uniformément répartie et on est tombés sur des bouts où il n’y avait rien. Pas cool !
À H+3, mon trip est totalement neutre et je laisse mes deux amis pour aller faire pipi dans la forêt. Tout en marchant, je me répète que c’est pas grave, que l’expérience n’est pas négative en soi, mais rien à faire, je suis extrêmement frustrée, autant pour No que pour moi. Je fais mon affaire, je regarde autour de moi, et là, le choc.
Imaginez-vous au fond d’une petite ravine. Autour de vous, des arbres, des rochers, de la mousse. Rien de bien étonnant ! Mais pour moi, c’est comme si je venais de mettre des lunettes 3D. Les arbres sont immenses. La ravine est profonde. La nature palpite de vie. Je regarde partout, j’ouvre grand les yeux, j’essaye de prendre en moi toute cette force. Un plaisir de dingue me traverse. Je me mets à me caresser partout pour exprimer le courant vital qui menace de me submerger. Je ris, je me tire les cheveux, je me frotte les cuisses, je tourne sur moi-même. Putain ! Il aura fallu attendre trois heures, mais putain ! Qu’est-ce que c’est beau !
Putain ! J’en ai le vertige. Je fais quelques pas, et la nature m’engloutit. Je m’y perds complètement. Ces formes, ces couleurs. Cette perfection, ce miracle ! d’un tronc écroulé en travers de la ravine, sur lequel je marche en étendant les bras. Miracle de la mousse qui le colonise en rangs serrés de sangsues. Des polypores y ont poussé, peut-être même l’ont-ils tué, et je touche leur chair dure et violette de prédateurs. Cet arbre mort est la couche d’une vie vorace, belle et sans merci. Je prends conscience pour la première fois de la cruauté de la nature, de son absence totale de scrupules. Je prends conscience que mes principes ne pèsent pas lourd face au désir impérieux qu’a un champignon de vivre, dût-il pousser sur mes os.
Lorsque je me détache enfin de cet arbre mort, c’est au tour des arbres vivants de me faire tourner la tête. Il n’y a, autour de moi, plus aucun bruit humain. Je suis seule dans cette forêt où je me suis invitée, présomptueusement. Et je sens comme des regards sur moi ; non, ce n’est pas le bon mot – je sens une observation, je sens une indifférence aussi – je sens qu’on note ma présence, je sens aussi que je ne suis rien du tout. Je comprends que ce lieu n’est pas le mien. Que cette forêt n’est pas la mienne. Que je me suis imaginée, parce que je suis humaine, que j’avais ici un droit de passage, un droit imprescriptible de possession et d’exploitation. Un privilège tellement naturel que je n’en aurais même pas conscience, et dont le passeport serait mon corps même – ce corps humain qui veut tailler le monde à sa mesure. Et je mesure combien je me suis trompée. Les apparences tombent, je suis nue dans mon humilité et ma fragilité. Je ne suis qu’une espèce parmi d’infinités d’autres. Je ne suis pas plus ni moins évoluée, je vais dans un certain sens, c’est tout. Et ce sens n’est pas celui de cette forêt et de ses vrais possesseurs, les végétaux, animaux, minéraux, qui la peuplent et la construisent. Je ne suis qu’une étrangère, une invitée – qu’on accepte, mais une invitée quand même.
Je suis retournée dans ces contes où la forêt est un autre monde, l’antithèse du village et de la civilisation. Elle n’est plus une exploitation de bois ou un lieu de promenade, mais une entité qu’on pénètre avec crainte et fascination. Et c’est ainsi que je commence mon exploration. C’est très grisant car j’ai peur de me perdre, je prends des points de repère comme : je continue dans l’axe de la ravine, jusqu’à cette souche qu’on dirait une gueule ; alors je suis attirée par ces deux arbres aux branches emmêlées, et en me retournant je vois encore la souche, c’est bon ; et ainsi de suite, de jalon en jalon je m’éloigne sans périr. Les reliefs sont accentués par la drogue, chaque creux devient une vallée, et les feuilles mortes qui tapissent le sol m’enlèvent sur une mer parfois agitée. Je me sens comme une gamine qui joue à chat, en sautant de pierre en pierre pour éviter les crocodiles. Tout prend des proportions magiques, je ne fais plus attention à mon âge, à ma dignité, à tout ce qui nous retient dans nos passions naturelles. Il n’y a pas d’affaire plus sérieuse que de sonder la forêt et la ressentir dans tout le corps, que ce soit par la peur ou le jeu.
Je titube et me cogne contre des arbres que je touche avec respect, épuisée d’émerveillement. Certains ont une peau lisse et grise, avec un ondoiement tellement parfait que j’ai envie de les mordre. D’autres sont craquelés comme des sorciers anciens. Leurs corps dégagent une sensualité si profonde qu’elle n’est pas exprimable par nos mots, calibrés pour une sexualité pornographique. Mais surtout, ils sont tous différents. Soient-ils côte-à-côte et de la même espèce, je ne pourrais les confondre, c’est tellement flagrant ! Comment décrire ces individualités ? Des humains peuvent avoir la même couleur de cheveux, d’yeux, de peau, et nous voilà déjà bien embêtés pour les décrire – ouhlala, il va falloir faire un effort et parler de forme de menton, de fossette – alors des arbres ! Je le sais, c’est tout. Ils sont différents.
Voilà en gros l’ensemble de mes impressions lors de cet étourdissant voyage. Je suis allée jusqu’à une grande allée centrale que j’ai suivie jusqu’à retrouver mes amis, qui n’avaient pas bougé. Et j’ai passé avec eux la fin de mon trip, avec la sensation d’un secret magnifique et inexprimable.
Le lendemain, j’ai refait avec eux le même trajet, et deux choses m’ont attristée : d’abord, mes sensations n’étaient plus les mêmes, bien sûr. J’étais à nouveau une humaine en ballade dans un petit bois monotone. Mais j’ai aussi été incapable de communiquer mon expérience à mes amis, de les intéresser à l’aventure passionnante que j’avais vécue en ces mêmes lieux. Ça m’a fait réfléchir sur l’incommunicabilité de nos « voyages ». Je n’en ai pas vraiment tiré de conclusion.
Pan, le maître de maison, avait poliment refusé mon invitation au voyage ; mais No, plus curieux, accepta de m’accompagner. C’était sa première fois, et moi je voulais reprendre doucement, aussi j’ai rassemblé mes petits morceaux de cartons - résidus d’anciens trips - pour en faire deux minuscules tas dont chacun, approximativement, totaliserait 50 microgrammes de substance psychoactive.
On a trouvé une parfaite petite clairière, où quelques rochers moussus figuraient une table et des bancs pour fées et lutins. Le soleil faisait briller la pierre, quelques oiseaux chantaient. Quel endroit idéal pour triper ! ai-je pensé en dropant, et j’ai souhaité de toutes mes forces que : 1) No apprécie l’expérience ; 2) la présence d’un Pan complètement sobre ne gâche pas l’affaire ; 3) mes angoisses me laissent en paix ; 4) ah oui tiens, ne pas m’être trompée dans les dosages.
On avait de l’aquarelle, un petit carnet, et à trois on s’est embarqués dans un concours de dessin agrémenté d’un peu d’alcool. J’ai vite reconnu le bodyhigh mais, à ma grande déception, No ne sentait rien. Deux heures plus tard, j’étais juste assez défoncée pour m’inquiéter de l’image que je renvoyais, tandis que Pan haussait les sourcils l’air de dire : c’était bien la peine d’en faire toute une histoire. Pas de visu, pas d’euphorie, juste le soleil qui m’éblouit et de la confusion mentale : en effet, je me sens un peu conne. Je réfléchis : mes cartons commencent à être vieux, peut-être qu’ils sont éventés. Ou alors, la goutte n’était pas uniformément répartie et on est tombés sur des bouts où il n’y avait rien. Pas cool !
À H+3, mon trip est totalement neutre et je laisse mes deux amis pour aller faire pipi dans la forêt. Tout en marchant, je me répète que c’est pas grave, que l’expérience n’est pas négative en soi, mais rien à faire, je suis extrêmement frustrée, autant pour No que pour moi. Je fais mon affaire, je regarde autour de moi, et là, le choc.
Imaginez-vous au fond d’une petite ravine. Autour de vous, des arbres, des rochers, de la mousse. Rien de bien étonnant ! Mais pour moi, c’est comme si je venais de mettre des lunettes 3D. Les arbres sont immenses. La ravine est profonde. La nature palpite de vie. Je regarde partout, j’ouvre grand les yeux, j’essaye de prendre en moi toute cette force. Un plaisir de dingue me traverse. Je me mets à me caresser partout pour exprimer le courant vital qui menace de me submerger. Je ris, je me tire les cheveux, je me frotte les cuisses, je tourne sur moi-même. Putain ! Il aura fallu attendre trois heures, mais putain ! Qu’est-ce que c’est beau !
Putain ! J’en ai le vertige. Je fais quelques pas, et la nature m’engloutit. Je m’y perds complètement. Ces formes, ces couleurs. Cette perfection, ce miracle ! d’un tronc écroulé en travers de la ravine, sur lequel je marche en étendant les bras. Miracle de la mousse qui le colonise en rangs serrés de sangsues. Des polypores y ont poussé, peut-être même l’ont-ils tué, et je touche leur chair dure et violette de prédateurs. Cet arbre mort est la couche d’une vie vorace, belle et sans merci. Je prends conscience pour la première fois de la cruauté de la nature, de son absence totale de scrupules. Je prends conscience que mes principes ne pèsent pas lourd face au désir impérieux qu’a un champignon de vivre, dût-il pousser sur mes os.
Lorsque je me détache enfin de cet arbre mort, c’est au tour des arbres vivants de me faire tourner la tête. Il n’y a, autour de moi, plus aucun bruit humain. Je suis seule dans cette forêt où je me suis invitée, présomptueusement. Et je sens comme des regards sur moi ; non, ce n’est pas le bon mot – je sens une observation, je sens une indifférence aussi – je sens qu’on note ma présence, je sens aussi que je ne suis rien du tout. Je comprends que ce lieu n’est pas le mien. Que cette forêt n’est pas la mienne. Que je me suis imaginée, parce que je suis humaine, que j’avais ici un droit de passage, un droit imprescriptible de possession et d’exploitation. Un privilège tellement naturel que je n’en aurais même pas conscience, et dont le passeport serait mon corps même – ce corps humain qui veut tailler le monde à sa mesure. Et je mesure combien je me suis trompée. Les apparences tombent, je suis nue dans mon humilité et ma fragilité. Je ne suis qu’une espèce parmi d’infinités d’autres. Je ne suis pas plus ni moins évoluée, je vais dans un certain sens, c’est tout. Et ce sens n’est pas celui de cette forêt et de ses vrais possesseurs, les végétaux, animaux, minéraux, qui la peuplent et la construisent. Je ne suis qu’une étrangère, une invitée – qu’on accepte, mais une invitée quand même.
Je suis retournée dans ces contes où la forêt est un autre monde, l’antithèse du village et de la civilisation. Elle n’est plus une exploitation de bois ou un lieu de promenade, mais une entité qu’on pénètre avec crainte et fascination. Et c’est ainsi que je commence mon exploration. C’est très grisant car j’ai peur de me perdre, je prends des points de repère comme : je continue dans l’axe de la ravine, jusqu’à cette souche qu’on dirait une gueule ; alors je suis attirée par ces deux arbres aux branches emmêlées, et en me retournant je vois encore la souche, c’est bon ; et ainsi de suite, de jalon en jalon je m’éloigne sans périr. Les reliefs sont accentués par la drogue, chaque creux devient une vallée, et les feuilles mortes qui tapissent le sol m’enlèvent sur une mer parfois agitée. Je me sens comme une gamine qui joue à chat, en sautant de pierre en pierre pour éviter les crocodiles. Tout prend des proportions magiques, je ne fais plus attention à mon âge, à ma dignité, à tout ce qui nous retient dans nos passions naturelles. Il n’y a pas d’affaire plus sérieuse que de sonder la forêt et la ressentir dans tout le corps, que ce soit par la peur ou le jeu.
Je titube et me cogne contre des arbres que je touche avec respect, épuisée d’émerveillement. Certains ont une peau lisse et grise, avec un ondoiement tellement parfait que j’ai envie de les mordre. D’autres sont craquelés comme des sorciers anciens. Leurs corps dégagent une sensualité si profonde qu’elle n’est pas exprimable par nos mots, calibrés pour une sexualité pornographique. Mais surtout, ils sont tous différents. Soient-ils côte-à-côte et de la même espèce, je ne pourrais les confondre, c’est tellement flagrant ! Comment décrire ces individualités ? Des humains peuvent avoir la même couleur de cheveux, d’yeux, de peau, et nous voilà déjà bien embêtés pour les décrire – ouhlala, il va falloir faire un effort et parler de forme de menton, de fossette – alors des arbres ! Je le sais, c’est tout. Ils sont différents.
Voilà en gros l’ensemble de mes impressions lors de cet étourdissant voyage. Je suis allée jusqu’à une grande allée centrale que j’ai suivie jusqu’à retrouver mes amis, qui n’avaient pas bougé. Et j’ai passé avec eux la fin de mon trip, avec la sensation d’un secret magnifique et inexprimable.
Le lendemain, j’ai refait avec eux le même trajet, et deux choses m’ont attristée : d’abord, mes sensations n’étaient plus les mêmes, bien sûr. J’étais à nouveau une humaine en ballade dans un petit bois monotone. Mais j’ai aussi été incapable de communiquer mon expérience à mes amis, de les intéresser à l’aventure passionnante que j’avais vécue en ces mêmes lieux. Ça m’a fait réfléchir sur l’incommunicabilité de nos « voyages ». Je n’en ai pas vraiment tiré de conclusion.